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dimanche 7 juillet 2024

État du droit quant à l'évaluation de la crédibilité

R. c. Kacher, 2024 QCCQ 131

Lien vers la décision


[113]     Tel que mentionné plus haut, la question centrale en l’espèce est celle de la crédibilité. Comme d'habitude, ce n'est pas une tâche facile. D’ailleurs, il s’agit de la tâche la plus ardue du juge des faits dans un procès criminel.  

[114]       Lorsqu’un tribunal évalue la déposition d'un témoin, le juge doit tenir compte de la fiabilité et de la crédibilité du témoin. Il y a lieu de noter toutefois que les notions de fiabilité et de crédibilité diffèrent. Alors que la crédibilité traite de la sincérité du témoin et de sa volonté de dire la vérité, la fiabilité examine l’exactitude de son témoignage.  Comme l’explique notre Cour d’appel dans Gauthier c. R.[32], il ne s’agit pas seulement de savoir si le témoin croit sincèrement que son témoignage est véridique; il est plus important encore de déterminer si son récit des faits est fiable.

 [94]        L’appelant, à juste titre, souligne l’importance de la distinction entre les notions de crédibilité et de fiabilité. Si la première réfère aux caractéristiques personnelles du témoin, à sa sincérité ou à son intégrité et qu’elle peut se dégager non seulement du contenu de ses réponses, mais également de son comportement, la fiabilité réfère à la valeur du récit, à sa justesse dans la représentation des événements.

[95]        Si l’absence de crédibilité d’un témoin peut rompre la confiance du décideur en amont, c’est bien de la fiabilité du témoignage dont on doit le plus se soucier au final. Comme le rappelait mon collègue François Doyon dans un article devenu une référence sur le sujet, la « […] crédibilité n’est donc que l’un des éléments à considérer. La fiabilité du témoignage est certainement plus importante et plus sûre que la crédibilité du témoin »https://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2020/2020qcca714/2020qcca714.html - _ftn79. Rappelons également les propos du juge Finlayson de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. Norman.

[Soulignement ajouté; références omises]

[115]     Une considération importante dans la détermination de la crédibilité est le degré de cohérence du témoignage d'un témoin en lui-même et avec d'autres preuves que le juge des faits accepte. En d'autres termes, il s'agit de savoir si la preuve est contredite par d'autres preuves incontestées ou avérées. S'il y a contradiction, le juge des faits doit alors déterminer la gravité de la contradiction, c'est-à-dire s'il s'agit d'une question mineure ou périphérique ou s'il s'agit d'une incohérence matérielle qui touche à un élément essentiel de la preuve du ministère public. Toutefois, si le récit d'un témoin contient de nombreuses incohérences sur des questions périphériques, cela pourrait miner la fiabilité globale de son témoignage. Cela atteste également d’une insouciance à l’égard de la vérité.

[116]      En l'espèce le témoignage de la plaignante n'est pas exempt d'incohérences ou de contradictions. Nous allons les commenter ci-après. Cela étant, il n’est pas rare qu’un témoin éprouve des difficultés à se souvenir de détails datant de plusieurs années. L'expérience quotidienne, renforcée par l'expérience de la grande variété de témoins qui comparaissent devant nos tribunaux, suggère évidemment que peu de personnes sont réellement capables de se souvenir de tous les aspects d'un événement avec une exactitude parfaite[33].

[117]     D’ailleurs, le témoignage d’un témoin n’a pas besoin d’être parfait pour être accepté.  De plus, l'appréciation de la déposition d'un témoin n'est pas une proposition de tout ou rien.  Un juge a le droit d'accepter une partie, la totalité ou aucune des dépositions d'un témoin[34]. Par conséquent, malgré certaines contradictions dans la preuve, le tribunal peut toujours déclarer l’accusé coupable sur la foi du témoignage de la plaignante qu’il accepte.

