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lundi 1 juillet 2024

Comment utiliser la déclaration antérieure contradictoire d'un témoin lors de son contre-interrogatoire

Zakzuk Gaviria c. R., 2023 QCCA 317

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[64]      Il est certain que, s’agissant d’évaluer la crédibilité d’un témoin, un juge de première instance jouit d’une grande latitude – la proposition est banale et tient du lieu commun. La Cour d’appel a d’ailleurs insisté à maintes reprises sur ce point et elle est respectueuse de la faculté de discernement qu’exercent les juges en assumant la lourde tâche de présider des procès. Ainsi, dans Martel-Poliquin c. R., un arrêt unanime, la Cour écrivait[11] :

[30]      Un fait dans une instance contestée, qu’elle soit de nature civile ou criminelle, ce n’est pas un objet tangible exhibé de tous les côtés en trois dimensions dans une vitrine. Le juge est très souvent confronté à des versions et des récits différents, d’ailleurs souvent inconciliables, d’un ou de plusieurs faits, qu’il ne s’agit plus d’observer à l’œil nu mais de reconstituer par l’entremise de moyens de preuve recevables; aussi le juge doit-il exercer son discernement, peser le pour et le contre dans la preuve dont il est saisi, et trancher.

Néanmoins, on ne peut pour cette seule raison avaliser de sérieuses irrégularités sous‑jacentes dans l’évaluation de la preuve.

[67]      Il est plutôt question ici des moyens utilisés pour attaquer la crédibilité de Mme Cuervo, dont il n’est pas exagéré de dire qu’elle fut le principal témoin cité en défense au procès. Sur un aspect de ces moyens, la preuve de déclarations antérieures incompatibles, l’arrêt M.D. est très révélateur. Le juge Cournoyer, auteur des motifs unanimes de la Cour, y cite longuement l’arrêt R. c. P. (G.)[15] de la Cour d’appel de l’Ontario, où le juge Rosenberg avait tenu des propos fort éclairants sur les étapes à suivre pour se conformer aux articles 10 et 11 de la Loi sur la preuve au Canada. Le juge Rosenberg concluait notamment que, en dépit d’une certaine controverse jurisprudentielle sur la question, ces deux dispositions ne sont pas mutuellement exclusives. Elles doivent être lues et comprises de concert, entre autres raisons parce que « the possibility that the impeaching witness may have misunderstood, or only heard part of the conversation, or simply forgot crucial aspects is even greater for oral statements[16] ». Les mots « the impeaching witness » visent le témoin qui vient faire état d’une déclaration antérieure incompatible effectuée par le témoin dont on attaque la crédibilité.

[68]      Toujours dans l’arrêt M.D., le juge Cournoyer fait le lien entre le propos du juge Rosenberg et l’arrêt Mandeville c. R.[17], où la Cour d’appel du Québec avait formulé cinq conditions préalables à la preuve d’une déclaration contradictoire d’un témoin. Ainsi faut‑il[18] :

1.   qu’un témoin soit contre-interrogé au sujet d’une déclaration antérieure faite par lui relativement au sujet de la cause;

2.   que cette déclaration soit incompatible avec sa présente déposition;

3.   que le témoin n’admette pas clairement qu’il a fait cette déclaration;

4.   que les circonstances dans lesquelles a été faite la prétendue déclaration soient exposées au témoin de manière à spécifier cette déclaration, et;

5.   qu’on ait demandé au témoin s’il a fait ou non cette déclaration.

Une fois ces cinq conditions remplies, « il est permis de prouver[19] » que le témoin a réellement fait cette déclaration.

[69]      En l’espèce, il ne fait guère de doute que les conditions en question furent satisfaites au cours du contre-interrogatoire de Mme Cuervo. En effet, elle a soit nié avoir tenu les propos qu’on lui attribuait, soit déclaré (ou prétexté) qu’elle ne s’en souvenait pas (ce qui est assimilable à la notion de contradiction[20]), soit affirmé que la policière avait fait erreur en prenant ses notes, soit nuancé le contenu du propos au point d’en atténuer voire d’en neutraliser l’incompatibilité. On se trouvait donc dans une situation cette fois semblable à celle de l’arrêt M.D., lorsque la partie qui contre-interroge « aurait pu prouver les extraits pertinents[21] » de la déclaration antérieure. Mais encore faut-il en administrer une preuve recevable.

