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mercredi 24 juillet 2024

Comment un juge doit apprécier la crédibilité d'une plaignante qui allègue des pertes de mémoire ou une incapacité à consentir dans un contexte d'agression sexuelle

R. c. Douiri, 2023 QCCQ 8020

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[152]      Or, qu’arrive‑t‑il si le Tribunal ne retient pas ce volet du témoignage des plaignantes? Subsidiairement, qu’arrive‑t‑il si le Tribunal entretient un doute raisonnable quant à la question de savoir si les plaignantes étaient effectivement endormies ou inconscientes?

[153]      Au‑delà de l’inconscience totale, d’autres états moins incapacitants empêcheront tout de même la plaignante de pouvoir donner un consentement valide en droit. Dans certains cas, même s’il y a eu des indices suggérant un consentement apparent, les circonstances feront en sorte qu’il sera réputé nul et sans effet.

[154]      Foncièrement, pour que la plaignante soit capable de donner un consentement subjectif à l’activité sexuelle, elle doit être en mesure de comprendre quatre choses :

(1)  L’acte physique;

(2)  Le fait que l’acte est de nature sexuelle;

(3)  L’identité précise de son partenaire; et

(4)  Le fait qu’elle peut refuser de participer à l’activité sexuelle[75].

[155]      Selon la jurisprudence, l’incapacité peut découler d’un état qui n’engendre pas l’inconscience, par exemple l’intoxication. Cette question a donné lieu à un riche corpus jurisprudentiel. Les principes et balises suivants s’y dégagent.

[156]      Malgré une méprise courante, une jurisprudence abondante et constante énonce que le simple fait d’être intoxiquée par la drogue ou l’alcool (ou les deux) ne rend pas forcément une personne inapte à consentir à des relations sexuelles[76]. Une personne en état d’ébriété peut tout de même être en mesure de comprendre les quatre éléments mentionnés ci‑dessus, y compris le fait qu’elle peut refuser de participer. Conséquemment, le fait d’avoir une relation sexuelle avec une femme intoxiquée ne constitue pas nécessairement une infraction criminelle.

[157]      La capacité cognitive requise pour donner ou refuser son consentement n’est pas particulièrement élevée. Le seuil a été décrit comme « minime »[77]. Le discernement requis se rattache aux quatre éléments énumérés par la Cour suprême, sans plus. Pour emprunter l’expression anglaise, le « drunk consent » demeure un consentement valide[78]. Il n’est pas nécessaire que la personne puisse soupeser les risques et les conséquences des gestes sexuels[79]. Inversement, le seuil pour conclure à l’incapacité en raison de l’intoxication est élevé[80]. Dans l’affaire R. c. Pierce, à la lecture des autorités, la juge Durand a estimé qu’une intoxication doit être « extrêmement élevée » pour inférer à l’incapacité de consentir[81].

[158]      Notamment, la prise de décisions « imprudentes », la perte d’inhibition causée par les substances intoxicantes et les trous de mémoire causés par l’alcool n’excluent pas la présence d’un consentement valide[82]. De toute évidence, le fait de regretter plus tard une mauvaise décision n’invalide pas le consentement non plus[83]. Comme l’a réitéré la Cour d’appel de la Saskatchewan dans le récent arrêt R. v. Demong, « courts have repeatedly recognized that intoxication can lead people to do things and make choices they would not have made if they were sober »[84].

[159]      Malgré ce qui précède, une conclusion d’inaptitude à consentir n’est pas limitée aux plaignantes qui sont « quasi inconscientes »[85] ou qui frôlent l’automatisme. Le critère n’est pas aussi exigeant.

[160]      La question de la perte de mémoire mérite une attention particulière.

[161]      À cet égard, il faut se garder de confondre les notions de « black‑out », l’inconscience, les trous de mémoire et l’amnésie totale engendrés par l’alcool. Bien que les termes soient parfois employés de façon interchangeable, ils réfèrent à des concepts bien distincts, ayant une portée juridique différente[86]. C’est ce qu’a confirmé le témoin expert Beauchamp‑Doré dans son témoignage en l’espèce.

