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dimanche 3 août 2025

L'actus reus et la mens rea de l'agression sexuelle et les situations qui vicient le consentement

R. c. Leclerc, 2024 QCCQ 5509 



2.1.1   L’ACTUS REUS DE L’INFRACTION D’AGRESSION SEXUELLE

[92]        L’agression sexuelle consiste en des voies de fait, c’est-à-dire l’utilisation intentionnelle de la force, directement ou indirectement, contre une personne sans son consentement, commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime[52].

[93]        En soi, une agression sexuelle est un geste de domination illégale[53].

[94]        L’actus reus de l’agression sexuelle requiert la preuve des trois éléments suivants:

(1) des attouchements;

(2) la nature sexuelle des contacts;

(3) l’absence de consentement[54].

[95]      Les deux premiers éléments sont objectifs. Le degré de force requis est minimal, puisqu’un simple toucher peut constituer une agression sexuelle[55].

[96]      L’absence de consentement est subjective et déterminée par rapport à l’état d’esprit subjectif dans lequel se trouvait en son for intérieur la plaignante à l’égard des attouchements, lorsqu’ils ont eu lieu[56]. Il s’agit d’une question de fait. Les preuves ayant une incidence sur cette question peuvent inclure les suivantes[57] :

a)   La preuve directe de la plaignante quant à son état d’esprit au moment en question;

b)   Toutes autres preuves pertinentes, y compris celles des paroles et actes de la plaignante, avant et pendant l’évènement.

[97]      Le Tribunal rappelle que le consentement « implicite ou tacite » d’une plaignante n’existe pas en droit canadien[58].

[98]      Pour que l’actus reus soit établi, point n’est besoin que la plaignante ait manifesté l’absence de consentement ou la révocation de son consentement[59].

[99]      Il importe de rappeler que l’analyse du consentement en ce qui concerne l’actus reus de l’agression sexuelle doit se faire distinctement de l’analyse du consentement en ce qui concerne la mens rea de l’infraction[60].

[100]   Le Tribunal doit évaluer l’ensemble de la preuve, incluant le témoignage de la plaignante, afin de déterminer son état d’esprit au moment des évènements. Le Tribunal doit aussi déterminer si les paroles et les actes de la plaignante soulèvent un doute raisonnable quant à l’existence de ce consentement subjectif[61]À cette étape, il n’est pas nécessaire d’examiner la perspective de la personne accusée[62].

[101]   Si la plaignante témoigne qu’elle n’a pas consenti et que le Tribunal la croît, il n’y a tout simplement pas eu de consentement; l’analyse de l’actus reus se termine[63]. Si le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable du fait que la plaignante ne consentait pas aux attouchements[64], il doit alors s’interroger sur la mens rea de l’accusé[65].

2.1.2   LE CONSENTEMENT À L’ÉTAPE DE  L’ACTUS REUS

[102]     Dans le cas d’une agression sexuelle, le consentement consiste en l’accord volontaire d’une plaignante à l’activité sexuelle[66]. Une personne ne peut consentir à l’avance à une activité sexuelle qui est censée avoir lieu ultérieurement. En effet, le consentement doit être concomitant à l’activité sexuelle[67].

[103]     Dit autrement, le consentement de la plaignante doit être exprimé pour chaque acte sexuel spécifique[68].

[104]     À titre d’exemple :

-        Donner son accord à une forme de pénétration ne vaut pas consentement à toute forme de pénétration, et consentir à ce qu’une partie de son corps soit touchée ne vaut pas consentement à toute forme de contacts sexuels[69].

-        Le consentement à une pénétration « avec » condom ne signifie pas qu’il y a également consentement à une pénétration « sans » condom[70].

-        le fait d’exprimer son plaisir et de consentir à être touchée ne constitue pas un consentement à être pénétrée[71].

[105]     Constitue une erreur de droit pour un accusé de croire qu’une plaignante lui accorde d’avance un consentement général ou global à diverses activités sexuelles non définies[72].  Il est erroné en droit de penser qu’une plaignante peut donner son accord à une activité sexuelle ultérieure d’une nature non définie[73].

2.1.3   LES SITUATIONS QUI VICIENT LE CONSENTEMENT

[106]     L’article 265 (3) du Code criminel énumère une série de situations dans lesquelles le consentement d’une plaignante est vicié, soit :

a)   L’emploi de la force envers la plaignante ou une autre personne;

b)   Des menaces d’emploi de la force ou de la crainte de cet emploi de la force envers la plaignante ou une autre personne;

c)   De la fraude;

d)   De l’exercice de l’autorité.