[118]     La bonne façon d'aborder le fardeau de la preuve consiste à examiner l'ensemble de la preuve et non à évaluer individuellement les éléments de preuve[35]. Cela est particulièrement vrai lorsque la preuve du ministère public repose uniquement sur les témoignages non étayés de la plaignante et que la principale question en litige est celle de sa crédibilité et de sa fiabilité[36].

[119]     De même, la preuve de l'accusé ne doit pas être évaluée isolément. Le témoignage de l'accusé doit être évalué dans le contexte de l'ensemble de la preuve y compris celle fournie par la plaignante dans la présente affaire. Comme l’explique la Cour d'appel de l’Ontario dans R. v. Hoohing, 2007 ONCA 577 :

[15] […] A jury does not consider an accused's version of events in isolation as if the Crown had led no evidence. When the jury is applying the first two prongs of the three-pronged test in W.(D.), they are deciding whether they accept the accused's version of events or whether it leaves them with a reasonable doubt. Clearly they can only do that by assessing the accused's evidence and the other evidence that favours the accused in the context of all the evidence. See R. v. Hull, 2006 CanLII 26572 (ON CA), [2006] O.J. No. 3177 (Ont. C.A.) at para. 5. The evidence of any witness, including an accused, may be believable standing on its own, but when other evidence is given that is contradictory, or casts doubt on the accuracy or reliability of the witnesses' evidence, that evidence may no longer be believable, or in the case of an accused, may no longer raise a reasonable doubt.

[120]     Le fait que le témoignage de l'accusé sur les faits soit largement cohérent ne constitue pas nécessairement la voie royale vers l'acquittement. Après analyse, le juge des faits peut simplement conclure que son témoignage ne soulève pas de doute raisonnable compte tenu de l'ensemble des éléments de preuve. Il est tout aussi important de noter que l’adoption d’une analyse globale ne signifie pas que le juge est tombé dans l’erreur consistant à procéder à un « concours de crédibilité ». Ces principes sont bien synthétisés dans l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire R. v. Redden2021 BCCA 230 :

[81] A court does not assess the evidence of an accused in isolation: R. v. Wanihadie2019 ABCA 402 at para. 31. As a result, there will be cases where a denial, defences that rely heavily on the testimony of the accused, or hypothesized inferences are rejected outright “based on a considered and reasoned acceptance beyond a reasonable doubt of the truth of conflicting credible evidence”: R. v. D.(J.J.R.) (2006), 2006 CanLII 40088 (ON CA)215 C.C.C. (3d) 252 (Ont. C.A.) at para. 53, leave to appeal ref’d, [2007] S.C.C.A. No. 69. This does not mean that the trial judge has erroneously chosen between competing narratives, simply preferring one to the other. To do so would constitute reversible error. Rather, it represents a finding that the testimony of the accused cannot stand in light of the cogency of the other evidence.

[121]     Dans la même veine la Cour d'appel de l'Ontario dans R. v. G.C., 2021 ONCA 441 a conclu que le juge du procès n'avait pas commis d'erreur en tenant compte du témoignage de la plaignante lorsqu'il a évalué la crédibilité de l'accusé.

[15] […] an accused person is not entitled to an acquittal simply because his evidence does not raise any obvious problems. His evidence may be rejected “based on considered and reasoned acceptance beyond a reasonable doubt of the truth of conflicting credible evidence” which may provide “as much an explanation for the rejection of an accused’s evidence as is a rejection based on a problem identified with the way the accused testified or the substance of the accused’s evidence”:

[122]     Bien entendu, le Tribunal doit garder à l'esprit dans l'ensemble de ses motifs et de son analyse la présomption d'innocence et le fardeau de la preuve qui incombe au ministère public. Dans le système de justice pénale canadien, c’est le ministère public qui a le fardeau de prouver la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable. Ce fardeau incombe au ministère public tout au long du procès et ne passe jamais à l'accusé.

