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mardi 24 juin 2025

La fourchette des peines en matière de voies de fait graves sans usage d'une automobile ou mettant en cause l'usage d'un véhicule automobile en vue ou avec la conséquence d'infliger à une personne des lésions corporelles ou la mort

Antonelli c. R., 2008 QCCA 1573



[69]           L’appelant a soumis plusieurs affaires dans lesquelles, quoiqu'il ne soit pas questions de voies de fait graves ou de voies de fait causant des lésions corporelles, les faits sont similaires en ce qu'ils mettent en cause l'usage d'un véhicule automobile en vue ou avec la conséquence d'infliger à une personne des lésions corporelles ou la mort. Ainsi :

-           R. c. Gilbert2007 QCCA 1607J.E. 2007-2268 : conduite dangereuse ayant causé la mort et des lésions corporelles ainsi que délit de fuite — geste accidentel — antécédents judiciaires non précisés mais vraisemblablement inexistants — infliction d'une peine de 24 mois d'emprisonnement ferme moins une portion du sursis déjà purgé, pour un total de 18 mois.

-           R. v. Balcha2004 CanLII 396 (ON CA)[2004] O.J. No. 1217 (Ont. C.A.) (QL) : conduite dangereuse causant des lésions corporelles et délit de fuite — acte délibéré consécutif à une dispute dans le cadre de laquelle Balcha a été attaqué et blessé — absence d'antécédents judiciaires — confirmation d'un emprisonnement ferme de 2 ans, mais réduction de la durée d'une interdiction de conduire (de 5 ans à 1 an).

-           Pichette c. La ReineJ.E. 2003-289 (C.A.) : négligence criminelle causant la mort et délit de fuite — ébriété — absence d'antécédents judiciaires — confirmation d'une peine d'emprisonnement de 3 ans.

-           R. v. Stone2001 BCCA 728[2001] B.C.J. No. 2660 (QL) : conduite dangereuse causant des lésions corporelles — acte délibéré à la suite d'une dispute entre automobilistes — antécédents judiciaires mineurs — 22 mois d'emprisonnement avec sursis en remplacement d'une peine de 2 ans d'emprisonnement ferme.

-           R. v. Scott [1992] M. J. No. 538 (Man. C.A.) (QL) : conduite dangereuse causant des lésions corporelles — acte commis à la suite d'une dispute avec son ancienne amie de cœur — absence d'antécédents judiciaires — jeunesse de l'accusé — réduction à 5 mois d'une peine d'emprisonnement ferme de 12 mois.

-           R. c. Girard1990 CanLII 3096 (QC CA)[1990] R.J.Q. 2077 (C.A.) : négligence criminelle causant des lésions corporelles — acte délibéré — absence d'antécédents judiciaires — la sentence appropriée aurait été de 2 ans d'emprisonnement mais une peine de 1 an d'emprisonnement est imposée, considérant que le délinquant a déjà purgé les deux tiers de la peine discontinue que lui avait infligée le juge de première instance.

-           R. v. Barnes[1984] N.S.J. No. 56 (N.S. C.A.) (QL) : conduite avec facultés affaiblies et négligence criminelle dans la conduite d'un véhicule automobile — acte délibéré — absence d'antécédents judiciaires — peine de 9 mois d'emprisonnement substituée à une peine de 90 jours d'emprisonnement à purger de façon discontinue.

-           R. c Mohan[1983] B.C.J. No. 463 (B.C. C.A.) (QL) : négligence criminelle causant des lésions corporelles et délit de fuite  — acte délibéré — absence d'antécédents judiciaires — emprisonnement de 2 ans moins 1 jour réduit à 1 an.

-           R. c. Bilodeau, C.A.M. 500-10-000225-845, 7 novembre 1984 (jj. Montgomery, Dubé et Mayrand) : négligence criminelle causant des lésions corporelles — acte délibéré commis par jalousie et sous l'emprise de la colère — alcoolisme et jalousie pathologique — confirmation d'une peine de 2 mois de prison assortie d'une ordonnance de probation de 2 ans.