[162]      Comme le rappelait notre Cour d’appel dans l’arrêt R. c. Di Iorio, l’amnésie en rapport avec les événements n’est pas un facteur déterminant pour établir la capacité de discernement[87]. Dans les dossiers d’agression sexuelle, la seule absence de souvenir n’entraîne pas une conclusion d’incapacité de consentir chez la plaignante[88]. Dans l’arrêt R. v. T.L., une affaire d’agression sexuelle sur une plaignante intoxiquée, la Cour d’appel du Nunavut précisait que selon le bon sens, « lack of memory proves nothing about what actually happened »[89].

[163]      Le Tribunal adhère à l’analyse suivante du juge Ducharme dans l’affaire R. v. J.R., un dossier impliquant une plaignante fortement intoxiquée par l’alcool et la cocaïne, qui ne se souvenait pas des événements :

Ms. Sweeny submits that K.P.’s memory loss is direct evidence that she did not subjectively consent to any sexual contact. While far from clear, this submission appears to be based on the assumption that, if K.P. had subjectively consented, she would have retained a memory of it. Therefore, as K.P. has no memory of doing so, I should conclude that she did not, in fact, consent. For the same reason, Ms. Sweeny contends that K.P.’s loss of memory is evidence that she lacked the capacity to consent at the time of the sex.

I reject these submissions as they are both contrary to logic and unsupported by the evidence in this case. In the circumstances of this case, this is nothing less than an attempt to turn an absence of evidence into direct evidence of a crucial fact. Absent expert evidence, a loss of memory or a “blackout” is direct evidence of nothing except the fact that the witness cannot testify as to what happened during a particular period. Indeed, Ms. Martin the toxicologist called by the Crown described a blackout as, “a complete loss of memory for a portion of time during a drinking episode.” In a sexual assault case, this is particularly unfortunate since, as was noted in R. v. Esau (1997), 1997 CanLII 312 (CSC)116 C.C.C. (3d) 289 at 296 (S.C.C.), “[t]he parties’ testimony is usually the most important evidence in sexual assault cases.” Esau is particularly relevant to the case at bar because it is a sexual assault case involving a complainant with no memory of the relevant time. In Esau at 297, Justice Major said of the complainant’s memory loss, “[a]ny number of things may have happened during the period in which she had no memory.” Thus, the only significance of memory loss, without more, is that the complainant cannot give direct evidence as to whether or not she consented to the sexual contact or whether or not she had the capacity to do so.

I also cannot find any support for the Crown’s proposition in the jurisprudence. Indeed, the law is precisely to the contrary. If the Crown’s submission was correct this would mean that, in any case where the trier of fact accepted that the complainant had been touched sexually, although she had no memory of this, the actus reus would be proven and the only remaining issue would be whether or not there was any basis for the defence of honest but mistaken belief in consent. The cases discussed below in footnotes 13 to 15, infra, demonstrate clearly that this is not the case. In none of these cases is a blackout or memory loss, without more, taken as proof of lack of consent or lack of capacity[90].

[gras ajouté]

[164]      La Cour d’appel de la Saskatchewan a adopté le même raisonnement dans l’arrêt R. v. Demong, précisant que bien des choses auraient pu arriver pendant la période dont la plaignante ne se souvient pas. Il s’agit d’un vide dans la preuve et non pas une preuve affirmative d’absence de consentement[91]. Dans cette affaire, la plaignante avait consommé de la vodka, du rhum et un comprimé de Clonazépam (un dépresseur affectant le jugement, l’humeur et la mémoire). Ces substances l’avaient laissée dans un état faible, fatiguée, les membres lourds, étourdie et semi‑consciente. Elle décrivait son degré d’intoxication comme atteignant le niveau « 9/10 ». Hormis quelques images floues, elle n’avait pas de souvenir de la relation sexuelle. Pour sa part, l’accusé n’a pas témoigné. La Cour d’appel est intervenue et a infirmé la condamnation.

[165]      Dans l’arrêt R. v. Owston, la Cour d’appel a infirmé la condamnation, entre autres, pour des motifs semblables[92].

[166]      Par ailleurs, cela ne signifie pas que l’amnésie est sans valeur dans l’analyse de la capacité de consentir. Comme l’a reconnu le juge Ducharme dans R. v. J.R., il s’agira d’un élément de preuve circonstancielle à considérer à la lumière de l’ensemble du dossier. Son poids dépendra souvent d’une preuve d’expert qui, sans être obligatoire, sera presque toujours essentielle[93].

