A.V. c. R., 2025 QCCA 156
[23] La situation personnelle du délinquant, y compris sa déficience intellectuelle ou ses troubles mentaux, peut avoir un effet sur sa culpabilité morale et, par le fait même, sur la peine applicable dans son cas particulier, comme le signalent le juge en chef Wagner et le juge Rowe dans l’arrêt Friesen[31] :
[91] Ces commentaires ne doivent pas être interprétés comme une directive de faire abstraction des facteurs pertinents pouvant atténuer la culpabilité morale du délinquant. Le principe de proportionnalité exige que la peine infligée soit « juste et appropriée, rien de plus » (M. (C.A.), par. 80 (soulignement omis); voir aussi Ipeelee, par. 37). Premièrement, comme l’agression sexuelle et les contacts sexuels sont des infractions définies de manière générale qui englobent une vaste gamme d’actes, la conduite du délinquant sera moins blâmable sur le plan moral dans certains cas que dans d’autres. Deuxièmement, la situation personnelle des délinquants peut avoir un effet atténuant. Par exemple, les délinquants ayant des déficiences mentales qui comportent de grandes limites cognitives auront probablement une culpabilité morale réduite (R. c. Scofield, 2019 BCCA 3, 52 C.R. (7th) 379, par. 64; R. c. Hood, 2018 NSCA 18, 45 C.R. (7th) 269, par. 180).
[Soulignement ajouté]
[24] Ainsi, dans l’arrêt Scofield auquel réfère le paragraphe précité de Friesen, la preuve établissait que le délinquant était atteint de « mild mental retardation » et qu’il répondait aux trois critères pour un tel diagnostic selon la 4e édition révisée du Diagnosis and Statistical Manual of Mental Disorders du American Psychiatric Association (« DSM-IV »)[32]. Notons que le terme « mental retardation » du DSM-IV a été remplacé par « intellectual disability » dans le DSM-5[33]. Cette déficience intellectuelle de l’accusé avait contribué à l’infraction de nature sexuelle qu’il avait commise[34]. Le juge de première instance l’a pris en compte pour établir la peine (six mois d’incarcération avec sursis) et la majorité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé le jugement sur cet aspect.
[25] Dans l’arrêt Hood, auquel réfère aussi le paragraphe précité de Friesen, l’accusée souffrait d’un trouble de l’humeur bipolaire (« bipolar mood disorder »)[35]. Le juge du procès en a tenu compte pour imposer une peine de 15 mois d’emprisonnement avec sursis en lien avec des infractions sexuelles impliquant un mineur. Cette peine fut confirmée en appel au motif que l’accusée « suffered from mental illness which does not pardon her, but was a legitimate factor for the judge to consider on sentencing »[36].
[26] Ainsi, la déficience intellectuelle ou un trouble mental peut contribuer aux choix que fait un délinquant et sur sa capacité d’apprécier toutes les conséquences et le mal causé par sa conduite, ce qui peut influer sur sa culpabilité morale et, par conséquent, sur sa peine.
[27] Même lorsqu’elle ne contribue pas directement à la commission de l’infraction, la déficience intellectuelle ou le trouble mental peut néanmoins constituer un facteur atténuant aux fins de la détermination de la peine si, en tenant compte de celle-ci, la peine serait autrement excessive[37].
[29] En premier lieu, le DSM-5 nous informe que la déficience intellectuelle (« intellectual disability »), telle que définie dans ce manuel psychiatrique, ne touche que 1 % de la population[40]. Le manuel nous explique aussi que le diagnostic de déficience intellectuelle (« Intellectual Disability ») se subdivise en quatre sous-catégories en fonction de sa sévérité, soit légère (« Mild »), modérée (« Moderate »), sévère (« Severe ») et profonde (« Profound »)[41].
