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lundi 22 septembre 2025

La défense de minimis non curat lex ne s'applique pas face à des gestes hostiles, provocateurs ou dégradants

R. c. Jean, 2020 QCCQ 8902

Lien vers la décision


[152]     La défense de minimis non curat lex est fondée sur le principe voulant que « la loi ne s’occupe pas de choses insignifiantes »[38]. Cette défense a pour objectif d’éviter les conséquences d’une condamnation criminelle aux personnes ayant commis un acte à ce point insignifiant et anodin, et ce, malgré la preuve, hors de tout doute raisonnable, des éléments essentiels de l’infraction[39].

[153]     Malgré que la défense soit utilisée depuis de nombreuses années par les différents tribunaux canadiens, la Cour suprême n’a pas encore reconnu de façon formelle son existence en droit criminel canadien[40].

[154]     Au Québec, la décision de principe portant sur la défense de minimis non curat lex est l’affaire R. c. Freedman[41], rendue par le juge Vauclair en 2006, alors juge à la Cour du Québec et maintenant à la Cour d’appel. Ce jugement a reconnu officiellement, au Québec, que la défense existe et qu’elle est permise par l’application du paragraphe 8 (3) C.cr. reconnaissant les défenses de common law compatibles. D’ailleurs, la conclusion de droit du juge Vauclair a été portée en appel et la Cour supérieure a confirmé le jugement de première instance[42].

[155]     Dans l’affaire Freedman, la voie de fait faisant l’objet de l’accusation a eu lieu au cours d’une dispute. Afin de créer une distance entre eux, l’accusé pose ses mains sur le plaignant, celui-ci se trouvant trop proche de lui. Le plaignant est d’avis qu’il a été poussé volontairement et l’accusé a alors plaidé la défense de minimis non curat lex.

[156]     C’est dans ce contexte que la Cour a eu à se prononcer sur l’existence ou non d’une telle défense en droit criminel canadien. La définition de ce que peut constituer une voie de fait est excessivement large. Un simple touché intentionnel sans consentement prouve l’élément essentiel de l’infraction.

[157]     Ainsi, en se prononçant sur l’existence de la défense, le juge Vauclair fait le commentaire suivant quant à sa raison d’être :

[55] There is no question, in the Court’s opinion, that the defence of de minimis is well alive in Canadian criminal law. There are numerous cases where the defence has been recognized as such and either applied or denied. A few cases have expressed doubt as to its existence.

[56] Further, if the assault provision is to be broadly defined, the de minimis non curat lex principle could act as a filter to less serious breach of the law in appropriate circumstances. Undoubtedly, it can be said to be a safeguard against unjustified prosecution; a role that would serve to protect everyone’s interests but also, it would serve to maintain confidence in the administration of justice. Indeed, in the long run, legitimacy of the criminal process may well be affected if convictions are entered for insignificant matters the same way they are for serious breach of the law. The incapacity to discriminate is no sign of a well-balanced system.[43]

[158]     La raison pour laquelle cette décision a été citée à maintes reprises dans la jurisprudence subséquente est que, contrairement aux autres jugements dans lesquels la défense a été accueillie ou rejetée, le juge Vauclair a fait l’exercice de déterminer certains critères qui peuvent guider les juges dans leur prise de décision et s’exprime ainsi :

[60] In my opinion, a Court should, without limitation, consider the following factors: 1) the defendant's character, 2) the nature of the proven offence, 3) the circumstances surrounding the proven offence, including, if any, the accused's motive, 4) the circumstances surrounding the laying of the charge, including if any, the plaintiff's motive, 5) the actual harm caused by the offence, 6) the specific objective, if any, intended to be achieved by the legislature when it enacted the provision and 7) the public interest.[44]

[159]     Le juge conclut finalement qu’en l’espèce l’intention de l’accusé n’était pas de bousculer la victime ou d’être violent, mais plutôt de tenter de mettre une distance entre lui et la victime. D’ailleurs, aucun préjudice n’a été subi. Il en vient à la conclusion que la défense de minimis non curat lex doit s’appliquer dans les circonstances et acquitte l’accusé.

[160]     À ces critères à considérer lors de l’application de la défense, deux autres peuvent être évoqués. Ces critères sont, d’une part, que l’application de la défense n’a pas à déconsidérer l’administration de la justice et d’autre part, le fait qu’une déclaration de culpabilité dans les circonstances pourrait choquer le public et miner sa confiance dans le système de justice[45].

[161]     Il est vrai que ce qui constitue un geste insignifiant ou banal demeure entièrement tributaire des faits de chaque dossier et relève de la discrétion du juge du procès. Un système de justice qui applique la loi sans discernement pour des affaires insignifiantes agit au détriment de la justice fondamentale et déconsidère l’administration de celle-ci. En regard de l’infraction de voies de fait simples, la jurisprudence tend à démontrer que cette défense peut seulement s’appliquer dans un contexte où les gestes, qui répondent techniquement à la définition très large d’une voie de fait, ont un caractère inoffensif, anodin ou sans signification particulière[46].

[162]     D’ailleurs, la doctrine résume de façon très pertinente les tendances qui se sont dégagées de la jurisprudence relativement à l’analyse de la défense de minimis non curat lex en lien avec une accusation de voies de fait simples:

13.163 While a successful application of the de minimis defence depends heavily upon the particular circumstances of the case, the following trends do emerge from the jurisprudence, at least in relation to the offence of assault:

      provocative, demeaning or hostile gestures are not de minimis, even if the force used is of a trifling nature;

      force used during the course of a vocal argument will only rarely be considered trivial, as such contact risks escalating the dispute towards physical violence;

      the relationship between the parties is a significant factor, and even minor force will not lightly be excused where there is a power imbalance present, a consideration that is especially important where spousal assault is concerned;

      a successful application of the defence is more likely where contact is of an incidental nature, as where the accused intentionally applies force as a way of stopping or avoiding a potential confrontation.[47]

[163]     Cela dit, l’une des infractions pour laquelle cette défense est la plus souvent invoquée est celle d’une voie de fait. Ceci s’explique par le fait que l’éventail des comportements qui constitue une voie de fait est excessivement large. Comme le soulignent les auteurs Manning, Mewett et Sankoff, nous sommes amenés, dans nos contacts sociaux, à toucher plusieurs personnes sans nécessairement leur demander l’autorisation et cela ne signifie pas pour autant que chacun de ces comportements mérite de faire l’objet de poursuites criminelles[48].

[164]     Cependant, la jurisprudence a déterminé que les gestes hostiles, provocateurs ou dégradants ne peuvent être qualifiés de gestes banals, insignifiants et anodins. Elle indique aussi que la relation entre les parties est importante, surtout lorsqu’il existe un déséquilibre dans le rapport de force entre celles-ci[49].

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