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samedi 30 août 2025

Lorsque l’issue de la cause repose sur des versions contradictoires, le juge doit examiner la question de savoir si la version de l’accusé, appréciée dans l’ensemble de la preuve, soulève un doute raisonnable

LSJPA — 1521, 2015 QCCA 1229

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[20]        Cette analyse, avec égards, comporte une erreur de fait déterminante. L’appelant n’avait pas son permis du Bureau de la sécurité privée. Par conséquent, comme il le dit, il n’était pas reconnu comme agent de sécurité. L’analyse comporte également une erreur de principe en plaçant les perceptions de la juge sur l’attitude de l’appelant à la barre des témoins au centre de l’analyse. Je m’explique.

[27]        Le ministère public rappelle la jurisprudence bien connue sur la norme d’intervention en matière de crédibilité voulant qu’une cour d’appel n’intervienne pas à la légère sur les conclusions du juge d’instance[5]. Je rappelle cependant que cette règle ne place pas pour autant le jugement à l’abri d’une intervention[6]. Il ne fait aucun doute ni dans mon esprit ni en droit, comme le souligne d’ailleurs l’intimée, qu’un juge d’instance bénéficie de l’avantage d’observer et d’entendre les témoins[7]. Toutefois, l’avantage ne saurait transformer l’appréciation de la crédibilité en un exercice purement subjectif, prêtant ainsi flan à l’arbitraire.

[28]        Bien que l’appréciation de la crédibilité soit un exercice qui comporte une part d’intangible[8], cet élément ne peut devenir l’unique point déterminant[9]. Si l’évaluation comportementale du témoin est indissociable de l’exercice d’appréciation du témoignage, les juges doivent néanmoins en reconnaître les pièges. Ce facteur devient injuste lorsqu’il prend le dessus et embrouille l’analyse. C’est le cas de l’arrogance d’un accusé. Notre Cour a reconnu que cette attitude est sans pertinence avec la crédibilité, et encore moins avec la culpabilité. Voici ce qu’écrit la Cour :

[138] Ensuite, [la juge] évoque le mépris dont l'appelant a fait preuve à l'endroit du plaignant dans son témoignage. Avec égards, cette considération est sans pertinence avec sa crédibilité, et encore moins avec sa culpabilité. Certes, le fait de mépriser quelqu'un attire rarement la sympathie, mais cela ne peut d'aucune manière constituer un indice que l'on ment en affirmant ne pas l'avoir agressé sexuellement. De surcroît, il faut reconnaître qu'une attitude de mépris ne serait en rien incompatible avec l'innocence de l'appelant. En fait, il peut y avoir une certaine logique pour une personne faussement accusée de démontrer une attitude hostile à l'endroit de son accusateur. Le mépris démontré par l'appelant ne pouvait donc miner sa crédibilité et cette considération était étrangère à la question de savoir s'il disait la vérité ou s'il mentait. Il est acquis qu'un accusé ne peut être condamné que si la preuve démontre hors de tout doute raisonnable qu'il a commis les infractions reprochées. [10]

[29]        Plusieurs cours, dont la nôtre, ont appelé les juges à la prudence dans l’appréciation du comportement humain, et encore plus lors d’un témoignage, un moment de tension[11]. Comme le rappelait le juge Proulx « Justice does not descend automatically upon the best actor in the witness-box »[12].

[30]        Je reprends ici à mon compte les propos de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse :

28 What is somewhat troubling is the trial judge's persistent reference to the "demeanour" of witnesses as an indicator of their credibility. While demeanour is a legitimate marker in the assessment of the veracity and reliability of someone taking the stand, it is not the only measure and must, I respectfully suggest, always be approached with caution.

29 One is not judging character. The obligation is to ascertain the truthfulness and reliability of a person's testimony. Appearances alone may be very deceptive. A most reprehensible witness may well be telling the truth. A polished, well-mannered individual may prove to be a consummate liar.[13]

[31]        Par ailleurs, accorder trop de poids à un comportement antipathique risque d’entraîner le juge sur la pente glissante d’un raisonnement interdit et fondé sur la propension. Ce risque est nettement plus présent lorsque l’accusation porte sur de nombreux actes qui s’échelonnent sur une certaine période[14]. J’estime que cette erreur affecte également la décision de la juge d’instance lorsqu’elle perçoit « que l’accusé est un être contrôlant… avec la nature des accusations faisant l’objet du présent dossier ». Dans un contexte de violence conjugale, il s’agit indéniablement d’un piège important. La juge devait expliquer que la preuve, et non ses perceptions, démontrait des traits de caractère pertinents, une preuve en principe inadmissible, puis qu’elle l’utilisait conformément au droit[15]. En demeurant dans le domaine de la perception, il y a un risque de préjuger les éléments factuels qui sont soumis en preuve.

