LSJPA — 1521, 2015 QCCA 1229
[20] Cette analyse, avec égards, comporte une erreur de fait déterminante. L’appelant n’avait pas son permis du Bureau de la sécurité privée. Par conséquent, comme il le dit, il n’était pas reconnu comme agent de sécurité. L’analyse comporte également une erreur de principe en plaçant les perceptions de la juge sur l’attitude de l’appelant à la barre des témoins au centre de l’analyse. Je m’explique.
[27] Le ministère public rappelle la jurisprudence bien connue sur la norme d’intervention en matière de crédibilité voulant qu’une cour d’appel n’intervienne pas à la légère sur les conclusions du juge d’instance[5]. Je rappelle cependant que cette règle ne place pas pour autant le jugement à l’abri d’une intervention[6]. Il ne fait aucun doute ni dans mon esprit ni en droit, comme le souligne d’ailleurs l’intimée, qu’un juge d’instance bénéficie de l’avantage d’observer et d’entendre les témoins[7]. Toutefois, l’avantage ne saurait transformer l’appréciation de la crédibilité en un exercice purement subjectif, prêtant ainsi flan à l’arbitraire.
[28] Bien que l’appréciation de la crédibilité soit un exercice qui comporte une part d’intangible[8], cet élément ne peut devenir l’unique point déterminant[9]. Si l’évaluation comportementale du témoin est indissociable de l’exercice d’appréciation du témoignage, les juges doivent néanmoins en reconnaître les pièges. Ce facteur devient injuste lorsqu’il prend le dessus et embrouille l’analyse. C’est le cas de l’arrogance d’un accusé. Notre Cour a reconnu que cette attitude est sans pertinence avec la crédibilité, et encore moins avec la culpabilité. Voici ce qu’écrit la Cour :
[138] Ensuite, [la juge] évoque le mépris dont l'appelant a fait preuve à l'endroit du plaignant dans son témoignage. Avec égards, cette considération est sans pertinence avec sa crédibilité, et encore moins avec sa culpabilité. Certes, le fait de mépriser quelqu'un attire rarement la sympathie, mais cela ne peut d'aucune manière constituer un indice que l'on ment en affirmant ne pas l'avoir agressé sexuellement. De surcroît, il faut reconnaître qu'une attitude de mépris ne serait en rien incompatible avec l'innocence de l'appelant. En fait, il peut y avoir une certaine logique pour une personne faussement accusée de démontrer une attitude hostile à l'endroit de son accusateur. Le mépris démontré par l'appelant ne pouvait donc miner sa crédibilité et cette considération était étrangère à la question de savoir s'il disait la vérité ou s'il mentait. Il est acquis qu'un accusé ne peut être condamné que si la preuve démontre hors de tout doute raisonnable qu'il a commis les infractions reprochées. [10]
[29] Plusieurs cours, dont la nôtre, ont appelé les juges à la prudence dans l’appréciation du comportement humain, et encore plus lors d’un témoignage, un moment de tension[11]. Comme le rappelait le juge Proulx « Justice does not descend automatically upon the best actor in the witness-box »[12].
[30] Je reprends ici à mon compte les propos de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse :
28 What is somewhat troubling is the trial judge's persistent reference to the "demeanour" of witnesses as an indicator of their credibility. While demeanour is a legitimate marker in the assessment of the veracity and reliability of someone taking the stand, it is not the only measure and must, I respectfully suggest, always be approached with caution.
29 One is not judging character. The obligation is to ascertain the truthfulness and reliability of a person's testimony. Appearances alone may be very deceptive. A most reprehensible witness may well be telling the truth. A polished, well-mannered individual may prove to be a consummate liar.[13]
[31] Par ailleurs, accorder trop de poids à un comportement antipathique risque d’entraîner le juge sur la pente glissante d’un raisonnement interdit et fondé sur la propension. Ce risque est nettement plus présent lorsque l’accusation porte sur de nombreux actes qui s’échelonnent sur une certaine période[14]. J’estime que cette erreur affecte également la décision de la juge d’instance lorsqu’elle perçoit « que l’accusé est un être contrôlant… avec la nature des accusations faisant l’objet du présent dossier ». Dans un contexte de violence conjugale, il s’agit indéniablement d’un piège important. La juge devait expliquer que la preuve, et non ses perceptions, démontrait des traits de caractère pertinents, une preuve en principe inadmissible, puis qu’elle l’utilisait conformément au droit[15]. En demeurant dans le domaine de la perception, il y a un risque de préjuger les éléments factuels qui sont soumis en preuve.
[32] J’insiste pour dire que ce n’est pas, à strictement parler, la conclusion sur la crédibilité de l’appelant qui est en cause, mais le cheminement intellectuel de la juge pour y parvenir. Avec égards, elle commet deux erreurs reliées. La première erreur en est une de principe lorsque la juge fait reposer indûment son évaluation de la crédibilité sur des observations comportementales. La seconde, qui appuie la première selon la juge, est l’erreur de fait déterminante quant au véritable statut de l’appelant comme agent de sécurité.
[34] J’ai déjà expliqué pourquoi l’insistance sur les perceptions et observations comportementales a permis un raisonnement mal fondé. Quant aux contradictions, voire même uniquement les faiblesses de la preuve, c’est-à-dire l’élément objectif de l’équation, la juge n’en fait aucune analyse. Cela rejoint en partie le second moyen de l’appelant sur la suffisance de la motivation. Je reprends ici les propos du juge Watt :
72 … The reasons are devoid of any mention of credibility and display no consideration of reliability. We know what the trial judge decided, namely that the prosecution had proven its case, but we know not why he reached that conclusion.[16]
[39] Lorsque l’issue de la cause repose sur des versions contradictoires, le juge doit montrer qu’il a vraiment examiné la question de savoir si la version de l’appelant, appréciée dans l’ensemble de la preuve, soulève un doute raisonnable. Dans l’arrêt Wadforth, la Cour d’appel de l’Ontario rappelait ce qui suit :
67 … Findings on credibility must be made with regard to the other evidence in the case, thus the need to make at least some reference to the contradictory evidence. In the end, the detail provided must demonstrate that the trial judge has seized the substance of the issue in the case tried. While no detailed account of all conflicting evidence is mandated, in a case where credibility is critical, the trial judge must direct his or her mind to the decisive question of whether the accused's evidence, considered in the context of all the evidence adduced at trial, raises a reasonable doubt about the accused's guilt: R. v. Dinardo, 2008 CSC 24 (CanLII), [2008] 1 S.C.R. 788 (S.C.C.), at paras. 23 and 30; M. (R.E.) at para. 50.