[123]     La Cour suprême du Canada, dans l'affaire R. c. W. (D.), 1991 CanLII 93 (SCC), [1991] 1 SCR 742, par le juge Cory, au nom de la majorité de la Cour, a proposé une démarche en trois étapes relativement à l’appréciation de témoignages contradictoires. Cette démarche est initialement conçue pour aider le jury aux prises avec des témoignages contradictoires à déterminer s’il existe un doute raisonnable et à éviter l’erreur souvent commise qui consiste à considérer le procès comme un concours de crédibilité. La formule qu’il a proposée est la suivante :

i)     Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

ii)   Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

iii)   Troisièmement, même si n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé. [Par. 28]

[124]     Le doute raisonnable n'entre pas en jeu simplement parce que l’accusé a concocté une autre version des événements. Le doute raisonnable est fondé sur les faits et non sur la fantaisie. Comme l'a expliqué la Cour suprême dans l'arrêt de principe R. c. Lichfus1997 CanLII 319 (CSC), [1997] 3 RCS 320 :

Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole.  Il ne doit pas reposer sur la sympathie ou sur un préjugé.  Il doit reposer plutôt sur la raison et le bon sens.  Il doit logiquement découler de la preuve ou de l’absence de preuve.

        [Soulignement ajouté]

[125]     Lorsqu'il examine la question de la crédibilité, le Tribunal a le droit de faire appel au bon sens et à l'expérience humaine pour déterminer si la preuve est crédible et pour décider de l'utilisation qu'il convient d'en faire, le cas échéant. L’improbabilité ou l’invraisemblance de la position d’un accusé est un facteur important dans l’évaluation de la crédibilité. À cet égard, les commentaires du juge O'Halloran, 1951, 252 (BC CA), sont instructifs, bien qu'ils aient été faits dans le contexte d'une affaire civile:

The credibility of interested witnesses, particularly in cases of conflict of evidence, cannot be gauged solely by the test of whether the personal demeanour of the particular witness carried conviction of the truth. The test must reasonably subject his story to an examination of its consistency with the probabilities that surround the currently existing conditions. In short, the real test of the truth of the story of a witness in such a case must be its harmony with the preponderance of the probabilities, which a practical and informed person would readily recognize as reasonable in that place and in those conditions. Only thus can a court satisfactorily appraise the testimony of quick-minded, experienced and confident witnesses, and of those shrewd persons adept in the half-lie and of long and successful experience in combining skilful exaggeration with partial suppression of the truth.

      [Soulignement ajouté]

[126]     Compte tenu du principe de la présomption d'innocence, le fait qu'une plaignante ait eu le courage de dénoncer son agresseur et de subir les rigueurs d'un procès ne devrait pas être un facteur favorisant sa crédibilité. De même, l'absence d'intérêt de la plaignante à porter une accusation ne devrait pas être un facteur pour rehausser sa crédibilité. Comme l'a expliqué la Cour d’appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. G.R.A., 1994 8756 (ON CA); cela irait à l'encontre de la présomption d'innocence.

[14] In our view, the fact that a complainant pursues a complaint cannot be a piece of evidence bolstering her credibility. Otherwise, it could have the effect of reversing the onus of proof. In R. v. S. (W.) (1994), 1994 CanLII 7208 (ON CA), 90 C.C.C. (3d) 242 [29 C.R. (4th) 143] this court adopted what was said by the British Columbia Court of Appeal in R. v. K. (V.) (1991), 1991 CanLII 5761 (BC CA), 68 C.C.C. (3d) 18 [4 C.R. (4th) 338] at p. 35 [C.C.C, p. 357 C.R.].

