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mardi 27 février 2024

Le consentement à des rapports sexuels peut être conditionnel à l’utilisation d’un condom

R. c. Kirkpatrick, 2022 CSC 33 

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[2]                             Je conclus que lorsque le consentement à des rapports sexuels est conditionnel à l’utilisation d’un condom, le seul cadre d’analyse conforme au texte, au contexte et à l’objet de l’interdiction de l’agression sexuelle est qu’il n’y a pas de consentement à l’acte physique qui consiste à avoir des rapports sexuels sans condom. Les relations sexuelles avec ou sans condom sont des formes fondamentalement et qualitativement distinctes de contact physique. Une personne plaignante qui consent à une relation sexuelle à la condition que son partenaire porte un condom ne consent pas à une relation sexuelle sans condom. Cette approche respecte les dispositions du Code criminel, la jurisprudence constante de notre Cour sur le consentement et sur l’agression sexuelle, ainsi que l’intention du Parlement de protéger l’autonomie sexuelle et la dignité humaine de toutes les personnes au Canada. Puisque seul oui veut dire oui et que non veut dire non, « non, pas sans condom » ne peut vouloir dire « oui, sans condom ». Si le partenaire de la personne plaignante fait fi de sa condition, le rapport sexuel est non consensuel et l’autonomie sexuelle de la personne plaignante ainsi que sa capacité d’agir en toute égalité sur le plan sexuel ont été violées.

[42]                        Pour décider si l’accord de la plaignante à des rapports sexuels avec un condom signifie également qu’elle a donné son accord à des rapports sexuels sans condom, nous partons du principe de l’arrêt Hutchinson selon lequel « l’activité sexuelle » à laquelle la personne plaignante doit donner son accord est « l’acte sexuel physique spécifique » (par. 54 (italique omis)). L’accent doit donc être mis sur l’acte ou les actes sexuels spécifiques, définis par renvoi aux actes physiques en cause. Dans l’arrêt Hutchinson, notre Cour a également donné des exemples de différents actes physiques, comme « les baisers, les caresses, le sexe oral, les rapports sexuels ou l’utilisation d’accessoires sexuels » (par. 54). Les exemples donnés n’étaient que des illustrations et ils ne s’appliquent qu’en comparaison les uns avec les autres, en ce sens que les baisers ne constituent pas le même acte physique que les caresses, que les caresses ne sont pas la même chose que le sexe oral et que les rapports sexuels ne sont pas la même chose que l’utilisation d’accessoires sexuels. Il ne s’agit pas de catégories juridiques fermées ou d’application obligatoire d’activités sexuelles au sens large, sans égard aux allégations et aux éléments de preuve particuliers en cause.

[43]                        Compte tenu de l’accent que met l’arrêt Hutchinson sur « l’acte sexuel physique spécifique », l’utilisation du condom peut faire partie de l’activité sexuelle, puisqu’un rapport sexuel sans condom est un acte physique fondamentalement et qualitativement différent d’un rapport sexuel avec un condom. Il va sans dire que la différence physique est qu’un rapport sexuel sans condom implique un contact direct peau contre peau, tandis que le rapport sexuel avec un condom consiste en un contact indirect. De fait, certains hommes affirment que c’est cette différence, celle d’une expérience physique qui n’est pas la même, qui explique pourquoi ils préfèrent ne pas porter de condom (K. Czechowski et autres, « That’s not what was originally agreed to » : Perceptions, outcomes, and legal contextualization of non‑consensual condom removal in a Canadian sample, dans PLoS ONE, 14(7), 10 juillet 2019 (en ligne), p. 2).

