Vickery c. Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (Protonotaire), 1991 CanLII 90 (CSC)
À mon sens, la décision du juge en chambre ne tient pas compte de quatre facteurs importants qui entrent en jeu lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de permettre à l'appelant d'avoir accès aux pièces (et ainsi de lui donner la possibilité de les copier et de les diffuser). (Je souligne que ces aspects peuvent ne pas avoir été soumis au juge en chambre au cours de l'argumentation). Ces facteurs sont les suivants:
1) La nature des pièces en tant que partie du "dossier" du tribunal.
2)Le droit du tribunal de s'enquérir de l'usage que l'on entend faire de la communication des pièces, et son droit de réglementer cet usage.
3)La production des pièces au procès et la possibilité pour le public d'en prendre connaissance et d'en discuter de sorte qu'il y a eu respect de l'exigence de transparence des procédures judiciaires.
4)Ceux qui font l'objet de procédures judiciaires doivent se soumettre à l'examen par le public de ce qui s'est dit en première instance ou en appel, et la discussion au moment de ces instances est protégée, mais des considérations différentes peuvent s'appliquer lorsque le processus est complété et que la discussion ne se fait plus dans le cadre de l'audition.
1)La nature des pièces en tant que partie du "dossier" du tribunal
Une pièce n'est pas un document du tribunal au même titre que les dossiers produits par le tribunal, ou que les actes de procédure et les affidavits préparés et déposés en conformité des exigences du tribunal. Les pièces appartiennent souvent à des tiers qui ont ordinairement sur elles un droit de propriété. Lorsqu'elles ont servi la fin pour laquelle elles ont été déposées, elles sont généralement mises à la disposition de la personne qui les a produites. Pendant qu'il en est dépositaire, le tribunal a l'obligation de statuer sur toute demande d'accès. Ce sont ordinairement les officiers du tribunal, comme le protonotaire en l'occurrence, qui exercent cette fonction, mais le tribunal étant dépositaire des pièces, il en contrôle l'utilisation. Le juge en chambre fait mention de la règle de la Nouvelle‑Écosse qui prescrit la remise des pièces à la partie qui les a produites (règle 30.11(6), précitée). Elle souligne que cette règle a pour but d'éviter au tribunal d'avoir à conserver des pièces dont elle n'a plus besoin. La règle reflète cependant le fait que les pièces n'appartiennent pas au tribunal.
Bien qu'aucune des parties en l'espèce ne fasse valoir un droit de propriété, celui‑ci a son importance lorsqu'il s'agit de qualifier la nature des pièces en soupesant les droits des parties en présence. Ordinairement, la personne qui a droit à la possession des pièces est une partie à la requête visant à y avoir accès. En l'espèce, Nugent a participé à leur création.
Je note qu'un des avocats a laissé entendre ici que l'on pourrait demander l'accès aux bandes afin de préparer des programmes éducatifs pour la police. Si c'était là l'objet de la requête, la police, qui est probablement propriétaire des bandes, pourrait fort bien avoir des opinions à formuler.
Une fois que les pièces ont servi leur objet au sein du processus judiciaire, perd quelque peu de sa prééminence l'argument fondé sur le libre accès comme partie intégrante de la transparence du processus judiciaire qui est au c{oe}ur même de l'administration de la justice.
2)Le droit du tribunal de s'enquérir de l'usage que l'on entend faire de la communication des pièces, et son droit de réglementer cet usage
Il s'ensuit que le tribunal, en sa qualité de dépositaire des pièces, est tenu de s'enquérir de l'usage que l'on entend en faire et, à mon sens, il a pleins pouvoirs pour réglementer cet usage en obtenant les engagements et les garanties utiles à la protection des droits en présence. Nugent a fait valoir qu'il a un intérêt réel à l'usage que l'on fera des bandes. Il a participé à leur création qui a été jugée contraire à ses droits constitutionnels, et le tribunal devrait prendre des mesures pour protéger ses droits légitimes.
Dans l'exercice de ses pouvoirs de surveillance sur la documentation qui lui est confiée, le tribunal peut en réglementer l'usage. Dans des circonstances comme celles de l'espèce, je ne crois pas qu'il soit juste d'affirmer, comme l'a laissé entendre le juge en chambre, que Nugent doit entamer d'autres procédures pour protéger ou défendre son droit au respect de sa vie privée. Bien qu'il puisse y avoir ouverture à d'autres procédures, il est possible à la cour, saisie de la requête, d'éviter cette démarche. Nul n'est besoin de multiplier les procédures, et personne, dans la situation de Nugent, ne devrait courir le risque de verrouiller la porte du laboratoire après que le virus ait non seulement été retiré, mais aussi reproduit. Face à une requête de ce genre, il incombe au tribunal de protéger l'intimé tout en respectant l'intérêt du public à ce qu'il y ait accès aux pièces. Or cela ne peut se faire qu'en fonction du but qui est en fait visé. Devant un préjudice manifeste et en l'absence d'un but précis, l'ordonnance permettant le libre accès et la reproduction n'aurait pas dû être rendue.