[32]        J’insiste pour dire que ce n’est pas, à strictement parler, la conclusion sur la crédibilité de l’appelant qui est en cause, mais le cheminement intellectuel de la juge pour y parvenir. Avec égards, elle commet deux erreurs reliées. La première erreur en est une de principe lorsque la juge fait reposer indûment son évaluation de la crédibilité sur des observations comportementales. La seconde, qui appuie la première selon la juge, est l’erreur de fait déterminante quant au véritable statut de l’appelant comme agent de sécurité.

[34]        J’ai déjà expliqué pourquoi l’insistance sur les perceptions et observations comportementales a permis un raisonnement mal fondé. Quant aux contradictions, voire même uniquement les faiblesses de la preuve, c’est-à-dire l’élément objectif de l’équation, la juge n’en fait aucune analyse. Cela rejoint en partie le second moyen de l’appelant sur la suffisance de la motivation. Je reprends ici les propos du juge Watt :

72 … The reasons are devoid of any mention of credibility and display no consideration of reliability. We know what the trial judge decided, namely that the prosecution had proven its case, but we know not why he reached that conclusion.[16]


[39]        Lorsque l’issue de la cause repose sur des versions contradictoires, le juge doit montrer qu’il a vraiment examiné la question de savoir si la version de l’appelant, appréciée dans l’ensemble de la preuve, soulève un doute raisonnable. Dans l’arrêt Wadforth, la Cour d’appel de l’Ontario rappelait ce qui suit :

67 … Findings on credibility must be made with regard to the other evidence in the case, thus the need to make at least some reference to the contradictory evidence. In the end, the detail provided must demonstrate that the trial judge has seized the substance of the issue in the case tried. While no detailed account of all conflicting evidence is mandated, in a case where credibility is critical, the trial judge must direct his or her mind to the decisive question of whether the accused's evidence, considered in the context of all the evidence adduced at trial, raises a reasonable doubt about the accused's guilt: R. v. Dinardo2008 CSC 24 (CanLII), [2008] 1 S.C.R. 788 (S.C.C.), at paras. 23 and 30M. (R.E.) at para. 50.

S’il est vrai qu’une simple inquiétude ou un sentiment d’inconfort ne suffisent pas pour déclarer un individu coupable de harcèlement criminel, l’élément de la crainte subjective n’exige pas pour autant que la victime soit terrifiée

R. c. Rancourt, 2020 QCCA 933

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[35]   Or, les tribunaux ont depuis reconnu que la crainte subjective d’une victime pour sa sécurité en matière de harcèlement criminel s’étend non seulement à la sécurité physique, mais également à la sécurité psychologique ou émotionnelle[14].

[36]   Dans l’affaire R. v. Gowing, la Cour de justice de l’Ontario affirme d’ailleurs[15] :

[...] the intention of the legislature that a victim's fear for his or her safety must include psychological and emotional security. To restrict it narrowly, to the risk of physical harm by assaultant behaviour, would ignore the very real possibility of destroying a victim's psychological and emotional well-being by a campaign of deliberate harassment. If conduct by an accused person constitutes embarking on a course of conduct that causes a person reasonably to fear for his or her emotional and psychological safety, when viewed objectively, this would, in my view, constitute an offence under this section.

[37]        S’il est vrai qu’une simple inquiétude ou un sentiment d’inconfort ne suffisent pas pour déclarer un individu coupable de harcèlement criminel[16], l’élément de la crainte subjective n’exige pas pour autant que la victime soit terrifiée[17]. À cet égard, le juge Donald de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique énonce également[18] :

I do not accept the notion that victims of harassment must suffer ill health or major disruption in their lives before obtaining the protection of s. 264.

[38]        Il est ainsi possible pour un tribunal d’inférer, à la lumière de l’ensemble des circonstances et des témoignages, qu’une personne a subjectivement craint pour sa sécurité, et ce, même si celle-ci n’emploie pas les termes « crainte » ou « peur » dans le cadre de son témoignage[19].

