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mercredi 11 décembre 2013

La défense d'erreur de fait

R. c. Bulmer, 1987 CanLII 56 (CSC)


9.               La défense d'erreur de fait existe depuis longtemps en droit et Blackstone l'a mentionnée comme un principe établi dans ses Commentaries on the Laws of England, dans la dernière partie du dix‑huitième siècle. À la page 25 du vol. 4 des Commentaries (Beacon Press, Boston, 1962), le paragraphe suivant se trouve sous la note marginale "Ignorance ou erreur":

                  [TRADUCTION]  Cinquièmement; l'ignorance ou l'erreur est un autre défaut de la volonté; lorsqu'un homme qui a l'intention d'accomplir un acte légal accompli un acte illégal. Car dans ce cas‑là l'acte et la volonté agissent de manière distincte, il n'existe pas de conjonction entre les deux, ce qui est nécessaire pour constituer un acte criminel. Toutefois, cela doit être une ignorance ou une erreur de fait et non une erreur sur un point de droit. Si un homme qui a l'intention de tuer un voleur ou un cambrioleur dans sa propre maison, "dans des circonstances qui justifieraient cet acte" tue par erreur un membre de sa propre famille, il ne s'agit pas d'un acte criminel; toutefois si un homme croit qu'il a le droit de tuer une personne excommuniée ou hors‑la‑loi, où qu'il la rencontre, et le fait, il s'agit d'un meurtre prémédité. Toutefois, une erreur sur un point de droit, que toute personne censée non seulement peut mais doit connaître et est présumée connaître, ne constitue pas une défense dans une affaire criminelle. De même Ignorantia juris, quod quisque tenetur scire, neminem excusat, constitue la maxime de notre propre droit, comme elle était celle du droit romain.

La défense a été décrite de diverse façon et peut être commodément énoncée dans les termes suivants. Si un accusé croit sincèrement à l'existence d'un ensemble de circonstances qui, s'il existait au moment de la perpétration d'un acte par ailleurs criminel, aurait justifié son acte et lui aurait ôté son caractère criminel, il a le droit d'être acquitté. Le droit sur cette question, pour ce qui est du Canada, a été énoncé de manière précise dans l'arrêt Pappajohn c. La Reine1980 CanLII 13 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 120. Le juge Dickson (maintenant juge en chef), dont les motifs sur ce point ont reçu l'accord de la majorité de la Cour, a conclu que la défense existait au Canada, qu'il fallait examiner la question de savoir si l'accusé avait la mens rea nécessaire pour la perpétration du crime visé et qu'il n'était pas nécessaire que la croyance erronée sur laquelle la défense est fondée soit raisonnable si elle est sincère. Le juge Wilson a exploré le sujet plus à fond dans ses motifs de jugement dans l'affaire R. c. Robertson,1987 CanLII 61 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 918 (rendue concurremment), et je suis d'accord avec ses observations. Notre tâche est donc d'examiner si, dans les circonstances de l'espèce, la défense aurait dû être présentée au jury et, lorsqu'elle l'a été, est‑ce que cela a été fait correctement?

13.              Lorsque la défense d'erreur de fait, ou d'ailleurs tout autre moyen de défense, est soulevée, deux étapes distinctes doivent être franchies. La première étape exige que le juge du procès décide si le moyen de défense devrait être soumis au jury. C'est à l'égard de cette question, comme je l'ai déjà dit, que le critère de l'"apparence de vraisemblance" s'applique. Il n'a rien à voir avec le jury et ne constitue pas un facteur qu'il doit examiner. Si l'on décide de soumettre le moyen de défense au jury, la seconde étape exige que le juge du procès explique le droit au jury, passe en revue les éléments de preuve pertinents et laisse au jury le soin de trancher la question de la culpabilité ou de l'innocence. Le jury doit examiner tous les éléments de preuve et, avant de pouvoir rendre un verdict de culpabilité, il doit être convaincu hors de tout doute raisonnable dans le cas d'une accusation de viol qu'il n'y a eu aucun consentement. Lorsqu'il conclut qu'il y avait consentement ou croyance sincère au consentement ou s'il a un doute sur l'un ou l'autre point, il doit rendre un verdict d'acquittement. On devrait également lui dire qu'il n'est pas nécessaire que la croyance, si elle est sincère, soit fondée sur des motifs raisonnables. Avant d'aller plus loin, il convient de souligner que, depuis l'arrêt Pappajohn, le Code criminel a été modifié par l'adjonction du par. 244(4) qui prévoit:

                  (4) Lorsque l'accusé allègue qu'il croyait que le plaignant a consenti aux actes sur lesquels l'accusation est fondée, le juge doit, s'il est convaincu qu'il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demander à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l'ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l'accusé, la présence ou l'absence de motifs raisonnables pour celle‑ci.

Cet article, à mon avis, ne modifie pas le droit appliqué dans l'arrêt Pappajohn. Il n'exige pas que la croyance erronée soit raisonnable ou jugée raisonnable. Il établit simplement de manière précise que, dans l'examen de la question de la sincérité de la croyance, la présence ou l'absence de motifs raisonnables à l'appui de cette croyance sont des facteurs pertinents que le jury doit prendre en considération. Je suis d'avis que cette position avait été annoncée dans l'arrêt Pappajohn par le juge Dickson aux pp. 155 et 156, lorsqu'il a dit:


                  Ni le système du jury ni l'intégrité de la justice criminelle ne sont bien servis par la perpétration de fictions. Le débat actuel dans les tribunaux et les journaux spécialisés sur la question de savoir si l'erreur doit être fondée, est important sur le plan conceptuel pour l'évolution harmonieuse du droit criminel, mais, à mon avis, c'est sans importance pratique, parce qu'il est peu probable que le jury croie l'accusé qui déclare être dans l'erreur à moins que celle‑ci ne soit, aux yeux du jury, fondée sur des motifs raisonnables. Le jury devra examiner le caractère raisonnable de tous les motifs qui appuient le moyen de défense d'erreur ou que l'on affirme tel. Bien que des "motifs raisonnables" ne constituent pas une condition préalable au moyen de défense de croyance sincère au consentement, ils déterminent le poids qui doit lui être accordé. Le caractère raisonnable ou non de la croyance de l'accusé n'est qu'un élément qui appuie ou non l'opinion que la croyance existait en réalité et que, par conséquent, l'intention était absente.