[44]                        Le droit reconnaît que le consentement à la pénétration dans une partie du corps ne vaut pas consentement à la pénétration dans une autre partie, puisqu’il s’agit d’actes physiques distincts (Hutchinson, par. 54). De même, le consentement à une forme de contact peut dépendre de ce qui est utilisé pour toucher le corps, parce que le droit reconnaît qu’il y a une différence physique entre être touché par un doigt, un pénis, un accessoire sexuel ou un autre objet. Il est également clair, par exemple, que le droit voit des actes sexuels physiques spécifiques différents lorsqu’une personne qui a obtenu le consentement de toucher la poitrine d’une femme par‑dessus ses vêtements glisse la main sous ses vêtements pour toucher directement la peau de son sein nu. De la même façon, se faire toucher par un pénis couvert d’un condom n’est pas le même acte physique spécifique que se faire toucher par un pénis nu. Logiquement et juridiquement, un contact sexuel direct est un acte physique différent d’un contact indirect. De fait, vu l’importance de la distinction, la question de savoir si un condom est exigé est fondamentale à l’acte physique.

[45]                        Tous les principes d’interprétation législative commandent la conclusion selon laquelle un rapport sexuel avec un condom est une activité sexuelle différente d’un rapport sexuel sans condom. Il s’agit de la seule interprétation de l’expression « l’activité physique » qui considère l’art. 273.1 dans son ensemble et d’une manière qui s’harmonise avec la jurisprudence de notre Cour sur le consentement subjectif et affirmatif. En outre, elle répond à l’objectif du Parlement de donner effet aux finalités d’égalité et d’affirmation de la dignité qui sous‑tendent les interdictions d’agression sexuelle; elle est sensible au contexte et aux préjudices causés par le refus ou le retrait non consensuel du condom; et elle respecte le principe de la modération en droit criminel. Bien que la viciation par la fraude puisse survenir dans d’autres affaires, elle ne s’applique pas lorsque l’utilisation du condom est une condition du consentement.

a)               Il s’agit de la seule interprétation cohérente de l’art. 273.1 dans son ensemble

[46]                        Les principes d’interprétation législative exigent que le texte des dispositions soit lu dans son ensemble et de manière cohérente. On présume que les dispositions forment un cadre rationnel, intrinsèquement cohérent et qu’elles fonctionnent en harmonie comme les diverses parties d’un tout (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), §11.2; R. c. L.T.H.2008 CSC 49, [2008] 2 R.C.S. 739, par. 47). Il s’ensuit qu’en interprétant la définition du consentement énoncée par le Parlement à l’art. 273.1, les par. (1) et (2) doivent être lus ensemble d’une manière cohérente.

[47]                        En adoptant une définition du consentement, le Parlement a énuméré, au par. 273.1(2), des situations dans lesquelles il n’y a aucun consentement en rapport avec les infractions d’agression sexuelle. Les alinéas 273.1(2)d) et e) en particulier prévoient qu’il n’y a pas de consentement si la personne plaignante « manifeste, par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à l’activité » ou si, « après avoir consenti à l’activité, [elle] manifeste [. . .] l’absence d’accord à la poursuite de celle‑ci ». Pour que l’actus reus soit établi, il n’est pas nécessaire que la personne plaignante ait manifesté l’absence de consentement; toutefois, lorsqu’elle l’a manifestée, ce fait se rapporte directement à la question de savoir si elle a subjectivement consenti à l’activité sexuelle, et il peut également avoir une incidence sur la question de savoir, dans le cadre de l’analyse de la mens rea, si une croyance erronée au consentement pouvait être raisonnable (J.A., par. 23‑24, 41 et 45‑46).

[48]                        Ces alinéas mettent en évidence en quoi les paroles et les gestes de la personne plaignante se rapportent directement à la question de savoir s’il y a eu consentement ou non à l’activité sexuelle. D’après le témoignage de la plaignante en l’espèce, elle a manifesté, par ses paroles et son comportement, une absence d’accord à un rapport sexuel sans condom. L’alinéa 273.1(2)d) confirme expressément que le rejet manifeste d’une activité spécifique doit être respecté pour que le consentement ait un sens. L’utilisation d’un condom ne saurait être dépourvue de pertinence, secondaire ou accessoire, lorsque la personne plaignante a expressément rendu son consentement conditionnel à son utilisation. Comme l’a affirmé la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Ewanchuk, l’al. 273.1(2)d) « reconnaît que, lorsqu’une femme dit “non”, elle communique son absence de consentement, indépendamment de ce que l’accusé croyait qu’elle signifiait, et que cette manifestation de volonté a un effet juridique contraignant » (par. 101).