[39]        Les auteurs Manning et Sankoff confirment que l’élément de crainte doit être évalué dans son contexte[20] :

Naturally, whether the victim was fearful and whether this fear was objectively reasonable, are both case sensitive matters to be addressed in context. This includes consideration of the relationship between the two parties, the measures taken to discourage the conduct in question, and the nature and extent of the prohibited activity.

[40]   L’auteure Santerre souligne également la difficulté que pose l’interprétation d’un état émotionnel et d’un sentiment intériorisé par un tiers observateur[21] :

L'interprétation juridique d'un tel état émotionnel s'avère d'autant plus complexe dans la mesure où la réalité extérieure, celle qui est perceptible par des témoins, n'est pas toujours conforme avec la réalité psychique de la personne apeurée. Une situation de peur n'a de sens qu'à travers le filtre de la subjectivité de la personne qui ressent cette émotion. Il est donc possible que l'appréciation par un observateur externe puisse différer de l'intensité émotive réellement vécue par la personne harcelée. Ce faisant, une verbalisation de la crainte ressentie lors du procès par le plaignant s'avère préférable, sous peine qu'un doute soit soulevé dans l'esprit du magistrat et qu'un acquittement soit prononcé. En outre, la déclaration d'un témoin oculaire quant à l'état de la victime peut s'avérer utile. La peur étant intériorisée, les mots utilisés afin de décrire la crainte ressentie éclairent le tribunal quant à l'intensité émotionnelle, bien qu'une telle extériorisation ne semble pas impérative.

[Soulignements ajoutés]

[41]   La professeure Isabel Grant ajoute ceci au sujet du défi que présente l’interprétation du témoignage de la victime à cet égard[22]:

[29] […]

The presence of fear is a subjective test, and judges should not be too quick to dismiss testimony about emotional states which they perceive to be inconsistent with actions. It is important to point out that in these cases the judges were not yet dealing with whether or not the complainants’ fear was reasonable, but just with whether the fear existed. It is disconcerting that in observing the complainants’ behaviour, the judges failed to recognize that fear for one’s safety can co-exist with attempts to normalize one’s life or to appear brave in the face of fear. This could be especially true in cases where, for example, a complainant fears for the psychological safety of a child, or where family responsibilities dictate maintaining as normal a life as possible for the well-being of others.

[Soulignements ajoutés]

[42]        Dans l’arrêt Côté c. R.[23], la Cour souligne que l’article 264(1) C.cr. a pour but d’assurer la sécurité des personnes et de prévenir les crimes plus graves qui peuvent découler d’une situation de harcèlement qui dégénère et engendre la peur chez la victime, notamment à l’issue d’une rupture amoureuse :

[20]   L’objet de cette disposition, entrée en vigueur le 1er décembre 1993, est d’assurer la sécurité des personnes, une tranquillité d’esprit et, surtout, de prévenir ou tenter de prévenir les crimes les plus graves qui sont commis lorsque les comportements harcelants dégénèrent.

[21]   Bruce MacFarlane dans un excellent texte traitant à la fois de l’aspect juridique et sociologique du harcèlement criminel souligne que l’histoire a démontré que dans plusieurs cas, les femmes victimes de meurtre ou de voies de fait avaient d’abord été victimes de harcèlement. Le harcèlement peut survenir à la suite d’une rupture amoureuse ou encore lorsque les victimes sont l’objet d’une obsession ou d’une fixation de la part d’un inconnu. Les vedettes sont parfois victimes de ce type de harcèlement.

[22]   MacFarlane souligne que bien que tous les harceleurs ne soient pas violents, tous sont imprévisibles. C’est l’aspect irrationnel de leur manie qui engendre la peur chez leur victime3.

[Références omises]

[43]   Les propos de la Cour de justice de l’Ontario dans l’affaire R. v. Szostak[24] vont dans le même sens[25] :

Fear can often reflect, I think, a state of uncertainty as to what an individual is capable of, or what his intentions might be, or what consequences might ensue.

[44]   Toutefois, dans cette affaire particulière, il faut signaler que l’ensemble de la preuve, dont les antécédents de violence de l’accusé, permettait d’inférer que la plaignante craignait pour sa sécurité, bien qu’elle ait seulement témoigné être « agacée, mais habituée / annoyed but getting used to it ».