Le droit applicable à la publicité des documents relatifs à une perquisition

Corporation Sun Média c. Dubois, 2013 QCCQ 14371 (CanLII)

Lien vers la décision

              i.  La présomption de publicité des documents relatifs à une perquisition

[41]        La règle veut qu'une fois qu'un mandat de perquisition a été exécuté et que les objets trouvés sont portés devant le juge de paix, le mandat de perquisition et la dénonciation tombent dans le domaine public.
[42]        L'article 487.3 du Code criminel prévoit une procédure d'exception lorsqu'un Tribunal doit exercer sa discrétion judiciaire afin d'ordonner la mise sous scellé d'une partie ou de la totalité des documents reliés à une perquisition.
[43]        La Cour suprême du Canada a réitéré à plusieurs reprises l'importance du caractère public des débats judiciaires dans le cadre d'une société libre et démocratique et l'importance de la liberté d'expression dans une démocratie.
[44]        L'extrait suivant de l'arrêt Edmonton Journal c. Alberta (P.G.) est particulièrement éloquent :
« Il est difficile d'imaginer une liberté garantie qui soit plus importante que la liberté d'expression dans une société démocratique. En effet, il ne peut y avoir de démocratie sans la liberté d'exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le fonctionnement des institutions publiques. La notion d'expression libre et sans entraves est omniprésente dans les sociétés et les institutions vraiment démocratiques. On ne peut trop insister sur l'importance primordiale de cette notion. (…)
Il est certain que les tribunaux jouent un rôle important toute société démocratique. C'est là que sont résolus non seulement les litiges qui opposent les citoyens entre eux, mais aussi les litiges qui opposent les citoyens à l'État dans toutes ses manifestations. Plus la société devient complexe, plus le rôle des tribunaux devient important. En raison de cette importance, il faut que le public puisse faire l'examen critique des tribunaux et de leur fonctionnement. »
[45]        Dans le contexte judiciaire, le droit du public d'être informé de ce qui se passe devant les tribunaux et d'en discuter librement a été reconnu comme une des composantes expressives de l'alinéa 2b) de la Charte.
[46]        Par contre, comme pour toute règle, il peut y avoir des exceptions. Tout dépend du contexte particulier d'un dossier. Chaque situation est unique.
[47]        La Cour suprême du Canada a élaboré un test soit:
« (…) le critère souple des arrêts Dagenais/Mentuck afin de pondérer la liberté d’expression avec d’autres droits et intérêts, incorporant ainsi l’essence de la pondération selon le critère de l’arrêt Oakes : Dagenais et Mentuck, précités; R. c. Oakes1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103.  Les droits et intérêts examinés sont plus vastes que la simple administration de la justice et comportent le droit à un procès équitable : Mentuck, précité, par. 33; ils peuvent comprendre les droits qui touchent à la vie privée et à la sécurité. »
[48]        L'enjeu de cette pondération concerne l'instruction d'un procès juste et équitable et la bonne administration de la justice.
[49]        L'équité d'un procès comprend non seulement l'assurance d'un jury impartial, mais « (…) toutes les mesures visant à protéger les droits fondamentaux de l’accusé ».
[50]        Au moment d'exercer sa discrétion judiciaire, le Tribunal doit considérer la grille d'analyse établie par la Cour suprême dans les arrêtsDagenais et Mentuck afin de rendre ou non une ordonnance permettant la publication ou la diffusion. Aussi, avant de rendre une ordonnance discrétionnaire, le Tribunal doit déterminer :
50.1.         si cette ordonnance est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l'absence d'autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;
50.2.         si les effets bénéfiques de cette ordonnance sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la liberté d'expression, sur le droit de l'accusé à un procès équitable et sur l'efficacité de l'administration de la justice.
[51]        Dans l'examen du test Dagenais/Mentuck, il appartient à celui qui demande l'ordonnance de soumettre une preuve satisfaisante du lien entre la publicité et son effet préjudiciable: une appréciation générale ne suffit pas.
[52]        La notion de « nécessité » implique que le risque ou le danger que l'on cherche à éviter soit bien appuyé par la preuve. La Cour suprême a rappelé que la présomption de publicité des procédures judiciaires ne saurait être écartée qu’en présence de la preuve solide d’un risque réel et important.
[53]        De plus, les effets bénéfiques ou les avantages pour l'administration de la justice ne sont examinés qu'à la dernière étape du test.
[54]        Dans l'arrêt Toronto Star c. Ontario, la Cour suprême s'exprime ainsi:
4. (…) « La présomption de « publicité » des procédures judiciaires est désormais bien établie au Canada. L’accès du public ne sera interdit que lorsque le Tribunal compétent conclut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice ou nuirait indûment à la bonne administration de la justice. »
7.  (…) « J’estime que le critère de Dagenais/Mentuck s’applique à chaque fois qu’un juge exerce son pouvoir discrétionnaire de restreindre la liberté d’expression et la liberté de la presse relativement à des procédures judiciaires.  Toute autre conclusion romprait, à mon avis, avec la jurisprudence de notre Cour, qui est demeurée constante au cours des vingt dernières années.  Elle porterait également atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires qui est inextricablement lié aux valeurs fondamentales consacrées à l’al. 2b) de la Charte. »
(…)
18. (…) « Une fois un mandat de perquisition exécuté, le mandat et la dénonciation qui a permis d’en obtenir la délivrance doivent être rendus publics, sauf si la personne qui sollicite une ordonnance de mise sous scellés peut démontrer que leur divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice : Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. MacIntyre1982 CanLII 14 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 175. La Cour a statué dans MacIntyre que « ce qu’il faut viser, c’est le maximum de responsabilité et d’accessibilité, sans aller jusqu’à causer un tort à un innocent ou à réduire l’efficacité du mandat de perquisition comme arme dans la lutte continue de la société contre le crime » (le juge Dickson, devenu plus tard Juge en chef, s’exprimant au nom de la majorité, à la p. 184). »
27. (…) « S’exprimant au nom de la Cour, le juge Iacobucci a souligné que le « risque » dont il est question dans le premier volet de l’analyse doit être réel et important et qu’il doit s’agir d’un risque dont l’existence est bien appuyée par la preuve : « il faut que ce soit un danger grave que l’on cherche à éviter, et non un important bénéfice ou avantage pour l’administration de la justice que l’on cherche à obtenir ». »
[55]        De plus, dans ce même arrêt, la Cour suprême a confirmé que le test décrit dans les arrêts Dagenais et Mentuck s’appliquent aussi aux ordonnances visant la non-publication de mandats de perquisition.

