Lajoie c. R., 2021 QCCA 1631
[11] Dans André c. R.[5], la Cour décrit le fardeau qui incombe à un accusé qui se pourvoit en appel en alléguant l’assistance inadéquate de l’avocat qui le représentait en première instance. La partie qui invoque un tel moyen doit faire la preuve prépondérante des gestes qu’elle reproche à son avocat. Il lui faut ensuite établir que ces gestes se situent à l’extérieur du vaste éventail de la représentation adéquate. Enfin, il est nécessaire de démontrer que cette assistance inadéquate a été source d’une erreur judiciaire, soit parce qu’elle a eu pour effet de compromettre l’équité du procès ou soit parce que, sans cette assistance inadéquate, il existe une possibilité raisonnable[6] que le verdict aurait été différent.
[12] L’erreur judiciaire peut résulter de l’omission de l’avocat de consulter son client à propos de la stratégie de défense et la manière de la mettre en œuvre. L’avocat doit se préparer adéquatement pour le procès et étudier le dossier de l’accusé avec ce dernier afin de déterminer les défenses qui peuvent être soulevées. Le défaut de faire cet exercice peut entacher la fiabilité du verdict[7] ou l’équité du procès[8]. Il est certes préférable que l’avocat rencontre son client autrement que brièvement au palais de justice avant l’audience[9], mais l’essentiel demeure que l’avocat se prépare adéquatement au procès et qu’il s’assure de recueillir les instructions et la version des faits de son client.
[23] Les commentaires suivants du juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. v. Archer[12] peuvent trouver application en l’espèce, avec les adaptations qui s’imposent :
[138] The appellant claims that he wanted to testify all along and believed that he would testify until trial counsel told him part way through the defence that he would not testify. The appellant blames any shortcomings in his testimony during the pre-trial motion and the mock cross-examination on trial counsel’s failure to adequately prepare him.
[139] While counsel owes an obligation to advise his client as to whether he or she should testify, the ultimate determination must be made by the client: G.B.D., supra, at p. 300; M. Proulx & D. Layton, Ethics and Canadian Criminal Law (Toronto: Irwin Law, 2001) at pp. 114-30. If the appellant can show that it was trial counsel and not the appellant who decided that the appellant would not testify, and that the appellant would have testified had he understood that it was his decision, it seems to me that it must be accepted that his testimony could have affected the result, thereby establishing that a miscarriage of justice occurred: see R. v. Moore (2002), 2002 SKCA 30 (CanLII), 163 C.C.C. (3d) 343 at 371 (Sask. C.A.). The crucial question becomes – who made the decision?
[140] The appellant bears the onus of demonstrating that trial counsel and not the appellant decided that the appellant would not testify. In determining whether the appellant has met that onus, I bear in mind the strong presumption of competence in favour of counsel. Counsel was an experienced criminal lawyer with over twenty years in practice.
[141 The appellant also has a very strong motive to fabricate the claim that he was denied the right to decide whether to testify. The appellant is no longer presumed innocent. He makes his allegation against trial counsel as a convicted felon facing a lengthy penitentiary term. No doubt, the appellant understands that if he can convince the court that his own lawyer denied him the opportunity to testify, he will receive a new trial. Common sense dictates a cautious approach to allegations against trial lawyers made by convicted persons who are seeking to avoid lengthy jail terms. It must also be recognized that the confidential nature of the relationship between a lawyer and his client can make it easy for the client to make all kinds of unfounded allegations against his former lawyer.
[142] Furthermore, and apart entirely from the possibility that the appellant has fabricated these allegations, it is not uncommon that a person who has been convicted after having received strong advice from his counsel that he should not testify comes to believe, while awaiting his appeal, that counsel’s strong advice was in fact a decision by counsel that the client should not testify. Looking backwards through the bars of a jail cell is not the most reliable of vantage points from which to see events that culminated in the conviction.[13]
[Soulignements ajoutés]
[24] Lorsque l’on conjugue ces éléments au fait que l’appelant n’a jamais manifesté son désaccord quant au choix de ne pas présenter de défense et qu’il a même, en plus, mandaté le mis en cause afin d’interjeter appel du jugement et recommandé ses services à un tiers après la conclusion du procès, on ne peut pas conclure que l’appelant a établi qu’il a été empêché, contre son gré, de témoigner ou qu’il était autrement en désaccord avec le déroulement de sa défense.
