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mercredi 3 décembre 2025

Il est erroné d'inviter le jury à scinder sa démarche et à ne retenir que la preuve qu'il considère crédible et fiable, car le doute raisonnable peut résulter autant d'une preuve que le jury rejette ou ne croit pas, que de celle qu'il retient (erreur de type « Miller »)

Hunt c. R., 2022 QCCA 805



[33]      Il va de soi que les directives doivent être analysées selon une approche fonctionnelle qui tient compte tant de la preuve que des plaidoiries et de l’ensemble des directives pour vérifier si le jury a été correctement instruit en droit.

[34]      Or, lorsque la crédibilité est au centre du litige, le jury doit comprendre qu’un doute raisonnable peut émaner d’un témoignage, même s’il ne le retient pas comme vrai. En d’autres termes, même s’il ne peut affirmer que le témoignage est vrai, celui-ci peut néanmoins susciter un doute raisonnable. Si cette règle s’applique à la version de l’accusé : R. c. W.(D.), 1991 CanLII 93 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 742; R. c. Avetysan2000 CSC 56, [2000] 2 R.C.S. 745; R. v. Reid, 2003 CanLII 14779 (Ont C.A.), rien ne permet de croire qu’elle ne s’applique pas à la version d’un témoin sur laquelle se fonde la défense et vitale à celle-ci. C’est d’ailleurs ce que proposent les auteurs Martin Vauclair et Tristan Desjardins, dans Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et de procédure pénales, 28e éd., Montréal, Yvon Blais, 2021, p. 1229, paragr. 34.41, note 159 :

L'approche de l'arrêt R. c. W. (D.)1991 CanLII 93 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 742 s'applique non seulement lorsque l'accusé témoigne, mais aussi lorsque, comme dans l'arrêt R. v. D. (B.) (2011), 2011 ONCA 51 (CanLII), 266 C.C.C. (3d) 197 (C.A.O.), repris dans les arrêts R. c. Phillips (2017), 355 C.C.C. (3d) 141, 2017 ONCA 752 (par. 257), R. c. M.P. (2018), 363 C.C.C. (3d) 61, 2018 ONCA 608 (par. 60), et R. c. Brown (2018), 361 C.C.C. (3d) 510, 2018 ONCA 481 (par. 68), lorsqu'il y a conflit sur une question cruciale entre la thèse de la poursuite et les témoins produits par la défense ou ceux de la poursuite qui appuient la thèse de la défense (par. 114). […]

[35]      Plus précisément, voici ce qu’écrit la juge Epstein dans R. v. Brown :

[68] The requirement of a W.(D.) instruction applies where, on a vital issue, there are credibility findings to be made between conflicting evidence and the trial judge must relate the concept of reasonable doubt to those credibility findings: R. v. B.D.2011 ONCA 51, 273 O.A.C. 241, at para. 114. The trial judge must make clear that it is not necessary for the jurors to believe the defence evidence on the issue in order to acquit; it is sufficient if “viewed in the context of all of the evidence – the conflicting evidence leaves them in a state of reasonable doubt as to the accused’s guilt”: B.D.at para. 114.

[36]      Dans Durette c. R., 2013 QCCA 1791, au paragr. 46, la Cour cite avec approbation ce passage de R. v. B.D.2011 ONCA 51 :

[114] What I take from a review of all of these authorities is that the principles underlying W.(D.) are not confined merely to cases where an accused testifies and his or her evidence conflicts with that of Crown witnesses.  They have a broader sweep.  Where, on a vital issue, there are credibility findings to be made between conflicting evidence called by the defence or arising out of evidence favourable to the defence in the Crown's case, the trial judge must relate the concept of reasonable doubt to those credibility findings.  The trial judge must do so in a way that makes it clear to the jurors that it is not necessary for them to believe the defence evidence on that vital issue; rather, it is sufficient if – viewed in the context of all of the evidence – the conflicting evidence leaves them in a state of reasonable doubt as to the accused's guilt:  Challice.  In that event, they must acquit.

