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lundi 25 août 2025

L’élément matériel et moral de l’infraction de proférer une menace de causer la mort ou des lésions corporelles

R. c. Dufour, 2020 QCCA 1802

Lien vers la décision


[18]      L’appelante plaide que le juge a erré en concluant que les propos de l’intimé ne constituent pas une menace. Malgré la clarté des mots utilisés par l’intimé, le juge aurait spéculé sur leur sens et retenu qu’ils ont pu être prononcés à la manière d’une histoire, sans considérer le sens qu’une personne raisonnable aurait donné à ces propos.

[19]      L’infraction de proférer une menace de causer la mort ou des lésions corporelles est prévue à l’alinéa 264.1(1)aC.cr:

264.1 (1) Commet une infraction quiconque sciemment profère, transmet ou fait recevoir par une personne, de quelque façon, une menace :

a) de causer la mort ou des lésions corporelles à quelqu’un;

264.1 (1) Every one commits an offence who, in any manner, knowingly utters, conveys or causes any person to receive a threat

(a) to cause death or bodily harm to any person;

[20]      Dans l’arrêt McRae, la Cour suprême écrit que l’acte prohibé de l’infraction de proférer une menace sera prouvé si une personne raisonnable tout à fait consciente des circonstances dans lesquelles les mots ont été prononcés ou transmis les aurait perçus comme une menace de mort ou de lésions corporelles :

[11]  Le point de départ de l’analyse doit toujours être le sens ordinaire des mots proférés. Lorsqu’ils constituent manifestement une menace et qu’il n’y a aucune raison de croire qu’ils avaient un sens secondaire ou moins évident, il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse. Toutefois, dans certains cas, le contexte révèle que des mots qui seraient à première vue menaçants ne constituent peutêtre pas des menaces au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’al. 264.1(1)a) (voir, p. ex., O’Brien, par. 1012). Dans d’autres cas, des facteurs contextuels peuvent avoir pour effet d’élever au rang de menaces des mots qui seraient, à première vue, relativement anodins (voir, p. ex., R. c. MacDonald (2002), 2002 CanLII 14251 (ON CA), 166 O.A.C. 121, où les paroles proférées étaient [traduction] « t’es la prochaine »).

[…]

[15]  Par conséquent, pour l’application de ce critère objectif, bien que l’on puisse examiner le témoignage de personnes qui ont entendu la menace ou qui en ont été l’objet, la question relative à l’acte prohibé n’est pas de savoir si des personnes se sont effectivement senties menacées. Comme l’a dit la Cour d’appel de l’Ontario dans Batista, les opinions de témoins sont pertinentes pour l’application du critère de la personne raisonnable; toutefois, elles ne sont pas décisives, vu qu’elles équivalent à des opinions personnelles et [traduction] « ne satisf[ont] pas nécessairement aux exigences du critère juridique » (par. 26).

[16]  Pour conclure sur ce point, l’acte prohibé de l’infraction d’avoir proféré des menaces sera prouvé si une personne raisonnable tout à fait consciente des circonstances dans lesquelles les mots ont été proférés ou transmis les avait perçus comme une menace de mort ou de lésions corporelles.[6]

[21]      Le moyen de l’appelante est mal fondé.

[22]      Sa proposition est non seulement théorique, mais elle occulte l’appréciation de la preuve par le juge. Il n’est pas question ici d’une menace manifeste. Vu le contexte et le manque de fiabilité du témoignage de la plaignante, le juge conclut qu’une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, n’aurait pas perçu ces mots comme une menace, mais plutôt comme un appel à l’aide d’une personne mal en point et démunie, laquelle cherche à se procurer de la drogue.

[23]      Selon l’appelante, le juge a commis une erreur en concluant que l’intimé n’était pas animé de l’intention nécessaire pour commettre le crime. Elle plaide que l’élément de faute requis par l’alinéa 264(1)aC.cr. est disjonctif : « avait l’intention d’intimider » ou « entendait que ses menaces soient prises au sérieux ». Le juge aurait ici négligé de tenir compte du deuxième volet.

[24]      Dans l’arrêt McRae, la Cour suprême résume les principes applicables à l’élément de faute de l’infraction de proférer une menace de causer la mort ou des lésions corporelles :

[23]  En somme, l’élément de faute de l’infraction est établi si l’accusé entendait que les mots proférés ou transmis intimident ou soient pris au sérieux.  Il n’est pas nécessaire de prouver l’intention que les mots soient transmis à la personne visée par la menace. Une norme subjective de faute s’applique. Toutefois, pour déterminer ce que l’accusé avait en tête, le tribunal devra souvent tirer des conclusions raisonnables des mots et des circonstances, y compris de la façon dont les mots ont été perçus par ceux qui les ont entendus.[7]

[25]      Dans cette affaire, le juge d’instance n’avait pas considéré le caractère disjonctif de l’élément moral de l’infraction : « l’intention soit d’intimider, soit d’être pris au sérieux »[8]. Puisque cette erreur de droit avait eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement, la Cour suprême avait ordonné la tenue d’un nouveau procès[9].

