Rechercher sur ce blogue

lundi 22 septembre 2025

Les obligations constitutionnelles des policiers face à la possession par un tiers d'une bande vidéo pertinente à l'infraction et la détermination du remède approprié si ce dernier décide de détruire cette preuve

Guapacha c. R., 2025 QCCA 344 

Lien vers la décision


[15]      R. c. La[10] est l’arrêt de principe qui établit le cadre d’analyse applicable en la matière. Nous reprenons ses énoncés de principes tels que résumés en dix propositions par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans R. c. F.C.B.[11], en soulignant ceux qui méritent un examen en l’espèce :

(1)  The Crown has an obligation to disclose all relevant information in its possession.

(2)  The Crown's duty to disclose gives rise to a duty to preserve relevant evidence.

(3)  There is no absolute right to have originals of documents produced. If the Crown no longer has original documents in its possession, it must explain their absence.

(4)  If the explanation establishes that the evidence has not been destroyed or lost owing to unacceptable negligence, the duty to disclose has not been breached.

(5)  In its determination of whether there is a satisfactory explanation by the Crown, the Court should consider the circumstances surrounding its loss, including whether the evidence was perceived to be relevant at the time it was lost and whether the police acted reasonably in attempting to preserve it. The more relevant the evidence, the more care that should be taken to preserve it.

(6)  If the Crown does not establish that the file was not lost through unacceptable negligence, there has been a breach of the accused's s. 7 Charter rights.

(7)  In addition to a breach of s. 7 of the Charter, a failure to produce evidence may be found to be an abuse of process, if for example, the conduct leading to the destruction of evidence was deliberately for the purpose of defeating the disclosure obligation.

(8)  In either case, a s. 7 breach because of failure to disclose, or an abuse of process, a stay is the appropriate remedy, only if it is one of those rare cases that meets the criteria set out in O'Connor.

(9)  Even if the Crown has shown that there was no unacceptable negligence resulting in the loss of evidence, in some extraordinary case, there may still be a s. 7 breach if the loss can be shown to be so prejudicial to the right to make a full answer and defence that it impairs the right to a fair trial. In this case, a stay may be an appropriate remedy.

(10)  In order to assess the degree of prejudice resulting from the lost evidence, it is usually preferable to rule on the stay application after hearing all of the evidence.

[16]      Dans Cartier, le juge Doyon, pour la Cour, résume succinctement les principes applicables en matière de preuve perdue ou détruite[12] :

[75]      L’obligation de communication de la preuve entraîne l’obligation du ministère public de conserver les éléments de preuve pertinents : R. c. Egger1993 CanLII 98 (CSC)[1993] 2 R.C.S. 451. Par conséquent, lorsque des éléments de preuve sont perdus ou détruits et que la défense s’en plaint en invoquant son droit à la communication de la preuve, encore faut-il qu’ils soient pertinents, sinon leur conservation n’était pas exigée. Si tel est le cas, et que « les explications du ministère public convainquent le juge du procès que la preuve n’a été ni détruite ni perdue par suite d’une négligence inacceptable, l’obligation de divulgation n’a pas été violée » : R. c. La, précité, paragr.20. Si le ministère public n’y parvient pas, il y a violation de l’art. 7 de la Charte.

[17]      Sous la plume du juge Kasirer, la Cour précise dans Simard[13] :

[68]      Je retiens de La et Kociuk l’enseignement suivant : s’il est établi que la perte n’est pas le résultat d’une négligence inadmissible ou d’un abus de procédures, le fardeau revient à l’accusé qui doit démontrer l’existence d’un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière. Comme le juge Doyon l’a écrit récemment dans Cartier : « Il faut toutefois souligner la possibilité que, même en présence d’une explication raisonnable, la preuve perdue ou détruite soit si importante que le droit à une défense pleine et entière est violé, ce qui entraînerait un procès inéquitable et pourrait justifier un arrêt des procédures ». Le juge Doyon ajoute, en s’appuyant sur les mêmes paragraphes de l’arrêt La cités plus haut, que « cela ne pourra toutefois se produire que dans des situations exceptionnelles ».