3)Le respect de l'exigence de transparence des procédures judiciaires
Les pièces ont été produites au procès et le public a pu en prendre connaissance et en discuter, de sorte qu'il y a eu respect de l'exigence de transparence des procédures judiciaires.
Je ne conteste pas le moins du monde l'importance du principe selon lequel la justice doit être administrée publiquement, mais je suis porté à souscrire à l'observation qu'a faite le juge Powell de la Cour suprême des États‑Unis, citée par le juge Macdonald dans le jugement dont il est interjeté appel, à la p. 131, selon laquelle [traduction] "[l]a possibilité qu'ont les membres du public et les médias d'assister au procès et de rapporter ce qu'ils y ont observé satisfait à l'exigence d'un procès public." (Nixon v. Warner Communications, Inc., 435 U.S. 589 (1978), à la p. 610.)
Dans ce jugement, le juge Powell a noté que la cour, étant dépositaire des dossiers et d'autres pièces, est tenue d'exercer un pouvoir discrétionnaire éclairé, [traduction] "en tenant délicatement compte des circonstances qui ont mené à leur production" (à la p. 603). Comme aucune décision américaine portée à mon attention ne traite de la copie de pièces irrecevables en preuve, je ne puis dire quelle serait la conclusion d'un tribunal américain. Je suis toutefois convaincu qu'aux États‑Unis comme ici cette conclusion se fonde sur une appréciation des intérêts en jeu au moment de la demande d'accès.
Je ne suis pas convaincu que la cour dont la décision fait l'objet du pourvoi a commis une erreur en concluant que le juge en chambre n'avait pas accordé suffisamment de poids au droit de Nugent à la protection de sa vie privée, droit qui est le sien à la suite d'un acquittement judiciaire. Il a renoncé à ce droit pendant la durée du procès, mais il n'y a pas renoncé pour toujours.
4)L'examen public ultérieur
Ceux qui font l'objet de procédures judiciaires doivent se soumettre à l'examen par le public de ce qui s'est dit en première instance ou en appel, et la discussion durant ces instances est protégée, mais des considérations différentes peuvent s'appliquer lorsque le processus tire à sa fin et que la discussion ne se fait plus dans le cadre de l'audition.
Le droit de Nugent au respect de sa vie privée s'est trouvé suspendu pendant le processus judiciaire. L'accès du public à ces procédures et la publicité qu'elles reçoivent est le prix que Nugent et tout autre accusé doivent payer afin d'assurer que soient redevables de leurs actes ceux qui sont chargés de l'administration de la justice. Ce principe se reflète dans le privilège spécial que notre droit a traditionnellement accordé à ceux qui font le compte rendu des procédures judiciaires. Cependant, les lois contemporaines en matière de diffamation restreignent ce privilège aux comptes rendus faits au moment des audiences (voir, par exemple, l'al. 13(1)b) de la Defamation Act, R.S.N.S. 1967, ch. 72, qui est aussi le ch. D‑3 des C.S.N.S.). J'estime que la raison en est évidente. Les comptes rendus immédiats, équitables et exacts sont susceptibles d'être équilibrés, de reproduire le contexte entier de l'affaire et d'exposer les arguments des deux parties. Mais la diffusion et la publication subséquentes de pièces choisies risquent fort d'être entachées de partialité et d'un manque d'équité. Ces considérations de principe qui forment notre attitude à l'égard de la transparence de l'administration de la justice sont pertinentes dans une requête comme celle‑ci. Nugent ne saurait échapper aux procédures auxquelles il a participé, ni à leur compte rendu équitable et exact, mais les tribunaux doivent se garder de participer inconsciemment à son harcèlement en facilitant la diffusion de pièces déclarées avoir été obtenues en violation de ses droits fondamentaux.
Ainsi que l'a fait observer le juge Dickson dans l'arrêt MacIntyre, à la p. 184:
En bref, ce qu'il faut viser, c'est le maximum de responsabilité et d'accessibilité, sans aller jusqu'à causer un tort à un innocent . . .
Aucun commentaire:
Publier un commentaire