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mercredi 6 août 2025

La présentation devant le jury de documents non produits en preuve par le biais d'un contre-interrogatoire

Alix c. R., 2010 QCCA 1055

Lien vers la décision


[139]       L'appelante reproche au juge du procès d'avoir permis à la poursuite, au cours de son contre-interrogatoire, de la confronter à des lettres qu'elle avait écrites à son conjoint dans lesquelles elle relatait la relation difficile et conflictuelle qu'elle avait avec sa mère. Elle soutient de plus que l'usage en contre-interrogatoire d'une déclaration enregistrée sur vidéo faite aux policiers le 13 mars 2005, laquelle fut déclarée libre et volontaire, mais non déposée en preuve, constitue une forme irrecevable de contre-preuve de la poursuite. En outre, l'appelante plaide que les lettres et la déclaration auraient dû être produites en preuve principale.

[140]      Il convient de résumer sommairement le contexte.

[141]      Lors de la détention de son conjoint Leblanc, à la suite d'une condamnation pour des voies de fait commises à son endroit, l'appelante lui a écrit plusieurs lettres. La poursuite a choisi de ne produire que certaines d'entre elles (P-87), et de se servir de deux lettres lors du contre-interrogatoire de l'appelante. Dans ces deux lettres, l'appelante indique que vivre avec sa mère, « est l'enfer sur terre » et que celle-ci fait tout pour la blesser et l'abaisser. Elle y précise qu'elles se querellent du matin au soir.

[142]      Ces déclarations extrajudiciaires antérieures illustrent la relation non harmonieuse qu'elle entretenait avec sa mère, laquelle est pertinente au litige. Bien que le mobile présenté par la poursuite ait été essentiellement de nature financière, la relation existante entre la mère et la fille demeurait liée au litige d'autant que la poursuite a présenté des témoins pour relater la relation difficile qui prévalait entre l'appelante et sa mère à l'époque.

[143]      Partant, la proposition de l'appelante qu'il s'agit d'une contre-preuve est dénuée de fondement.

[144]      D'une part, l'appelante a admis avoir écrit ces lettres. La défense connaissait l'existence de cette preuve, la poursuite lui ayant divulgué les lettres écrites par l'appelante à son ex-conjoint, lesquelles reflétaient sa relation difficile avec sa mère. D'autre part, comme l'appelante a affirmé lors de son témoignage au procès entretenir une bonne relation avec sa mère, sauf quant au choix de son conjoint, ces lettres manuscrites constituent des déclarations antérieures contradictoires avec sa version des faits au procès. En tentant de minimiser le conflit existant entre elle et sa mère lors de son témoignage, l'appelante donnait ouverture à la mise en contradiction au moyen d'un écrit contradictoire sur un aspect relié à l'accusation. Il était loisible pour la poursuite de ne pas produire toutes les lettres et d'en conserver certaines aux fins du contre-interrogatoire.

[145]      Il est utile de reproduire les articles pertinents de la Loi sur la preuve, (ci-après Loi), L.R.C. (1985), c. C-5 :

10. (1) Lors de tout procès, un témoin peut être contre-interrogé au sujet des déclarations antérieures qu’il a faites par écrit, qui ont été prises par écrit ou qui ont été enregistrées sur bande audio ou vidéo, ou autrement, relativement au sujet de la cause, sans qu’il lui soit permis d’en prendre connaissance. Cependant, si l’on entend mettre le témoin en contradiction avec lui-même au moyen de cette pièce, l’on doit, avant de pouvoir établir cette preuve contradictoire, appeler son attention sur les parties de celle-ci qui doivent servir à le mettre ainsi en contradiction. Le juge peut toujours, au cours du procès, exiger la production de la pièce dans le but de l’examiner et en faire, dans la poursuite de la cause, l’usage qu’il croit convenable.