[49]                        En outre, reconnaître que l’utilisation du condom puisse faire partie de l’activité sexuelle est la seule façon de répondre à la nécessité que la personne plaignante ait donné son consentement affirmatif et subjectif à chaque acte sexuel, et ce, à chaque fois. En plus d’affirmer que tout individu a le droit de décider qui touche leur corps et de quelle manière, cela situe l’utilisation du condom au cœur de la définition du consentement, comme il se doit. Il s’agit de la seule interprétation cohérente avec les principes fondamentaux du consentement exprimés à l’art. 273.1 et dans la jurisprudence de longue date de notre Cour, y compris l’arrêt Hutchinson.

[50]                        Inclure l’utilisation du condom comme partie de l’activité sexuelle met à bon droit l’accent sur la question suivante qui est au cœur théorique de l’analyse de l’actus reus : y a‑t‑il eu consentement véritable au sens de l’art. 273.1? Depuis l’arrêt Ewanchuk, notre Cour a toujours insisté sur l’importance fondamentale du point de vue subjectif de la personne plaignante à l’étape de l’actus reus (J.A., par. 23 et 45‑46Barton, par. 87‑89G.F., par. 29 et 33). L’appréciation du consentement au sens de l’art. 273.1(1) est déterminée par rapport à l’état d’esprit subjectif dans lequel se trouvait en son for intérieur la personne plaignante à l’égard des attouchements, lorsqu’ils ont eu lieu (Ewanchuk, par. 26 et 61). Il s’agit d’une approche purement subjective où seul le point de vue individuel de la personne plaignante est déterminant : elle a consenti ou elle n’a pas consenti (Ewanchuk, par. 27 et 31J.A., par. 23Barton, par. 89). Le point de vue de la personne accusée n’est pas pertinent à cette étape (Barton, par. 87 et 89).

[51]                        Selon les principes fondamentaux du consentement, les raisons qu’a la personne plaignante de donner ou de refuser son consentement et d’insister sur l’utilisation d’un condom ne sont pas pertinentes : « Si la plaignante n’a pas consenti subjectivement à l’activité (pour quelque raison que ce soit), l’actus reus est alors établi » (G.F., par. 33 (je souligne)). Que chacun ait droit de refuser un contact sexuel quelles que soient ses raisons, est un principe fondamental du droit canadien en matière d’agression sexuelle (J.A., par. 43G.F., par. 33). Toutes les personnes « ont le droit inhérent d’exercer un contrôle complet sur leur corps, et de ne prendre part à des actes sexuels que si elles le désirent » (R. c. Park1995 CanLII 104 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 836, par. 38 et 42Ewanchuk, par. 75, la juge L’Heureux‑Dubé, motifs concordants). La capacité de chaque personne de fixer les limites et les conditions dans lesquelles elle accepte d’être touchée repose sur des notions aussi importantes que l’inviolabilité physique, l’autonomie sexuelle et la capacité d’agir sur le plan sexuel, la dignité humaine et l’égalité (Ewanchuk, par. 28G.F., par. 1). Comme l’a expliqué la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Mabior, « [d]e nos jours, la répression de l’agression sexuelle vise à protéger le droit de refuser un rapport sexuel : l’agression sexuelle est répréhensible en ce qu’elle nie la dignité de la victime en tant qu’être humain », omet de reconnaître chacun des partenaires sexuels comme « une personne autonome, égale et libre », et consiste en « l’exploitation illicite d’un être humain par un autre. Se livrer à des actes sexuels avec une autre personne sans son consentement c’est la traiter comme un objet et porter atteinte à sa dignité humaine » (par. 45 et 48). Voir aussi J. McInnes et C. Boyle, « Judging Sexual Assault Law Against a Standard of Equality » (1995), 29 U.B.C. L. Rev. 341, p. 353, note 30, et p. 357, note 38.