[30] Pour l’une ou l’autre de ces quatre sous-catégories, trois critères doivent être établis, soit des déficits dans les fonctions intellectuelles ou, autrement dit, dans le fonctionnement intellectuel (« deficits in general mental abilities (Criterion A) »), des déficits dans les fonctions adaptives ou, autrement dit, dans le comportement adaptif (« deficits in adaptive functionning (Criterion B) ») et la reconnaissance que ces déficits sont présents durant l’enfance ou l’adolescence (« Criterion C, onset during the development period, refers to recognition that intellectual and adaptive deficits are present during childhood or adolescence »)[42].
[31] Un tableau énonce les critères pour établir si le diagnostic de déficience intellectuelle doit être classé comme léger, modéré, sévère ou profond. Il comprend à cette fin des critères en lien avec le domaine conceptuel (« conceptual domain »), le domaine social (« social domain ») et le domaine pratique (« practical domain »)[43]. Pour nos fins, nous ne traiterons que du domaine social, puisque cette dimension permet de saisir aisément l'impact significatif que peut avoir la déficience intellectuelle sur la responsabilité morale à l'égard d'une infraction.
[32] Dans le cas d’une déficience intellectuelle légère, comme il semble que c’était le cas dans l’affaire Scofield, les critères en lien avec le domaine social sont les suivants[44] :
Compared with typically developing age-mates, the individual is immature in social interactions. For example, there may be difficulty in accurately perceiving peers’ social cues. Communication, conversational, and language are more concrete or immature than expected for age. There may be difficulties regulating emotion and behavior in age-appropriate fashion; these difficulties are noticed by peers in social situations. There is limited understanding of risk in social situation; social judgment is immature for age, and the person is at risk of being manipulated by others (gullibility).
[33] Par ailleurs, dans un cas d’une déficience intellectuelle modérée, comme en l’espèce, les déficiences du domaine social sont plus sévères en ce que l’individu concerné ne perçoit pas toujours correctement les signaux sociaux et son jugement est plus restreint, comme d’ailleurs ses habilités décisionnelles[45] :
The individual shows marked differences from peers in social and communication behavior across development. Spoken language is typically a primary tool for social communication but is much less complex than that of peers. Capacity for relationships is evident in ties to family and friends, and the individual may have successful friendships across life and sometimes romantic relations in adulthood. However, individuals may not perceive or interpret social cues accurately. Social judgment and decision-making abilities are limited, and caretakers must assist the person with life decisions. Friendships with typically developing peers are often affected by communication or social limitations. Significant social and communicative support is needed in work settings for success.
[34] Ainsi, contrairement à ce qu’en a conclu le juge de première instance, il ne faut pas confondre un diagnostic de déficience intellectuelle modérée avec celui de léger ni avec la définition du dictionnaire (soit d’« assez faible »). Le mot « modéré » doit plutôt être compris en fonction de son usage aux fins du DSM-5.
[35] On doit donc comprendre du diagnostic applicable à l’appelant que celui-ci comprend effectivement la différence entre le bien et le mal aux fins de l’article 16 du Code criminel, mais que cela ne signifie pas qu’il comprenne bien la portée et les conséquences sur autrui des gestes qu’il pose, son jugement étant limité et restreint. Par exemple, dans son jugement sur la culpabilité, le juge note qu’au « début de son témoignage, l’accusé indique qu’il n’y a pas de conséquence s’il ne dit pas la vérité, et ce, même s’il a juré sur la tête de sa mémère »[46]. Il s’agit là d’une illustration de la capacité fort restreinte de l’appelant de comprendre adéquatement les conséquences de ses actions.
[36] En ce sens, la culpabilité morale de l’appelant en regard des infractions en cause ne saurait être évaluée de la même façon que celle d’un autre individu qui commettrait les mêmes gestes, mais qui ne serait pas atteint d’une telle déficience intellectuelle. D’ailleurs, l’expertise sexologique portant sur l’appelant identifie les troubles intellectuels de l’appelant comme faisant partie des « [f]acteurs éloignés, immédiats et déclencheurs que nous pouvons associer aux gestes délictuels »[47].
[37] Nous sommes donc d’avis que le juge erre lorsqu’il ne tient pas compte de la déficience intellectuelle de l’appelant aux fins de la détermination de la peine. Il y a donc lieu d’intervenir afin de réformer la peine.
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