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dimanche 1 juin 2025

L'appel sur la peine: comment apprécier les blessures à titre de facteur aggravant face à une infraction de voies de fait et l’objectif de dissuasion générale

R. c. Martinez Abarca, 2022 QCCA 1095



[14]      Selon une jurisprudence bien établie, les cours d’appel ne peuvent intervenir en matière de peine que si le jugement de première instance comporte une erreur de principe ou, autrement, est manifestement non indiqué. À ce propos, les cours d’appel ont un rôle important à jouer, qui se décline sous deux axes. D’une part, elles servent de « rempart contre les erreurs de droit commises par les tribunaux chargés de déterminer les peines tout en contrôlant la raisonnabilité de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ces derniers. »[8] et, d’autre part, elles doivent s’assurer du développement stable du droit. Ce second volet s’incarne par la mise en place de lignes directrices, qui peuvent prendre la forme de fourchettes de peines ou encore d’énoncés généraux sur la gravité des conséquences reliées à certaines infractions[9].

[15]      Les cours d’appel sont donc habilitées à intervenir et modifier une peine, mais seulement dans des circonstances limitées, qui ont été rappelées en 2020 par la Cour suprême dans l’arrêt Friesen qui a confirmé la norme d’intervention énoncée dans l’arrêt Lacasse :

Comme l’a confirmé notre Cour dans Lacasse, la cour d’appel ne peut intervenir pour modifier une peine que si (1) elle n’est manifestement pas indiquée (par. 41) ou (2) le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine (par. 44). Parmi les erreurs de principe, mentionnons l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. La manière dont le juge de première instance a soupesé ou mis en balance des facteurs peut constituer une erreur de principe seulement s’il a « exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre » (R. c. McKnight (1999), 1999 CanLII 3717 (ON CA), 135 C.C.C. (3d) 41 (C.A. Ont.), par. 35, cité dans Lacasse, par. 49). Ce ne sont pas toutes les erreurs de principe qui sont importantes : la cour d’appel ne peut intervenir que lorsqu’il ressort des motifs du juge de première instance que l’erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine (Lacasse, par. 44). Si une erreur de principe n’a eu aucun effet sur la peine, cela met un terme à l’analyse de cette erreur et l’intervention de la cour d’appel ne se justifie que si la peine n’est manifestement pas indiquée.

Si la peine n’est manifestement pas indiquée ou si le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine, la cour d’appel doit effectuer sa propre analyse pour fixer une peine juste (Lacasse, par. 43). Elle appliquera de nouveau les principes de la détermination de la peine aux faits sans faire preuve de déférence envers la peine existante même si celle-ci se situe dans la fourchette applicable. En conséquence, lorsque la cour d’appel conclut qu’une erreur de principe a eu un effet sur la peine, cela suffit pour qu’elle intervienne et fixe une peine juste. Dans un tel cas, le fait que la peine existante ne soit manifestement pas indiquée ou qu’elle se situe à l’extérieur de la fourchette des peines infligées auparavant ne constitue pas une condition préalable supplémentaire requise pour justifier l’intervention de la cour d’appel[10].

[Soulignements ajoutés]

[16]      Outre ce contrôle judiciaire restreint, et pour identifier une peine juste et appropriée, il est accordé aux juges de première instance un large pouvoir discrétionnaire dans la prise en compte des principes, objectifs et facteurs (atténuants et aggravants), tout comme dans la mise en balance de ces divers éléments. Les objectifs que doit considérer le juge sont inscrits à l’article 718 C.cr., et élaborés dans la jurisprudence pertinente. Ils comprennent la dénonciation du comportement illégal, la dissuasion générale et individuelle, l’isolement du délinquant de la société, la réinsertion sociale, la réparation des torts causés, une prise de conscience chez le délinquant. Précisons que le législateur impose pour certaines infractions l’obligation de porter une attention particulière à certains objectifs. Par exemple, en matière de crimes violents, les tribunaux doivent favoriser les objectifs de dénonciation et dissuasion[11].

[17]      Il n’est cependant pas question d’établir un ordre d’importance entre chaque facteur[12]. Au contraire, le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire et leur accorder une importance plus ou moins grande selon les circonstances. Cette pondération au cas par cas est importante, car la détermination de la peine est un processus individualisé[13]. Cependant, bien que grande, la discrétion des juges, au niveau de la peine, est balisée par le législateur lorsque ce dernier prévoit des peines minimales ou maximales pour une infraction donnée[14].