ii)   Le fardeau de justifier la non-publication appartient aux intimés-accusés et aux mis en cause-accusés
[56]        Il revient à ceux qui cherchent à interdire la publication ou la diffusion de documents relatifs à un mandat de perquisition de démontrer l'existence d'un risque réel et important.
[57]        Lorsqu'il existe un conflit entre deux droits, le risque doit être apprécié à la dernière étape du test de justification en examinant les effets bénéfiques et les effets préjudiciables d'une mesure.
[58]        Dans l'arbitrage des intérêts opposés, le Tribunal doit tenir compte de la présomption voulant que les procédures judiciaires soient publiques et que leur diffusion ne doive pas être censurée.
[59]        En l'espèce, le Tribunal considère que les intimés-accusés et les mis en cause accusés n’ont pas présenté de preuve démontrant l'existence d'un risque réel et important de nuire à l’administration de la justice.  De plus, la mise en cause-poursuivante ne s’oppose pas à la publication ou à la diffusion de la dénonciation caviardée (R-4).
[60]        Les intimés-accusés et les mis en cause-accusés semblent confondre la notion de publicité négative avec celle de « risque réel et important de nuire à l’administration de la justice ». Or, la Cour suprême a déjà confirmé que la tenue d’un procès équitable n’exige pas la non-publication de l’information relative aux accusations. Dans l'arrêt Phillips c. Nouvelle-Écosse, la Cour suprême s'exprime ainsi :
116. (…) « La transparence est depuis longtemps une caractéristique de notre système de justice criminelle. Divers arguments ont été avancés pour justifier la publicité des débats des procès criminels. La plupart participent d'une façon ou d'une autre de cette vérité toute simple: un particulier risque beaucoup moins d'être victime d'un traitement injuste ou oppressif sous la coupe de l'État s'il est jugé en séance publique. Par surcroît, il y a bien plus de chances que la population ait confiance dans un système transparent. Les avantages de la transparence ne sont pas limités au système de justice criminelle, mais valent aussi pour les actions civiles: Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), précité. Il n'en va pas autrement d'une enquête publique, encore qu'elle puisse différer d'un procès criminel du fait que le processus même de l'enquête est peut-être plus important que son résultat. »
(…)
128. (…) « Ce à quoi il faut conclure pour accorder une réparation c'est qu'il existe une forte probabilité que la publicité des audiences de l'enquête aura pour effet de porter atteinte de manière irréparable à l'impartialité des futurs jurés ou de miner la présomption d'innocence à un point tel qu'il sera impossible de tenir un procès équitable. Il ne suffit pas pour que pareille conclusion soit tirée qu'on prouve que les audiences ont fait ou feront l'objet d'une publicité abondante. Il faut établir en outre quels seront les effets probables de la publicité. »
129. (…) « La publicité négative n'est pas en soi incompatible avec un procès équitable. Le lien entre la publicité et ses effets durables n'est peut-être pas susceptible de démonstration scientifique, mais l'accent doit être mis sur ce lien et non sur la simple existence de la publicité. »
130. (…) « En outre, les effets de la publicité ne doivent pas être pris isolément. La partialité alléguée des jurés ne peut être appréciée que dans le contexte du système élaboré de garanties qui a justement été conçu pour prévenir un tel problème. C'est uniquement lorsque ces garanties sont insuffisantes pour protéger l'impartialité qu'il y aura atteinte à l'al. 11 d). Pour en arriver à cette simple conclusion, il faut répondre à deux questions difficiles. Premièrement, qu'est-ce qu'un juré impartial? Deuxièmement, dans quels cas les garanties de l'institution du jury préviennent-elles la partialité des jurés? »
(…)
132. (…) « Voici donc à quoi se réduit l'objectif visé: pour qu'il soit possible de tenir un procès équitable, il faut trouver des jurés qui, bien qu'ils soient au fait de l'affaire, sont capables d'écarter leurs préventions et de s'atteler à leur tâche en gardant à l'esprit la présomption que l'accusé est innocent jusqu'à preuve du contraire et en ayant la volonté de décider de sa culpabilité seulement sur la base de la preuve produite au procès. »
133. (…) « Je suis d'avis que l'on peut facilement atteindre cet objectif dans la grande majorité des procès criminels même lorsqu'ils font l'objet d'une publicité abondante. »
(…)
161. (…) « À mon avis, les audiences de l'enquête Westray ne mettraient pas en danger de manière inacceptable le droit à un procès équitable que l'al. 11 d) garantit aux directeurs intimés. Souvent, la publicité dont font l'objet les témoignages rendus à une enquête aura peu d'effet sur les futurs jurés. Il peut s'agir d'un effet passager, qui disparaîtra rapidement. Comme on oublie vite les détails d'un fait d'actualité! Au bout de quelques jours à peine, le souvenir des reportages sur les témoignages entendus dans le cadre de l'enquête se sera estompé, sinon effacé. La probabilité d'un effet préjudiciable sur le droit à un procès équitable peut être très faible en effet; une nouvelle de peu d'importance noyée dans la mer d'informations diffusées quotidiennement par les médias. »
[63]        Dans sa décision concernant la non-publication de la dénonciation pour l'obtention d'un mandat de perquisition du projet « Honorer », la juge Linda Despots dans R. c. La Presse  indique au paragraphe 32:
« Le Tribunal ne peut présumer de la longueur des délais avant la tenue du procès, comme il ne peut présumer que le procès se tiendra effectivement devant un juge et un jury ou devant juge seul. Il faut toutefois s'assurer que si procès il y a, celui-ci se tienne de façon équitable. Il est vrai que des directives données au jury peuvent contribuer à aider les jurés à rendre un verdict en vertu de la seule preuve entendue au procès. Compte tenu de l'ampleur de la médiatisation et de la nature du dossier, le Tribunal considère que de telles directives ne sauraient suffire à s'assurer de l'équité du procès. Il est donc nécessaire de restreindre la publication de ce deuxième volet. »
[64]        Quant à la dénonciation dans le projet « SharQc », le juge Brunton de la Cour supérieure dans Société Radio-Canada c. Auclair affirme au paragraphe 28:
« Pour ce qui est de la balance de chaque dénonciation, la Cour est d'avis que les intimés ont démontré que la non-publication est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l'absence de mesures raisonnables pouvant écarter ce risque. Le matériel qui sera touché par l'ordonnance de non-publication consiste, en termes généraux, des allégations du témoin Boulanger et d'autres témoins spéciaux; des renseignements cueillis lors de diverses enquêtes impliquant les chapitres de Hells Angels; des allégations dont la source n'est pas bien identifiée. »
[65]        Pour le Tribunal, la présente situation s'apparente davantage à celle de l'arrêt de Thibault c. Société Radio-Canada où dans ce cas, il n'y avait pas de preuve que l'affaire avait fait l'objet d'une grande publicité et on pouvait également anticiper qu'il n'y aurait pas non plus une grande publicité à l'avenir.
[66]        De plus, le Tribunal considère qu'il y a également un manque de contemporanéité marqué entre la publication éventuelle de la dénonciation caviardée (R-4) et du rapport de perquisition avec un éventuel procès.
iii)  Une ordonnance de non-publication rendue en vertu de l’article 517 C. cr. n’empêche pas la publication de la dénonciation.
[67]        Le Tribunal estime erronée la prétention des intimés-accusés et des mis en cause-accusés qu’une ordonnance de non-publication émise conformément l’article 517 du Code criminel empêche la publication de l’information obtenue d’une autre source.
[68]        Dans l’affaire Société Radio-Canada c. Auclair, le juge Brunton confirme la règle applicable dans un cas semblable :
« [18] D'entrée de jeu, la Cour est d'accord que l'existence d'une ordonnance rendue en vertu de l'article 517 C.cr., à une exception près, n'est pas un empêchement à accorder le droit à la requérante de publier le contenu de la dénonciation utilisée pour obtenir un mandat de perquisition. Pour déterminer si le droit doit être accordé, la Cour doit procéder à une analyse Dagenais/Mentuck.
[19] La Cour arrive à cette conclusion pour les raisons suivantes :
