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mercredi 6 août 2025

Une déclaration antérieure compatible faite par un accusé peut être admissible, lorsque les forces de l’ordre le confrontent pour la première fois à l’égard d’une accusation, lorsqu’il s’agit d’établir la réaction de l’accusé à l’accusation et la cohérence de sa thèse, si celui-ci témoigne

Lefebvre c. R., 2025 QCCS 1709

Lien vers la décision


[29]      Bien qu’il ne l’ait pas nommément indiqué en première instance, en appel, l’Appelant invoque maintenant spécifiquement l’exception fondée sur l’arrêt R. v. Edgar de la Cour d’appel de l’Ontario[10].

[30]      En autant que ses conditions d’admissibilité soient satisfaites, cette exception à la règle générale de preuve qui interdit en principe à une partie de mettre en preuve une déclaration antérieure compatible, vise essentiellement à permettre la preuve de cette déclaration afin de démontrer la réaction de l’accusé et la cohérence de cette déclaration avec son témoignage au procès. Une telle déclaration extrajudiciaire serait alors pertinente à la fois pour le verdict et pour évaluer la crédibilité de l’accusé.

[31]      En effet, il est acquis qu’une déclaration antérieure compatible avec le témoignage du témoin donné lors du procès est en principe inadmissible. Cette interdiction se fonde notamment sur le principe que la répétition d’une déclaration ne renforce pas la valeur probante ou la véracité d’un témoignage. Autrement dit, les déclarations antérieures compatibles ne peuvent servir à renforcer la crédibilité d’un témoin au regard de l’exactitude de son témoignage. Les déclarations antérieures compatibles sont ainsi généralement inadmissibles parce que superflues et de peu de valeur probante en plus de constituer une déclaration intéressée[11].

[32]      Cependant, cette règle générale de preuve comporte certaines exceptions de principe reconnues en jurisprudence, « notamment en présence d’une allégation de fabrication récente, en application de la règle de la res gestae, ou encore, lorsque la déclaration extrajudiciaire antérieure est mixte »[12].

[33]      Par ailleurs, dans l’arrêt Edgar rendu en juillet 2010, la Cour d’appel de l’Ontario, sous la plume du juge Sharpe, reconnait une autre exception visant les déclarations spontanées disculpatoires faites par un accusé lors de son arrestation ou peu après dans le but de montrer la réaction de l'accusé lorsqu'il a été confronté pour la première fois à l'accusation, à condition que l'accusé témoigne et s'expose de ce fait à un contre-interrogatoire[13] :

[24]      For the following reasons, I conclude that the spontaneous exculpatory statements made by an accused person upon or shortly after arrest may be admitted as an exception to the general rule excluding prior consistent statements for the purpose of showing the reaction of the accused when first confronted with the accusation, provided the accused testifies and thereby exposes himself or herself to cross-examination.

[72] I conclude, therefore, that it is open to a trial judge to admit an accused's spontaneous out-of-court statements made upon arrest or when first confronted with an accusation as an exception to the general rule excluding prior consistent statements as evidence of the reaction of the accused to the accusation and as proof of consistency, provided the accused takes the stand and exposes himself or herself to cross-examination. As the English cases cited above hold, the statement of the accused is not strictly evidence of the truth of what was said (subject to being admissible under the principled approach to hearsay evidence) but is evidence of the reaction of the accused, which is relevant to the credibility of the accused and as circumstantial evidence that may have a bearing on guilt or innocence.

[Nos soulignements]

[34]      Peu après cette décision, au Québec, le juge Delisle de la Cour du Québec traite dans R. c. Tremblay de l’exception énoncée dans l’arrêt Edgar de la façon suivante[14] :

[12]      Par ailleurs, dans un arrêt récent du 23 juillet 2010, soit R. c. Edgar[2010] O.J. no 31522010 ONCA 529 (CanLII), la Cour d’appel de l’Ontario a revisité la règle interdisant l’admissibilité des déclarations antérieures compatibles. Au terme de son analyse, elle a énoncé que les déclarations disculpatoires spontanées faites par l’accusé lors de son arrestation ou peu de temps après peuvent être admises à titre d’exception à la règle générale d’exclusion aux fins de démontrer sa réaction au moment de l’arrestation ou lorsqu’il a été, en premier lieu, confronté à l’accusation, dans la mesure où il témoigne et se prête au contre-interrogatoire. […]