[52]                        On ne saurait faire abstraction du « non » de la personne plaignante à un rapport sexuel sans condom pour l’application tant du par. 273.1(1) que du par. 273.1(2), parce que, « [a]ujourd’hui, non veut dire non, et seul oui veut dire oui » (R. c. Goldfinch2019 CSC 38, [2019] 3 R.C.S. 3, par. 44). Par conséquent, lorsqu’une plaignante dit : « non, pas sans condom », notre droit en matière de consentement affirme haut et fort que cela veut réellement dire « non », et ne saurait être réinterprété pour devenir « oui, sans condom ».

[53]                        L’accord volontaire aux rapports sexuels avec un condom ne suppose pas un consentement aux rapports sexuels sans condom, puisque le consentement ne peut se déduire des circonstances ou de la relation qu’entretenaient la personne accusée et la personne plaignante (J.A., par. 47Ewanchuk, par. 31G.F., par. 32Barton, par. 98 et 105). Rien ne remplace le consentement véritable de la personne plaignante à l’activité sexuelle au moment où celle‑ci a lieu, qui suppose son « accord volontaire [. . .] à chacun des actes sexuels accomplis à une occasion précise » (J.A., par. 31). Une personne plaignante doit avoir donné son accord à l’acte sexuel spécifique, puisque « donner son accord à une forme de pénétration ne vaut pas consentement à toute forme de pénétration, et consentir à ce qu’une partie de son corps soit touchée ne vaut pas consentement à toute forme de contacts sexuels » (Hutchinson, par. 54; R. c. Olotu2017 CSC 11, [2017] 1 R.C.S. 168, conf. 2016 SKCA 84, 338 C.C.C. (3d) 321; R. c. Poirier2014 ABCA 59R. c. Flaviano2014 CSC 14, [2014] 1 R.C.S. 270, conf. 2013 ABCA 219, 309 C.C.C. (3d) 163).

Comment apprécier le caractère suspect ou non de l'absence d'enregistrement de l'interrogatoire policier

R. v. Marshall, 2005 CanLII 30051 (ON CA)

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[98] As noted in Oickle and Moore-McFarlane, the failure to record interrogations does not render them inherently suspect. Rather, a non-recorded interrogation becomes suspect when the following circumstances, which do not exist in this case, are all present: (1) the suspect is in custody; (2) recording facilities are readily available; and (3) the police deliberately interrogate the suspect without giving any thought to making a reliable record. The only custodial interrogation of the appellant took place after his arrest on September 29, 1997. It was completely recorded on videotape. In my view, the finding that the five impugned statements were voluntary was not tainted solely because they were not audio or videotaped, or because some of the attending officers did not testify on the voir dire.

Un individu détenu au poste de police ne perd pas automatiquement sa capacité d'exercer son choix d'aller en salle d'interrogatoire et de parler ou non au policier

R v Saretzky, 2020 ABCA 421

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[47]           That is a significant factor as he had obviously lost his liberty and his movements within the institution were strictly controlled. However, while his incarceration provides important context, it does not answer the relevant question, which is whether the appellant’s freedom to choose to meet and talk with the officer was lost or impaired. In the unique circumstances of this case, the appellant’s refusal to meet with the officer when invited to do so only two months before, and the repeated advice that he need not stay or talk but could return to his cell if and when he wished, overcame any suggestion that his being an inmate denied him the freedom of choice to leave the interview room and return to his cell: see R v Wood1992 ABCA 27 at paras 19-20;  R v Heppner2019 BCCA 108 at para 68.