[26]      Dans l’arrêt Daley, la Cour suprême observe que l’intoxication avancée constitue « un état d’intoxication tel que l’accusé n’a pas d’intention spécifique, lorsque l’atteinte à sa capacité de prévoir les conséquences de ses actes est suffisante pour susciter un doute raisonnable concernant l’existence de la mens rea requise »[10].

[27]      Dans sa courte analyse de l’élément moral de l’infraction de proférer une menace de causer la mort ou des lésions corporelles, le juge de première instance a commis l’erreur constatée par la Cour suprême dans l’arrêt McRae[11]. Il s’est demandé si l’intimé avait l’intention de « susciter une crainte ou intimider la plaignante »[12], mais il a omis d’examiner si l’intimé avait l’intention d’être pris au sérieux. Les parties reconnaissent d’ailleurs cette omission de la part du juge.

[28]      Compte tenu des faits de l’affaire, l’erreur du premier juge n’a pas eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement[13]. Sa conclusion selon laquelle l’état d’intoxication avancée de l’intimé soulève un doute raisonnable quant à son intention n’aurait pas été différente en regard de l’intention de susciter la crainte ou d’intimider ou de celle de l’intention d’être pris au sérieux.

[29]      Selon les faits retenus par le juge, l’intimé est fortement intoxiqué au point où il est démuni et cherche de l’aide :

Lorsque l’accusé s’y présente, son état d’intoxication est manifeste. Il a l’air magané, selon Mme Paillé, alors que la plaignante affirme qu’il ne file pas bien. Il présente une bouche pâteuse, ses yeux sont fermés et son corps est mou. Il a de la difficulté à parler et, lorsqu’il le fait, il parle lentement. Il bouge et semble nerveux. Il recherche de l’aide. Il recherche des stupéfiants.[14]

[…] l’accusé, un homme qui présente des signes d’intoxication évidents et qui recherche de l’aide. […] Par exemple, selon l’agent Drolet, Mme Paillé et M. Sergerie, l’accusé présente un corps mou et parle avec des difficultés dans la prononciation.[15]

Enfin, il faut garder à l’esprit que l’accusé recherche des stupéfiants et qu’il est dans un état d’intoxication avancé. Il apparaît même démuni, il recherche de l’aide.[16]

Encore une fois, le Tribunal se répète, l’accusé dans le présent dossier était fortement intoxiqué lorsqu’il se présente chez la plaignante. Il présente cet état tout au long de l’évènement en question.[17]

[30]      Ces conclusions factuelles sont appuyées par la preuve et ne sont pas contestées par l’appelante.

[31]      Rappelons les explications du professeur Rainville, citées avec approbation par la Cour[18], concernant l’intention requise pour l’infraction de proférer une menace de causer la mort ou des lésions corporelles :

Le degré de prise de conscience de l’accusé suppose quelques remarques supplémentaires. Sa perception du sens de ses paroles est déterminante. Il a droit à l’acquittement si l’idée ne lui effleure pas l’esprit que ses paroles puissent être prises au sérieux. Même l’insouciance possible du plaisantin quant aux conséquences de ses paroles ne saurait, selon nous, suffire à le faire condamner. L’insouciance suppose la réalisation par l’accusé du risque que ses paroles revêtent une signification intimidante. Cette prise de conscience est insuffisante. Le crime de menaces exige un dessein criminel. Cette infraction obéit au principe classique du droit pénal canadien selon lequel un crime d’intention spécifique ne saurait se satisfaire de l’insouciance du prévenu. Le crime de menaces exige l’intention spécifique d’intimider autrui. La Cour suprême préconise la définition suivante dans l’arrêt McCraw : « Une menace est un moyen d’intimidation visant à susciter un sentiment de crainte chez son destinataire ». Et la Cour de renchérir dans l’arrêt Clemente : « La menace est une manifestation par laquelle on marque à quelqu’un sa colère, avec l’intention de lui faire craindre le mal qu’on lui prépare ».[19]

[32]      Considérant l’état d’intoxication avancée de l’intimé et la conclusion du juge selon laquelle il était démuni et cherchait de l’aide, il est raisonnable de penser que, s’il avait examiné les deux volets de l’élément de la faute, le juge aurait conclu à l’absence de preuve de l’intention spécifique requise par l’infraction de menace : « l’intention soit d’intimider, soit d’être pris au sérieux ».

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