[13]      Dans cette affaire, l’accusé avait fourni deux déclarations dans les minutes (30 minutes) suivant son arrestation relativement à une accusation de meurtre au second degré. Une troisième déclaration a également été donnée aux enquêteurs à l’hôpital quatre heures après l’arrestation. La Cour d’appel a déterminé que les deux premières déclarations étaient spontanées et contemporaines à l’arrestation alors que la troisième représentait le prolongement des deux premières (paragr. 76). Elle ne voyait pas d’obstacle à leur admissibilité parce que leur contenu n’introduisait aucun fait qui n’aurait pu être scruté pendant le contre-interrogatoire (paragr. 77). La Cour d’appel a cependant refusé d’intervenir parce que la valeur probante de la preuve exclue était faible et qu’il n’y avait aucune possibilité raisonnable que le jury rende un verdict différent (paragr. 81-82).

[Nos soulignements]

[35]      Plus tard, en 2018, dans Dubourg c. R., la Cour d’appel du Québec, sous la plume du juge Healy, fait écho à l’application au Québec de l’exception de l’arrêt Edgar en indiquant qu’une déclaration antérieure « peut également être admise en conjonction avec le témoignage de l’accusé comme déclaration antérieure compatible pour révéler son état d’esprit à ce moment ou contrer une allégation de fabrication récente, encore une fois sous condition que la déclaration soit spontanée »[15] :

[33]      En principe, les déclarations extrajudiciaires disculpatoires d’un accusé sont inadmissibles. Elles constituent du ouï-dire et l’on considère qu’elles sont intéressées et de peu de valeur probante. Elles permettent également à l’accusé de présenter sa version sans prêter serment, sans témoigner et sans être soumis au contre-interrogatoire. Comme tout ouï-dire, ces déclarations peuvent être admises en preuve par exception selon essentiellement les mêmes règles. En particulier, l’exception traditionnelle de common law de res gestae ou des déclarations spontanées peut, sous certaines conditions, justifier d’admettre en preuve une déclaration disculpatoire d’un accusé. Cette exception exige que la possibilité de fabrication soit réduite, et donc la fiabilité augmentée, par la contemporanéité entre la déclaration et l’évènement auquel elle se rapporte. C’est le cas si la déclaration fait partie intégrante de l’évènement ou si elle est faite sous l’emprise d’un stress qui en résulte, de sorte qu’il est peu probable que le déclarant ait réfléchi et concocté une déclaration fausse et intéressée. Une telle déclaration peut également être admise en conjonction avec le témoignage de l’accusé comme déclaration antérieure compatible pour révéler son état d’esprit à ce moment ou contrer une allégation de fabrication récente, encore une fois sous condition que la déclaration soit spontanée. Des déclarations de cette nature sont recevables par exception précisément parce qu’elles sont faites dans des circonstances qui présentent des indices suffisants de fiabilité pour qu’elles soient admises devant le juge des faits afin d’évaluer leur valeur probante.

[Nos soulignements]

[36]      Dans R. c. Ghazi, une affaire plus récente, le juge Buffoni se livre à une explication plus exhaustive de l’exception de l’arrêt Edgar[16] :

[43]      En vertu de cette exception, la déclaration faite spontanément par un accusé lors de son arrestation ou lorsqu’il est confronté pour la première fois à l’accusation qu’on lui reproche — que ce soit par un policier ou par une autre personne — est admissible si celui-ci témoigne et peut être contre-interrogé. La spontanéité constitue une garantie importante de la fiabilité de la déclaration.

