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samedi 23 août 2025

L’identification de l’accusé qui est assis dans le box des accusés en salle de Cour par un témoin a peu de valeur probante, mais elle est présumée admissible

R. c. Araghoune, 2024 QCCS 3749

Lien vers la décision


[36]        Il est vrai qu’il ressort de l’ensemble de la jurisprudence que l’identification de l’accusé par un témoin en salle de cour a peu de valeur probante, sinon aucune[6]. Cela est particulièrement vrai lorsque l’identification n’a pas été précédée par une parade d’identification faite selon les meilleures pratiques.

[37]        Le danger de l’identification de l’accusé par témoin oculaire dans la salle d’audience est qu’elle donne l’illusion d’être crédible parce qu’elle est généralement honnête et sincère. Cette preuve peut avoir un effet dramatique devant le jury en ce que ce dernier lui accorde une importance démesurée. Ce risque s’amplifie lorsque plus d’un témoin identifie l’accusé à l’audience[7]. Mme A est la seule témoin oculaire qui identifiera positivement l’accusé devant le jury comme étant l’auteur du meurtre. Certes, d’autres témoins décrivent les trois personnes et des vidéos ayant capté ces individus seront produits en preuve, mais Mme A est la seule personne en mesure d’identifier positivement l’accusé au procès.

[38]        Il est important de souligner que bien que son poids puisse être négligeable, l’identification d’un accusé qui est assis dans le box des accusés dans la salle d’audience est présumée admissible[8]. Les propos énoncés par la Cour suprême du Canada dans R. c. Hibbert[9] sont utiles pour comprendre l’importance pour le jury d’entendre la preuve d’identification provenant d’un témoin oculaire même lorsque cette preuve ne revêt pas une grande valeur probante :

[47] L’appelant soutient que cette directive n’était pas suffisante pour atténuer l’effet psychologique qu’a sur le jury l’identification de l’accusé faite à l’audience par la victime d’une agression violente et inexplicable ayant fait craindre pour sa vie.  La défense s’est opposée à ce que le ministère public demande à Mme McLeod si l’accusé était vraiment l’auteur de l’agression [traduction] « et non pas quelqu’un que vous avez vu par la suite ».  En examinant la preuve, la juge du procès a mentionné les occasions que Mme McLeod avait eues de voir l’appelant avant le procès (à la télévision au moment de son arrestation, à l’enquête préliminaire et au premier procès) et elle a rappelé au jury que celle‑ci avait affirmé que l’appelant était son agresseur et non simplement l’homme qu’elle avait vu lors de ces occasions précédentes.

[48] L’appelant soutient qu’en demandant à Mmes McLeod et Baker de faire une telle distinction, le ministère public demandait l’impossible : ces témoins ne pouvaient simplement plus dire pourquoi elles reconnaissaient l’appelant.  En outre, l’appelant allègue qu’étant donné que, même après avoir eu autant d’occasions de voir l’appelant, ni l’une ni l’autre ne l’avaient identifié formellement avant la diffusion de la nouvelle de son arrestation à la télévision, aucun poids ne doit être accordé à l’identification qu’elles ont faite de lui à l’audience.

[49] On pourrait se demander, si tel était le cas, pourquoi l’identification à l’audience devrait être permise.  En l’espèce, comme dans la plupart des cas, cette identification a évidemment servi à confirmer que l’accusé était, de l’avis de Mmes McLeod et Baker, l’homme qu’elles avaient vu tout au long de la suite des événements (depuis l’arrestation jusqu’au deuxième procès).  Dans ce sens, malgré son absence quasi totale de valeur comme identification formelle fiable, on peut accorder un certain poids à la déposition des témoins dans ce but tout au moins.  De plus, si on ne demandait pas à un témoin d’identifier un accusé, à l’audience, comme étant l’auteur du crime, un jury pourrait se préoccuper de cette lacune et faire alors une inférence injustifiée défavorable au ministère public.  Par surcroît, il faut accorder un certain poids à l’incapacité d’un témoin d’identifier l’accusé, à l’audience, comme étant l’auteur du crime.  En réalité, c’est ce qui s’est produit en l’espèce dans le cas de Mlle Visscher qui, comme la juge du procès l’a rappelé au jury, a été incapable d’identifier l’accusé, à l’audience, comme étant l’homme qu’elle avait aperçu sur la digue.

[39]        Cet énoncé de principe a été réitéré par les tribunaux à maintes reprises dont par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Muir [10]:

[8] In-dock identifications are presumptively admissible, subject to the requirement of a proper limiting jury instruction.  In virtually all cases, therefore, in-dock identification evidence is admitted, subject to such an instruction.