[70]           Bien que les comparaisons interinfractions ne soient pas bannies[9], elles doivent tout de même être modulées en fonction de leurs caractéristiques particulières, notamment en termes de peines maximales. C'est le cas ici, l'infraction de voies de fait graves étant passible d'un emprisonnement maximal de 14 ans (article 268(2) C.cr.), alors que l'infraction de négligence criminelle causant des lésions corporelles (article 221 C.cr.) et celle de conduite dangereuse causant des lésions corporelles (article 249(3) C.cr.) sont passibles d'un emprisonnement maximal de 10 ans.

[71]           Par ailleurs, en matière de voies de fait graves, l’appelant soumet les arrêts suivants, impliquant également l'usage d'une automobile :

-           R. c. Bassenden1989 CanLII 420 (QC CA)J.E. 89-549(1990) 23 Q.A.C. 306; [1989] R.L. 80 (C.A.) : voies de fait graves — acte délibéré — nombreux antécédents judiciaires (aucun emprisonnement) — emprisonnement de 3 ans substitué à une sentence suspendue assortie d'une ordonnance de probation de 3 ans accompagnée de travaux communautaires.

-           R. c. FlibotteSOQUIJ AZ-88012034C.A.P. 88C-3451988 CanLII 1053 (C.A.) : voies de fait graves et délit de fuite — acte délibéré — détention provisoire de 6 mois — antécédents judiciaires — pour les voies de fait graves, substitution d'une peine de 4 ans d'emprisonnement à une peine de 2 ans (compte tenu de la détention provisoire de 6 mois, la peine totale équivaut à un emprisonnement de 5 ans).

[72]           À cette liste, on peut ajouter les arrêts suivants :

-           Kelly c. R.J.E. 97-1570 (C.A.) : conduite dangereuse causant la mort — accident — antécédents judiciaires — récidive en cours d'instance — confirmation d'une peine de 6 ans d'emprisonnement. Cet arrêt est particulièrement intéressant en ce qu'il fait la revue de la jurisprudence en matière de conduite dangereuse causant la mort. Selon cette jurisprudence, la fourchette applicable irait de la sentence suspendue à 5 ans d'emprisonnement, avec une moyenne (qui est somme toute peu révélatrice) tournant autour de 18 mois à 3 ans.

-           St-Laurent c. R.2008 QCCA 781B.E. 2008BE-595 : conduite dangereuse causant la mort et conduite dangereuse causant des lésions corporelles (dépassement interdit et collision frontale avec un autre véhicule) — quelques antécédents judiciaires en d'autres matières — nombreuses infractions au Code de la sécurité routière — confirmation d'une peine globale de 3 ans d'emprisonnement (3 ans pour conduite dangereuse causant la mort et 18 mois, concurremment, pour conduite dangereuse causant des lésions corporelles), seul le point de départ de l'interdiction de conduire étant modifié par la Cour.

[73]           La peine de cinq ans pour des voies de fait graves paraît donc sévère au regard de l'ensemble de cette jurisprudence, encore qu'elle soit semblable à celle qui fut infligée dans l'arrêt Flibotte, où l'on avait toutefois affaire à un appelant possédant plusieurs antécédents judiciaires, ce qui n'est pas le cas de l'espèce. On voit aussi que, dans les deux affaires où il est question de voies de fait graves (Flibotte et Bassenden), plutôt que de conduite dangereuse ou de négligence criminelle causant des lésions corporelles, les peines sont plus sévères, ce qui reflète le fait que la peine maximale est plus sévère elle aussi, entraînant un rajustement corrélatif à la hausse dans la moyenne des peines.

[74]           En matière de voies de fait graves, sans usage d'une automobile, la fourchette des peines, qui va là encore de la sentence suspendue à l'incarcération, est assez vaste mais la jurisprudence n'est pas avare d'affaires où des peines de 3 à 5 ans sont imposées. Par exemple :

-           Dupont c. R.2008 QCCA 662 : voies de fait graves (entre autres) — l'appelant a assené des coups de barre aux victimes alors qu'elles se trouvaient dans le métro — attaque apparemment impulsive — antécédents judiciaires pour crimes sans violence — risque de récidive — milieu de vie criminogène — confirmation d'une peine d'emprisonnement de 3 ans.

-           Rioux c. R., 2008 QCCA 33 : voies de fait graves — séquelles importantes à la victime — acte impulsif posé sans préméditation — absence d'antécédents judiciaires en semblable matière — substitution d'une peine totale de 5 ans et 4 mois à une peine de 7 ans d'emprisonnement.