[107]     La soumission d’une plaignante n’équivaut pas à un consentement[74].

[108]     De même, l’article 273.1 (2) du Code criminel édicte qu’il y a absence du consentement dans les circonstances suivantes :

a)   Le consentement provient d’un tiers;

b)   La plaignante est inconsciente (perte de conscience);

c)   La plaignante est incapable de former un consentement (incapacité générale de donner un consentement);

d)   L’accusé incite la plaignante à l’activité sexuelle par abus de confiance ou de pouvoir;

e)   La plaignante manifeste, par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à l’activité sexuelle;

f)     La plaignante, après avoir consenti à l’activité sexuelle, manifeste par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à la poursuite de celle-ci (retrait du consentement).

[109]     Le consentement d’une plaignante ne se déduit pas lorsqu’elle est incapable de le former[75]. Une personne ne peut consentir à l’avance à une activité sexuelle alors qu’elle sera inconsciente. Le consentement doit émaner d’une personne consciente et lucide pendant toute la durée de l’activité sexuelle. Toute personne doit avoir la possibilité de demander à son partenaire sexuel de cesser l’activité sexuelle à tout moment[76].

[110]     Le fait qu’une plaignante soit « éveillée », bien que nécessaire, n'est pas suffisant pour qu’elle puisse donner un consentement valable[77]. En effet, pour qu’elle ait la « capacité » de donner un consentement subjectif à l’activité sexuelle, une plaignante doit être lucide et en mesure de comprendre : (1) l’acte physique; (2) le fait que l’acte est de nature sexuelle; (3) l’identité de son partenaire; (4) le fait qu’elle peut refuser de participer à l’activité sexuelle[78].

[111]     En général, il est de la responsabilité de chaque personne de s’assurer du consentement de son partenaire sexuel, en prenant des mesures raisonnables avant l’activité en question. Lorsque l'un des participants à des limitations mentales manifestes, le seuil de cette responsabilité augmente de façon exponentielle[79].

3.1      LE CONSENTEMENT À L’ÉTAPE DE LA MENS REA

[129]     L’agression sexuelle est une infraction d’intention générale[87]. L‘intention peut s’inférer par l’accomplissement de l’acte interdit[88], puisqu’une agression sexuelle n’est pas un acte qui arrive par accident[89].

[130]     Le poursuivant n’a pas à démontrer un but illégitime ou inavoué de la part d’un accusé[90]. Ainsi, même en l’absence de toute motivation sexuelle, une personne peut être déclarée coupable[91].

[131]   La mens rea de l’infraction d’agression sexuelle comporte deux éléments:

(1)  l’intention de se livrer à des attouchements;

(2)  la connaissance, l’insouciance ou l’aveuglement volontaire au sujet de l’absence de consentement[92].

[132]     La mens rea de l’agression sexuelle est établie non seulement lorsqu’il est démontré que l’accusé savait que la plaignante disait essentiellement « non », mais encore lorsqu’il est démontré qu’il savait que la plaignante, essentiellement, ne disait pas « oui »[93].

[133]     Dans le cadre de la mens rea, c’est le point de vue de l’accusé qu’il faut prendre en compte pour décider s’il avait connaissance de l’absence de consentement de la plaignante[94].

Plus la conduite d’une plaignante sera ambiguë, plus l’activité sexuelle sera envahissante ou susceptible de présenter des risques pour la santé et la sécurité des participants, plus les mesures prises par un accusé pour s’assurer du consentement devront être élevées

R v Hay, 2022 ABCA 246 

Lien vers la décision


[10]            Section 276(1) of the Criminal Code prohibits the use of prior sexual activity where it fuels propensity reasoning. The legislative framework governing the admissibility of prior sexual activity addresses the twin myths that continue to linger in the legal landscape of sexual assault: that a complainant’s sexual experience means they are more likely to have consented to the sexual activity that forms the subject matter of the charge or are less worthy of belief: Goldfinch at paras 34-38. Section 276(2) sets out the conditions for admissibility of such evidence. The applicant must show the proposed evidence:

(a) is of specific instances of sexual activity;

(b) is relevant to an issue at trial; and

(c) has significant probative value that is not substantially outweighed by the danger of prejudice to the proper administration of justice: Goldfinch at para 49.