[37]      Or, même si la deuxième étape du modèle décrit par le juge Cory dans R. c. W.(D.), précité, (« deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement ») ne constitue pas un dictat immuable qui doit obligatoirement être répété sans nuance et sans en changer un iota, il reste que sa substance doit être transmise au jury. Il faut en livrer l’essentiel : R. c. J.H.S., 2008 CSC 30, paragr. 13, et il est donc nécessaire de rappeler au jury que l’acquittement n’est pas tributaire d’une conclusion de crédibilité de la version de l’accusé (ou, comme ici, du témoin de la défense). L’essentiel du message requérait en l’espèce une information que le jury n’a pas eue, comme je le démontrerai plus loin.

[38]      Selon R. c. Lifchus1997 CanLII 319 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 320, à la page 337, le doute raisonnable « […] doit logiquement découler de la preuve ou de l’absence de preuve ». En ce sens, il n’est évidemment pas requis d’accepter comme vrai le témoignage de l’accusé pour entretenir un doute raisonnable. En d’autres mots, un juré peut très bien ne pas retenir la version de l’accusé, ne pas être en mesure d’affirmer qu’il dit la vérité, mais néanmoins entretenir un doute raisonnable en raison de cette version.

[39]      Même s’il a adéquatement expliqué la règle du doute raisonnable ailleurs dans ses directives, le juge de première instance n’a pas indiqué au jury qu’il pouvait acquitter l’appelant même s’il ne croyait pas Mme Binette, à la condition évidemment que son témoignage engendre néanmoins un doute raisonnable. Face à l’importance de ce témoignage pour la défense, le jury devait comprendre que l’accusé avait droit à l’acquittement si ce témoignage soulevait un doute raisonnable et pas seulement s’il était cru.

[40]      Le juge a bien décrit la norme au début des directives et il en répétera ensuite l’essence. Par contre, le problème survient lorsqu’il aborde précisément les moyens de défense. Est alors exclue de ses directives la possibilité d’un doute raisonnable même si la crédibilité du témoin n’est pas établie ou que son témoignage n’est pas cru. Voici ce que le juge dit au jury :

Les témoignages de Rachel Wickenheiser et de Mélanie Binette relativement à ce qui s’est passé dans le boisé doivent être au centre de votre analyse. Ces témoignages doivent être évalués à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris la preuve matérielle. Si vous retenez le témoignage de Mélanie Binette, cela pourrait vous amener à conclure à une défense de nécessité, dans la mesure où vous considérez que les conditions prévues par la loi sont satisfaites. Si vous rejetez le témoignage de Mélanie Binette, cela devrait vous amener à rejeter la défense de nécessité dans la mesure où les conditions prévues par la loi ne sont pas satisfaites. Aussi, il vous faudra analyser chacune des conditions d’application de cette défense en tenant compte de ce que je vous ai expliqué et de l’ensemble de mes directives.

                                                                                                               [Je souligne]

[41]      Il est vrai que le juge renvoie à l’ensemble de ses directives, mais il reste que le jury peut très bien avoir compris que s’il rejetait le témoignage de Mme Binette, il devait rejeter ce moyen de défense, et ce, même s’il entretenait un doute raisonnable en raison de ce témoignage. Vu sous un autre angle, il ne pouvait acquitter l’appelant que s’il retenait le témoignage de Mme Binette, ce qui est erroné en droit.

[42]      La directive est identique en ce qui a trait à la légitime défense :

Encore une fois, les témoignages de Rachel Wickenheiser et de Mélanie Binette relativement à ce qui s’est passé dans le boisé doivent être au centre de votre analyse. Ces témoignages doivent être évalués à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris la preuve matérielle. Si vous retenez le témoignage de Mélanie Binette, cela pourrait vous amener à conclure à une défense de légitime défense dans la mesure où vous considérez que les conditions prévues par la loi sont satisfaites. Si vous rejetez le témoignage de Mélanie Binette, cela devrait vous amener à rejeter la défense de légitime défense dans la mesure où les conditions prévues par la loi ne sont pas satisfaites.

                                                                                                               [Je souligne]

[43]      En somme, ce n’est pas une fois, de manière isolée, mais bien deux fois que le jury entend le juge insister erronément sur la nécessité de retenir le témoignage de Mme Binette pour être en mesure d’acquitter l’appelant. En outre, à un autre moment, le juge dira au jury :

Si vous retenez l’un de ces moyens [nécessité et légitime défense], l’accusé doit être acquitté […]. Si vous ne retenez pas l’un des moyens, vous devez poursuivre votre analyse […].