L'opportunité exclusive impose à la poursuite de démontrer que seul l'accusé a pu commettre le crime, à l'exclusion de toute autre personne

Dion c. R., 2010 QCCA 941

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[51]           Si l'on accepte la thèse de la poursuite suivant laquelle la victime a été tuée chez elle et qu'elle a ensuite été placée dans le coffre arrière de son véhicule, lequel a été rangé dans la remorque de l'appelant (P-44), ce dernier a alors eu l'opportunité exclusive de tuer la victime puisqu'il était alors la seule personne en présence de la victime dans la soirée et dans la nuit précédant sa disparition. Partant, une directive à cet effet était nécessaire et il appartenait au jury de déterminer si l'opportunité était exclusive ou non.

[52]           Comme le rappelait le juge McIntyre dans l'arrêt Yebes, précité, à la page 188 :

On peut alors conclure que, lorsqu'il est démontré qu'un crime a été commis et que les éléments de preuve incriminants retenus contre l'accusé ont principalement trait à l'occasion, la culpabilité de l'accusé n'est pas la seule déduction rationnelle qui peut en être tirée à moins que l'accusé ait eu une occasion exclusive de toute autre possibilité de le commettre. Toutefois, dans une affaire où la preuve de l'occasion est accompagnée d'autres éléments de preuve incriminants, une occasion qui n'exclut pas tout à fait toute autre possibilité peut suffire. C'est l'opinion exprimée par le juge Lacourcière dans l'arrêt R. v. Monteleone (1982), 1982 CanLII 2162 (ON CA), 67 C.C.C. (2d) 489 (C.A. Ont.), à la p. 493, où il a dit:

[TRADUCTION]  Il n'est pas obligatoire que la poursuite démontre que      l'intimé a eu, dans une affaire où d'autres circonstances incriminantes sont démontrées, une occasion qui exclut toute autre possibilité.

[Je souligne.]

[53]           Dans cette affaire, la Cour suprême conclut que l'accusé a eu l'opportunité exclusive de tuer ses deux fils adoptifs :

[…] Il y avait des éléments de preuve qui permettaient au jury de conclure raisonnablement que l'appelant Yebes avait un mobile pour tuer les garçons et qu'il a eu l'occasion de le faire. S'il n'y avait eu aucun autre élément de preuve à l'appui des arguments du ministère public, il n'y aurait aucun doute que l'appelant aurait le droit d'être acquitté, car la seule preuve d'un mobile ne serait pas suffisante pour fonder une déclaration de culpabilité et ajouter l'occasion au mobile, en l'absence de tout autre élément de preuve, ne donnera pas plus de poids aux arguments s'il n'y a pas preuve d'une occasion exclusive de toute autre possibilité. C'est ce qu'a conclu le juge McLennan dans l'arrêt R. v. Ferianz (1962), 1962 CanLII 884 (ON CA)37 C.R. 37 (C.A. Ont.). (p. 186)

[Je souligne.]

[54]           Ce principe voulant que l'opportunité exclusive puisse permettre de conclure à la culpabilité sans qu'il soit nécessaire de présenter d'autres éléments de preuve avait déjà été énoncé par la Cour suprême dans l'arrêt Imrich c. R.1977 CanLII 27 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 622, à la page 628.

[55]           En l'espèce, il y avait au dossier de la preuve suivant laquelle le jury pouvait conclure à l'opportunité exclusive.

[56]           Il est utile de rappeler que l'opportunité exclusive impose à la poursuite de démontrer que seul l'accusé a pu commettre le crime, à l'exclusion de toute autre personne.

[57]           L'auteur E.G. Ewaschuk dans son manuel Criminal Pleadings & Practice in Canada, 2e éd., vol. 2, Aurora, Canada Law Book, p. 16-472 résume ainsi l'état du droit sur cette question :

Where there is no other evidence against the accused, the Crown must prove that the accused had the "exclusive opportunity" to have committed the crime charged. […] Where there is "other evidence", e.g. , motive, the Crown need not prove that the accused had opportunity to the exclusion of all others to have committed the crime charged, […] though proof of "non-exclusive opportunity and motive" without more may result in an unreasonable guilty verdict.