[11]           The factors that a judge must consider are set out in s 276(3) of the Criminal Code. Relevance is the key to the analytical framework. Bare assertions that the evidence will be relevant to an issue at trial or relevant to context, narrative, or credibility will not satisfy s 276: Goldfinch at para 51.

[12]           Evidence of previous sexual activity may be relevant and admissible to a defence of honest but mistaken belief in communicated consent. However, the defence cannot rest upon evidence that the complainant at “some point” consented to the sexual activity in the past. This is twin-myth reasoning: Goldfinch at para 62. Mr Hay had to show how the complainant communicated consent in the past to support his belief that the complainant expressed her consent to the specific sexual activity of anal intercourse at the time in question.

[13]           The trial judge correctly noted in her voir dire decision that mistaken belief in communicated consent will not stand if the belief is based on implied consent, broad advance consent, or propensity to consent, citing R v Barton2019 SCC 33 at para 97 [Barton]. Silence, passivity, or ambiguous conduct does not equate to consent and assuming they do is therefore also a mistake of law: Hay (Voir Dire) at para 50, citing R v Ewanchuk1999 CanLII 711 (SCC), [1999] 1 SCR 330 at para 51 [Ewanchuk].

[14]           The trial judge also noted Moldaver J’s comments in Barton that increasingly invasive sexual activity means a reasonable person must take greater care in ascertaining consent:

For example, the more invasive the sexual activity and/or the greater risk posed to the health and safety of those involved, common sense suggests that a reasonable person would take greater care in ascertaining consent. The same holds true where the accused and the complainant are unfamiliar with one another, thereby raising the risk of miscommunications, common misunderstandings, and mistakes. At the end of the day, the reasonable steps inquiry is highly contextual, and what is required will vary from case to case: Hay (Voir Dire) at para 53, citing Barton at para 108.

[18]           As the trial judge recognized, communicated consent must be given to every sexual act in a particular encounter. To make out the defence, Mr Hay must show “he believed that the complainant communicated consent to engage in the sexual activity in question”: Ewanchuk at para 46 [emphasis in original]. The trial judge conflated anal digital penetration with anal intercourse, an error that permeated the trial decision. These are distinct sexual acts. “[A]greement to one form of penetration is not agreement to any or all forms of penetration and agreement to sexual touching on one part of the body is not agreement to all sexual touching”: R v Hutchinson, 2014 SCC 19 at para 54.

[19]           Taking Mr Hay’s evidence at its highest, it fails to ground his argument that he believed the complainant communicated consent to engage in anal intercourse; notably absent was any evidence that Mr Hay believed the complainant had communicated consent to this specific act. At best, the evidence of previous sexual activity would have grounded his belief that the complainant might consent or was likely to consent to anal intercourse. This is not sufficient. The evidence did not meet the test for relevance and should not have been admitted or relied on by the trial judge in her subsequent decision.

Droit applicable à l'infraction au profit d’une organisation criminelle

Drouin c. R., 2020 QCCA 1378 

Lien vers la décision


[193]   Le paragr. 467.1(1) C.cr. définit l’expression « organisation criminelle », alors que l’art. 467.12 C.cr. prévoit l’infraction de gangstérisme :

 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

[…]

 

organisation criminelle Groupe, quel qu’en soit le mode d’organisation :

 

a) composé d’au moins trois personnes se trouvant au Canada ou à l’étranger;

 

b) dont un des objets principaux ou une des activités principales est de commettre ou de faciliter une ou plusieurs infractions graves qui, si elles étaient commises, pourraient lui procurer — ou procurer à une personne qui en fait partie — , directement ou indirectement, un avantage matériel, notamment financier.

 

La présente définition ne vise pas le groupe d’individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction. (criminal organization)

 

[…]

 

467.1 (1) The following definitions apply in this Act.

 

 

 

criminal organization means a group, however organized, that

 

 

(a) is composed of three or more persons in or outside Canada; and

 

 

(b) has as one of its main purposes or main activities the facilitation or commission of one or more serious offences that, if committed, would likely result in the direct or indirect receipt of a material benefit, including a financial benefit, by the group or by any of the persons who constitute the group.

