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mardi 12 août 2025

Un problème de consommation qui perdure pendant plusieurs années, sans la présence de troubles mentaux et sans démarche thérapeutique, constitue rarement une circonstance atténuante

Normand c. R., 2025 QCCA 528

Lien vers la décision


[11]      Devant nous, l’appelant invoque, pour déterminer la peine juste, le lien qui existe entre une consommation extrême comme celle-ci et les troubles de santé mentale qui l’accompagnent nécessairement. Il mentionne la possibilité d’une perte de contrôle. Il faut toutefois souligner que cet argument n’a pas été soulevé en première instance et qu’il n’y a aucune preuve, par expert ou autre, qui puisse permettre à la Cour d’aborder de la sorte cette question. En réalité, non seulement y a-t-il une preuve médicale insuffisante pour soutenir l’argument du lien à établir ici entre la toxicomanie et la maladie mentale, mais il y a même une preuve qui le contredit et qui exclut cette hypothèse. En effet, comme le rappelle le juge, le psychiatre qui a témoigné pour la défense n’a « décelé aucun problème psychiatrique ».

[12]      Ceci distingue le présent dossier de plusieurs des jugements et arrêts cités par l’appelant dont R. v. Edmunds2012 NLCA 26 (perte de contact avec la réalité causée par des troubles mentaux, ce qui permettait de réduire la peine), R. c. Martin2012 QCCA 2223 (problèmes de santé mentale) et R. v. Hicks1995 CanLII 705 (BC CA), 1995 B.C.J. 545 (B.C. C.A.) (état psychotique de l’accusé). En somme, l’argument de l’appelant voulant que la « dénonciation et l’aspect punitif sont moins importants dans le cas de problèmes de santé mentale » n’est pas applicable en l’espèce. L’arrêt R. v. Badhesa, 2019 BCCA 70 ne lui est pas davantage utile puisqu’il y est question de dépression sévère.

[13]      J’ajoute qu’une consommation qui perdure pendant plusieurs années, sans la présence de troubles mentaux et sans démarche thérapeutique, constitue rarement une circonstance atténuante : Régimballe c. R., 2012 QCCA 1290, paragr. 62 et 63Ivlev c. R., 2020 QCCA 1184, paragr. 30. Ce principe est d’autant plus pertinent lorsque l’accusé a été confronté antérieurement à des signaux d’alerte, mais n’y a pas répondu, ce qui est le cas en l’espèce. En effet, même sans véritables problèmes psychiatriques, l’appelant a fait trois séjours à l’hôpital durant l’année 2017. Le juge résume ainsi ces incidents :

[39]      Le 14 janvier 2017, il a été rencontré dans l’entrée d’un bloc appartement. Il avait un trauma à la tête après s’être battu. Il ne coopérait pas avec le personnel médical. Il est contentionné. Il menace de frapper le personnel. Il informe le personnel que, s’ils s’approchent de lui, il va les mordre.

[40]      Le 24 juin 2017, M Normand est retrouvé inconscient dans un parc. Il est agité et est contentionné en conséquence. Il crache sur les intervenants.

[41]      Le 16 septembre 2017, il perd conscience alors qu’il voyage dans un autobus municipal. Il est contentionné sur une civière. Il se débat et ne veut pas coopérer.

[14]      Ces incidents prennent leur importance dans l’analyse de la responsabilité morale de l’appelant en ce que celui-ci peut difficilement prétendre qu’il ignorait les conséquences de sa consommation.

[15]      Par ailleurs, il n’y a au dossier aucune preuve, médicale ou autre, qui puisse soutenir la thèse qu’une dépendance qui a débuté à l’adolescence entraînerait, pour cette raison, une culpabilité morale moindre ou constituerait une circonstance atténuante lorsqu’une infraction est perpétrée à l’âge adulte. S’appuyer sur des éléments de preuve qui n’ont pas été déposés dans le dossier ou sur une preuve d’opinion présentée dans une autre affaire constitue une erreur de droit : R. c. Gubbins, 2018 CSC 44, [2018] 3 R.C.S. 35, paragr. 49, et il n'y a pas de preuve que l’appelant souffrait d’une « maladie chronique du cerveau ».