[Références omises.]



lundi 26 février 2024

Revue du cadre juridique relativement aux actions policières suivant un appel du 911

Poirier c. R., 2019 QCCA 131

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[18]      L’idée que les policiers ont le devoir de protéger la vie et la sécurité n’est pas controversée : voir notamment R. c. McDonald2014 CSC 3 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 37, par. 35. Même en l’absence d'un pouvoir législatif spécifique, les tribunaux ont reconnu que les policiers peuvent entrer sans mandat dans une maison d’habitation dans des situations urgentes où la sécurité d'une personne est en jeu : R. c. Lacasse2017 QCCA 808, par. 45.

[19]      La conduite des policiers doit ensuite traduire un exercice nécessaire à l’accomplissement de ce devoir et particulièrement, il faut évaluer l’importance du devoir pour l’intérêt public, la nécessité de l’atteinte à la liberté individuelle pour l’accomplissement de ce devoir et l’ampleur de cette atteinte : R. c. McDonald2014 CSC 3 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 37, par. 36.

[20]      L’arrêt Godoy en est l’illustration, dans un cas d’appel 9‑1‑1 soudainement interrompu. Évoquant l'importance du devoir qu'ont les policiers de protéger la vie, la Cour suprême a justifié l’entrée par la force dans la maison d’où avait été composé l’appel 9‑1‑1.

[21]      Dans cet arrêt, le juge en chef Lamer, pour la Cour, écrivait que l’intervention motivée par la sécurité des personnes permettait légitimement, mais dans la mesure de ce qui est strictement nécessaire, la violation du droit à la vie privée :

… L’intérêt que présente pour le public le maintien d’un système d’intervention d’urgence efficace est évident et est suffisamment important pour que puisse être commise une atteinte au droit à la vie privée de l’occupant.  Cependant, j’insiste sur le fait que l’atteinte doit se limiter à la protection de la vie et de la sécurité.  Les agents de police ont le pouvoir d’enquêter sur les appels au 911 et notamment d’en trouver l’auteur pour déterminer les raisons de l’appel et apporter l’aide nécessaire.  L’autorisation donnée aux agents de police de se trouver dans une propriété privée pour répondre à un appel au 911 s’arrête là.  Ils ne sont pas autorisés en plus à fouiller les lieux ni à s’immiscer autrement dans la vie privée ou la propriété de l’occupant.

R. c. Godoy1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311, par. 22.

[22]      Il est de première importance de souligner que, dans la présente affaire, l’intervention policière n’est pas motivée par une enquête criminelle, une arrestation ou l’idée de préserver des éléments de preuve. Dans ces cas, un mandat est l’outil habituel nécessaire, sous réserve d’exceptions. Lorsque l’objectif est la sécurité des personnes, des soupçons raisonnables peuvent être suffisants, et la preuve doit démontrer une assise objective à la croyance subjective du policier voulant que la sécurité des personnes ou du public soit en jeu. Cette double exigence n’est pas nouvelle.

[23]      S’agissant d’une résidence, il s’agit d’un lieu qui implique une attente considérable en matière de vie privée : R. c. McDonald2014 CSC 3 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 37, par. 26.

[24]      Le fait que l’appel 9‑1‑1 ne provienne pas de la résidence est un élément contextuel qui n’est pas déterminant : R. c. Timmons2011 NSCA 39.par. 27.

[25]      Clairement, les policiers n’ont pas à se satisfaire de la réponse reçue à la porte à leur arrivée : R. c. Godoy1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311, par. 20R. c. Timmons2011 NSCA 39, par. 37.

[26]      Toutefois, avant d’entreprendre une action contraire aux droits protégés par la Charte, et plus particulièrement l’entrée sans autorisation et la fouille d’une maison, les policiers doivent envisager des méthodes alternatives pour accomplir leur devoir de protéger la sécurité d’une personne visée par un appel 9‑1‑1 : R. c. Timmons2011 NSCA 39, par. 47R. c. Jones2013 BCCA 345, par. 37.