 

 

It does not include a group of persons that forms randomly for the immediate commission of a single offence. (organisation criminelle)

 

 

[…]

467.12 (1) Every person who commits an indictable offence under this or any other Act of Parliament for the benefit of, at the direction of, or in association with, a criminal organization is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding fourteen years.

 

(2) In a prosecution for an offence under subsection (1), it is not necessary for the prosecutor to prove that the accused knew the identity of any of the persons who constitute the criminal organization.

 

[194]   En vertu de ces dispositions, la poursuivante doit démontrer les éléments suivants hors de tout doute raisonnable :

1.   La commission d’une infraction sous-jacente;

2.   L’existence d’une organisation criminelle; et

3.   La connaissance subjective de l’accusé que l’infraction sous-jacente a été perpétrée au profit ou sous la direction de cette organisation ou en association avec elle.

[195]   Dans l’arrêt O'Reilly c. R.[188], notre collègue le juge Mainville fait une revue du droit applicable à cette infraction. Il écrit :

[169]   Pour constituer une « organisation criminelle », un « groupe » doit être « composé d’au moins trois personnes » et – même si ce n’est pas expressément énoncé au paragraphe 467.1 (1) – faire preuve d’une structure et d’un certain caractère continu, tel que le prévoit la définition exprimée à la Convention [des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée][189]. Ce sont ces éléments de structure et de continuité qui permettent de distinguer un simple complot impliquant trois personnes et plus d’une organisation criminelle et qui permettent ainsi d’éviter d’étendre indûment la portée des dispositions du Code criminel concernant de telles organisations.

[…]

[172]   Selon le paragraphe 467.1(1), l’organisation doit aussi avoir comme l’un de ses « objets principaux » ou une de ses « activités principales » le fait « de commettre ou de faciliter une ou plusieurs infractions graves qui, si elles étaient commises, pourraient lui procurer – ou procurer à une personne qui en fait partie –, directement ou indirectement, un avantage matériel, notamment financier ». La Cour d’appel de l’Ontario a récemment précisé dans R. v. Beauchamp que les adjectifs « principaux » et « principales » s’entendent dans un sens qualitatif et non pas nécessairement quantitatif; ainsi, selon le contexte, même si des activités licites sont principalement menées par l’organisation, cela n’empêche pas de qualifier comme « principales » les activités illicites si les circonstances s’y prêtent[190].

[…]

[173]   Les infractions graves de l’organisation doivent aussi « lui procurer — ou procurer à une personne qui en fait partie —, directement ou indirectement, un avantage matériel, notamment financier ». Il suffit qu’un seul membre de l’organisation reçoive un avantage matériel pour répondre à la définition.

[174]   Une des questions qui se posent en l’espèce est celle de savoir à quelles conditions une personne peut être considérée comme faisant partie d’une organisation criminelle. La question est importante puisque, selon le paragraphe 467.1 (1) du Code criminel, il ne peut y avoir d’organisation criminelle sans un groupe « composé d’au moins trois personnes ».

[175]   À cette fin, l’analyse doit porter sur les liens effectifs entre les prétendus membres du groupe. Ceux-ci doivent avoir des liens d’interdépendance au sein de l’organisation. Il n’est pas nécessaire que ce lien soit caractérisé par un rôle décisionnel au sein de l’organisation[191]. Néanmoins, les membres doivent jouer un rôle au sein de l’organisation établissant leur interdépendance et non pas être simplement associés à l’organisation[192] aux fins d’« une transaction mutuellement avantageuse entre deux parties qui n’[ont] aucun lien de dépendance »[193].

[176]   Certains facteurs peuvent être considérés à cet égard :

(a) nature du lien : la personne exerce-t-elle des fonctions bien déterminées sous le contrôle ou la direction d’un autre membre de l’organisation ou de concert avec celui-ci ou, au contraire, agit-elle avec une grande indépendance dénotant l’absence de lien de dépendance avec l’organisation?[194];

(b) degré de loyauté et d’engagement : la personne démontre-t-elle une certaine loyauté ou un certain engagement continu envers l’organisation ou, au contraire, sa participation est-elle ponctuelle?[195]; en effet, les liens entre les membres du groupe doivent normalement être « continus et organisés » puisque l’objet de la loi « consiste à identifier et à déstabiliser les groupes de trois personnes ou plus qui présentent un risque élevé pour la société en raison des liens continus et organisés entre leurs membres »[196];

(c) intérêt : la personne possède-t-elle un intérêt direct ou indirect dans la viabilité de l’organisation, notamment un intérêt financier?[197]

Ces facteurs ne sont ni cumulatifs ni limitatifs. C’est l’analyse de l’ensemble des circonstances qui permet de décider si une personne est membre d’une organisation criminelle.