                                                                                                               [Je souligne]

[44]      La directive décrite plus haut s’apparente à une erreur de type « Miller », selon l’arrêt R. v. Miller (1991), 1991 CanLII 2704 (ON CA), 68 C.C.C. (3d) 517 (Ont. C.A.), expression reprise par la Cour notamment dans R. c. Leblanc2001 CanLII 12528 et R. c. Ranwez2004 CanLII 20539, alors que le juge Proulx écrit :

[31] Puisqu'un jury doit apprécier toute la preuve et non seulement celle qu'il retient, notre Cour fut d'avis que cette manière d'apprécier la preuve était inappropriée, nous fondant sur l'arrêt Miller: «It [is] a misdirection to instruct the jury to examine the evidence in a first stage, to eliminate all evidence except that which the jurors accepted as true and reliable (a lower standard than proof beyond a reasonable doubt), and then to consider only the residual in arriving at their verdict».

[…]

[35] L'appréciation de la preuve et l'application de la norme de preuve requièrent que le jury ait d'abord compris ce que constitue la preuve ou son contenu : une erreur de type Miller tend donc à vicier l'ensemble du processus.

[36] Il est donc erroné d'inviter le jury à scinder sa démarche et à ne retenir que la preuve qu'il considère crédible et fiable. Le doute raisonnable peut résulter autant d'une preuve que le jury rejette ou ne croit pas, que de celle qu'il retient […].

[45]      Dans Miller, la Cour d’appel de l’Ontario ajoute, à la page 543 :

[…] evidence which is neither rejected nor accepted should survive to the final stage of the jury’s determination on the crucial application of reasonable doubt.

[46]      La directive dans le présent dossier n’est bien sûr pas identique à celle analysée dans Miller, mais elle transmet le même message : il faut retenir le témoignage pour qu’il puisse fonder un doute raisonnable : voir par exemple R. c. Subramaniam2022 BCCA 141, paragr. 63 à 65.

[47]      Cette erreur n’est pas anodine ou sans conséquence.

Une accusation pendante d'un témoin de la défense n’a pas de véritable valeur probante en ce qui a trait à sa crédibilité, sauf si la Poursuite peut en démontrer la pertinence

Hunt c. R., 2022 QCCA 805



[59]      L’appelant se plaint que la poursuite a été autorisée à contre-interroger Mme Binette sur les accusations pendantes auxquelles elle devait faire face. Selon lui, cela lui a causé un préjudice sérieux, portant même atteinte à l’équité du procès, surtout que, dès après le contre-interrogatoire, le juge a indiqué au jury qu’il pouvait en tenir compte pour évaluer sa crédibilité :

Alors, je vais maintenant vous donner une directive relativement aux causes pendantes du témoin Mélanie Binette. Je vais profiter de ce moment qui suit le témoignage entendu de madame Mélanie Binette. Je ne vous ai pas donné de semblables directives jusqu’à maintenant. Alors voici la directive, Mélanie Binette a témoigné à l’effet qu’elle avait des causes pendantes.

Une première cause pendante concernant deux (2) chefs de meurtre au premier degré et un (1) chef de tentative de meurtre pour un événement du premier (1er) décembre deux mille seize (2016). Une deuxième cause pendante du dix-sept (17) avril deux mille dix-sept (2017) pour une possession de stupéfiants dans le but de trafic.

Une troisième cause pendante du quatre (4) décembre deux mille dix-huit (2018) pour une entrave à la justice. Je vous indique qu’une cause pendante n’est pas une condamnation. Madame Mélanie Binette bénéficie de la présomption d’innocence pour chacune de ces causes pendantes. Une (1) ou des causes pendantes peuvent vous servir à évaluer la crédibilité du témoignage d’un témoin et la valeur à y accorder.

Une (1) ou des causes pendantes ne rendent pas nécessairement peu crédible ou digne de foi la preuve présentée par le témoin. Elles ne constituent que l’un des nombreux facteurs que vous devez tenir compte pour évaluer le témoignage de madame Mélanie Binette. Alors, c’était ma directive en droit.