[27]      Cela dit, dans le doute, on s’attend que les policiers pèchent du côté de la sécurité : R. c. Jones2013 BCCA 345, par. 27R. c. Serban2018 BCCA 382, par. 30.

[28]      Le délai pour intervenir est également un élément contextuel pertinent, sans être déterminant. Dans un autre contexte, une enquête sur un crime, la Cour a également rejeté l’idée qu’un délai puisse en soi faire échec à l’exercice légitime d’un devoir : R. c. Grégoire2012 QCCA 846, par. 34; voir aussi R. c. Golub (1997), 1997 CanLII 6316 (ON CA), 117 CCC (3d) 193 (C.A.O.).

[29]      Plus récemment, l’arrêt Serban mettait en cause un appel 9‑1‑1 anonyme. Un individu avait placé l’appel d’une cabine téléphonique, dénonçant le fait qu’une personne âgée avait communiqué avec lui, que cette dernière se trouvait à une adresse et craignait pour sa sécurité en raison de bruits laissant croire à une introduction par effraction au sous-sol. Quatre policiers, dont un maître-chien, se sont rendus sur les lieux. En route, ils sont informés que l’adresse cache possiblement une production de cannabis. Cette information élève leurs craintes relativement à la sécurité des occupants. Sur les lieux, les policiers ont rapidement reconnu les indicateurs usuels d’une plantation de cannabis, mais il était évident que l’appel 9‑1‑1 était « faux ». Incapable d’écarter la question de sécurité de l’occupant, ils sont entrés et ont fouillé sommairement la résidence pour finalement placer l’appelant en état d’arrestation. La Cour a jugé l’entrée justifiée dans les circonstances et autrement, elle n’aurait pas exclu la preuve : R. c. Serban, 2018 BCCA 382.

[30]      Au terme de l’analyse, comme le rappelait le juge en chef Lamer dans l’arrêt Godoy, « [c]haque affaire est un cas d'espèce et doit être évaluée en fonction de toutes les circonstances qui entourent l'événement » : R. c. Godoy1999 CanLII 709 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 311, par. 22. Bref, la légalité d’une entrée sans mandat pour une question de sécurité dépend des faits de chaque affaire et demeure une détermination factuelle.

*

[31]      À n’en pas douter, le devoir qui incombe aux policiers de protéger la vie ne leur donne pas carte blanche pour entrer dans une maison d’habitation. L’appelant ne conteste pas ce devoir de protéger la vie. Il plaide essentiellement qu’à partir du moment où il est clair que personne ne se trouve dans la maison, les policiers ne peuvent plus prétendre exercer ce devoir d’assistance pour entrer. Sur ce point, l’appelant pourrait bien avoir raison, sauf que ce n’est pas ce que la preuve révèle. Celle-ci permettait au juge de retenir que les inquiétudes de Mme Lemire-Beaton étaient sérieuses, au point où les policiers ont cru nécessaire de la rappeler le lendemain pour la rassurer. Les policiers n’ont jamais nié qu’ils soupçonnaient la présence d’une production de cannabis à l’intérieur; cela a plutôt contribué à leurs propres inquiétudes devant le silence de l’occupant.

La preuve circonstancielle peut établir hors de tout doute raisonnable l'identité du conducteur d'un véhicule

Bakalis c. R., 2021 QCCS 3990 

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[7]           Une agente de police témoigne qu’elle est en patrouille avec une collègue lors du quart de nuit du 7 juillet 2019. À 4 h 01, les policières reçoivent un appel au sujet d’un accident de la route survenu sur l’autoroute 15 Nord, aux alentours du boulevard Cartier, à Laval. Les policières se rendent sur les lieux de l’accident en urgence. Elles y arrivent à 4 h 16. Elles constatent alors qu’un véhicule endommagé est immobilisé dans l’accotement de gauche, au niveau d’un terre-plein central, et qu’un homme seul, qui s’avère être M. Bakalis, se tient à proximité.