(…)

11. Si un témoin, contre-interrogé au sujet d’une déclaration antérieure faite par lui relativement au sujet de la cause et incompatible avec sa présente déposition, n’admet pas clairement qu’il a fait cette déclaration, il est permis de prouver qu’il l’a réellement faite. Avant de pouvoir établir cette preuve, les circonstances dans lesquelles a été faite la prétendue déclaration doivent être exposées au témoin de manière à désigner suffisamment l’occasion en particulier, et il faut lui demander s’il a fait ou non cette déclaration.

[146]      Ces dispositions permettent d'établir que le témoin ou l'accusé a, dans des déclarations antérieures, donné une version contradictoire « au sujet de la cause ». L'exercice ne vise pas à établir la véracité de ces déclarations antérieures, mais plutôt  d'affecter la crédibilité du témoin. Il revient au jury d'apprécier ces contradictions et d'en déterminer l'impact sur la crédibilité du témoin, en l'espèce l'appelante. C'est la distinction que rappelait le juge Sopinka dans l'arrêt R. c. Calder, 1996 CanLII 232 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 660. à la page 673 :

[24]      La distinction entre l'admission d'un élément de preuve pour un usage général, notamment l'incrimination et la remise en question de la crédibilité, d'une part, et l'admission à seule fin d'attaquer la crédibilité, de l'autre, est bien établie en droit de la preuve.  Elle est reconnue depuis longtemps.  Cette distinction est fréquemment invoquée au sujet de l'utilisation de déclarations antérieures incompatibles. Voir Deacon c. The King1947 CanLII 38 (SCC), [1947] R.C.S. 531, et  McInroy c. La Reine1978 CanLII 175 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 588.  Plus récemment, cette distinction a été invoquée dans Kuldip et dans R. c. Crawford1995 CanLII 138 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 858.  Elle a été cependant estompée dans certains cas précis par des arrêts récents de notre Cour. Voir B. (K.G.), précité, et R. c. U. (F.J.)1995 CanLII 74 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 764.

[25]      Cette distinction est ténue.  Lorsqu'une déclaration est admise, elle peut généralement servir de preuve positive de l'innocence ou de la culpabilité.  Elle fait foi de son contenu qui peut être incriminant.  Qui plus est, le simple fait qu'une déclaration disculpatoire fausse ait été faite peut être preuve de la conscience coupable.  Par contre, une déclaration dont l'utilisation est limitée à la contestation de la crédibilité ne peut servir qu'à mettre en doute le témoignage du témoin.  On peut tout au plus s'en servir pour anéantir les dépositions de ce témoin.  Peu importe à quel point cet anéantissement est total, il ne constitue pas une preuve sur laquelle le ministère public peut s'appuyer pour établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable, encore qu'il puisse aboutir au rejet d'un moyen de défense avancé par l'accusé.

[Je souligne.]

[147]      Il est possible pour la poursuite de tenter de miner la crédibilité d'un accusé au moyen de déclarations antérieures contradictoires.

[148]      C'est d'ailleurs la directive qu'a donnée la juge du procès aux jurés à l'égard de cette preuve. Elle leur mentionne ceci :

Toutefois, vous vous rappellerez que la couronne a aussi contre-interrogé l'accusée à l'aide d'une déclaration vidéo prise par le sergent détective Gagnon le 13 mars 2005, ainsi qu'à l'aide de deux lettres que l'accusée aurait écrites à Stéphane Leblanc et Josée Rémillard, la conjointe de Leblanc.

Cette déclaration [vidéo] ainsi que les deux lettres n'ont pas été déposées en preuve. Elles ne peuvent donc pas servir de preuve, mais servent uniquement à attaquer la crédibilité de l'accusée. Par contre, lorsque l'accusée admet un fait contenu à ces documents, ce fait devient de la preuve, même si le document n'a pas été déposé.

[Je souligne.]

[149]      Quant à l'argument de l'appelante selon lequel, ce faisant, la poursuite devait déposer l'entièreté du document et non se limiter à lire des parties du document à l'appelante, il est sans mérite.