- Une ordonnance émise en vertu de l'article 517 C.cr. concerne uniquement la preuve documentaire et testimoniale produite durant l'enquête sur cautionnement. Cette ordonnance ne peut pas empêcher la publication de faits obtenus d'une source autre que l'enquête sur cautionnement;
- Si la dénonciation pour obtenir l'émission d'un mandat de perquisition est produite comme pièce durant l'enquête sur cautionnement, elle est couverte par l'ordonnance émise en vertu de l'article 517 C.cr. En tel cas, la dénonciation ne peut pas servir de source de renseignements pour publier. Ceci constitue l'exception soulevée dans le paragraphe 18 du présent jugement;
- En assumant l'existence d'une ordonnance émise en vertu de l'article 517 C.cr. et la non-production de la dénonciation pour obtenir un mandat de perquisition durant l'enquête sur cautionnement, la Cour doit procéder à une analyse Dagenais/Mentuck pour déterminer le droit de publier le contenu du dernier document. Une comparaison entre la preuve produite durant l'enquête sur cautionnement et les affirmations contenues dans la dénonciation peuvent [sic] être un exercice pertinent dans le cadre de cette analyse. »
[69]        L’objectif de l’ordonnance de non-publication ou de diffusion prévue à l’article 517 du Code criminel est clair. Il s’agit d’éviter la diffusion de certains types d’éléments de preuve introduits lors de l’enquête sur remise en liberté, puisqu’à cette étape, les règles de preuve sont très permissives tel que l'énonce la Cour suprême dans Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada :
« Il a fallu trouver des compromis quant à la nature de la preuve produite lors de l’enquête sur remise en liberté provisoire. Il n’y a pratiquement aucune interdiction quant à ce que le poursuivant peut produire en preuve afin de démontrer que l’accusé doit être placé en détention. Selon l’al. 518(1)e) C. cr., le poursuivant peut présenter toute preuve « plausible ou digne de foi », soit notamment les confessions dont on n’a pas vérifié le caractère volontaire ou la conformité à la Charte, la preuve de mauvaise moralité, la preuve obtenue par écoute électronique ou la preuve par ouï-dire, tout comportement ambigu postérieur à l’infraction, la preuve de faits similaires qui n’a été soumise à aucun examen, les déclarations de culpabilité antérieures, les accusations en instance n’ayant fait l’objet d’aucun procès, ainsi que les renseignements personnels concernant le mode de vie et les habitudes sociales.  »
[73]        Par exemple, dans la décision Auclair, l’interdit de publication et de diffusion visait les allégations d’un ancien membre des Hells Angels. Dans la décision de la juge Despots relative au projet « Honorer » (Ville de Laval), il s’agissait de témoins à qui des avantages avaient été promis en échange de leur témoignage. Alors que dans l'arrêt Flahiff, il s’agissait des allégations d’un informateur de police et complice des accusés, qui collaborait en échange d’une réduction de sa peine.
[74]        Le cas sous étude est entièrement différent, puisque la très vaste majorité de la preuve à laquelle réfère la dénonciation caviardée (R-4) consiste en des filatures policières dans des lieux publics.
C.           Les informations du domaine public
[83]        Le Tribunal partage l'opinion du juge Brunton dans l'affaire de Société Radio-Canada c. Auclair où il mentionne au paragraphe 26:
« La Cour est d'avis que les parties des dénonciations qui sont déjà dans le domaine public peuvent être publiées de nouveau. Il est impossible d'arriver à la conclusion que la non-publication de ces renseignements est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice. »
D.           La situation des tierces parties
[87]        Les intimés-accusés suggèrent au Tribunal que tout passage dans lequel on réfère à une personne contre qui aucune accusation n’a été portée doit être interdit de publication.
[88]        Ce n’est pas ce que prévoit la règle dite du « tiers innocent ».
[89]        Cette notion a été élaborée dans l'arrêt MacIntyre où la Cour suprême en a édicté les paramètres d’application :
« A mon avis, restreindre l'accès du public ne peut se justifier que s'il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont préséance. C'est notamment le cas de la protection de l'innocent.
 Bien des mandats de perquisition sont délivrés et exécutés sans que rien ne soit trouvé. Dans ces cas, l'intérêt protégé par l'accès du public l'emporte‑t‑il sur celui de la protection des personnes chez qui une perquisition a eu lieu sans que l'on n'ait rien trouvé? Ces personnes doivent‑elles souffrir l'opprobre qui entacherait leur nom et leur réputation du fait de la publicité de la perquisition? La protection de l'innocent à l'égard d'un préjudice inutile est une considération de principe valable et importante. A mon avis, cette considération l'emporte sur le principe de l'accès du public dans les cas où l'on effectue une perquisition sans rien trouver. Le droit du public à l'information doit céder le pas devant la protection de l'innocent. Si le mandat est exécuté et qu'il y a saisie, d'autres considérations entrent en jeu. »
[90]        Il ne suffit pas d’invoquer la règle du « tiers innocent » dans l’abstrait pour éviter toute publication. Au contraire, tel que l’expose la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Phillips c. Vancouver Sun, il ne s’agit que d’un facteur parmi un vaste ensemble à considérer pour décider du droit à la publication :
« As earlier noted, however, it is not clear that anyone had been charged with an offence in MacIntyre. Further, under s. 487.3, prejudice to the innocent is but one of several factors the court must take into consideration in determining whether a sealing order should be granted or varied. The extent of the prejudice an innocent person may suffer if access is granted may vary substantially depending on such things as the nature and extent of the investigation, the nature of the charges laid, if any, the nature and extent of the publicity surrounding the case, the extent to which the search warrant material may reveal personal, confidential or intimate matters only peripherally related to the investigation or charge, and various other factors. Section 487.3 does not, on its face, separate out those who have been charged with a criminal offence from those who have not been charged. Nor does the fact that someone has not been charged give rise to any logical or necessary inference that they should be protected from disclosure by virtue of that fact alone. Rather, as Mr. Justice Osler said in Canadian Newspapers Co. v. Canada (A.G.)reflex, (1986), 29 C.C.C. (3d) 109 at 121 (Ont. H.C.J.), (in considering the constitutionality of s. 487.2 of the Code): ". . . the very fact that no charge is laid may in some circumstances properly merit criticism and, in my view, the failure to lay a charge, or even to lay a particular charge 'in relation to which the warrant was issued' should not justify the prohibition of publication." »
[91]        Puis, citant la Cour suprême à ce sujet, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique conclut :
« At every stage the rule should be one of public accessibility and concomitant judicial accountability; all with a view to ensuring there is no abuse in the issue of search warrants, that once issued they are executed according to law, and finally that any evidence seized is dealt with according to law. A decision by the Crown not to prosecute, notwithstanding the finding of evidence appearing to establish the commission of a crime may, in some circumstances, raise issues of public importance. »
[92]        Dans le cas sous étude, tous les facteurs énoncés par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Phillips militent en faveur d’un accès du public à l’information sur l’ensemble des personnes visées par l’enquête.
[93]        Le critère de la nature et de la portée de l'enquête qui vise un vaste réseau de fausse facturation et de fraude dans le milieu du coffrage et de l'industrie de la construction penche en faveur de la publication et de la diffusion.
[94]        Il en va de même du critère de la nature et de la portée des accusations puisque plusieurs personnes font face à de graves accusations de fraude et certaines de gangstérisme alors que d'autres personnes ne sont pas accusées.
[95]        Par ailleurs, dans chaque cas, le Tribunal doit soupeser les intérêts en cause. Lorsque les droits de « tiers innocents » peuvent être affectés, le Tribunal doit chercher à les protéger.