-           Boulay c. R.2007 QCCA 1663J.E. 2008-31 : voies de fait graves — l'appelant a tiré trois fois sur son père avec une arme à feu, lors d'un exercice de tir sur cible — antécédents judiciaires non précisés — confirmation d'une peine de 6 ans d'emprisonnement, une détention provisoire de 16 mois n'ayant pas été comptée en double, d'où une peine totale équivalant à 7 ans et 4 mois d'emprisonnement.

-           R. c. Jackson2007 QCCA 1225; J.E. 2007-1845 : voies de fait graves — bagarre à la sortie d'un bar et usage d'un couteau — nombreux antécédents judiciaires — confirmation d'une peine de 5 ans d'emprisonnement, peine considérée comme clémente, cependant, vu les antécédents judiciaires de l'intimé.

-           R. c. Richards2007 QCCQ 408B.E. 2008BE-321 : accusé trouvé coupable de voies de fait graves contre un touriste, de vol qualifié sur la personne de cette même victime et d'un de ses compagnons, de voies de fait contre un troisième touriste, menaces de mort contre deux de ces personnes — caractère gratuit de l'agression (commise avec des complices contre un groupe de 5 touristes) — nombreux antécédents judiciaires — séquelles importantes chez la victime de voies de fait graves — peine de 7 ans d'emprisonnement, dont sera déduit une période de détention provisoire de 11 mois (soit 5 mois comptés en double).

-           Allard c. R.J.E. 90-1212(1991) 36 Q.A.C. 137 : voies de fait graves (deux chefs) — geste délibéré mais non prémédité — appelant âgé de 18 ans lors de la commission des crimes — absence d'antécédents judiciaires — ébriété — séquelles importantes chez l'une des victimes — substitution d'une peine de 5 ans d'emprisonnement (tenant compte d'une détention provisoire d'une année), sur chaque chef, à une peine de 9 ans, à être purgée concurremment.

[75]           Par contraste, pour des peines plus clémentes, on pourra citer :

-           Pinto c. R.2006 QCCA 303J.E. 2006-571 : voies de fait graves — coup de poing dans le cadre d'une dispute dans un bar — caractère impulsif et non prémédité de l'agression — lourdes conséquences pour la victime — absence d'antécédents judiciaires — thérapie entreprise afin de contrôler impulsivité et agressivité — confirmation d'une peine de 18 mois d'emprisonnement à purger dans la collectivité et d'une probation d'une année.

-           Seyfeddin-Salemi c. R.J.E. 95-1050 (C.A.) : voies de fait graves — usage d'un couteau — acte délibéré mais non prémédité — querelle au sortir d'un bar — antécédents judiciaires en matière de fraude — confirmation d'une peine de 32 mois d'emprisonnement. Dans cette même affaire, la Cour confirme par ailleurs la peine de 20 mois d'emprisonnement infligée à l'autre appelant, âgé de 19 ans, frère du premier, sans antécédents judiciaires, coupable de voies de fait causant des lésions corporelles.

[76]           L’appelant n'a utilisé ici ni couteau ni arme à feu, mais le juge de première instance n'a pas tort d'affirmer qu'il s'est servi de son véhicule automobile comme d'une arme, infligeant des blessures graves à l'une des victimes, et, en ce sens, la comparaison est appropriée entre sa situation et celles qui sont en cause dans les affaires où l'on utilise un autre type d'arme[10].

Lorsque la règle d'harmonisation des peines est en cause, seul un écart marqué et substantiel peut justifier l'intervention en appel

Paré c. R., 2011 QCCA 2047

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[35]        On le sait : les cours d’appel doivent faire preuve d’une grande retenue dans l’examen des décisions des juges de première instance en matière de peine. Dans R. c. Shropshire1995 CanLII 47 (CSC)[1995] 4 R.C.S. 227, on peut lire, au paragr. 46 :

Une cour d'appel ne devrait pas avoir toute latitude pour modifier une ordonnance relative à la détermination de la peine simplement parce qu'elle estime qu'une ordonnance différente aurait dû être rendue.  La formulation d'une ordonnance relative à la détermination de la peine est un processus profondément subjectif; le juge du procès a l'avantage d'avoir vu et entendu tous les témoins, tandis que la cour d'appel ne peut se fonder que sur un compte rendu écrit. Il n'y a lieu de modifier la peine que si la cour d'appel est convaincue qu'elle n'est pas indiquée, c'est‑à‑dire si elle conclut que la peine est nettement déraisonnable.