[60]      Comme telle, une accusation pendante n’a pas de véritable valeur probante en ce qui a trait à la crédibilité, sauf lorsque l’on peut en démontrer la pertinence, par exemple, si elle permet de croire que le témoin pourrait avoir intérêt à favoriser une partie : Titus c. R., 1983 CanLII 49 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 259, à la page 263. Par ailleurs, les faits sous-jacents à une accusation pendante peuvent parfois être pertinents à l’évaluation de la crédibilité d’un témoin, s’il ne s’agit  évidemment pas de l’accusé. Ainsi, dans Poitras c. R.2011 QCCA 1677, la Cour cite avec approbation ce passage de R. v. Gonzague1983 CanLII 3541 (ON CA), [1983] O.J. No. 53, (Ont. C.A.) :

[…] Clearly, the fact that a person is charged with an offence cannot degrade his character or impair his credibility, but an ordinary witness unlike an accused may be cross-examined with respect to misconduct on unrelated matters which has not resulted in a conviction: see R. v. Davison, DeRosie and MacArthur (1974), 1974 CanLII 787 (ON CA), 20 C.C.C. (2d) 424 at 443-4, O.R. (2d) 103. Consequently, counsel was entitled to cross-examine the witness, Charbonneau, on the facts underlying the 15 charges of fraud in order to impeach his credibility.

[61]      Les arrêts R. v. John2017 ONCA 622, paragr. 59, et R v. Pascal2020 ONCA 287, paragr. 109-110, vont dans le même sens.

[62]      Il va de soi que le juge a commis une erreur en permettant un tel contre-interrogatoire alors qu’il n’y avait aucun fondement démontrant sa pertinence et qu’il ne portait pas sur des faits sous-jacents qui auraient pu être pertinents à l’évaluation de la crédibilité. Il a aussi erré en instruisant le jury de la sorte immédiatement après le contre-interrogatoire. En revanche, j’estime qu’aucun tort important n’a été causé à l’appelant. Je m’explique.

[63]      Premièrement, l’opposition de l’appelant au contre-interrogatoire ne portait pas précisément sur l’existence d’accusations pendantes, mais bien sur le danger que ce contre-interrogatoire « devienne une façon détournée de mettre en preuve que madame a eu une implication dans un comportement post délictuel qui est en… évidemment, qui n’a pas été amené... ». La préoccupation de la défense portait sur la possibilité de mettre en preuve, de façon détournée, un comportement postdélictuel de l’appelant sous prétexte que Mme Binette y aurait participé. C’est à cette préoccupation que répond le juge en avisant les parties, hors jury, de ne pas présenter une preuve susceptible d’impliquer l’appelant dans l’une des causes pendantes de Mme Binette :

[…] le Tribunal doit prendre des précautions en ce sens que je veux m’assurer que le témoin n’amène pas un sujet qui pourrait être un sujet qui impliquerait monsieur Hunt dans une cause pendante.

[64]      Deuxièmement, dans ses directives finales, même en parlant précisément du témoin Mélanie Binette, le juge ne fait aucunement mention des accusations pendantes. Il ne traite que des condamnations antérieures. Voici ce qu’il dit :

Vous avez entendu que David Binette, Sean Lee et Mélanie Binette ont été dans le passé reconnus coupables d’infractions criminelles. Vous pouvez utiliser cette ou ces condamnations pour vous aider à décider jusqu’à quel point vous accordez foi à leur témoignage. Concernant les témoins David Binette et Mélanie Binette, ces derniers ont indiqué avoir été condamnés plusieurs fois. […]

Concernant Mélanie Binette, cette dernière a admis avoir été condamnée en 2008 pour trafic de stupéfiants. En 2011, pour trafic de stupéfiants. En 2014, pour vol de plus de cinq mille (5 000$). En 2015, pour possession de stupéfiants dans le but de trafic, complot et bris de conditions et une peine de deux ans d’emprisonnement lui a été infligée. 

Certaines condamnations, par exemple, celles comportant un élément de malhonnêteté peuvent être plus pertinentes que d’autres. De plus, une condamnation plus ancienne pourrait être moins pertinente qu’une condamnation plus récente. Une condamnation antérieure ne rend pas nécessairement le témoignage de ces témoins non crédible ou digne de foi. Ce n’est qu’un des nombreux facteurs dont vous devez tenir compte dans votre évaluation de leur témoignage.