mardi 10 décembre 2013

L'avocat ne peut, par ses avis, se faire complice, même involontaire ou à son insu, de la commission d’un crime / Le privilège s’étend aux collaborateurs immédiats de l’avocat

R. c. Garneau, 2001 CanLII 20619 (QC CA)


[14]           Le substitut a déposé au procès une déclaration donnée, sans doute aux policiers, par Me Belley, l’avocat que l’accusé avait consulté sur le règlement de la succession de Suzanne Vallières. L’appelante a jugé inutile de la reproduire au dossier. Quoi qu’il en soit, le juge en a lu quelques lignes à l’enquête. On apprend ainsi que Me Belley avait refusé le mandat qu’on voulait lui confier (sans plus de précision), référé Gilles Garneau au notaire Larocque et proposé que la rencontre se tienne à son cabinet. Dès après la production de cette déclaration, le ministère public a appelé Suzanne Charbonneau, la secrétaire de Me Belley; le substitut voulait l’interroger sur les propos tenus par l’accusé dans la salle d’attente des bureaux de son patron. Le juge a maintenu l’objection de la défense, à tort selon l’appelante.
[15]           La relation privilégiée et la confidentialité qui entourent les communications avocat-client sont des principes reconnus. Le privilège s’étend d’ailleurs aux collaborateurs immédiats de l’avocat. Il appartient donc à celui qui soulève une exception à cette règle cardinale de notre droit judiciaire civil et criminel d’en faire la démonstration.
[16]           En l’espèce, le substitut plaide deux moyens :
a>        il n’y a jamais eu de relations professionnelles ou s’il y en eut, elles étaient terminées puisque Me Belley n’a pas accepté le mandat et référé son client à un notaire;

b>        l’accusé Gilles Garneau voulait obtenir une opinion juridique en vue de la commission d’un acte criminel car, peut-on lire au mémoire : « la finalité avouée derrière la démarche (auprès de l’avocat) s’avérait l’utilisation du testament »; l’appelante ajoute que l’accusé a consulté l’avocat parce qu’« il désirait s’esquiver d’une enquête instituée autour des circonstances du décès de la défunte ».

[17]           La première proposition suivant laquelle l’avocat n’a jamais eu mandat est totalement dénuée de fondement. Que l’avocat accepte ou non d’agir est sans pertinence sur le droit à la confidentialité s’il a été consulté en sa qualité professionnelle. En l’espèce, il est incontestable que c’est à l’avocat que Gilles Garneau a demandé un avis.
[18]           Quant à la seconde prétention, celle de la consultation en vue de servir un dessein criminel, elle est aussi sans valeur. Il est reconnu que l’avocat ne peut, par ses avis, se faire complice, même involontaire ou à son insu, de la commission d’un crime.
[19]           C’est ce que la Cour suprême nous enseigne dans l’arrêt Descôteaux (précité).
Il y a des exceptions. Il ne suffit pas de parler à un avocat ou l'un de ses collaborateurs pour que dès lors tout soit confidentiel. Il faut que la communication soit faite à l'avocat ou à ses collaborateurs en leur qualité professionnelle; la relation, au moment précis de la communication, doit être de nature professionnelle. Ne seront pas non plus confidentielles les communications faites dans le but de perpétrer plus facilement un crime ou une fraude, et ce, que l'avocat soit de bonne ou mauvaise foi.

et Solosky (précité) :

Plus significatif, si un client consulte un avocat pour pouvoir perpétrer plus facilement un crime ou une fraude, alors la communication n'est pas privilégiée et il importe peu que l'avocat soit une dupe ou un participant. L'arrêt classique est R. v.Cox and Railton, (1884), où le juge Stephen s'exprime en ces termes (p. 167): [TRADUCTION] «Une communication faite en vue de servir un dessein criminel ne «relève pas de la portée ordinaire des services professionnels.»