[167]      Dans l’arrêt R. c. Kishayinew, la Cour suprême a énoncé que lorsque la plaignante a d’importants trous de mémoire causés par l’intoxication, il doit y avoir une preuve circonstancielle quant à la question de l’absence subjective de consentement au moment de l’acte sexuel[94]. Dans cette affaire, la plaignante ne se souvenait pas de la relation sexuelle comme telle. Toutefois, il y avait une abondance d’éléments circonstanciels[95] :

         La plaignante pleurait et était désorientée. Elle voulait retourner chez elle. Or, l’accusé lui a dit de le suivre, l’amenant chez lui, six rues plus loin[96];

         Elle ne voulait pas suivre l’accusé. Une fois rendue chez lui, elle ne voulait pas y rester. Elle a tenté de s’échapper, mais l’accusé l’a empêchée[97];

         Elle n’avait pas consenti à ses tentatives de l’embrasser ou de la toucher. Malgré ses refus, l’accusé s’imposait physiquement sur elle[98];

         Elle avait tenté de quitter la maison à plusieurs reprises, sans succès. La porte du sous‑sol était barrée[99];

         Avant son trou de mémoire, elle se souvenait que l’accusé tentait de lui arracher les vêtements alors qu’elle résistait[100]; et

         Après son trou de mémoire, elle voulait s’échapper.

[168]      Des éléments circonstanciels semblables sont totalement absents dans le présent dossier, autant concernant PL1 que PL2.

[169]      Dans l’arrêt R. v. Czechowski, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a également reconnu que l’absence de consentement peut être déterminée par une preuve circonstancielle lorsque la plaignante intoxiquée a peu ou pas de souvenirs de l’incident[101]. La victime avait bu 10 consommations d’alcool fort et de la cocaïne. Malgré ses importants trous de mémoire entourant l’acte sexuel, l’amnésie n’était pas totale. De plus, il y avait une preuve indépendante et objective appuyant la théorie de la poursuite :

         Avant les trous de mémoire, la victime se souvenait que l’accusé a mis sa main sous sa jupe et lui a violemment déchiré la culotte;

         Avant les trous de mémoire, l’accusé lui a confisqué sa sacoche et son téléphone cellulaire, l’avertissant qu’elle pourrait les récupérer seulement après avoir eu des relations sexuelles avec lui;

         L’accusé l’a étranglée et séquestrée lorsqu’elle a tenté de quitter le domicile;

         Le juge a admis des messages vocaux contemporains laissés par la victime peu après le viol, dans lesquels on l’entendait pleurer et s’étouffer;

         L’évaluation faite à l’hôpital pendant l’obtention de la trousse médicolégale a révélé de nombreuses ecchymoses, des plaies défensives et des déchirures importantes aux parties génitales.

[170]      Le présent dossier ne présente pas d’éléments semblables.

[171]      En résumé, si la plaignante est tout simplement incapable de se souvenir des événements cruciaux (en raison de son intoxication), il n’appartient pas au Tribunal de combler les trous en présumant une absence de consentement ou encore une incapacité à consentir valablement au moment de l’acte litigieux. Agir de la sorte compromettrait la présomption d’innocence. Le fardeau incombe à la Couronne d’établir hors de tout doute raisonnable l’absence de consentement. Ultimement, le Tribunal doit déterminer quelle était l’intention réelle de la plaignante (relativement au consentement) au moment de l’acte sexuel, et non pas une conclusion subséquente par la plaignante qui déduit ou qui présume quelle aurait été son intention, ou encore quelle aurait dû être son intention dans les circonstances[102]. Un verdict de culpabilité ne peut reposer sur les raisonnements inverses ou reconstruits. Au même chapitre, un verdict de culpabilité ne peut reposer seulement sur le fait que la plaignante ait pris une mauvaise décision lorsqu’intoxiquée[103], qu’elle regrette par la suite.

La conséquence indirecte juridiquement pertinente aux fins d'une requête en retrait de plaidoyer doit être imposée par l’État

Nguyen c. R., 2020 QCCQ 8812

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[15]            Dans Wong, les conséquences imprévues subies par l’accusé découlaient de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[18] et étaient donc imposées par l’État.

