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dimanche 3 août 2025

Droit applicable à l'infraction de recyclage des produits de la criminalité

Drouin c. R., 2020 QCCA 1378 

Lien vers la décision


L’actus reus

[97]      L’actus reus de cette infraction est relativement vaste et consiste à prouver (1) que les biens ou leurs produits proviennent d’une infraction désignée et (2) qu’ils ont été traités de l’une des manières décrites dans cette disposition.

[98]      En d’autres mots, pour « traiter » un bien provenant directement ou indirectement d’une infraction criminelle, l’accusé doit commettre une activité spécifique avec ce bien. Ces activités sont les suivantes : l’utiliser, l’enlever, le livrer à une personne ou à un endroit, le transporter, le modifier, en disposer, en transférer la possession, ou encore, prendre part à toute autre forme d’opération à son égard[90].

[99]      Comme l’écrivait le juge Laskin, alors à la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt R. v. Tejani[91], en criminalisant ce large spectre de comportements, le législateur voulait répondre à la préoccupation selon laquelle le recyclage des produits de la criminalité peut se manifester de plusieurs façons différentes. Par exemple, par le biais d'institutions financières qui acceptent des dépôts, par le biais d'entreprises de change, dans les secteurs des valeurs mobilières et des assurances, par le recours à l'immobilier ou à des sociétés, et par l'achat de produits de grande valeur[92].

[100]   En 2004, dans l’arrêt R. c. Daoust[93], la Cour suprême devait se pencher sur la définition de l’une des activités énumérées à l’article 462.31 C.cr., soit celle de « transfére[r] la possession » d’un bien. Dans cette affaire, l’accusé faisait face à un chef de recyclage des produits de la criminalité parce qu’il avait acheté des biens volés dans le but de les revendre dans son magasin. La poursuivante prétendait que l’achat de biens volés constituait un transfert de possession au sens de l’art. 462.31 C.cr.

[101]   Procédant à l’interprétation de cette expression, la Cour suprême s’est uniquement fiée aux termes employés dans le texte de la version française puisqu’en raison d’un oubli du législateur, cette version de l’article 462.31 C.cr. ne contenait pas, à cette époque, les mots « ou prend part à toute autre forme d’opération à leur égard ». Les mots « or otherwise deals with » apparaissaient uniquement dans la version anglaise. La Cour suprême observe alors ceci en ce qui a trait à l’intention du législateur :

44        On peut conclure de l’historique des textes législatifs traitant de l’infraction de recyclage des produits de la criminalité que l’intention réelle du Parlement était bien de criminaliser tous les actes accomplis (« toutes autres opérations ») à l’égard des produits du crime dans l’intention de les cacher ou de les convertir. Cette intention du législateur est explicite dans la version anglaise de l’art. 462.31. Toutefois, l’intention législative qui est révélée par l’historique doit en être une qui peut raisonnablement trouver appui dans le texte de la loi.  Ce n’est pas le cas en l’espèce. Le législateur n’a pas réalisé son intention dans la rédaction de l’art. 462.31; voilà pourquoi la version française, qui a un sens plus restreint, doit être favorisée. Il ne s’agit pas, en l’espèce, seulement de trouver l’intention que poursuivait le législateur, mais bien l’intention qu’il a exprimée: Goldman c. La Reine1979 CanLII 60 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 976, p. 994-995.

[Soulignements ajoutés]

[102]   Elle écarte alors l’interprétation large retenue dans l’affaire Tejani en notant « que le juge Laskin infér[ait] l’objectif du projet de loi C-61 en se référant uniquement à la version anglaise […] et non en essayant de trouver le sens commun des versions française et anglaise. L’analyse de l’affaire Tejani n’est donc pas utile sur ce point dans la mesure où elle ne traite que de la version anglaise »[94].

[103]   C’est dans ce contexte que la Cour suprême conclut que « [l]es gestes criminalisés par cette disposition visent tous la même personne, soit celle qui, à l’origine, a l’objet en sa possession et cherche à s’en défaire »[95]. Selon cette interprétation, la personne qui reçoit un bien criminellement obtenu ou qui l’achète ne peut en transférer la possession au sens de l’article 462.32 C.cr. puisqu’elle n’en a pas déjà la possession. À l’inverse, la personne qui vend, donne, utilise, échange ou livre un bien obtenu criminellement en a déjà la possession avant d’accomplir une de ces activités[96].

[104]   À la suite de l’arrêt Daoust, le législateur a choisi d’ajouter les mots « ou prend part à toute autre forme d’opération à leur égard » à la version française afin qu’elle corresponde à la version anglaise. Il ne fait donc plus de doute que l’intention du législateur est de criminaliser tous les actes accomplis à l’égard des produits du crime dans l’intention de les cacher ou de les convertir, ce qui rejoint l’interprétation retenue par juge Laskin dans l’arrêt Tejani.

[105]   Ainsi, dans l’arrêt Trac de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Doherty écrit que « [t]he actus reus or conduct component of the offence created by s. 462.31 captures a broad array of activities involving property or the proceeds of property. Almost anything done with property will satisfy the conduct component of the offence »[97].

La mens rea

[106]   La mens rea comporte les deux éléments suivants : (1) l’accusé doit savoir ou croire que les biens traités proviennent d’une infraction désignée et (2) avoir l’intention de les cacher ou de les convertir[98].

[107]   Puisque l’art. 462.31 C.cr. emploie les mots « infraction désignée », une croyance générale que les biens traités proviennent d’une activité criminelle sera insuffisante pour entraîner une déclaration de culpabilité. Par contre, selon les auteurs Manning et Sankoff, s’il est porté à la connaissance de l’accusé que les biens proviennent d’une infraction relativement sérieuse, cette croyance sera suffisante[99]. Ainsi, il n’est pas nécessaire pour la poursuivante de démontrer tous les détails de l’infraction désignée[100].

[108]   Enfin, si l’intention de cacher les biens implique une idée de dissimulation, ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’intention de les convertir. Selon la Cour suprême, « convertir » a un sens plus large et signifie « modifier » ou « transformer » un bien. Ce qui importe est que la personne qui convertit un bien qu’elle sait ou croit être de provenance criminelle ne doit pas en profiter[101].

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