[20]           Cela dit, le critère pour autoriser un tribunal à soulever le voile de confidentialité de la communication avocat-client est celui dégagé par le juge LeBel, alors qu’il était à notre Cour, dans l’affaire Amadzadegan Sharmirzadi c. Polak. Parlant au nom de la Cour, mon collègue d’alors avait exprimé l’avis que celui qui cherche à se prévaloir de cette exception doit au préalable faire la démonstration d’un ensemble de faits ou circonstances qui, sur la base de la balance de probabilités, permet de dégager la probabilité de l’existence d’une intention chez le client de commettre un crime ou une fraude grâce à la communication privilégiée. Cette thèse est celle exprimée par la Chambre des Lords dansO’Rourke c. Darbishire auquel le juge LeBel se rallie :
La règle de common law, telle que dégagée à partir de l'arrêt Darbishire, représente un équilibre entre des intérêts sociaux et juridiques contradictoires. Elle empêche le détournement du secret professionnel de sa finalité. Elle évite que son contenu ne soit révélé sans une vérification attentive d'une preuve circonstancielle de l'intention capable d'établir, sur une balance des probabilités, son utilisation à des fins criminelles. La modification d'une telle règle ne s'impose pas, même depuis l'entrée en vigueur de la Charte. Les garanties juridiques de celle-ci ne paraissent pas exiger la confidentialité totale de communication professionnelle à des fins criminelles.

LA MISE DE COTÉ DU SECRET PROFESSIONNEL EN CAS DE CRIME OU DE FRAUDE

Amadzadegan-Shamirzadi c. Polak, 1991 CanLII 3002 (QC CA)


Le secret professionnel de l'avocat a joué un rôle fondamental, notamment dans l'établissement du système de justice pénale.  Tant pour assurer la liberté totale des échanges du client avec son procureur, en lui garantissant leur confidentialité, que l'efficacité de son droit à une défense pleine et entière par la possibilité même d'un échange libre et ouvert avec le procureur, il est apparu comme l'une des conditions du fonctionnement effectif de la justice criminelle (voir, par exemple, Geoffrey C. Hazard, «An historical perspective on the Attorney client privilege», (1978) 66 California Law Review 1061, p. 1069 et ss.).  Il correspond à une nécessité sociale de préservation de la liberté et de l'efficacité de la défense vis-à-vis un acte criminel passé. 
Comme il fait partie du droit criminel, les fondements et les modalités du secret professionnel de l'avocat, dans la mesure où on l'invoque en ces matières, relèvent des règles de common law.  Elles en ont été identifiées comme des composantes essentielles de la justice pénale (voir, par exemple, Descoteaux c. Mierzwinski1982 CanLII 22 (CSC), (1982) 1 R.C.S. 860; Solosky c. R., 1979 CanLII 9 (CSC), (1980) 1 R.C.S. 821).  L'on croit même trouver, aujourd'hui, dans un certain nombre de dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, un fondement constitutionnel à ce privilège, notamment dans l'article 7 sur le droit à la sécurité et à la liberté de la personne, l'article 10b), sur le droit de consulter un avocat en cas d'arrestation et de détention, le droit à la garantie à un procès juste devant un tribunal indépendant (art. 11d) ou, encore, dans la protection contre l'auto-incrimination en vertu de l'article 12.


Si importante que soit l'institution du secret professionnel de l'avocat en droit pénal, elle connaît cependant une limite importante, établie depuis longtemps.  Ce secret, qui appartient au client, peut être néanmoins levé lorsqu'il a été détourné de sa finalité sociale et juridique.  Protégé fermement tant que l'intention du client demeure d'assurer sa défense vis-à-vis un crime passé, il ne saurait être utilisé pour favoriser ou préparer la commission d'un crime.  Il s'agit de l'exception de crime ou de fraude.  En pareil cas, un tribunal a droit de dégager l'avocat de l'obligation de respecter le secret professionnel.  Celui-ci peut alors être interrogé sur ses communications avec son client et le contenu de celles-ci peut être versé en preuve.  La common law britannique a établi et conservé ce principe (voir notamment R. c. Cox and Railton, (1884) 14 Q.B.D. 153, p. 167; Bullivant c.Attorney General of Victoria, (1901) A.C. 196; O'Rourke c. Darbishire, (1920) A.C. 581; Phipson, On Evidence, 13 ed., Londres, 1982, Sweet & Maxwell, pp. 299-300). 

La Cour suprême du Canada a reconnu que cette limitation faisait partie des règles d'aménagement du droit au secret professionnel en droit canadien.  Monsieur le juge Lamer la commentait ainsi, dans l'arrêt Descoteaux c. Mierzwinski:

«Confidentielles qu'elles étaient aux moyens financiers ou à la nature des problèmes, les communications ne le sont plus si et dans la mesure où elles ont été faites dans le but d'obtenir des avis juridiques pour faciliter la perpétration d'un crime.  A forciori, en est-il de même lorsque, comme en l'espèce, la communication elle-même est l'élément matériel (actus reus) du crime et c'est d'autant plus évident lorsque la victime du crime est précisément le bureau de l'avocat à qui la communication a été faite...» (loc. cit., p. 880; voir aussi p. 893; voir également Gosselin c. R., (1903) 33 R.C.S. 255, p. 277, monsieur le juge Davies; R. c. Huculak1963 CanLII 55 (SCC), (1963) R.C.S. 266, p. 272, confirmant (1963) 1 C.C.C. 297, (Alta C.A.) aussi Sopinka and Lederman, The Law of Evidence in Civil Cases, Toronto, Butterworths, (1974) pp. 176-177); Fortin, La preuve pénale, Montréal, Les Éditions Thémis, (1984) p. 137)