[16]            La majorité de la jurisprudence en matière de retrait de plaidoyer traite des conséquences en matière d’immigration afin de déterminer si elles se qualifient de conséquences indirectes juridiquement pertinentes. 

[17]            Plusieurs décisions postérieures à l’arrêt Wong s’attardent aux sanctions administratives et pénales en matière automobile, comme la suspension du permis de conduire[19], l’accumulation de points d’inaptitude[20], l’interdiction de conduire des véhicules lourds[21] ou encore l’obligation de munir un véhicule d’un antidémarreur éthylométrique[22] et concluent la plupart du temps qu’il s’agit de conséquences indirectes juridiquement pertinentes. Certaines décisions concluent également que les conséquences découlant de la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels[23] en constituent aussi[24]. Force est de constater que les conséquences de cette nature sont toutes imposées par l’État.

[18]            Par exemple, dans Richard c. R.[25], la Cour supérieure du Québec conclut que la révocation du droit d’enseigner de l’accusé constitue une conséquence indirecte juridiquement pertinente, puisqu’elle est imposée par l’État (soit par le ministre de l’Éducation[26]), elle découle d’une déclaration de culpabilité et touche des intérêts sérieux de l’appelant[27].

[19]            Également, dans R. v. Miller[28], la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique permet le retrait du plaidoyer où l’appelant ignorait qu’une condamnation mettrait fin à ses prestations provinciales d’invalidité, non pas pour 12 mois, tel qu’il le croyait, mais à vie. Il s’agissait par conséquent d’un plaidoyer de culpabilité « uninformed by a legally relevant collateral consequence »[29].

[20]            Cependant, tel n’est pas le cas dans Hould c. R.[30] Dans cette affairel’appelant soutient que, par son plaidoyer de culpabilité, il a perdu le bénéfice de la possibilité de faire valoir son droit à l’encontre d’un congédiement dans un dossier devant la Commission des normes du travail. La Cour supérieure rejette l’argument et distingue ainsi cette conséquence des conséquences en matière d’immigration :

[59] Le procureur de l’appelant se trompe lorsqu’il mentionne que l’anéantissement des chances de succès était une conséquence imposée par l’État. L’État n’a rien imposé. L’État a fourni un moyen à l’employé de se défendre contre un congédiement sans juste cause. Il ne s’agit pas d’un automatisme comme en matière d’immigration, tout ce que l’État fait, c’est de permettre à l’employé d’en appeler de son congédiement.

[60] Il s’agit d’une conséquence qui n’est pas imposée par l’État contrairement à la Loi sur l’immigration où un plaidoyer de culpabilité peut entraîner des répercussions. Le plaidoyer de culpabilité n’a donc pas d’impact sur l’appelant en vertu d’une loi.

[61] Ce n’est pas une décision de l’État, ce n’est pas une décision qui s’impose en vertu d’une loi, mais c’est une décision qui a été prise par un employeur à l’égard de son employé. Il ne s’agit pas d’une conséquence imposée par l’État.

[21]            Le même raisonnement s’impose dans R. v. James[31], où l’accusé désire retirer son plaidoyer de culpabilité à une infraction de conduite avec capacités affaiblies. Cet événement lui a laissé des séquelles, dont un traumatisme crânien, l’empêchant de retourner au travail. Il argumente que sa condamnation l’empêche de réclamer l’indemnité d’accident à laquelle il aurait normalement eu droit. Le Tribunal estime que ce n’est pas une conséquence indirecte juridiquement pertinente telle que la Cour suprême l’exige dans Wong :

[66] I agree with the Crown that duty counsel was not obliged to instruct the applicant regarding the potential civil remedies flowing from the conviction and the related motor vehicle accident. This issue was not a collateral consequence as defined by the Supreme Court of Canada in Wong. I find that the applicant's subsequent civil action was not 'legally relevant collateral consequences' that duty counsel was required to inform him about to validate the plea proceedings. There was no requirement or obligation for duty counsel to appreciate these consequences given their remoteness to the pleas being entered. The civil consequences or benefits are not state imposed punishments akin to driving suspensions or immigration issues that are generally classified as legally relevant collateral consequences.