[40]        Bien entendu, comme le plaide l’accusé, selon certaines autorités jurisprudentielles, il est possible dans des circonstances exceptionnelles que la valeur probante de la preuve d’identification peut être si faible, et son impact préjudiciable si important, que la preuve d’identification doive être exclue[11]. Toutefois, d’une manière générale, des anomalies dans le processus d’identification ou une preuve d’identification douteuse relèvent de l’appréciation du juge des faits et non de l’étape de son admissibilité[12]. Le préjudice n’est pas le risque de déclaration de culpabilité, mais réside dans le risque de procès diffus et de déclaration de culpabilité injustifiée.

[41]        Le Tribunal considère que la portion du témoignage anticipé de Mme A qui est contestée relativement à l’identification de l’accusé a une certaine valeur probante qui dépasse l’effet préjudiciable malgré les faiblesses soulevées par l’accusé. Il est reconnu que le juge des faits doit tenir compte de l’ensemble des circonstances menant à l’identification de l’accusé et que la force probante doit être évaluée en fonction de l’ensemble du processus d’identification, lequel culmine par l’identification au procès[13].

[43]        Rappelons que dès le 16 septembre 2019, lors de la deuxième déclaration vidéo de Mme A, lorsque des photographies lui sont présentées pour la première fois, elle indique que la photographie de l’accusé[14] ressemble beaucoup au tireur, mais qu’elle n’est pas certaine à 100 %. Malgré qu’elle ne soit pas certaine à 100 %, il s’agit d’une preuve pertinente à l’identification du tireur qui possède une certaine valeur probante[15].

[44]        Le processus d’identification postérieur à la publication des portraits robots confirme d’une certaine manière l’identification fragmentaire du 16 septembre 2019 et augmente la valeur probante de celle-ci, mais aussi démontre qu’elle n’est pas en mesure de reconnaître l’accusé le 13 avril 2020 lorsqu’une photographie différente de l’accusé lui est présentée. À cette dernière date, elle indique, lorsque la photographie de l’accusé lui est présentée, que la ressemblance est « proche », mais ne pense pas que c’est lui. Selon elle, ses « dreads sont trop longs » et «il avait de grosses narines ».

[48]        Le Tribunal est d’avis qu’il appartient au jury de déterminer si Mme A dit vrai lorsqu’elle affirme que la personne qu’elle a vue près d’une station de métro quelque temps avant les événements tragiques et qui serait non seulement le tireur, mais aussi la personne qui était assise dans le box des accusés lors de l’enquête préliminaire. Il s’agit essentiellement d’une question de crédibilité qu’il appartiendra au jury de trancher.

[49]        Bien que le juge Bastarache était dissident dans R. c. Hibbert[16], sur la question de la suffisance de la mise en garde, il convient de citer ses propos concernant l’état du droit relativement au rôle respectif du juge et du jury :

[78] Je conviens avec ma collègue que les directives que la juge du procès a données au jury relativement à la preuve d’identification ne constituent pas une erreur de droit.  De plus, j’estime que la mise en garde qu’elle a formulée à cet égard est suffisante.  Notre Cour a reconnu les faiblesses de la preuve d’identification.  Cependant, elle a également admis que, si on soustrait à l’appréciation du jury une preuve directe d’identification lorsque la qualité de cette preuve est douteuse, on risque de supprimer la ligne de démarcation claire qui existe entre les fonctions du juge et celles du jury.  Comme l’a affirmé le juge McIntyre dans Mezzo c. La Reine1986 CanLII 16 (CSC)[1986] 1 R.C.S. 802 , p. 844, « [l]es questions de la crédibilité et du poids qu’il faut accorder à un témoignage relèvent exclusivement de la compétence du jury. »  À mon avis, dans la directive qu’elle a donnée au jury, la juge du procès a fait ressortir les problèmes généraux et spécifiques que pose la preuve d’identification tout en respectant le rôle du jury qui était de soupeser la preuve dont il était saisi à bon droit.

[Soulignements du Tribunal]

[52]        Le Tribunal est d’avis que les lacunes soulevées par l’accusé dans le processus d’identification n’ont d’incidence que sur le poids à accorder à la preuve d’identification, et non sur son admissibilité. Le Tribunal est convaincu que le jury, correctement instruit, sera en mesure d’examiner et d’évaluer le poids à accorder à la preuve d’identification dans le contexte de l’ensemble de la preuve.

[53]        En dernière analyse, le Tribunal n’est pas convaincu que l'effet préjudiciable potentiel de l'admission de la preuve d'identification l'emporte sur la valeur probante de cette preuve. En effet, le Tribunal est d’avis que la valeur probante de la preuve l'emporte sur tout préjudice potentiel pour l'accusé. Selon la manière dont le jury évaluera le poids à accorder à la preuve d'identification, il est possible de lui conférer une valeur probante significative. Au surplus, des directives appropriées, permettront de réduire voire éliminer complètement tout préjudice potentiel pour l’accusé.

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