[65]      Rien sur les causes pendantes.

[66]      Troisièmement, les causes pendantes de meurtres et de tentative de meurtre ne risquaient pas vraiment de causer préjudice à l’appelant, malgré l’importance de Mme Binette pour sa défense. Comme celle-ci, au début du procès, était coaccusée, le jury était d’emblée au courant des accusations de meurtres et de tentative de meurtre portées contre elle, de sorte que, de toute façon, le jury connaissait déjà l’existence de ces causes pendantes. En ce sens, rappeler ce fait lors du contre-interrogatoire était inoffensif et n’a pu avoir quelque incidence sur le verdict.

[67]      Quatrièmement, Mme Binette était accusée dans un dossier de possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic depuis 2017. Dans la mesure où il a aussi été mis en preuve qu’elle avait des antécédents judiciaires de trafic, possession simple et possession de stupéfiants dans le but d’en faire le trafic entre 2011 et 2015 , l’ajout d’une cause pendante du même type à une époque contemporaine n’a pu avoir de réelle incidence sur l’évaluation de sa crédibilité par le jury. Et cela est sans compter ses condamnations antérieures de vol de plus de 5 000 $, de bris d’engagement et de complot, qui avaient également été mis en preuve et dont l’impact sur sa crédibilité pouvait être encore plus grand que celui d’infractions en rapport avec des stupéfiants (selon les mots mêmes du juge : « Certaines condamnations, par exemple, celles comportant un élément de malhonnêteté peuvent être plus pertinentes que d’autres »).

[68]      Cinquièmement, compte tenu des nombreux antécédents judiciaires de Mme Binette, de sa relation avec l’appelant, du fait que le juge n’a pas rappelé au jury l’existence d’accusations pendantes dans ses directives finales, se limitant aux condamnations antérieures, il est difficile de voir comment le simple fait de mettre aussi en preuve l’existence d’une autre accusation pendante d’entrave à la justice a pu avoir une réelle incidence sur le verdict.

[69]      Bref, à mon avis, ce moyen d’appel doit être rejeté.

Le rôle de l'avocat du Ministère public dans une affaire criminelle & la possibilité de corriger une erreur suivant l'enregistrement d'un plaidoyer de culpabilité dans la précipitation

D.K. c. R., 2009 QCCA 987

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[52]           Je rappelle une règle connue, mais dont l'importance nécessite qu'elle soit répétée ici. L'avocat du Ministère public s'acquitte d'un devoir public qui consiste à veiller à ce que la preuve légale et disponible soit présentée au juge pour que justice soit rendue. Même si son action se situe dans un système contradictoire, son rôle exclut toute notion de gain ou de perte.

[53]           Dans Nelles c. Ontario[16], la Cour suprême écrit ceci au sujet du rôle de l'avocat du Ministère public :

Traditionnellement, le procureur général jouait le rôle de conseiller juridique auprès de la Couronne et des différents ministères du gouvernement.  Plus spécifiquement, sa tâche principale consistait, et consiste encore, à poursuivre les délinquants.  La nomination de procureurs de la Couronne pour représenter le procureur général tient au fait que ce dernier avait de plus en plus de difficulté à s'acquitter efficacement de toutes ses fonctions, devant l'accroissement de la population et l'expansion des régions habitées.

Le rôle premier du procureur de la Couronne consiste à poursuivre les actes criminels et les infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité et à exercer une surveillance à cet égard.  Le procureur de la Couronne administre la justice au niveau local et, en cela, agit au nom du procureur général.  Le procureur de la Couronne a traditionnellement été décrit comme un [TRADUCTION] « représentant de la justice » qui « devrait se considérer plus comme un fonctionnaire de la cour que comme un avocat ».