[caractères gras ajoutés]

[22]            En l’espèce, les conséquences énumérées par l’accusé ne sont pas imposées par l’État, mais découlent de décisions prises dans le secteur privé. (par la banque, la compagnie d’assurance, ses partenaires d’affaires…). L’octroi du permis dont il a besoin pour exploiter son commerce n’est nullement affecté par son plaidoyer de culpabilité. Ce sont plutôt les conséquences financières engendrées par sa condamnation qui, par effet domino, risquent de lui faire perdre ce permis. Le requérant n’a donc pas rencontré son fardeau d’établir l’existence de « conséquences indirectes juridiquement pertinentes ».

jeudi 11 juillet 2024

Comment déterminer si l'erreur alléguée par l'accusé porte sur une question de fait ou de droit?

R. c. Ledoux, 2017 QCCA 1041

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[39]   L’article 19 du Code criminel prévoit :

19. L’ignorance de la loi chez une personne qui commet une infraction n’excuse pas la perpétration de l’infraction.

19. Ignorance of the law by a person who commits an offence is not an excuse for committing that offence.

[40]   Comme l’explique si bien le professeur Hugues Parent dans son Traité de droit criminel, Tome I — L’imputabilité, 4e éd., Montréal, Thémis, 2015, par. 503 :

Si une erreur de fait implique « une représentation inexacte de la réalité matérielle » (soit que l’individu croit à l’existence de faits inexistants ou à l’inexistence de faits existants), l’erreur de droit suppose, pour sa part, une mauvaise interprétation de sa signification au point de vue juridique (soit que l’individu ignore la règle de droit ou se méprend sur son contenu, sa portée ou son application).

[41]   Cet énoncé est conforme au droit. La Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Molis1980 CanLII 8 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 356, 362 tranche :

… Parliament has by the clear and unequivocal language of s. 19 chosen not to make any distinction between ignorance of the existence of the law and that as to its meaning, scope or application. Parliament has also clearly expressed the will that s. 19 of the Criminal Code be a bar to any such defence…

[42]   Le professeur Don Stuart dans son traité Canadian Criminal Law, Fifth Edition, Thomson-Carswell, 2007, p. 366-371 (ci-après: « Stuart »), reprend la même idée, illustrant le caractère parfois limite de la distinction entre erreur de droit et erreur de fait. Pour illustrer la démarcation, il rapporte les propos de Glainville Williams dans Criminal Law (the General Part), 2nd Ed., Stevens & Sons, 1961 qui avance que l’erreur de fait est reliée au sens de la personne, tandis que l’erreur de droit est celle qui découle de sa pensée.

[43]   Une lecture des savants auteurs fait immédiatement ressortir que l’erreur de droit ou de fait et le droit criminel suivent une dynamique qui n’est ni claire ni simple. Aussi, une fois le principe clairement affirmé, ça se complique.

[44]   L’arrêt R. c. Prue; R. c. Baril1979 CanLII 227 (CSC), [1979] 2 R.C.S. 547 est un arrêt important. La Cour était saisie d’une infraction criminalisant le seul fait de violer une interdiction de conduire imposée par la loi provinciale. La Cour décide que cette dernière interdiction de conduire « provinciale » devenait un « fait » dans l’économie du droit criminel et, par conséquent, son ignorance offrait une défense d’erreur de fait. Quelques années plus tard, la Cour qualifie une telle méprise, dans un contexte similaire, d’erreur de droit : R. c. MacDougall1982 CanLII 212 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 605, ce qui fait dire à l’auteur Stuart que la logique n’est pas toujours au rendez-vous, les deux arrêts étant selon lui irréconciliables : Stuart, p. 370.

[45]   L’analogie avec la présente affaire tient à ce que l’erreur de l’intimé porterait sur le concept d’interception de communication privée dans un contexte de droit du travail. Le raisonnement veut que l’erreur portant sur un concept étranger au droit criminel devienne un fait en rapport avec ce dernier et donne donc ouverture à l’erreur de fait.