[70]      Ici, on sait que, par l’effet de l’arrêt Stinchcombe[22], l’avocate de l’appelant était en possession des notes prises par la policière et qu’elle les a communiquées à Mme Cuervo avant l’audience. On voit même de la transcription du procès que l’avocate de l’appelant les a en main au cours de l’audience puisqu’elle demande à l’avocate de la poursuite de lui préciser à quelle page elle se trouve lorsque celle-ci décrit au témoin les déclarations antérieures incompatibles. Mais tout cela ne change rien à l’affaire. Ce que l’avocate de la poursuite a en main lorsqu’elle pose ces questions est un document contenant du ouï‑dire. Pour tabler sur la déclaration, apprécier la nature de la contradiction qu’on allègue contre le témoin, et en tirer des inférences sur sa crédibilité, il aurait fallu ici que la policière qui recueillit les paroles de Mme Cuervo et qui les consigna par écrit témoigne de ce fait au procès.

[71]      L’intimé dans son mémoire soutient que faire la preuve de la déclaration antérieure n’était pas nécessaire. « Il s’agit d’une étape facultative », écrit-il. Ce peut parfois être le cas, tout dépend du contexte, mais ici la seule preuve des déclarations antérieures dont disposait la juge en était une qui en niait la pertinence – puisque, selon le témoin, rien dans ce qu’elle avait dit aux policières ne permettait d’accréditer la thèse de la poursuite.

[72]      Cela est d’autant plus problématique qu’aux paragraphes 124 à 129 des motifs cités ci-dessus au paragraphe [62], la juge corrobore, en quelque sorte, son évaluation de la crédibilité du témoin en invoquant des faits (il ne s’agit plus de déclarations contradictoires mais de faits distincts) qui ne sont nulle part en preuve. Il tombe sous le sens, en effet, que ce qu’affirme l’avocate de la poursuite dans les questions qu’elle pose en contre-interrogeant le témoin ne fait aucunement preuve de l’existence des faits qu’elle décrit. Il aurait fallu beaucoup plus que cela pour conclure que la crédibilité du témoin avait été anéantie en contre-interrogatoire. Il est tout à fait possible, et cela pourrait vraisemblablement demeurer le cas, qu’une preuve administrée au procès des conditions de confection des notes d’enquête par la policière elle-même, ou de faits autres que des faits accessoires au sens de l’arrêt R. c. R. (D.)[23], aurait amplement étayé la conclusion de la juge sur la crédibilité de Mme Cuervo, mais de telles preuves sont absentes du dossier. Et en leur absence, la présomption d’innocence commande un correctif.

[73]      En l’occurrence, une poutre maîtresse de la défense offerte au procès était l’impossibilité pour l’appelant de se trouver le seul adulte dans la garderie pendant un laps de temps suffisamment long pour commettre les infractions qui lui étaient reprochées. Le témoignage de sa conjointe visait à établir cette impossibilité ou, à tout le moins, à soulever un doute raisonnable sur la culpabilité de l’appelant pour cette raison. En écartant ce témoignage à partir d’éléments d’information qui n’avaient pas fait l’objet d’une preuve valide, la juge faussait sensiblement la perspective dans laquelle il lui revenait de statuer sur la crédibilité de ce témoin. Cela compromet le verdict qu’elle a rendu (voir les arrêts R. c. Lohrer[24] et R. v. Morrissey[25]) et dans les circonstances il serait hasardeux de le confirmer. Il en est ainsi, pour reprendre les termes du juge Doherty dans l’arrêt Morrissey, « même si la preuve réellement produite au procès était susceptible d’étayer une déclaration de culpabilité[26] ».

vendredi 28 juin 2024

Comment apprécier le test de l'arrêt W.D. quant à l'infraction de conduite dangereuse

R. v. Ibrahim, 2019 ONCA 631 

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[63] This approach may be adapted to the context of dangerous driving. One suggested approach would include the following two elements:

(1)   If you accept the accused's evidence and, on the basis of it, you have a reasonable doubt about whether the Crown has satisfied any one of the offence elements required to prove dangerous driving, as I have explained those elements to you, you will find the accused not guilty.