[177]   Pour obtenir la condamnation d’un accusé en vertu de l’article 467.12 du Code criminel, le ministère public doit prouver, en sus de l’actus reus et de la mens rea de l’infraction sous-jacente, l’existence d’une organisation criminelle et la connaissance de l’accusé que l’infraction a été perpétrée au profit ou sous la direction de cette organisation ou en association avec elle. Cependant, il n’est pas nécessaire d’établir que l’accusé est effectivement membre de l’organisation criminelle, comme l’a confirmé le juge Fish dans R. c. Venneri : […]

[53]      L’expression « en association avec » doit être interprétée selon son sens ordinaire et dans le contexte de la disposition. En l’occurrence, elle est accompagnée des expressions « sous la direction » de et « au profit » de. Ces expressions ne s’excluent pas l’une l’autre. Au contraire, elles ont le même objectif et se chevauchent souvent dans leur application. Elles ont pour objet commun d’éliminer le crime organisé. À cette fin, elles ciblent spécifiquement les infractions qui sont liées aux organisations criminelles et en servent les intérêts.

[54]      Envisagée sous cet angle, l’expression « en association avec » vise les infractions qui servent, au moins dans une certaine mesure, les intérêts d’une organisation criminelle — même si elles ne sont commises ni sous la direction de l’organisation ni principalement à son profit. […]

[55]      L’expression « en association avec » exige un lien entre l’infraction sousjacente et lorganisation, par opposition à un simple lien entre laccusé et lorganisation : […]

[56]      Rappelons qu’un contrevenant peut commettre une infraction « en association avec » une organisation criminelle dont il n’est pas membre. Le fait d’être membre d’une organisation demeure toutefois un facteur pertinent pour déterminer si le lien requis entre l’infraction et l’organisation a été établi (voir Drecic, par. 3).

[57]      Le ministère public doit également démontrer que l’accusé faisait sciemment affaire avec une organisation criminelle. La réprobation sociale associée à l’infraction exige de l’accusé une mens rea subjective quant à son association avec l’organisation (voir Lindsay (2004 C.S.J.), par. 64). [198]

[Soulignements dans l’original; certains renvois omis]

Droit applicable à l'infraction de recyclage des produits de la criminalité

Drouin c. R., 2020 QCCA 1378 

Lien vers la décision


L’actus reus

[97]      L’actus reus de cette infraction est relativement vaste et consiste à prouver (1) que les biens ou leurs produits proviennent d’une infraction désignée et (2) qu’ils ont été traités de l’une des manières décrites dans cette disposition.

[98]      En d’autres mots, pour « traiter » un bien provenant directement ou indirectement d’une infraction criminelle, l’accusé doit commettre une activité spécifique avec ce bien. Ces activités sont les suivantes : l’utiliser, l’enlever, le livrer à une personne ou à un endroit, le transporter, le modifier, en disposer, en transférer la possession, ou encore, prendre part à toute autre forme d’opération à son égard[90].

[99]      Comme l’écrivait le juge Laskin, alors à la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt R. v. Tejani[91], en criminalisant ce large spectre de comportements, le législateur voulait répondre à la préoccupation selon laquelle le recyclage des produits de la criminalité peut se manifester de plusieurs façons différentes. Par exemple, par le biais d'institutions financières qui acceptent des dépôts, par le biais d'entreprises de change, dans les secteurs des valeurs mobilières et des assurances, par le recours à l'immobilier ou à des sociétés, et par l'achat de produits de grande valeur[92].

[100]   En 2004, dans l’arrêt R. c. Daoust[93], la Cour suprême devait se pencher sur la définition de l’une des activités énumérées à l’article 462.31 C.cr., soit celle de « transfére[r] la possession » d’un bien. Dans cette affaire, l’accusé faisait face à un chef de recyclage des produits de la criminalité parce qu’il avait acheté des biens volés dans le but de les revendre dans son magasin. La poursuivante prétendait que l’achat de biens volés constituait un transfert de possession au sens de l’art. 462.31 C.cr.