[36]        Puis, dans R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC)[1996] 1 R.C.S. 500, au paragr. 90 :

Plus simplement, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d'appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n'est manifestement pas indiquée. Le législateur fédéral a conféré expressément aux juges chargés de prononcer les peines le pouvoir discrétionnaire de déterminer le genre de peine qui doit être infligée en vertu du Code criminel et l'importance de celle‑ci.

[37]        Ce principe de retenue judiciaire a été repris par la Cour suprême dans R. c. L.M.2008 CSC 31 (CanLII), [2008] 2 R.C.S. 163, aux paragr. 14 et 15R. c. Proulx2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, aux paragr. 123 à 126R. c. McDonnell1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948, aux paragr. 14 à17, et R. c. Nasogaluak2010 CSC 6 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 206. Dans ce dernier arrêt, le juge LeBel écrit :

Le vaste pouvoir discrétionnaire conféré aux juges chargés de la détermination de la peine comporte toutefois des limites. Il est en partie circonscrit par les décisions qui ont établi, dans certaines circonstances, des fourchettes générales de peines applicables à certaines infractions, en vue de favoriser, conformément au principe de parité consacré par le Code, la cohérence des peines infligées aux délinquants. Il faut cependant garder à l’esprit que, bien que les tribunaux doivent en tenir compte, ces fourchettes représentent tout au plus des lignes directrices et non des règles absolues.  Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine. Une telle sanction n’est donc pas nécessairement inappropriée, mais elle doit tenir compte de toutes les circonstances liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été commise. 

[38]        Bref, le juge de première instance a une grande discrétion, et une cour d'appel ne peut intervenir que dans des circonstances qui dénotent une erreur de principe, une insistance indue sur un facteur approprié ou encore une omission de considérer un facteur pertinent, à moins que la peine soit tout simplement manifestement non indiquée, autrement dit, nettement déraisonnable. C'est dans cet esprit que les cours d'appel conservent donc le pouvoir de s'assurer que la peine s'harmonise à celles infligées « pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables »; c'est d'ailleurs le paragr. 718.2 b) C.crqui le prévoit. De même, dans R. c. M.(C.A.), précité, on peut lire :

92   Il va de soi que les cours d'appel jouent un rôle important en contrôlant et en réduisant au minimum la disparité entre les peines infligées à des contrevenants similaires, pour des infractions similaires commises dans les diverses régions du Canada. […] Toutefois, dans l'exercice de ce rôle, les cours d'appel doivent néanmoins faire montre d'une certaine retenue avant d'intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire spécialisé que le législateur fédéral a expressément accordé aux juges chargés de déterminer les peines. […] Pour ces motifs, conformément à la norme générale de contrôle que nous avons formulée dans Shropshireje crois qu'une cour d'appel ne devrait intervenir afin de réduire au minimum la disparité entre les peines que dans les cas où la peine infligée par le juge du procès s'écarte de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires.

[Je souligne.]

[39]        En somme, lorsque la règle d'harmonisation des peines est en cause, seul un écart marqué et substantiel peut justifier l'intervention en appel.

Lorsque la règle d'harmonisation des peines est en cause, seul un écart marqué et substantiel peut justifier l'intervention en appel

R. c. Chav, 2012 QCCA 354



[14]           On le sait : les cours d'appel doivent faire preuve d'une grande retenue dans l'examen des décisions des juges de première instance en matière de peine. Dans R. c. Shropshire1995 CanLII 47 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 227, on peut lire, au paragr. 46 :

Une cour d'appel ne devrait pas avoir toute latitude pour modifier une ordonnance relative à la détermination de la peine simplement parce qu'elle estime qu'une ordonnance différente aurait dû être rendue. La formulation d'une ordonnance relative à la détermination de la peine est un processus profondément subjectif; le juge du procès a l'avantage d'avoir vu et entendu tous les témoins, tandis que la cour d'appel ne peut se fonder que sur un compte rendu écrit. Il n'y a lieu de modifier la peine que si la cour d'appel est convaincue qu'elle n'est pas indiquée, c'est-à-dire si elle conclut que la peine est nettement déraisonnable.