[46]   Ce raisonnement est reconnu en doctrine, mais il est critiqué lorsqu’il excède les cas où une défense d’apparence de droit est prévue par la loi : voir Stuart, p. 353. À titre d’exemple, et en simplifiant, un vol n’est consommé que si un bien est pris sans apparence de droit : art. 322 C.cr., de sorte qu’une personne peut se tromper sur son « droit » de posséder cette chose : R. c. Lilly1983 CanLII 153 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 794.

[47]   Cela dit, le droit évolue et tente de se raffiner, voire d’atténuer l’affirmation péremptoire de l’article 19 C.cr. Dans R. c. Klundert2004 CanLII 21268 (C.A.O.) (ci-après: « Klundert »), le juge Doherty conclut qu’une erreur de droit peut parfois nier la mens rea lorsque la perpétration de l’infraction exige la démonstration que l’accusé a agi dans le but d’atteindre un objectif spécifique ("in relation to the achievement of a purpose"). Se référant à R. c. Docherty1989 CanLII 45 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 941, le juge Doherty explique que l’utilisation du mot « wilfullly » (en français, « volontairement ») peut signifier l’atteinte de l’objectif décrit dans la loi. Il écrit, dans l’arrêt Klundert, au par. 44 : « [w]hile the word “wilfully” refers to a culpable mental state, the exact meaning of the word will depend on the context in which it is used…».

[48]   Dans le contexte d’une infraction au paragraphe 239(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1, le juge Doherty illustre de façon éloquente le rôle de l’erreur dans l’évaluation de la mens rea. L’erreur peut être une erreur de fait, une erreur de droit ou une erreur mixte de fait et de droit. Cela étant, seule l’erreur de droit ne peut constituer une défense. Il écrit :

[49]      The requisite knowledge or purpose may be negated by a mistaken belief.  A tax payer may through arithmetic error misstate the amount of tax owing, or she may be unaware of the statutory definition of income, or she may have come to a mistaken conclusion as to the application of that definition to her affairs.  The first of these errors is factual, the second, legal, and the third is a mixture of both.

[50]      Factual errors can negate the fault requirement of an offence requiring knowledge and purpose.  Purely legal errors raise a more difficult problem.  A mistake of law does not excuse the commission of a criminal offence:  Criminal Code, R.S.C. 1985, c. C-46, s. 19.  The fault element of a crime may, however, be defined so as to make various kinds of errors, including purely legal errors relevant to the existence of the required culpable mental state:  A. Mewett and M. Manning, Criminal Law, 3rd ed. (Toronto:  Butterworths, 1994) at pp. 389-391; H. Stuart, “Mistake of Law Under the Charter”, (1998) 40 Crim. L.Q. 476 at 486-494. For example, where an offence requires that the Crown prove that an accused acted without “colour of right”.  Mistakes as to the applicable civil law can provide the basis for a “colour of right”:  R. v. Demarco (1973), 1973 CanLII 1542 (ON CA)13 C.C.C. (2d) 369 at 372 (Ont. C.A.). In those cases the mistake of law is not advanced as an excuse for committing the crime but rather negates the existence of the required culpable state of mind:  R. v. Howson1966 CanLII 285 (ON CA)[1966] 3 C.C.C. 348 at 356 (Ont. C.A.). Similarly, where an offence requires proof that the accused intended to violate a court order, a mistake as to the legal effect of that court order can negate the required culpable state of mind:  R. v. Ilczyszyn (1988), 1988 CanLII 7063 (ON CA)45 C.C.C. (3d) 91 at 95-96 (Ont. C.A.).

[49]   Enfin, il précise que “[t]he extent to which any mistake, including a legal mistake, can negate the fault requirement turns on an interpretation of the language of the statute in the legislative context in which it is used…”: Klundert, par. 54. Dans cette affaire, le libellé de l’infraction exigeait que le geste soit posé dans le but d’éluder l’impôt. Je conviens avec le juge Doherty que plusieurs types d’erreurs innocentes peuvent expliquer le geste autrement que par le souhait d’éluder de l’impôt.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

De simples mots ne constituent pas un voies de fait & la nécessité de prouver le caractère intentionnel de l'usage de la force permet une défense d'accident ou d'erreur de consentement honnête mais erroné

R. v. Dawydiuk, 2010 BCCA 162 Lien vers la décision [ 29 ]             Under s. 265 (1)(a) of the  Criminal Code , a person commits an assau...