[101]   Procédant à l’interprétation de cette expression, la Cour suprême s’est uniquement fiée aux termes employés dans le texte de la version française puisqu’en raison d’un oubli du législateur, cette version de l’article 462.31 C.cr. ne contenait pas, à cette époque, les mots « ou prend part à toute autre forme d’opération à leur égard ». Les mots « or otherwise deals with » apparaissaient uniquement dans la version anglaise. La Cour suprême observe alors ceci en ce qui a trait à l’intention du législateur :

44        On peut conclure de l’historique des textes législatifs traitant de l’infraction de recyclage des produits de la criminalité que l’intention réelle du Parlement était bien de criminaliser tous les actes accomplis (« toutes autres opérations ») à l’égard des produits du crime dans l’intention de les cacher ou de les convertir. Cette intention du législateur est explicite dans la version anglaise de l’art. 462.31. Toutefois, l’intention législative qui est révélée par l’historique doit en être une qui peut raisonnablement trouver appui dans le texte de la loi.  Ce n’est pas le cas en l’espèce. Le législateur n’a pas réalisé son intention dans la rédaction de l’art. 462.31; voilà pourquoi la version française, qui a un sens plus restreint, doit être favorisée. Il ne s’agit pas, en l’espèce, seulement de trouver l’intention que poursuivait le législateur, mais bien l’intention qu’il a exprimée: Goldman c. La Reine1979 CanLII 60 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 976, p. 994-995.

[Soulignements ajoutés]

[102]   Elle écarte alors l’interprétation large retenue dans l’affaire Tejani en notant « que le juge Laskin infér[ait] l’objectif du projet de loi C-61 en se référant uniquement à la version anglaise […] et non en essayant de trouver le sens commun des versions française et anglaise. L’analyse de l’affaire Tejani n’est donc pas utile sur ce point dans la mesure où elle ne traite que de la version anglaise »[94].

[103]   C’est dans ce contexte que la Cour suprême conclut que « [l]es gestes criminalisés par cette disposition visent tous la même personne, soit celle qui, à l’origine, a l’objet en sa possession et cherche à s’en défaire »[95]. Selon cette interprétation, la personne qui reçoit un bien criminellement obtenu ou qui l’achète ne peut en transférer la possession au sens de l’article 462.32 C.cr. puisqu’elle n’en a pas déjà la possession. À l’inverse, la personne qui vend, donne, utilise, échange ou livre un bien obtenu criminellement en a déjà la possession avant d’accomplir une de ces activités[96].

[104]   À la suite de l’arrêt Daoust, le législateur a choisi d’ajouter les mots « ou prend part à toute autre forme d’opération à leur égard » à la version française afin qu’elle corresponde à la version anglaise. Il ne fait donc plus de doute que l’intention du législateur est de criminaliser tous les actes accomplis à l’égard des produits du crime dans l’intention de les cacher ou de les convertir, ce qui rejoint l’interprétation retenue par juge Laskin dans l’arrêt Tejani.

[105]   Ainsi, dans l’arrêt Trac de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Doherty écrit que « [t]he actus reus or conduct component of the offence created by s. 462.31 captures a broad array of activities involving property or the proceeds of property. Almost anything done with property will satisfy the conduct component of the offence »[97].

La mens rea

[106]   La mens rea comporte les deux éléments suivants : (1) l’accusé doit savoir ou croire que les biens traités proviennent d’une infraction désignée et (2) avoir l’intention de les cacher ou de les convertir[98].

[107]   Puisque l’art. 462.31 C.cr. emploie les mots « infraction désignée », une croyance générale que les biens traités proviennent d’une activité criminelle sera insuffisante pour entraîner une déclaration de culpabilité. Par contre, selon les auteurs Manning et Sankoff, s’il est porté à la connaissance de l’accusé que les biens proviennent d’une infraction relativement sérieuse, cette croyance sera suffisante[99]. Ainsi, il n’est pas nécessaire pour la poursuivante de démontrer tous les détails de l’infraction désignée[100].

[108]   Enfin, si l’intention de cacher les biens implique une idée de dissimulation, ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’intention de les convertir. Selon la Cour suprême, « convertir » a un sens plus large et signifie « modifier » ou « transformer » un bien. Ce qui importe est que la personne qui convertit un bien qu’elle sait ou croit être de provenance criminelle ne doit pas en profiter[101].

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...