[15]           Puis, dans R. c. M.(C.A.)1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, au paragr. 90 :

Plus simplement, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d'appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n'est manifestement pas indiquée. Le législateur fédéral a conféré expressément aux juges chargés de prononcer les peines le pouvoir discrétionnaire de déterminer le genre de peine qui doit être infligée en vertu du Code criminel et l'importance de celle-ci.

[16]           Ce principe de retenue judiciaire a été repris par la Cour suprême notamment dans R. c. L.M.2008 CSC 31 (CanLII), [2008] 2 R.C.S. 163, aux paragr. 14 et 15R. c. Proulx2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, aux paragr. 123 à 126R. c. McDonnell1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948, aux paragr. 14 à17, et R. c. Nasogaluak2010 CSC 6 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 206. Dans ce dernier arrêt, le juge LeBel écrit :

Le vaste pouvoir discrétionnaire conféré aux juges chargés de la détermination de la peine comporte toutefois des limites. Il est en partie circonscrit par les décisions qui ont établi, dans certaines circonstances, des fourchettes générales de peines applicables à certaines infractions, en vue de favoriser, conformément au principe de parité consacré par le Code, la cohérence des peines infligées aux délinquants. Il faut cependant garder à l'esprit que, bien que les tribunaux doivent en tenir compte, ces fourchettes représentent tout au plus des lignes directrices et non des règles absolues. Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu'elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine. Une telle sanction n'est donc pas nécessairement inappropriée, mais elle doit tenir compte de toutes les circonstances liées à la perpétration de l'infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l'infraction a été commise.

[17]           Bref, le juge de première instance a une grande discrétion, et une cour d'appel ne peut intervenir que dans des circonstances qui dénotent une erreur de principe, une insistance indue sur un facteur approprié ou encore une omission de considérer un facteur pertinent, à moins que la peine soit tout simplement manifestement non indiquée, autrement dit, nettement déraisonnable. C'est dans cet esprit de retenue que les cours d'appel conservent néanmoins le pouvoir de vérifier si la peine s'harmonise à celles infligées « pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables »; c'est d'ailleurs le paragr. 718.2 b) C.cr. qui le prévoit.

[18]           De même, dans R. c. M.(C.A.), précité, on peut lire :

92 Il va de soi que les cours d'appel jouent un rôle important en contrôlant et en réduisant au minimum la disparité entre les peines infligées à des contrevenants similaires, pour des infractions similaires commises dans les diverses régions du Canada. [...] Toutefois, dans l'exercice de ce rôle, les cours d'appel doivent néanmoins faire montre d'une certaine retenue avant d'intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire spécialisé que le législateur fédéral a expressément accordé aux juges chargés de déterminer les peines. [...] Pour ces motifs, conformément à la norme générale de contrôle que nous avons formulée dans Shropshire, je crois qu'une cour d'appel ne devrait intervenir afin de réduire au minimum la disparité entre les peines que dans les cas où la peine infligée par le juge du procès s'écarte de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires.

[19]           En somme, lorsque la règle d'harmonisation des peines est en cause, seul un écart marqué et substantiel peut justifier l'intervention en appel.

Le principe de la parité

R. c. Liebeck, 2017 NBCA 53



[31]                                                           Le principe de la parité cherche à favoriser l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants [semblables] pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables (voir l’al. 718.2b)). Le principe de la parité vise à éviter l’infliction de peines démesurées à des délinquants lorsque les faits et les circonstances sont essentiellement les mêmes et indiquent que des peines équivalentes ou semblables devraient être infligées (voir R. c. W.E.2010 NLCA 4, [2010] N.J. No. 15 (QL)). Les fourchettes de peines revêtent indiscutablement une grande importance et utilité dans la rationalisation de la peine infligée, mais elles demeurent « tout au plus des lignes directrices et non des règles absolues », et la décision d’y déroger peut être justifiée si la sanction « respecte les principes et les objectifs de détermination de la peine » : R. c. Nasogaluak2010 CSC 6[2010] 1 R.C.S. 206, par. 44. Corrélativement, il a été proposé, avec jurisprudence à l’appui, que le critère d’individualisation fait que la recherche d’une peine appropriée devient un « exercice stérile et théorique » : R. c. M. (C.A.), par. 92. Quoi qu’il en soit, le principe de la parité est « subordonné au principe fondamental de la proportionnalité » : R. c. Lacasse2015 CSC 64[2015] 3 R.C.S. 1089, par. 54. En effet, même si les conditions d’application du principe de la parité sont établies, ce principe « n’interdit pas la disparité si les circonstances le justifient, en raison de l’existence de la règle de la proportionnalité » (en italiques dans l’original) : R. c. L.M.2008 CSC 31[2008] 2 R.C.S. 163, par. 36.