L'existence de cette restriction comporte une recherche d'intention afin d'identifier le but recherché par le client.  Lorsque la consultation a été sollicitée pour commettre un crime, non pas pour organiser la défense contre l'accusation déjà portée ou dont on s'estime menacé, il n'est pas de privilège qui tienne.  La présence de cette intention illégale viole la politique juridique qui justifie l'existence du privilège de l'avocat:

«If the client seeks legal advice in order to further illegal activities this policy is not promoted and the privilege should be pierced.» (Note: Developments: Privileged Communications, (1985) 98 Harvard Law Review 1450, p. 1510)


Si l'on s'accorde pour reconnaître que l'exception à l'application du secret professionnel, en cas de consultation pour fins de crime ou de fraude, existe et s'applique dans notre droit, comme en droit criminel anglais ou américain, on s'entend moins pour identifier une méthode suivant laquelle l'on aura accès au contenu de la communication privilégiée, malgré le privilège de l'avocat.  La Cour suprême du Canada ne paraît pas s'être prononcée sur cette question jusqu'à présent (voir A. Gold et al, (1985) Annual Criminal Review of Criminal Law, Carswell, Toronto, pp. 156 et ss.).  On a envisagé diverses solutions.  On s'est demandé si une simple allégation d'une consultation pour fins criminelles ou frauduleuses suffisait pour permettre l'interrogatoire du conseiller juridique.  D'autres, comme l'appelant, ont soutenu qu'il fallait démontrer au préalable, suivant les critères les plus stricts de la preuve pénale, c'est-à-dire au-delà d'un doute raisonnable, que la communication privilégiée avait eu lieu à des fins criminelles.  L'appelant reconnaît toutefois que, jusqu'à présent, une solution médiane a prévalu, mais soutient qu'elle devrait être changée. 

Cette approche intermédiaire n'exige pas une preuve hors de tout doute raisonnable de l'utilisation pour une fin criminelle du privilège de l'avocat.  Elle ne se satisfait pas non plus d'une simple allégation par la partie désirant mettre de côté le droit au privilège professionnel.  Elle exige plutôt que la poursuite, dans ce cas, établisse un certain nombre de faits, qui rendent probable que le client ait entendu consulter pour des fins criminelles ou frauduleuses.  Cette solution intermédiaire elle-même comporte des variantes.  En droit américain, l'on semble, à l'occasion, permettre, par des procédures d'audition à huis clos, d'entendre l'avocat pour déterminer si la communication avait une fin criminelle.  Par son contenu, l'on constatait l'affirmative.  Elle pourrait être ensuite communiquée en audience publique (voir U.S. c. Zolin, (1989) S.ct. 2619; Clark c. U.S., (1933) 53 S.ct. 465, p. 469).  Avant de s'engager dans un tel examen "in camera", il faudrait toutefois établir un fondement factuel préliminaire qui porterait à une croyance raisonnable, par une personne honnête que la communication privilégiée aurait été utilisée à des fins criminelles (U.S. c. Zolin, opinion de monsieur le juge Blackmun, p. 2631).

La solution, qui semble la plus généralement acceptée, voudrait que l'on recherche s'il existe un ensemble de faits dont l'ensemble établit une sorte de preuve circonstancielle permettant de conclure probablement au détournement du secret de la communication privilégiée de cette preuve ainsi que la probabilité de l'existence d'une intention chez le client de commettre un crime ou une fraude grâce à la communication privilégiée.  Cette solution apparaîtrait conforme au droit existant pour le procureur de la Couronne, qui a d'ailleurs argumenté qu'il suffisait qu'une preuve prima facie établisse l'utilisation de la communication privilégiée à des fins criminelles.

Dans sa forme actuelle, la règle découle de la jurisprudence anglaise, qui l'a confirmée à la fin du XIXe siècle et au début du XXe.  La règle appliquée par le juge du procès, en l'espèce, découle principalement de l'arrêt anglais O'Rourke c.  Darbishire, (1920) A.C. 581.  On y a examiné comment invoquer le privilège de l'exception à la règle de la confidentialité de la communication privilégiée entre le client et l'avocat.  En l'espèce, il s'agissait de déterminer si des solicitors avaient falsifié certains actes afin de léser une partie.  La Chambre des Lords reconnaissait qu'une cour pouvait écarter le privilège s'il existait des fondements, en fait, une preuve prima facie  d'une utilisation à des fins criminelles.  Ainsi, ces remarques dans l'opinion du Vicomte Lindley exigeaient:

«Some prima facie evidence that there is some foundation in fact...» (p. 604)

Une autre opinion, celle de Lord Sumner, ajoutait:

«The Court will exercise its discretion, not merely on the terms in which the allegation is made, but also as to the surrronding circumstances for the purpose of seeing whether the charge is made honestly and with sufficient probability of its truth to make it right to disallow the privilege of professional communications.» (p. 613)

On ajoutait qu'il fallait à la fois:

«Accusation and proof of a prima facie case.» (au même sens, voir Lord Parmoor, p. 621)

Dans l'arrêt antérieur de Bullivant c. Attorney General of Victoria, le Conseil privé n'avait pas examiné de façon précise la question du type de preuve requis pour écarter le privilège.  Il avait toutefois souligné qu'il fallait plus qu'une simple allégation, si circonstanciée qu'elle soit. 

Cette question de preuve pose un problème difficile pour les tribunaux.  Si l'on se satisfait d'une simple allégation, on le réduit à néant, à toutes fins pratiques, au gré de la partie.  A l'inverse, si l'on adopte la thèse de l'appelant, on le rend impénétrable.  Le dilemme a été bien vu et expliqué dans un jugement de la Cour supérieure, prononcé par monsieur le juge Jean-Guy Boilard (R. c. Giguère, (1978) 44 C.C.C. (2d) p. 525).  Il exposait ainsi la question:

«However, if the communication is made with the purpose of the client obtaining information liable to facilitate commission of a crime, whether or not this is known to the solicitor, the privilege ceases to exist.

This is where it is difficult, however, to determine how to decide the legitimacy of the existence of the privilege.  Must the Courts rely upon the declaration presumably of good faith, made by the lawyer that the law compels him to claim the privilege?  Or must the Court grant and be satisfied with the mere dispute over the existence of the privilege, a dispute made by one who denies its existence and who seeks to lead evidence of the privileged communication?