[18]      Une fois que l’accusé a démontré que la perte ou la destruction d’une preuve pertinente a violé son droit à une défense pleine et entière (art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »)), il peut obtenir réparation en vertu du par. 24(1) de la Charte[14]. S’il demande l’arrêt des procédures, il doit démontrer que les circonstances en cause satisfont aux critères d’application exigeants qui sont propres à ce remède draconien[15].

[19]      Ainsi, trois questions se posent en l’espèce : a) la première est celle de savoir si la preuve détruite était à la fois pertinente (au sens large de l’arrêt Stinchcombe[16]) et en possession de l’État, et donc couverte par l’obligation du ministère public de divulguer et de conserver les informations pertinentes en sa possession. Si non, il ne saurait être question d’une violation du droit à la divulgation de l’appelant. Si oui, b) la deuxième question qui doit être examinée est celle de savoir si la destruction de ces bandes vidéo est le résultat d’une négligence inacceptable de l’État, ou encore si, même en l’absence d’une telle négligence, la preuve détruite est si importante que l’accusé a subi un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière. Dans l’un ou l’autre de ces cas, une violation de l’article 7 de la Charte sera démontrée. Si tel est le cas, c) en troisième lieu, la question est celle du remède approprié pour la violation, et plus particulièrement ici, si l’arrêt des procédures demandé par l’appelant doit être prononcé.

[20]      Selon l’appelant, la juge a erré dans l’analyse de chacune de ces trois questions.

 

a)    Pertinence et possession de la preuve détruite

[21]      Nul doute qu’il s’agissait ici d’une preuve pertinente, puisque les caméras dont les bandes vidéo n’ont pas été récupérées ont filmé la scène du crime, et ce, de plusieurs angles différents. Malgré la déférence que nous accordons à l’évaluation de la conduite policière par la juge d’instance, une revue de l’ensemble des faits indique qu’elle commet une erreur dans sa conclusion sur l’absence de possession par l’État.

[22]      Comme le juge Vauclair l’exprime dans Duludebien que la poursuite ne puisse évidemment pas être tenue de communiquer ce qu’elle n’a pas en sa possession, « ce principe ne s’applique pas au sens littéral sans considération pour les faits »[17].

[23]      Rappelons que les policiers connaissaient l’existence de ces bandes vidéo et en avaient même pris possession — si ce n’était que temporairement, lors du visionnement avec M. Sanchez, le propriétaire du bar. Ainsi, bien que l’État ne puisse en principe être responsable de la destruction d’une preuve par un tiers[18], tel n’est pas réellement le cas ici.

[24]      En l’espèce, contrairement à ce que soutient l’intimé, les faits ne s’apparentent pas à ceux de R. c. Peterson, où la cassette vidéo recherchée avait été perdue par les services de sécurité avant même que le dossier ne soit envoyé à la police[19].

[25]      La destruction de la preuve se fait à la connaissance — et avec le consentement — de la police, après que M. Sanchez eut procédé à un tri de ce qui lui semblait pertinent. La simple omission par la police de prendre possession physique de ces bandes vidéo ne saurait occulter son implication directe dans la décision de ne pas préserver cette preuve pertinente.

b)  La négligence inacceptable

[26]      Pour déterminer si l’explication quant à la destruction de cette preuve est satisfaisante et qu’il n’y a donc pas eu de négligence inacceptable, toutes les circonstances menant à sa destruction doivent être prises en compte. Sont notamment pertinentes la perception que pouvaient avoir les policiers, à l’époque, de l’importance de la preuve, ainsi que les mesures prises pour tenter de la conserver. Bien sûr, plus la preuve semble de prime abord pertinente, plus le degré de diligence requis des policiers pour la conserver sera élevé[20].

[27]      Malgré sa conclusion que les autorités policières n’ont jamais été en possession de cette preuve détruite, la juge évalue néanmoins la conduite de la police en lien avec celle-ci. Selon elle, la conduite policière est expliquée par un souci d’efficacité et par une certaine urgence dans le but de permettre au propriétaire du bar de réouvrir son commerce. Elle conclut en l’absence de négligence inacceptable, la conduite policière constituant plutôt, selon elle, « une succession d’erreurs humaines, d’oublis et de manque de coordination »[21].