[32]                                                           Quoi qu’il en soit, et tel qu’il a été mentionné précédemment, le principe de la parité commande l’infliction de peines « semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables ». Le principe ne peut être pris en compte que si le tribunal chargé de la détermination de la peine est saisi de données suffisantes concernant : (1) l’accusé et les délinquants dans les affaires invoquées comme étant « semblables »; (2) les circonstances de la perpétration de l’infraction par l’accusé et celles qui existaient dans les affaires prétendument comparables.

 

[33]                                                           Les données requises peuvent être tirées de bien des sources, notamment de la preuve, de l’avocat du ministère public, de l’accusé ou de l’avocat de la défense, des rapports présententiels et des motifs à l’appui de la sentence dans les affaires considérées comme comparables. En règle générale, le dossier devrait normalement comprendre les renseignements suivants avant que le principe de la parité ne puisse entrer en ligne de compte : (1) l’âge du délinquant et des délinquants « semblables »; (2) la description des infractions, notamment du rôle joué par chacun des délinquants; (3) la question de savoir si des plaidoyers de culpabilité ont été enregistrés à peu près au même stade du processus; (4) la volonté des délinquants de s’amender et de réparer les dommages causés; (5) leurs antécédents (p. ex. famille, éducation et dossier d’emploi); (6) leur situation personnelle au moment de la perpétration de l’infraction et de la détermination de la peine; (7) leurs perspectives d’avenir. Comme la Cour l’a souligné dans Lapointe c. R.2010 NBCA 63363 R.N.-B. (2e) 129, « […] le principe de parité n’est pas toujours facile à appliquer, car la multitude de facteurs atténuants et aggravants à considérer rend difficile de trouver des précédents publiés qui coïncident parfaitement » (par. 22). Bien entendu, la recherche porte sur des causes semblables, pas forcément sur des causes « qui coïncident parfaitement ».

La tâche du juge n'est pas de simplement noter la présence de facteurs aggravants et d'imposer la peine maximale si ceux-ci se retrouvent dans la situation du contrevenant

R. v. Reeve, 2020 ONCA 381



[28]      Proportionality and parity are key sentencing principles.

[29]      Sentences must be proportionate to the gravity of the offence and the degree of responsibility of the offender: Criminal Code, s. 718.1. The principle of parity must also be taken into account, involving the idea that “similar offenders who commit similar offences in similar circumstances should receive similar sentences”: Friesen, at para. 31Criminal Code, s. 718.2(b).

[30]      While the trial judge referred to some authorities that had been provided to him by counsel during the sentencing hearing, he found that they were not “helpful due to the individual circumstances of each particular case.” In the end, he disregarded those authorities altogether and imposed a sentence well above any sentence that has previously been imposed for like offenders in like circumstances. 

[31]      The fact that each crime has its own unique circumstances, and is committed by its own unique offender, does not mean that parity has no role to play in the sentencing process. While sentencing ranges cannot be seen as “straitjackets”, and under or overshooting a range will not on its own give rise to a demonstrably unfit sentence, parity remains a strong principle of sentencing, one that exists as an expression of the principle of proportionality: Friesen, at paras. 32, 37, 108Lacasse, at paras. 58, 60-61. Consequently, the principle of proportionality is respected, in part, by referring to sentences imposed in other cases, sentences that reflect the “collective experience and wisdom of the judiciary”: Friesen, at para. 33.