Finally, to resolve this dilemma, should the Court compel the solicitor to reveal the privileged communication that he has the duty to keep secret during a voir dire held in the presence of the accused, his counsel, counsel for the prosecution, and the Court personnel?  There remains perhaps to determine whether the public may be present or not.

This latter solution seems to have been used by the Ontario Court of Appeal in R. v. Bencardino and de Carlo 1973 CanLII 804 (ON CA), (1973), 15 C.C.C. (2s) 342, 2 O.R. (2d), 351, 24 C.R.N.S. 173.  And I refer specifically to the reasons of Jessup, J.A..  I quote [at p. 349]:


In my opinion, the new trial Judge should conduct a voir dire as to what Quaranta said to Mr. Greenspan and if it appears that Quaranta was not seeking legal advice, but rather relief from intimidation in prison, or if it appears that he expressly or impliedly authorized Mr. Greenspan to divulge his plight to the authorities, then I think Mr. Greenspan can be required to testify before the jury as to what Quaranta said to him in that connection.
With much respect for Mr. Justice Jessup, to adopt this solution will be equivalent, I think, to ignoring the absolute character of the privilege, if it exists.  It appears doubtful to me, and I say so with much respect, that on one hand one may authorize or even order a disclosure, perhaps semi-public, of the privileged communication in order to thereby declare it to be absolutely and definitively privileged and then to order the lawyer not to reveal it.» (pp. 528-529)

Le juge considérait comme applicable au Canada la solution retenue par la Chambre des Lords dans O'Rourke c. Darbishire.  Il exigeait alors des éléments de preuve confirmant prima facie les allégations d'utilisation du secret professionnel à des fins criminelles:

«The solution to this problem seems to me to be proposed by the House of Lords in O'Rourke v. Darbishire, cited above, where it was decided that, even when claimed by the lawyer, the privilege will cease to exist if the who contests it not only alleges that the communication was made in order to facilitate the commission of a crime, but supports this assertion with prima facie evidence which in some way confirms this assertion.» (p. 529)

La méthode suggérée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire R. c. Bencardino et De Carlo (1973) 15 C.C.C. (2d) 342, comme le soulignait le juge Boilard, comportait l'inconvénient de contraindre à une divulgation du secret professionnel.  Pour déterminer s'il devait être préservé, elle obligeait le juge à en faire dévoiler le contenu, même si cela survenait dans le cadre d'un voir dire et à huis clos.  La méthode suggérée par le juge Boilard, fondée sur la jurisprudence anglaise, assure un meilleur équilibre des droits du client et de ceux de la poursuite.  Elle retient l'importance fondamentale de ces communications mais, en même temps, préserve une possibilité d'accès à celles-ci, pour vérifier si on ne les a pas détournées de leur finalité.  Cette possibilité se trouve basée sur l'existence d'une preuve circonstancielle, rendant probable l'existence d'une intention illicite.  Cette méthode a été généralement jugé appropriée par les auteurs:

«It is submitted that the fundamental importance of such communications require a clear rule to the effect that an apparently privileged communication can be revealed on the basis of the fraud or future crime exception only after a prima facie showing of the exceptions application.  To that point, the communication itself cannot be resorted to since the apparent privilege remains...» ( A. Gold, loc. cit., p. 1591; voir aussi, au même effet, Sopinka et Lederman, p. 177; McWilliams, Canadian Criminal Evidence, 3rd ed., Canada Law Book, p. 35-47; voir Fortin, La preuve pénale, p. 138)


L'appelant soutient que cette règle devrait être mise de côté.  Il prétend s'appuyer notamment sur certains commentaires contenus dans les notes infra paginales de l'opinion du juge Blackmun, dans l'affaire Zolin (loc. cit., pp. 2026-2027).  Cet arrêt ne contient de toute façon aucune conclusion semblable.  Au contraire, il applique les règles traditionnelles suivant les modalités retenues par le droit américain.  Avec égards, l'on n'a pas établi de justification pour une modification de cette règle.  Tel que proposée par l'appelant, en exigeant une preuve hors de tout doute raisonnable de l'utilisation dans le cadre d'un crime, elle amènerait à abroger pratiquement l'exception établie par la jurisprudence au privilège de la communication.  Pour que la communication cesse d'être privilégiée, il faudrait une preuve indépendante, hors de tout doute raisonnable, démontrant qu'elle avait servi à la commission ou à la planification d'un crime.  Il faudrait, en somme, que le crime puisse être établi par d'autres sources, conformément aux standards généraux de la preuve pénale.  A ce moment-ci, si cette preuve était disponible, la levée du secret professionnel deviendrait inutile.  Si l'on ne pouvait établir la commission du crime et son lien avec la communication privilégiée hors de tout doute raisonnable, le secret professionnel ne pourrait être levé.  Dans l'un ou l'autre cas, en établissant une règle de preuve de cette nature, l'on assurerait la préservation du secret professionnel d'une communication intervenue, même dans le but de commettre un crime futur.  Cette interprétation avait déjà été écartée par le Conseil privé, dans l'arrêt Bullivant c. Attorney General of Victoria, où Lord Halisbury décrivait ainsi cet argument et ses conséquences:


«If you are to say "I will not say what these communications are because until you have actually proved me guilty of crime, they must be privileged as confidential", the result would be that they could never be produced at all, because until the whole thing is over, you cannot have proof of guilt.» (pp. 200-201)

La règle de common law, telle que dégagée à partir de l'arrêt Darbishire, représente un équilibre entre des intérêts sociaux et juridiques contradictoires.  Elle empêche le détournement du secret professionnel de sa finalité.  Elle évite que son contenu ne soit révélé sans une vérification attentive d'une preuve circonstancielle de l'intention capable d'établir, sur une balance des probabilités, son utilisation à des fins criminelles.  La modification d'une telle règle ne s'impose pas, même depuis l'entrée en vigueur de laCharte.  Les garanties juridiques de celle-ci ne paraissent pas exiger la confidentialité totale de communication professionnelle à fins criminelles.  Il faut plutôt examiner ici l'argumentation subsidiaire quant à l'existence d'une telle preuve dite prima facie de la participation de Shamirzadi à une conspiration avec avocat et son épouse, pour fabriquer de la preuve.

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