[45]   Ceci étant, les auteurs James Cornish, Kelly Murray et Peter Collins discutent en ces termes de la crainte qui peut animer la victime quant à l’inconnu ou l’incertitude qui la guette :

[F]ear of the unknown must be sufficient to meet the test, since that is precisely the fear that harassers often attempt to generate: a state of mental unease that permeates virtually every aspect of the target's life.[26]

vendredi 29 août 2025

Il est permis à un juge d'instance de considérer le comportement d’un témoin comme un facteur parmi d’autres dans l’appréciation de la crédibilité, pourvu qu’il ne lui accorde pas trop d’importance

R. c. Bourdeau, 2022 ONCA 662 

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[51]      Les décisions de cette cour et d’autres cours d’appel conseillent les juges de première instance de ne pas accorder trop de poids à la manière de témoigner d’un témoin. Les gens réagissent et se présentent différemment. Il est toutefois permis de considérer le comportement d’un témoin comme un facteur parmi d’autres dans l’appréciation de la crédibilité pourvu qu’on ne l’accorde pas trop d’importance : R. v. Norman (1993), 1993 CanLII 3387 (ON CA), 16 O.R. (3d) 295, au para. 55 ; R. v. D.P.2017 ONCA 263, au para. 26 ; R. v. J.L.2022 ONCA 271, aux paras. 6-10 ; R. v. E.H.2020 ONCA 405, au para. 91 ; R. v. Rhayel2015 ONCA 377, 324 C.C.C. (3e) 362, aux paras. 85-89 ; LSJPA – 15212015 QCCA 1229, aux paras. 28-32 ; R. c. Cedras (1994), 1994 CanLII 5843 (QC CA), 32 C.R. (4e) 305 (C.A.Q.).

La preuve propre au témoin ainsi que sa crédibilité sur la manière dont les choses se sont passées ne tombent pas nécessairement dans la catégorie des préjugés

Lemire-Tousignant c. R., 2020 QCCA 1065

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[8]            Comme l’appelant l’admet dans son mémoire, la crédibilité et la fiabilité des témoignages étaient au cœur du débat en première instance. Il soutient cependant que son témoignage a été injustement écarté sur la base de préjugés et de stéréotypes dont aurait fait montre le juge au moment de le déclarer coupable pour les infractions en cause.

[9]           La valeur probante d’un témoignage doit être appréciée sous l’éclairage de la preuve présentée au juge de première instance, et non à partir de présupposés et de stéréotypes[4]. Il est donc important de porter une attention toute particulière aux formulations et aux termes choisis au moment de discuter la crédibilité d’un témoin :

[20]      First, the Court cannot conclude these reasons without noting that the judgment under appeal contains various expressions and observations that might be viewed as injudicious and inappropriate.  Judges in all courts must be cautious to avoid the risk that the language they use might be viewed in this way or that it might be understood as a reflection of myths or stereotypes that legislative and judicial measures have sought to eliminate.  It is also a reason – another reason – why it is preferable in reasons that require detailed and nuanced explanation be written in advance and be neither oral nor extemporaneous.[5]

[10]        Une conclusion basée sur des préjugés ou des stéréotypes et non sur la preuve constitue une erreur de droit[6]. Cela est vrai tant pour les victimes que pour les accusés d’une agression sexuelle :

[35]      S’il est acquis que « [l]es plaignants devraient être en mesure de compter sur un système libre de mythes et de stéréotypes et sur des juges dont l’impartialité n’est pas compromise par ces suppositions tendancieuses », a fortiori doit-il en être de même pour l’accusé.

[36]      Bien sûr, la juge pouvait ne pas croire l’appelant pour d’autres raisons découlant de la preuve. Ce dernier bénéficie toutefois de la présomption d’innocence, laquelle ne saurait être écartée sur la base de préjugés. De toute évidence et de façon consciente ou non, la juge a oublié ce principe fondamental. En lisant ses motifs, on ne sait pas si elle a déclaré l’appelant coupable en raison de la force persuasive de la preuve ou parce qu’en raison de son jeune âge, il ne pouvait que vouloir assister, voire participer à l’activité sexuelle en cours.[7]

[11]        Par ailleurs, les affirmations qui visent la preuve propre au témoin ainsi que sa crédibilité sur la manière dont les choses se sont passées ne tombent pas nécessairement dans la catégorie des préjugés :

[3]        Le juge du procès n’a pas non plus rejeté erronément le témoignage de l’appelant sur la base de généralisations et de stéréotypes. Tout comme les juges majoritaires de la Cour d’appel, nous sommes d’avis que les affirmations du premier juge à cet égard visaient la preuve propre à l’appelant lui-même ainsi que la crédibilité des prétentions de celui-ci quant à la façon dont il avait réagi dans les circonstances particulières de l’espèce, et non quelque conception stéréotypée de la façon dont les hommes se conduiraient dans de telles circonstances.[8]