[58]      The task is not to simply check off the aggravating factors with a view to imposing the maximum sentence if each box is ticked. The key is to consider the circumstances underlying each factor and position it on the scale of seriousness. If proportionality and parity are to have meaning, calibrating the seriousness of the aggravating factors is critical to the sentencing exercise.

lundi 23 juin 2025

La fourchette de peines applicable aux infractions de production et de possession de pornographie juvénile

R. c. Laganière, 2024 QCCQ 7655

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[26]        Selon la Cour d’appel dans l’arrêt Marien Frenette[62]l’infraction de production et de possession de pornographie juvénile implique généralement une fourchette de peines entre 12 et 18 mois[63]. Pour établir cette fourchette générale, la Cour d’appel réfère[64] aux arrêts Ricard-PerrasDaudelinIbrahim et Rayo, soit des arrêts qui impliquaient plusieurs autres infractions d’ordre sexuel en plus de celle de possession de pornographie juvénile[65]. Dans Marien Frenette, une peine de 18 mois réduite à 12 mois pour tenir compte du principe de totalité considérant les peines imposées pour d’autres accusations est imposée à un jeune délinquant de 24 ans sans antécédents judiciaires qui avait enregistré 16 photos et 9 vidéos intimes de la plaignante âgée de 14 ans. Le délinquant avait toutefois produit ce matériel illicite en plus de le posséder et avait commis d’autres infractions d’ordre sexuel sur un enfant, contrairement au présent dossier.

[27]        Il convient également de préciser que, jusqu’au prononcé de l’arrêt Terroux par la Cour d’appel, des peines minimales d’incarcération de 6 mois pour les affaires sommaires et de 12 mois pour les accusations portées par acte criminel s’imposaient à moins d’une contestation constitutionnelle de la peine minimale[66]. Étant en présence strictement d’une infraction de possession de pornographie juvénile et considérant l’effet net de l’arrêt Terroux au sujet de la peine minimale, le Tribunal estime que la fourchette récemment identifiée par le juge Benoit Gagnon dans l’affaire R.B. à la suite de son analyse actualisée de la jurisprudence, soit de 60 jours à 18 mois d’emprisonnement[67] pour l’infraction de possession et d’accession d’environ 200 fichiers de pornographie juvénile dont l’âge des enfants est estimé entre 2 et 14 ans est appropriée et adaptée au présent dossier.

[28]        Cela dit, rappelons que les fourchettes de peines constituent des balises utiles, mais non contraignantes[68] et qu’il est permis de s’en écarter lorsque cela est nécessaire pour réaliser le principe cardinal de la proportionnalité[69]. Voilà pourquoi la jurisprudence recense certains cas où la peine infligée s’écarte de cette fourchette, particulièrement lorsque l’infraction est poursuivie par voie sommaire[70].

Un juge doit prendre en compte le jeune âge d'un contrevenant lors de la détermination de la peine

Jean c. R., 2024 QCCA 1137



[39]      L’appelant est âgé de 23 ans au moment des gestes reprochés. Le jeune âge d’un délinquant peut effectivement être considéré à titre de facteur atténuant, surtout lorsqu’il s’agit d’un délinquant qui n’a pas d’antécédents judiciaires. Il est alors possible de croire qu’il s’agit d’une erreur de jeunesse ou de parcours, qui dénote un manque de maturité, mais qui permet d’aspirer à un plus grand potentiel de réhabilitation[5].

[40]      Or, la présence de nombreuses condamnations antérieures[6], de récidives[7] et d’usage de violence[8] minimise grandement l’impact de ce facteur atténuant.

[41]      La juge est pleinement consciente de l’âge de l’appelant, mais elle indique :

[232]   Toutefois, depuis plus de 10 ans, l’accusé, qui a de nombreux antécédents judiciaires, a choisi d’évoluer selon un mode de vie où la criminalité est omniprésente.

[233]   La Cour d’appel du Québec dans Fournier c. R2012 QCCA 1330, rappelle que la jeunesse ne saurait excuser tout comportement et les tribunaux doivent garder présent à l’esprit la nécessité de dissuader d’autres jeunes de commettre les mêmes types de comportements que leurs pairs (par. 43).

[42]      Force est de constater qu’elle tient compte de l’âge de l’appelant, mais exerce sa discrétion dans la pondération qu’elle y accorde[9]. L’appelant ne démontre pas en quoi elle le fait de manière déraisonnable.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Comment le Tribunal doit se gouverner face à la demande d'un co-accusé d'avoir un procès séparé de ses complices

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