[127]     Dans l'arrêt R. c. K.(V.)1991 CanLII 5761 (BC CA), à la p. 35, le juge Wood a désapprouvé un tel raisonnement parce qu'il reposerait lui-même sur une « pensée stéréotypée fondée sur le sexe » selon laquelle les plaignants d'infractions sexuelles sont crédibles. De telles généralisations auraient également pour conséquence de renverser le fardeau de la preuve :

Earlier in the judgment I noted the gender-related stereotypical thinking that led to assumptions about the credibility of complainants in sexual cases which we have at long last discarded as totally inappropriate. It is important to ensure that they are not replaced by an equally pernicious set of assumptions about the believability of complainants which would have the effect of shifting the burden of proof to those accused of such crimes.

[128]     Toutefois, sous réserve d'un certain nombre de mises en garde, le juge des faits a le droit de considérer l'absence de preuve d'un motif de fabrication comme l'un des nombreux facteurs à prendre en compte dans l'évaluation de la crédibilité d'une plaignante. Comme l'a expliqué la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Gerrard2022 CSC 13 :

[4] L’absence de preuve qu’un plaignant a des raisons de mentir peut être pertinente dans l’appréciation de la crédibilité, particulièrement lorsque la défense suggère qu’il en a (R. c. Stirling2008 CSC 10, [2008] 1 R.C.S. 272, par. 10‑11R. c. Ignacio2021 ONCA 69, 400 C.C.C. (3d) 343, par. 38 et 52). L’absence de preuve d’une raison de mentir ou l’existence de preuve réfutant une raison particulière de mentir constitue un facteur empreint de bon sens qui tend à indiquer qu’un témoin pourrait être davantage susceptible de dire la vérité parce qu’il n’a pas de raison de mentir. Cela dit, lorsque le juge qui préside un procès prend ce facteur en considération, il doit avoir deux risques à l’esprit : (1) l’absence de preuve qu’un plaignant a des raisons de mentir (c.‑à‑d. l’absence de preuve dans un sens ou dans l’autre) ne peut être assimilée à une preuve réfutant l’existence d’une raison particulière de mentir (c.‑à‑d. une preuve établissant que la raison n’existe pas), car la seconde situation requiert qu’on en fasse la preuve et constitue donc une indication plus solide de crédibilité — aucune de ces situations n’est concluante dans l’analyse sur la crédibilité; et (2) on ne peut renverser le fardeau de la preuve en exigeant que l’accusé démontre que le plaignant a une raison de mentir ou qu’il explique pourquoi le plaignant a formulé des allégations (R. c. Swain2021 BCCA 207, 406 C.C.C. (3d) 39, par. 31‑33)[37].

[129]     La norme élevée pour prouver l'absence de mobile pour fabriquer reconnaît que les gens peuvent accuser d'autres personnes d'avoir commis un crime pour des raisons qui ne seront peut-être jamais connues, ou sans raison du tout[38].

lundi 1 juillet 2024

Comment apprécier le délai d’attente de la dépanneuse en matière d'infraction de conduite d’un véhicule automobile avec un taux d’alcoolémie dépassant la limite légale

Simard c. R., 2016 QCCS 2712

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[25]        L’appelante reproche d’abord au premier juge de lui avoir imputé la responsabilité du délai d’attente de la dépanneuse et d’avoir ainsi omis d’examiner correctement le comportement des policiers. Selon l’appelante, le juge a conclu que le remorquage du véhicule a été rendu nécessaire parce que l’appelante était en défaut de paiements de son permis de conduire et des droits d’immatriculation de son véhicule. L’appelante plaide plutôt que le véhicule a été remorqué en prévision d’une saisie en vertu des dispositions du Code de la sécurité routière en matière d’alcool au volant.

[26]        Ce moyen est sans fondement. Selon la preuve, les policiers ont fait remorquer le véhicule de l’appelante pour les deux motifs invoqués ci-dessus. Une lecture attentive du jugement de première instance ne révèle aucune erreur sur ce point. De toute façon, l’un et l’autre des motifs de remorquage étaient raisonnables et, en définitive, ils étaient tous deux imputables à l’appelante. Par ailleurs, le juge examine avec justesse les agissements des policiers à cet égard. Dans les circonstances de la présente affaire, l’attente de la dépanneuse était raisonnable. De plus, il fallait prendre le temps nécessaire pour inspecter le véhicule et préparer la documentation requise pour le remorquage et le remisage du véhicule.