(2)   Even if you do not accept the accused's evidence, if, after considering it alone or in conjunction with the other evidence, you have a reasonable doubt whether the Crown has satisfied any one of the elements required to prove dangerous driving, as I have explained those elements to you, you will find the accused not guilty.

lundi 24 juin 2024

Comment apprécier l'aveuglement volontaire en lien avec la portée d'un permis de produire du cannabis à des fins médicales personnelles

R v Stewart, 2020 ABCA 252

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[52]           A mistaken belief that one is transporting marijuana rather than cocaine, though irrelevant to conviction, can be highly relevant to the sentence imposed: R v H(CN)2002 CanLII 7751 at para 46 (Ont CA) [H(CN)]. That is because “[t]here is a considerable difference in the moral blameworthiness of a person who believes he is importing marihuana... and one who knows he is importing cocaine”: ibid at para 47. The same may be said of possession for purposes of trafficking. 

[53]           The lack of actual knowledge is often found to be irrelevant in sentencing because it is not mitigating where the offender is nevertheless wilfully blind to the nature of the substance: R v Sidhu2009 ONCA 81 at paras 17, 19 [Sidhu]; Mohamed c R2017 QCCA 1643 at paras 14-17. However, there will be rare instances where the offender is not wilfully blind, having held an honest belief as to the substance possessed but duped into transporting a more harmful one. In those cases, a mistaken belief or lack of knowledge has been said to be a significant mitigating or extenuating factor in sentencing: H(CN) at paras 46-51R v Hamilton2004 CanLII 5549 at para 111 (Ont CA); Sidhu at para 18R v Norman2018 ONSC 2872 at para 44(3); R v Mesfin2020 ONCJ 93 at paras 6, 13(3).

[54]           Given the apparent significance of wilful blindness to the question of whether an offender’s mistaken belief is mitigating in sentencing, we think it important to address the Crown’s argument that the trial judge in this case erred with respect to wilful blindness. Our intention is not to wade into the sentencing process – it is simply to settle an issue raised on this appeal which may prove relevant and otherwise contentious in the extant sentence proceedings.   

[55]           An accused will be found wilfully blind – and thereby imputed with knowledge – where their suspicion is aroused to the point of seeing the need for further inquiries but deliberately choosing not to make those inquiries: R v Briscoe2010 SCC 13 at para 21, [2010] 1 SCR 411 [Briscoe]. In this case, the trial judge concluded that Ms Stewart was not wilfully blind to the presence of the cocaine even though she made no inquiries into the content of the feedbags. In our view, there is no reviewable error in such a finding.  

[56]           The mere failure to make inquiries is not itself sufficient to find wilful blindness: Briscoe at para 24R v Brown2018 ONCA 481 at para 56; Kent Roach, Criminal Law, 7th ed (Toronto: Irwin Law, 2018) at 214-215 [Roach]. Moreover, as the trial judge recognized, the question of whether an accused felt the need to make inquiries is a subjective one. The issue is not whether the accused should have been suspicious but whether she in fact was suspicious: R v Laronde2010 BCCA 430 at paras 31-32R v Smith2008 ONCA 101 at para 5R v Pilgrim2017 ONCA 309 at para 66R v Malfara2006 CanLII 17318 at para 2 (Ont CA); McClelland c R2020 QCCA 324 at paras 89-90; Roach at 213; MacFarlane at 4:80.100.60.40.  

Le cadre analytique de l'arrêt Jordan synthétisé par la Cour d'appel de l'Ontario

R. v. Coulter, 2016 ONCA 704 

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[34]      Calculate the total delay, which is the period from the charge to the actual or anticipated end of trial (Jordan, at para. 47). 

[35]      Subtract defence delay from the total delay, which results in the “Net Delay” (Jordan, at para. 66). 

[36]      Compare the Net Delay to the presumptive ceiling (Jordan, at para. 66).

[37]      If the Net Delay exceeds the presumptive ceiling, it is presumptively unreasonable.  To rebut the presumption, the Crown must establish the presence of exceptional circumstances (Jordan, para. 47).  If it cannot rebut the presumption, a stay will follow (Jordan, para. 47).  In general, exceptional circumstances fall under two categories: discrete events and particularly complex cases (Jordan, para. 71). 

[38]      Subtract delay caused by discrete events from the Net Delay (leaving the “Remaining Delay”) for the purpose of determining whether the presumptive ceiling has been reached (Jordan, para. 75).