[54]           Dans R. c. Stinchcombe, la Cour suprême reprend une citation célèbre du juge Rand dans l'arrêt R. c. Boucher[17] :

On ne saurait trop répéter que les poursuites criminelles n'ont pas pour but d'obtenir une condamnation, mais de présenter au jury ce que la Couronne considère comme une preuve digne de foi relativement à ce que l'on allègue être un crime.  Les avocats sont tenus de veiller à ce que tous les éléments de preuve légaux disponibles soient présentés:  ils doivent le faire avec fermeté et en insistant sur la valeur légitime de cette preuve, mais ils doivent également le faire d'une façon juste.  Le rôle du poursuivant exclut toute notion de gain ou de perte de cause; il s'acquitte d'un devoir public, et dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle.  Le poursuivant doit s'acquitter de sa tâche d'une façon efficace, avec un sens profond de la dignité, de la gravité et de la justice des procédures judiciaires. [18]

[55]           Ici, l'avocate du Ministère public n'a sans doute pas cherché à tromper le juge de première instance ou l'avocat de l'appelant. Elle a simplement fait état du caractère « mandatoire » de la disposition visée, ce qui est strictement exact[19]. En revanche, elle s'est retranchée derrière le fait que la décision était rendue pour refuser d'aider à corriger une erreur commise par l'avocat de l'appelant, au préjudice de son client. En principe, la règle du functus officio, appliquée de façon rigoureuse, empêchait la correction de l'erreur. En pratique cependant, des erreurs dues à la précipitation qui règne dans certaines salles de cours peuvent être corrigées, lorsque toutes les parties et le juge y consentent.

[56]           Sans excuser totalement l'erreur de l'avocat de l'appelant, il faut constater que celle-ci a été dénoncée dans les quelques minutes suivantes, et que le juge était prêt à entendre sa demande. Il faut aussi reconnaître que le Ministère public n'aurait subi aucun préjudice si son avocate avait consenti à l'audition d'une demande sous le paragraphe 490.012(4) C.cr. Le motif qu'elle avance aujourd'hui, à savoir qu'elle était susceptible de faire appel de la peine, est sans pertinence. Elle aurait, en effet, pu préciser ce fait devant le juge de première instance, d'une part, et même si elle ne l'avait pas fait, son consentement à l'audition de la demande de l'appelant aux termes du paragraphe 490.012(4) C.cr. n'aurait pas constitué un obstacle à une demande d'appel, d'autre part.

[57]           L'attitude de l'avocate du Ministère public était-elle raisonnable? Il n'est pas nécessaire de trancher cette question. En effet, les circonstances de l'affaire permettent de conclure qu'elle n'a pas joué son rôle adéquatement en affirmant seulement et, sans avoir annoncé sa demande, que l'ordonnance était « mandatoire ». Si cette affirmation était strictement exacte, il faut aussi constater qu'elle était clairement incomplète. Vu qu'elle connaissait l'existence de l'exception, elle aurait dû attirer l'attention du juge sur la disposition au complet ou préciser le caractère obligatoire de l'ordonnance sauf si l'exception s'applique. Sinon, ses observations apparaissent comme une stratégie inacceptable en raison des conséquences pour l'appelant.

La démarche à suivre lorsque les versions anglaise et française d'une loi ne concordent pas

D.K. c. R., 2009 QCCA 987 

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[38]           Dans son ouvrage intitulé The Law of Bilingual Interpretation, le juge Michel Bastarache indique la démarche à suivre lorsque les versions anglaise et française d'une loi ne concordent pas :

1.         The first step consists in examining the two versions to determine whether there is a discordance between the two versions. "Discordance" here has the same meaning as "conflict" does in many earlier cases: the important notion here is simply that the two versions are different. If the two versions are the same, there is really no issue. If there is a discordance, the interpreter must proceed to the next step.

2.         The second step consists in determining the nature of the discordance, and determining the shared meaning. There are three possibilities here:

(a)        The versions are in "absolute conflict". Each is clear and no shared meaning can be found.

(b)        One version is ambiguous and the other clear. The clear version provides the shared meaning.

(c)        One version is broad and the other narrow. The narrow version provides the shared meaning.

At the conclusion of the second step, the interpreter is armed either with (i) a shared meaning, arising out of (b) or (c), or (ii) a conclusion that no shared meaning exists, arising out of (a).

3.   The third step consists in an appeal to extrinsic methods of determining the intention of the legislator with respect to the provision. There are two possibilities here:

(a)        The extrinsic evidence of intent allows for a choice between the two conflicting versions as to which provides the true meaning of the provision.

(b,c)  The extrinsic evidence of intent is examined to ensure that the shared meaning is not inconsistent with it.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...