[26]      La formule employée par le juge à propos du quatrième facteur aggravant n’est peut-être pas exemplaire. Il faut toutefois rappeler que la suggestion de la défense constituait une peine clémente et l’on comprend que le juge a voulu retenir cet aspect du dossier puisqu’en matière de toxicomanie, les traitements ou un véritable processus de réhabilitation peuvent constituer un facteur atténuant susceptible de fonder une peine plus clémente. C’est d’ailleurs ce que rappelle la Cour dans R. c. Muongholvilay, 2016 QCCA 232 :

[25]    Si le trafic de stupéfiants conduit en théorie à l’infliction de peines sévères qui interpellent les objectifs de dénonciation et de dissuasion, la Cour n’a pas pour autant indiqué qu’en cette matière le principe de l’individualisation de la peine ne trouvait jamais application. À titre d’exemple, une démarche probante de traitement de la toxicomanie s’attaquant à la source même du passage à l’acte et misant particulièrement sur une prise de conscience des torts causés, tant à l’égard d’une victime particulière qu’à l’égard de la communauté, ne peut être ignorée par le juge chargé d’infliger la peine. […]

                                                                                                                          [Renvoi omis]

[27]      Devant la suggestion de l’appelant, les démarches pouvant mener à la réhabilitation étaient particulièrement importantes et, quelle que soit la formule, la probabilité ou la possibilité que l’accusé s’amende restait une question de preuve. La recherche d’une peine d’emprisonnement de 7 ans requérait ici la démonstration d’une démarche thérapeutique déjà entreprise ou considérée avec sérieux. L’appelant n’a pas fait cette démonstration, de sorte que le juge pouvait en tenir compte pour répondre à sa suggestion.

[28]      Par ailleurs, on ne peut prétendre que le juge a retenu la simple consommation à titre de facteur aggravant. Je le répète : ce n’est pas seulement la consommation de drogues par l’appelant qui, selon le juge, peut être la cause de l’homicide, mais aussi et surtout sa décision de ne pas se faire traiter malgré les événements passés (donc avoir omis d’entreprendre « une démarche probante de traitement », pour reprendre les termes de la Cour dans l’arrêt Muongholvilay), de sorte que l’appelant ne pouvait pas bénéficier de cette circonstance atténuante. Bien sûr, elle n’en devenait pas aggravante pour autant, mais elle demeurait pertinente en raison des arguments de l’appelant. Bref, même si le juge avait erré en retenant la seule consommation ou plutôt la dépendance au chapitre des facteurs aggravants (ce qu’il n’a pas fait, comme on vient de le voir), l’impact de cette erreur serait négligeable puisque la question demeurait de toute façon pertinente en raison des arguments de l’appelant.

[29]      En l’espèce, l’intoxication volontaire a joué son rôle premier : l’appelant a été acquitté de meurtre. S’il va de soi que cette circonstance peut aussi influer sur la peine (R. c. Quévillon1999 CanLII 13599 (C.A.)), celle-ci ne doit toutefois pas être indûment réduite pour cette raison.

[30]      Il n’est évidemment pas rare que l’intoxication soit en cause dans les cas d’homicides involontaires coupables. Elle est souvent le résultat d’une forme de négligence pouvant entraîner une conclusion de culpabilité morale élevée, comme le juge l’a fait ici et comme les tribunaux supérieurs en conviennent. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique le souligne dans l’arrêt R. v. Badhesa, précité :

[39] Intoxication by alcohol or drugs often figures prominently in manslaughter cases. While relevant to moral culpability, self-induced intoxication that leads to violence is typically the product of intentional risk-taking, which conduct is itself dangerous, irresponsible and blameworthy. In such circumstances, the offender is held fully accountable for his or her condition and principles of deterrence and denunciation are paramount in the determination of a fit sentence. This is because the offending conduct encroaches on our society’s basic code of values and warrants condemnation and punishment […]

[Renvoi omis]

[31]      Le caractère téméraire de la consommation de l’appelant, mentionné par le juge, entre dans cette catégorie.

[32]      Enfin, comme le rappelle la Cour dans Pozzobon c. R., 2019 QCCA 725 :

[55]      En matière d’homicide involontaire coupable, les circonstances pouvant varier à l’infini, l’éventail des peines est particulièrement large : Gavin c. R., 2009 QCCA 1. C’est d’ailleurs ce que souligne le juge de première instance qui rappelle qu’« [u]ne foule d’éléments doivent être pris en compte par le Tribunal afin de déterminer la peine appropriée en matière d’homicide involontaire ». Cela étant, l’intimée rappelle la grande déférence qui est due au juge de première instance à l’égard de toute peine, mais encore plus, si cela est possible, à l’égard d’une peine infligée pour un homicide involontaire coupable.

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