[44]      La déclaration extrajudiciaire de l’accusé n’est pas admise afin de faire preuve de son contenu, mais plutôt en vue de démontrer la réaction de l’accusé (son état d’esprit) et la cohérence de cette déclaration avec son témoignage au procès. Une telle déclaration extrajudiciaire est pertinente à la fois pour le verdict et pour évaluer la crédibilité de l’accusé. Pour reprendre les termes du juge Laskin, au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Liard :

[…] The statements are evidence of an accused’s reaction to being accused of a crime and are relevant to show consistency with an accused’s trial testimony. Thus, although not admissible for the truth of their contents, they are relevant to an accused’s credibility and as a piece of circumstantial evidence bearing on an accused’s guilt or innocence. In short, the statements are relevant because an accused’s immediate reaction to an accusation of a crime may be more reliable and more probative than the accused’s testimony given years later in a courtroom. […]

[Nos soulignements]

[37]      Au final, pour mettre en preuve une déclaration antérieure en vertu de l’exception de l’arrêt Edgar, trois conditions doivent être réunies :

a)            l’accusé doit témoigner;

b)            la déclaration doit avoir été faite lorsque l’accusé a été arrêté ou lorsqu’il a été confronté à l’accusation pour la première fois; et

c)            la déclaration doit être spontanée.

[38]      De plus, l’objet de la preuve doit viser la réaction de l’accusé (son état d’esprit) et s’avère ainsi pertinente afin de démontrer la cohérence de cette déclaration avec son témoignage au procès. À l’instar des autres exceptions reconnues à la règle d’exclusion des déclarations antérieures, les inférences pouvant être tirées de cette preuve demeurent circonscrites et, plus particulièrement, la preuve ne peut être utilisée par l’accusé à titre d’autocorroboration :

[150]     Toutefois, les inférences pouvant être tirées de cette preuve demeurent circonscrites. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique résume bien les principes applicables dans l’arrêt R. v. Gill :

[68]      When prior consistent statements are admitted pursuant to an exception to the general exclusionary rule, their use is limited in accordance with the rationale underlying the rule itself. The trier of fact must never use a prior consistent statement to support the “prohibited inference” that a witness is more likely to be telling the truth because he or she repeated the same thing more than onceStirling at para. 7Khan at para. 41. In addition, the trier of fact must avoid treating an admissible prior consistent statement as a form of self-corroboration of a witness’s in-court testimonyDinardo at para. 40; Khan at para. 41.

[Soulignements dans l’original]

[39]      Voyons ce qu’il en est en l’espèce.

[40]      D’entrée de jeu, il va de soi que le fardeau de démontrer que sa déclaration antérieure était admissible en vertu d’une des exceptions aux règles de preuve reposait sur les épaules de l’Appelant en première instance[17]. Or, malgré les questions du premier juge lui demandant d’identifier l’objet pour lequel il cherchait à mettre en preuve la déclaration antérieure, l’Appelant s’est limité à indiquer qu’il entendait mettre cette déclaration en preuve pour démontrer qu’il a « dit des choses aux policiers qui ressemblent sensiblement aux choses qui ont été dites » au procès, et le juge lui permet cette réponse.

[43]      De façon importante, l’Appelant précise lors de sa plaidoirie en appel, qu’il ne cherchait pas à faire admettre la déclaration antérieure afin de démontrer son « état d’esprit » ou sa « réaction » au moment de l’arrestation ou de la formulation de la déclaration, mais plutôt qu’il veut produire le contenu de sa déclaration afin de démontrer sa cohérence avec le témoignage au procès.

[45]      Or, de l’avis du Tribunal, en l’instance, la raison pour laquelle l’Appelant cherche à mettre en preuve sa déclaration ne correspond pas à l’objectif visé par l’exception de l’arrêt Edgar.

[46]      En effet, comme le souligne l’Intimé, l’exception de l’arrêt Edgar vise justement « l’état d’esprit ou la réaction » comme élément visant à supporter la cohérence de la déclaration antérieure et du témoignage au procès; c’est la conjonction de ces deux éléments (d’une part, l’état d’esprit ou la réaction et, d’autre part, la cohérence) qui peut avoir un impact sur l’analyse de la crédibilité du témoignage au procès.