[8]           Une policière s’adresse à M. Bakalis pour s’enquérir de sa condition et des circonstances de l’accident (les déclarations faites par M. Bakalis à ce moment sont jugées inadmissibles à la suite d’un voir-dire). M. Bakalis est poli et coopératif. Il semble un peu ébranlé, bien qu’il ne soit pas blessé. Il dégage une légère odeur d’alcool et ses yeux sont rouges.

[9]           Par ailleurs, selon les policières, l’accident est vraisemblablement contemporain à l’appel reçu, car, bien souvent, ce genre d’appel est logé par des automobilistes qui signalent immédiatement ce qu’ils voient. Aussi, les policières notent que la circulation est « presque nulle » à ce moment.

[19]        En matière de preuve circonstancielle, l’arrêt R. c. Villaroman2016 CSC 33 de la Cour suprême du Canada enseigne que l’analyse consiste à examiner les inférences raisonnables pouvant être tirées de la preuve circonstancielle pour déterminer si ces inférences établissent la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. L’examen doit être fondé sur la logique et le bon sens. Ainsi, il importe de se mettre en garde contre le risque de combler les vides ou de sauter trop rapidement aux conclusions. De même, il faut se demander si la preuve circonstancielle supporte d’autres thèses ou possibilités raisonnables que la culpabilité, car un doute raisonnable peut émaner d’une inférence raisonnable incompatible avec la culpabilité. Cependant, une telle inférence disculpatoire doit être raisonnable, c’est-à-dire logiquement fondée sur la preuve ou sur une lacune dans la preuve. Les conjectures et hypothèses imaginaires ne peuvent pas susciter un doute raisonnable (voir aussi R. c. Mayuran2012 CSC 31, para. 38R. c. Griffin2009 CSC 28, para. 33R. c. Cooper1977 CanLII 11 (CSC)[1978] 1 RCS 860, p. 881; Sheikh c. R., 2020 QCCA 1266, para. 37, motifs dissidents approuvés à 2021 CSC 13; McClelland c. R., 2020 QCCA 324, para. 64-68Proulx c. R., 2016 QCCA 1425, para. 78-80R. c. Robinson2017 BCCA 6, para. 20-30).

[20]        M. Bakalis plaide que la preuve circonstancielle présentée au procès était insuffisante. Il soutient que le fait que la preuve n’a pas révélé qu’il était en possession des clés du véhicule au moment de son interpellation. Aussi, il reproche au juge d’avoir fait montre d’incohérence en affirmant, d’une part, que le conducteur ne pouvait être personne d’autre que M. Bakalis considérant la faible densité de la circulation à cette heure matinale et, d’autre part, qu’il n’a pas pu s’écouler une longue période avant que l’accident soit signalé par un automobiliste passant par là. Par ailleurs, il est acquis que l’appel à la police constituait du ouï-dire et ne prouvait ni l’accident ni le moment de celle-ci.

[21]        Il demeure que la situation de M. Bakalis, telle que décrite par la policière ayant témoigné, permettait amplement au juge du procès d’inférer hors de tout doute raisonnable que M. Bakalis était le conducteur du véhicule. Ensuite, cette preuve, bien qu’elle n’établissait pas l’heure précise de l’accident, permettait au juge d’inférer hors de tout doute raisonnable que cet accident était récent. La preuve du délai de deux heures pouvait être faite sans prouver exactement le moment de la cessation de la conduite. Au passage, mentionnons que le para. 320.31 (4) du Code criminel prévoit que l’alcoolémie dans ce délai peut être déterminée au moyen d’un rétrocalcul. Rappelons que M. Bakalis a été trouvé au petit matin, au milieu d’une autoroute, à Laval, à côté d’un véhicule accidenté enregistré à son adresse de résidence. Tout scénario disculpatoire relève de la spéculation ou de l’hypothèse imaginaire.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...