 [Soulignement ajouté]

[12]        Aussi, dans l’appréciation de la version d’un témoin, son comportement ou son attitude à la barre peut s’avérer un élément pertinent aux fins de décider de la valeur à accorder à son témoignage, d’autant plus lorsque ce type de constat tiré par le juge du procès se conjugue avec d’autres facteurs pertinents :

[88]      On peut certes s’interroger sur l’évaluation fondée sur le comportement ou l’attitude de l’appelant en témoignant et sur l’à-propos des mots « l'accusé cherche ses mots, hésite, bafouille et joue constamment avec ses mains ». Un juge peut évidemment tenir compte du comportement d’un témoin, de sa façon de témoigner. Il ne faut toutefois pas se laisser indûment influencer par un tel examen et, entre autres, il ne faut pas se baser sur ce seul constat d’autant qu’il est de plus en plus reconnu qu’un tel exercice peut être déficient, comme le rappellent les auteurs Roach, Brown, Shaffer et Renaud :

[…] There is also considerable research which shows that the cues which are most widely believed to be correlated with deception such as gaze aversion, smiling and fidgeting are in fact not associated at all. […][9]

[Soulignement ajouté]

[13]        Cependant, si les perceptions du juge à l’égard d’un témoin se retrouvent au cœur de l’analyse de la crédibilité, une erreur de principe peut en découler. Une cour d’appel sera alors justifiée d’intervenir sur une question de cette nature, notamment lorsque la culpabilité de l’accusé repose en grande partie sur ce que le juge a constaté en salle de cour[10].

La crainte d’une victime pour sa sécurité s’étend à sa sécurité psychologique et ne se limite pas à la crainte d’un danger physique en matière d'harcèlement criminel

Edgar c. R., 2024 QCCA 1236

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[35]      Avant de conclure sur ce moyen d’appel, il importe de reconnaître que les victimes de harcèlement peuvent se comporter différemment les unes des autres. Pour établir qu’une victime craignait pour sa sécurité, il n’est pas nécessaire de prouver qu’elle a réagi d’une manière spécifique à son harceleur, par exemple en battant retraite, en se cachant, en reculant ou même en l’évitant. Comme l’a écrit la professeure Isabel Grant : [traduction] « […] la crainte pour sa sécurité peut coexister avec des tentatives de normaliser ce qu’on vit ou de donner l’apparence qu’on fait face à sa peur avec courage[9]. » En l’espèce, ce n’est pas une incompatibilité entre les actions de la plaignante le 18 mars 2018 et celles d’une personne craignant pour sa sécurité qui a amené la juge du procès à conclure qu’il existait un doute raisonnable, mais plutôt comme expliqué ci-dessus, une incompatibilité entre ses actions et son propre témoignage.

[36]      Compte tenu de la conclusion de la Cour, il n’est pas nécessaire d’analyser le second moyen d’appel de l’appelant.

[37]      Ne reste donc que le moyen subsidiaire soulevé par l’intimé, à savoir que la juge a erré en axant son analyse exclusivement sur la crainte d’un préjudice physique et en omettant de tenir compte de sa crainte d’un préjudice psychologique.

[38]      Comme la Cour l’a noté dans l’arrêt Rancourt, les tribunaux ont depuis longtemps reconnu que la crainte d’une victime pour sa sécurité s’étend à sa sécurité psychologique et ne se limite pas à la crainte d’un danger physique[10]. En l’espèce, la plaignante a effectivement parlé des souffrances psychologiques vécues par suite des actes de l’appelant. Toutefois, la Cour n’est pas d’accord avec l’assertion que la juge du procès n’a pas reconnu cette forme de crainte lorsqu’elle a tiré sa conclusion. Rien ne permet de croire qu’en confrontant le témoignage de la plaignante à ses actions du 18 mars 2018, la juge du procès ait axé son analyse exclusivement sur une forme de crainte au détriment d’une autre. En tout état de cause, ses conclusions quant à la crédibilité et à la fiabilité suffisent à soulever un doute quant au fait que la plaignante craignait pour sa sécurité physique ou psychologique. Enfin, il convient d’ajouter que, dans la mesure où la juge du procès pourrait être considérée comme ambiguë à cet égard, ces ambiguïtés devraient être interprétées d’une manière compatible avec une application correcte de la loi[11]. En conséquence, ce moyen d’appel échoue.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...