Il est possible d’inférer hors de tout doute raisonnable l’heure de la conduite par une preuve circonstancielle, sans nécessairement que le poursuivant établisse l’heure précise de la conduite

Jérôme c. R., 2023 QCCS 2018 

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[10]        Le Tribunal constate que l’honorable Alexandre Boucher, j.c.s., était confronté à un argument semblable dans la décision Bakalis c. R.[5] dans laquelle il a décidé qu’il était possible d’inférer hors de tout doute raisonnable l’heure de la conduite par une preuve circonstancielle, sans nécessairement que le poursuivant établisse l’heure précise de la conduite.

[11]        Voici l’extrait dans lequel le juge Boucher rappelle ce principe de même que les règles applicables en présence d’une preuve circonstancielle pour conclure à une preuve hors de tout doute raisonnable :

A – La preuve circonstancielle

[17]   Le juge du procès ne commet aucune erreur révisable en concluant dans son jugement, rendu séance tenante, que la preuve circonstancielle présentée par la Couronne établit hors de tout doute raisonnable que M. Bakalis était le conducteur du véhicule accidenté et que les mesures éthylométriques égalaient ou dépassaient la limite légale dans les deux heures de la cessation de la conduite.

[18]   Pour prouver l’infraction énoncée à l’al. 320.14 (1) b) du Code criminel, la Couronne doit, bien évidemment, prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a conduit un véhicule. Elle doit aussi prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a eu, dans les deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire, une alcoolémie égale ou supérieure à la limite prescrite par la loi. Il s’agit de la substance même de l’infraction.

[19]   En matière de preuve circonstancielle, l’arrêt R. c. Villaroman2016 CSC 33 de la Cour suprême du Canada enseigne que l’analyse consiste à examiner les inférences raisonnables pouvant être tirées de la preuve circonstancielle pour déterminer si ces inférences établissent la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. L’examen doit être fondé sur la logique et le bon sens. Ainsi, il importe de se mettre en garde contre le risque de combler les vides ou de sauter trop rapidement aux conclusions. De même, il faut se demander si la preuve circonstancielle supporte d’autres thèses ou possibilités raisonnables que la culpabilité, car un doute raisonnable peut émaner d’une inférence raisonnable incompatible avec la culpabilité. Cependant, une telle inférence disculpatoire doit être raisonnable, c’est-à-dire logiquement fondée sur la preuve ou sur une lacune dans la preuve. Les conjectures et hypothèses imaginaires ne peuvent pas susciter un doute raisonnable (voir aussi R. c. Mayuran2012 CSC 31, para. 38R. c. Griffin2009 CSC 28, para. 33R. c. Cooper1977 CanLII 11 (CSC)[1978] 1 RCS 860, p. 881; Sheikh c. R., 2020 QCCA 1266, para. 37, motifs dissidents approuvés à 2021 CSC 13; McClelland c. R., 2020 QCCA 324, para. 64-68Proulx c. R., 2016 QCCA 1425, para. 78-80R. c. Robinson2017 BCCA 6, para. 20-30).

[20]   M. Bakalis plaide que la preuve circonstancielle présentée au procès était insuffisante. Il soutient que le fait que la preuve n’a pas révélé qu’il était en possession des clés du véhicule au moment de son interpellation. Aussi, il reproche au juge d’avoir fait montre d’incohérence en affirmant, d’une part, que le conducteur ne pouvait être personne d’autre que M. Bakalis considérant la faible densité de la circulation à cette heure matinale et, d’autre part, qu’il n’a pas pu s’écouler une longue période avant que l’accident soit signalé par un automobiliste passant par là. Par ailleurs, il est acquis que l’appel à la police constituait du ouï‑dire et ne prouvait ni l’accident ni le moment de celle-ci.