[18]      En outre, une peine proportionnée doit certes prendre en compte les facteurs propres à l’accusé et l’infraction qu’il a commise, mais elle doit également être considérée d’un point de vue comparatif. C’est-à-dire que « [l]a proportionnalité se détermine [aussi] […] sur une base comparative des peines infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables »[15]. La détermination de la peine vise donc l’harmonisation des peines entre des délinquants similaires qui commettent une infraction similaire dans des circonstances semblables[16]. Pour ce faire, les juges ont souvent recours à ce qu’on appelle « une fourchette de peines ». Il s’agit d’un outil, non contraignant, qui est en quelque sorte un historique des peines infligées pour une infraction donnée[17]. Sans être applicables dans tous les cas, les fourchettes permettent d’éviter les écarts injustifiés entre les peines[18].

Application

[19]      À la lecture du dossier, il est évident que le jugement entrepris est animé par le but d’éviter à l’intimé les conséquences d’un casier judiciaire. À ce propos, la juge explique qu’« [u]ne inscription à la Loi sur le casier judiciaire mettrait fin aux projets réels de l’accusé [devenir pilote de l’air dans les Forces armées canadiennes] ainsi qu’au moyen d’assurer sa subsistance de la façon dont il l’a choisie et ainsi de bien gagner sa vie ». C’est cet objectif qui motive la juge et qui oriente les facteurs et objectifs dont elle tient compte. Cependant, il ne doit s’agir que d’un des considérants[19]. Si l’ensemble de ceux qui doivent être évalués milite pour une peine d’emprisonnement, la seule existence de conséquences découlant d’un casier judiciaire est insuffisante pour justifier une absolution.

[20]      De plus, en refusant de considérer les blessures à titre de facteur aggravant, la juge commet une erreur de principe. Bien qu’il soit vrai qu’un élément essentiel de l’infraction ne devrait pas être considéré comme une circonstance aggravante, car il s’agit d’un facteur pris en compte pour établir la gravité objective de l’infraction alors que le droit cherche à éviter les doubles punitions[20], la situation en matière de voies de fait graves exige que le juge tienne compte dans chaque cas d’espèce de la nature et l’étendue (et non seulement de l’existence) des blessures[21] et il peut même s’agir d’un élément aggravant[22]. Partant, l’importance des blessures dans un cas précis doit être considérée pour pondérer la gravité de l’infraction et en arriver à une peine proportionnelle[23].

[21]      La juge commet donc une erreur de principe en évacuant complètement la nature et l’importance des blessures subies par la victime de l’exercice de pondération de la peine proportionnelle[24]. D’ailleurs, comme le rappelle cette Cour dans Bérubé-Gagnon, « une peine qui est disproportionnée eu égard à la gravité de l’infraction ou au degré de culpabilité du contrevenant est, par définition, manifestement non indiquée »[25]. En omettant ce facteur, la juge n’arrive pas à une peine proportionnelle.

[22]      Qui plus est, à la lecture du jugement, il est difficile de saisir ce que la juge fait de l’objectif de dissuasion générale. Elle affirme seulement que cet objectif a peu d’importance en l’espèce, car il s’agit d’un geste impulsif et contextuel et que le caractère de la dissuasion générale est incertain et limité[26]. Elle ajoute aussi que l’emprisonnement n’est pas la seule peine permettant de l’atteindre[27]. On peut s’interroger sur le caractère impulsif de l’agression sexuelle, quoique la peine sur ce chef ne soit pas en appel. Malgré cela, les circonstances de cette agression, qui précède immédiatement les voies de fait graves, sont pertinentes. On peut aussi se montrer circonspect sur l’affirmation que les voies de fait graves l’étaient tout autant alors qu’elles ont été commises après et en raison de l’agression sexuelle et qu’elles sont constituées non pas de un, mais bien de deux coups de poing.

[23]      Bien qu’il soit souhaitable d’avoir recours avec le plus de modération possible aux peines d’emprisonnement et même parfois préférable de les éviter, il est difficile de voir en quoi l’absolution conditionnelle, dans un cas de voies de fait graves, puisse rencontrer adéquatement l’objectif de dissuasion générale. Les tribunaux ont rappelé fréquemment que les cas de voies de fait graves exigent une réplique suffisante et proportionnelle à la gravité des gestes posés et à la responsabilité morale du contrevenant, quant au principe de la dénonciation[28]. Il en est de même de la dissuasion générale[29].

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