[150]      D'une part, l'article 10 de la Loi prévoit que le juge peut demander à une partie de produire la déclaration visée, mais les parties n'ont pas l'obligation de le faire d'emblée : Bériault c. R., 1997 CanLII 10431 (QC CA), [1997] R.J.Q. 1171, p. 1174 (C.A.).  Ce qui importe, c'est que le témoin soit mis au fait du contexte de sa déclaration antérieure et que l'on porte à son attention les passages avec lesquels on entend le contredire.

[151]      D'autre part, le juge n'a pas l'obligation d'ordonner la production du document ou de la déclaration. En l'espèce, l'appelante n'a pas nié avoir écrit ces lettres, ni leur contenu. Elle a d'ailleurs eu l'occasion d'expliquer la teneur de ses propos et le conflit existant avec sa mère, lequel provenait du fait que sa mère désapprouvait sa relation avec M. Leblanc et qu'elle ait un deuxième enfant de ce dernier. Par ailleurs, il est toujours loisible, après le contre-interrogatoire d'un témoin par la partie adverse, d'établir en réinterrogatoire, les circonstances et le contexte de ces déclarations. Ici, la juge du procès a demandé à l'avocat de l'appelante s'il entendait interroger à nouveau, ce qu'il n'a pas fait.

[152]      Quant à l'obligation pour la poursuite de déposer en preuve ces déclarations en preuve principale, comme le mentionne la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. Mallory (2007), 217 C.C.C. (3d) 266, 2007 ONCA 46, en résumant les principes applicables aux déclarations d'un accusé aux paragraphes 230 et suivants :

[230]   First, voluntary admissions by an accused are generally admissible for their truth as an exception to the hearsay rule.

[231]    Second, although a voir dire is required to establish the voluntariness of an admission to the police, or to another person in authority, generally no voir dire is required if the admission is made to a person not in authority, even if that person is an unsavoury witness or a jailhouse informant.

[232]    Third, the Crown is entitled to call the evidence it chooses in its case, provided that it does not call any evidence with an "oblique motive".

[233]   Fourth, the Crown is not prohibited from reserving evidence for cross-examination that was not called in-chief, provided the evidence is not otherwise inadmissible, the Crown has a good faith basis in the foundation for its question, the Crown is not splitting its case, and the prejudicial effect of the cross-examination does not outweigh its probative value.

[Je souligne; p. 326.]

[153]      En l'espèce, c'est exactement ce que la poursuite a fait, soit se servir des lettres en contre-interrogatoire pour tenter d'affecter la crédibilité de l'appelante.

[154]      La proposition de l'appelante selon laquelle la poursuite a ainsi fractionné sa preuve alors qu'elle a l'obligation de présenter dans sa preuve tous les éléments pertinents pour étayer l'accusation n'a aucun mérite.

[155]      Il est vrai que la poursuite ne peut conserver certains éléments de preuve en réserve pour ensuite les présenter dans le cadre d'une contre-preuve. L'arrêt R. c. Krause1986 CanLII 39 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 466, limite la présentation d'une contre-preuve à de nouvelles questions soulevées par la défense que la poursuite « ne pouvait pas raisonnablement prévoir » (p. 474). Toutefois, le contre-interrogatoire de l'appelante sur ses déclarations antérieures incompatibles ne saurait équivaloir à une contre-preuve d'autant que la preuve de la poursuite faisait état de cette relation conflictuelle.

[156]      Partant, la poursuite n'avait pas l'obligation de produire ces lettres et pouvait s'en servir en contre-interrogatoire. Il s'ensuit qu'elle n'a pas scindé sa preuve, mais qu'elle a plutôt réservé certains éléments de preuve pour affecter la crédibilité de l'appelante lors du contre-interrogatoire.

[157]      Les mêmes principes et conclusions sont applicables à l'égard de la déclaration vidéo du 13 mars 2005. Il était loisible à la poursuite de contre-interroger l'appelante sur ses déclarations antérieures contradictoires concernant les médicaments qu'elle prenait à l'époque contemporaine du décès de sa mère.

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