[39]      If the Remaining Delay exceeds the presumptive ceiling, the court must consider whether the case was particularly complex such that the time the case has taken is justified and the delay is reasonable (Jordan, at para. 80).

[40]      If the Remaining Delay falls below the presumptive ceiling, the onus is on the defence to show that the delay is unreasonable (Jordan, para. 48).

[41]      The new framework, including the presumptive ceiling, applies to cases already in the system when Jordan was released (the “Transitional Cases”) (Jordan, para. 96).

Tout ce qui a trait à la portée d'un permis constitue une erreur de droit et non une erreur de fait

R. v. Vu, 2018 ONCA 436

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[67]      However, a person such as Mr. Johnson’s friend would be in a different position if he was mistaken as to the location where he was authorized to produce marijuana. Applying Nur and MacDonald, a mistake of fact defence would not be available to Mr. Johnson’s friend, the actual licensee, even if he was honestly mistaken as to the terms or status of his license and, as a result of the mistake, produced at an unauthorized location. Both Nur and MacDonald make it clear that a mistake as to the terms of one’s license is a mistake of law, not a mistake of fact.

L'erreur quant à la portée d'un permis de production de cannabis à des fins médicales relève de l'erreur de droit et non pas de l'erreur de fait

R. v. Fan, 2021 ONCA 674

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Existence of a Licence vs. Terms of a Licence

[60]      Finally, the appellants rely on the previous decisions of this court in DarqueaR. v. Johnson2016 ONCA 654, and R. v. Pilgrim2017 ONCA 309, 347 C.C.C. (3d) 141. All three cases involved mistakes about the existence of licences or authorizations, not about their scope or application.

[61]      In Darquea, the accused mistakenly believed that the head of the laboratory where he worked was licenced to produce the drug in question. In Johnson, the accused mistakenly believed that a PPL existed for a property when none existed; in Pilgrim, the accused laboured under the mistaken belief that her spouse had a drug prescription under the Narcotic Control Regulations, C.R.C., c. 1041, when no such prescription existed. All three scenarios amounted to mistakes of fact.

[62]      By contrast, in this case, the appellants were mistaken as to the reach of the licences they knew existed and, as such, were mistaken as to the applicable law. As this court aptly put it in Vu, at para. 67 (discussing Johnson), “a mistake as to the terms of one’s license is a mistake of law, not a mistake of fact.”

jeudi 20 juin 2024

La preuve présentée lors d’un voir-dire ne peut être utilisée au procès sans le consentement de l’accusé

Beaudoin c. R., 2015 QCCA 1499

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[8]           L’appelant soutient également que le juge de première instance a commis une erreur en permettant à l’intimée, malgré son objection, de verser la preuve faite lors du voir-dire. Il a raison. Déjà, en 1979, la Cour suprême établissait le principe que la preuve présentée lors d’un voir-dire ne peut être utilisée au procès sans le consentement de l’accusé[7] :

Il est évident que le voir dire et le procès lui-même jouent des rôles différents. Le voir dire sert à déterminer l’admissibilité d’un élément de preuve. Le procès vise à trancher l’affaire au fond en fonction de la preuve recevable. Le voir dire a lieu en l’absence du jury qui doit toujours en ignorer l’objet. L’accusé peut témoigner au voir dire et garder le silence pendant le procès lui-même. La preuve présentée au voir dire ne peut être utilisée au procès lui-même. Le caractère fondamental de cette séparation fonctionnelle a été récemment réaffirmé par cette Cour dans l’arrêt La Reine c. Gauthier.

[9]           Qui plus est, la preuve présentée en l’espèce lors du voir-dire comprenait les notes sténographiques de l’enquête préliminaire lors de laquelle le juge a limité le droit au contre-interrogatoire de l’appelant comme il est d’usage de le faire, l’enquête préliminaire ne visant qu’à contrôler le sérieux de l’accusation[8].

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

L'actus reus et la mens rea de l’infraction de possession en vue de trafic & l'appréciation des motifs raisonnables provenant de renseignements reçus d’informateurs

R. c. Rock, 2021 QCCA 878 Lien vers la décision [ 19 ]        L’infraction de trafic est large et vise non seulement la vente, mais aussi le...