[47]      Le fait que la déclaration antérieure soit simplement cohérente avec le témoignage ne constitue pas un volet autonome de l’exception de l’arrêt Edgar donnant ouverture à l’admissibilité de la déclaration antérieure. Vouloir produire la déclaration antérieure sur la base de l’exception de l’arrêt Edgar uniquement pour faire valoir sa cohérence avec son témoignage au procès revient, en réalité, à invoquer la déclaration antérieure comme une forme de corroboration de témoignage et, ainsi, à amener le juge d’instance à en tirer une inférence prohibée. Comme l’indique l’Intimé, si Edgar s’appliquait comme le propose l’Appelant, l’exception deviendrait la règle.

[48]      Bien sûr, le contenu en lui-même de la déclaration antérieure d’un accusé peut être qualifié de « réaction » à une allégation ou à une accusation et, inversement, la « réaction » peut simplement prendre la forme d’une déclaration[21]. Toutefois, ici, il appert que l’Appelant ne cherchait pas à mettre en preuve sa réaction ou son état d’esprit, mais uniquement que sa déclaration antérieure était compatible ou cohérente avec son témoignage.

[50]      Mais de toute manière, même si l’Appelant avait raison sur ce point, il demeure que le premier juge n’a pas commis d’erreur quant au caractère non spontané de la déclaration antérieure, alors qu’il s’agit là d’une condition essentielle à son admissibilité aux termes de l’exception de l’arrêt Edgar.

[51]      D’ailleurs, comme l’indique la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Liard, rendu peu après l’arrêt Edgar, le critère de la spontanéité est d’importance capitale. C’est la spontanéité qui confère à la déclaration sa valeur probante et qui justifie son admissibilité en preuve. Le tribunal peut ainsi examiner la réaction naturelle d’une personne confrontée pour la première fois à une accusation criminelle qui doit normalement clamer son innocence. Dans Liard, la Cour d’appel de l’Ontario explique l’importance du critère de la spontanéité[22] :

[62]      The requirement that the accused’s statement be spontaneous is the critical requirement for admissibility under the Edgar exception. Spontaneity is what gives the statement its probative value and justifies its admission. A spontaneous reaction is more likely “to truly reflect the individual’s honest and genuine reaction to the allegation”, and thus is more likely to be a reliable reaction. See Kailayapillai, at para. 60. Conversely, when an accused has an opportunity to “think things through”, the spontaneity of the statement is diminished, and in some cases eliminated altogether.

[63]      No single consideration, no single point in time, determines whether the spontaneity requirement has been met. The passage of time between the crime and the accused’s reaction to an accusation of committing it, and any intervening events, are undoubtedly relevant. But spontaneity lies along a spectrum. And along that spectrum, the degree of spontaneity may vary. In Edgar itself, the accused made three statements – the third, four hours after he was arrested. Sharpe J.A. held that all three statements were admissible. In R. v. Johnson2010 ONCA 646, 262 C.C.C. (3d) 404, in an obiter comment at para. 71, Rouleau J.A. said he would have admitted under the Edgar exception a statement given by the accused on arrest, even though the arrest took place more than a month after the victim’s disappearance and over a week after her body was discovered.

[64]      Thus, in determining whether an accused has satisfied the spontaneity requirement, the trial judge must consider all the circumstances of the case – the passage of time, any intervening events, and the making of the statement itself. Importantly, as Sharpe J.A. pointed out in Edgar, at para. 69, when in doubt about spontaneity, the trial judge should admit the statement and allow the jury to assess its weight. Proper jury instructions can eliminate any risk of the jury’s misuse of the statement.

[Nos soulignements]

[53]      D’abord, quant à l’analyse du caractère spontané de la déclaration, l’Appelant se méprend en plaidant que le délai écoulé entre le moment de l’incident et le moment de la déclaration n’est pas pertinent et qu’il ne faudrait considérer que le temps écoulé entre l’arrestation et la déclaration. Tel qu’indiqué dans Liard dans l’extrait précité, « The passage of time between the crime and the accused’s reaction to an accusation of committing it, and any intervening events, are undoubtedly relevant »[23]. Aussi, les circonstances de chaque affaire sont uniques et doivent être examinées de manière contextuelle, au cas à cas. On ne peut simplement s’en remettre au nombre de minutes ou d’heures écoulées pour déterminer si le critère de la spontanéité est satisfait.

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