[28]      Pour la juge, « sachant que le crime avait été entièrement capté sur bande vidéo [déjà saisie], les policiers avaient l’impression raisonnable que l’affaire était résolue et que des démarches supplémentaires étaient superflues »[22]. Or, force est de constater qu’à l’étape de l’enquête policière, l’affaire ne pouvait être considérée comme « résolue »[23] et que ces bandes vidéo auraient pu facilement être saisies sans imposer aux policiers de « démarches supplémentaires ». Certes, il n’était pas déraisonnable de penser que certaines des 13 autres bandes vidéo reprenaient les mêmes images (mais sous des angles différents) que celles qui avaient déjà été saisies et que d’autres ne montraient rien de pertinent. Néanmoins, cette preuve vidéo de la scène de crime demeurait une preuve pertinente, même s’il y avait un certain dédoublement et qu’elle ne semblait donc pas essentielle à la défense (son degré de pertinence étant toutefois un considérant à examiner quant à la troisième question, soit celle liée au préjudice subi et au remède approprié).

[29]      Bien que l’intimé ait raison de souligner que le devoir d’enquêter des policiers n’est pas absolu[24], au vu de la pertinence de la preuve détruite, la décision de laisser à un tiers le soin de sélectionner les images à conserver (au surplus sans vérification postérieure par l’enquêtrice responsable[25]), pour ensuite permettre sa destruction, démontre une négligence inacceptable. L’explication retenue par la juge pour cette conduite, soit qu’elle « répondait ici à un souci d’efficacité et à une certaine urgence », ne saurait alléger le devoir des policiers de trouver et de conserver « tous les renseignements et éléments de preuve pertinents »[26], d’autant plus que l’« urgence » en question était simplement l’empressement de M. Sanchez de réouvrir les portes de son bar.

[30]      Par conséquent, la juge se trompe lorsqu’elle conclut en l’absence de négligence inacceptable de la part des policiers. La destruction de cette preuve, qui aurait dû être communiquée à l’appelant, est une violation de son droit à une défense pleine et entière protégé par l’article 7 de la Charte.

c)  L’arrêt des procédures

[31]      Au stade de la réparation conséquente à la violation du droit à une défense pleine et entière découlant de la perte d’un élément de preuve pertinent, l’analyse doit porter sur le préjudice subi par l’accusé[27]. Puisque l’appelant demande le remède le plus draconien qui n’est octroyé que dans les cas les plus manifestes, soit l’arrêt des procédures, il lui incombe de démontrer un préjudice irréparable qui compromet l’équité du procès[28]

[32]      Bien qu’elle ait conclu à l’absence de négligence inacceptable, la juge examine tout de même la question du préjudice concret causé à l’appelant (cette même question se posait dans le cadre d’analyse de l’arrêt Simard [29] concernant une preuve détruite du fait d’un tiers). Elle conclut que l’absence de certaines bandes vidéo ne cause aucun préjudice concret à l’appelant, soulignant, à bon droit, que la théorie selon laquelle l’appelant aurait été drogué par la plaignante relève de la pure spéculation. Qui plus est, même une preuve directe que son état d’intoxication était (en partie) involontaire n’aurait pu mener à un doute raisonnable sur sa mens rea[30]. Il en est ainsi puisque la juge conclut, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que l’appelant — malgré son état évident d’ébriété avancée — était « physiquement capable d’accomplir plusieurs actes envers la victime dans le but d’obtenir une gratification sexuelle » et que ces actes coordonnés, répétés et précis « ne constitu[aient] pas […] des gestes involontaires posés de façon inconsciente »[31]. Aucune bande vidéo additionnelle des événements ne pourrait être de nature à modifier ces constats factuels.

[33]      En conclusion, malgré les erreurs de la juge dans l’analyse de la possession des bandes vidéo détruites et de la négligence inacceptable des policiers, elle ne commet aucune erreur lorsqu’elle conclut que le remède exceptionnel qu’est l’arrêt des procédures n’est pas approprié[32], notamment parce qu’il ne manque que « quelques minutes d’images, par-ci, par-là, montrant sous des angles différents les interactions de la soirée entre l’accusé et la victime, sans un iota de preuve que ces enregistrements auraient été de nature à lui offrir ici une réelle défense »[33].

[34]      L’appelant échoue à démontrer qu’il s’agit d’un des cas les plus manifestes justifiant l’arrêt des procédures.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...