[25] À l’inverse, la version des faits du mis en cause concernant l’établissement de la stratégie de défense et, plus particulièrement, la possibilité que l’appelant témoigne est vraisemblable. Même si la déclaration du mis en cause comporte des lacunes qui affectent sa crédibilité sur certains points, l’essentiel de sa déclaration au sujet de la conduite de la défense de l’appelant est crédible. On peut concevoir que le mis en cause ait conseillé à l’appelant de ne pas témoigner et que ce dernier se soit rallié à ses conseils. En effet, comme le note le mis en cause, l’appelant admettait l’essentiel des faits ayant justifié le dépôt des accusations le visant, de sorte que son témoignage aurait pu le présenter sous un jour peu favorable et pouvait ne pas constituer une défense valable face aux accusations. Il a donc paru préférable de se limiter au contre-interrogatoire des témoins du ministère public, et ce, dans le but de tenter de soulever un doute raisonnable quant aux raisons pour lesquelles l’appelant a cherché des informations dans le CRPQ et quant à la nature de la substance qu’il avait offerte à deux personnes.
[26] L’appel soulève donc surtout des enjeux de crédibilité. Le fait que la jurisprudence place le fardeau de démontrer l’assistance inadéquate sur les épaules de celui qui l’allègue prend alors toute son importance. Comme l’écrit le juge Doyon, « il est facile de prétendre qu'il y avait mésentente avec l'avocat, qu'il était fermé aux désirs de l'accusée, et que le lien de confiance était rompu. Il est plus difficile de le démontrer […] »[14].
[27] La lecture de la preuve soumise par les parties n’établit pas le nombre exact de rencontres qui ont eu lieu entre l’appelant et le mis en cause ni la teneur précise de leurs discussions. Il en ressort cependant que le mis en cause s’est préparé afin de défendre l’appelant et qu’il l’a rencontré au moins à quelques reprises, de sorte que l’on ne peut pas conclure que l’appelant a fait la démonstration prépondérante que le mis en cause n’a jamais discuté du dossier avec lui et ne l’a pas conseillé de manière raisonnablement diligente dans sa défense, y compris en ce qui a trait à l’opportunité de témoigner.
[28] Les autres aspects sur lesquels l’appelant s’appuie pour tenter de démontrer que le mis en cause n’était pas suffisamment préparé à le représenter ne permettent pas de conclure que l’équité du procès a été compromise. À cet égard, les quelques maladresses soulignées par l’appelant dans les contre-interrogatoires des témoins du ministère public ou la plaidoirie du mis en cause sont nettement insuffisantes pour conclure que la préparation de ce dernier était lacunaire au point de résulter en une assistance ou représentation inadéquate. Quant aux admissions faites en début de procès, elles étaient bien fondées et conformes à la version des faits de l’appelant. Enfin, vu la réaction de ce dernier devant une offre de règlement du ministère public, il n’est pas possible de conclure à une négligence dommageable de la part du mis en cause. La seule lecture des messages échangés par le mis en cause et l’appelant permet de comprendre que ce dernier n’envisageait pas de plaider coupable aux accusations, de crainte de compromettre irrémédiablement la poursuite de sa carrière dans les forces policières.
[32] En conclusion, l’appelant n’a pas établi, selon la norme de la prépondérance, que le mis en cause a fait défaut de le consulter, de le conseiller quant à la conduite de sa défense et de se préparer adéquatement en vue du procès de manière que l’équité de ce dernier a été compromise. La crédibilité de l’appelant sur cet aspect précis du dossier est affaiblie par la lecture conjointe des notes sténographiques du procès et de l’interrogatoire du mis en cause, qui révèlent que celui-ci avait rencontré l’appelant, pris connaissance de sa version des faits et élaboré une stratégie de défense.
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