[21]   Il demeure que la situation de M. Bakalis, telle que décrite par la policière ayant témoigné, permettait amplement au juge du procès d’inférer hors de tout doute raisonnable que M. Bakalis était le conducteur du véhicule. Ensuite, cette preuve, bien qu’elle n’établissait pas l’heure précise de l’accident, permettait au juge d’inférer hors de tout doute raisonnable que cet accident était récent. La preuve du délai de deux heures pouvait être faite sans prouver exactement le moment de la cessation de la conduite. Au passage, mentionnons que le para. 320.31 (4) du Code criminel prévoit que l’alcoolémie dans ce délai peut être déterminée au moyen d’un rétrocalcul. Rappelons que M. Bakalis a été trouvé au petit matin, au milieu d’une autoroute, à Laval, à côté d’un véhicule accidenté enregistré à son adresse de résidence. Tout scénario disculpatoire relève de la spéculation ou de l’hypothèse imaginaire.

[22]   Les conclusions du juge du procès eu égard à la preuve circonstancielle sont raisonnables et doivent être considérées avec déférence en appel (Domond c. R., 2021 QCCA 412, para. 38-40Bélanger c. R., 2020 QCCA 431, para. 41-45Dubourg c. R., 2018 QCCA 1999, para. 17-22).[6]

[Soulignement du Tribunal]

[12]        Le Tribunal est d’accord avec les principes énoncés dans cette dernière décision et l’application qu’en fait le juge Boucher.

[13]        Le Tribunal conclut qu’il est possible d’établir qu’un accusé a eu une alcoolémie supérieure à la limite légale dans les deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire, sans nécessairement connaître le moment précis de cette cessation de conduite.

[14]        L’infraction prévue à l’al. 320.14(1)b) C.crinterdit le fait d’avoir une alcoolémie supérieure à la limite légale « dans les deux heures suivant le moment où [l’accusé] a cessé de conduire », contrairement à l’ancienne disposition qui interdisait seulement la conduite d’un véhicule à moteur avec une alcoolémie supérieure à la limite légale.

[15]        De plus, le Tribunal partage l’interprétation du juge d’instance relativement aux principes juridiques applicables aux nouvelles dispositions du Code criminel et considère son analyse sans faille[7].

[16]        Le Tribunal, à l’instar du juge d’instance, est d’avis que, selon le droit actuel, il n’est pas nécessaire que le poursuivant démontre, aux fins de l’al. 320.14(1)b) C.cr., qu’un accusé a conduit son véhicule à une heure précise ou qu’il a cessé de le conduire à une heure précise. La preuve doit simplement établir hors de tout doute raisonnable qu’il avait une alcoolémie supérieure à la limite légale dans les deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire son véhicule.

[17]        Le juge d’instance retient de la preuve le témoignage de l’agent Lavoie selon lequel ce dernier a emprunté le chemin une heure plus tôt, soit vers 2 h 31, et qu’aucun véhicule ne se trouvait dans le fossé. Par ailleurs, le juge d’instance considère que ce témoignage n’a pas été érodé ou contredit par le contre-interrogatoire.

[18]        Les faits diffèrent grandement de la décision de la Cour du Québec dans l’affaire R. c. Gagné[8], sur laquelle insiste l’appelant. Dans cette affaire, les policiers avaient témoigné qu’il était possible qu’ils soient passés sur les lieux dix à quinze minutes avant l’appel sans apercevoir le véhicule dans le fossé. De surcroît, cette décision a été rendue avant la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Bakalis c. R.[9].

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le ré-interrogatoire

R. v. Lavoie, 2000 ABCA 318 Lien vers la décision Re-examination of Stephen Greene, Re-cross-examination of Stephen Greene   [ 46 ]        T...