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jeudi 23 janvier 2014

Comment apprécier valablement si un avocat représente des intérêts opposés

R. c. Racine, 2004 CanLII 14153 (QC CS)


[35]            Dans l’arrêt Martin et Succession MacDonald, le juge Sopinka de la Cour suprême expose les principes généraux suivants sur la déontologie de la profession d’avocat :
p. 1242  « La seule question en litige dans ce pourvoi est la norme qu’il convient d’appliquer pour décider si Thompson, Dorfman, Sweatman doivent être déclarés inhabiles à continuer d’occuper pour leur client dans cette action pour raison de conflit d’intérêts.
Déontologie de la profession d’avocat – Principes généraux
  Pour résoudre cette question, la Cour doit prendre en considération au moins trois valeurs en présence. Au premier rang se trouve le souci de préserver les normes exigeantes de la profession d’avocat et l’intégrité de notre système judiciaire. Vient ensuite en contrepoids, le droit du justiciable de ne pas être privé sans raison valable de son droit de retenir les services de l’avocat de son choix. Enfin, il y a la mobilité raisonnable qu’il est souhaitable de permettre au sein de la profession. » (Soulignements ajoutés)

[36]            Quant aux critères à retenir en matière de conflit d’intérêts et de confidentialité, le juge Sopinka poursuit :
p. 1259
Le critère à retenir
   Quelle doit donc être la bonne approche? La norme de la « probabilité de préjudice » est-elle assez exigeante pour donner à la justice ce caractère apparent que le public exige d’elle? À mon sens, elle ne l’est pas; ce que confirment la jurisprudence que j’ai citée et le désir de la profession juridique d’avoir des règles strictes de déontologie, comme le démontre l’adoption du Code canadien de déontologie professionnelle. Le critère de la probabilité de préjudice correspond essentiellement à la norme de preuve en matière civile. Nous nous en tenons aux probabilités, tel est le fondement de l’arrêt Rakusen. Force m’est cependant de conclure que le public, et même les avocats et les juges, ont jugé cette norme insuffisante. L’utilisation de renseignements confidentiels est habituellement impossible à prouver. Comme le fait remarquer le lord juge Fletcher Moulton dans l’arrêt Rakusen, [traduction] « ce n’est pas possible de le prouver »(p. 841). J’ajouterais : « ou de le réfuter ». S’il en était autrement, le public se satisferait sans doute d’une preuve d’absence de préjudice. Mais comme c’est impossible à prouver, le critère retenu doit tendre à convaincre le public, c’est-à-dire une personne raisonnablement informée, qu’il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels. Voilà, à mon sens, la ligne directrice primordiale que doit suivre la Cour en répondant à la question : sommes-nous en présence d’un conflit d’intérêts de nature à rendre l’avocat inhabile à agir? Il faut souligner à cet égard que cette conclusion suppose que le client n’a pas acquiescé, mais qu’il s’oppose au mandat qui est à l’origine du conflit présumé » (Soulignements ajoutés)

[37]            Dans le même arrêt, le juge Cory dit ce qui suit :
p. 1265
« Les avocats font partie intégrante de notre système judiciaire et y jouent un rôle absolument indispensable. C’est à eux qu’il incombe de préparer et de défendre les causes de leurs clients devant les tribunaux. En vue de l’audition d’une question litigieuse, le client doit souvent confier des renseignements confidentiels à l’avocat qu’il a mandaté. Il doit souvent, par nécessité, dévoiler à son avocat ses plans et ses désirs les plus secrets, ses craintes les plus vives. Le client doit avoir la certitude que l’avocat ne révélera pas ses confidences ni n’en tirera profit.
  Sans cela, notre système judiciaire serait incapable de fonctionner. Si le public se demande si les renseignements confidentiels communiqués par un client à un avocat seront divulgués ou s’il soupçonne qu’ils pourraient l’être, le système ne peut pas fonctionner normalement.
  Incontestablement, un tel doute naîtrait sûrement dans l’esprit du public s’il avait l’impression que les avocats se mettent dans une situation susceptible de donner lieu à un conflit d’intérêts, notamment en changeant de cabinet.
Prenons l’hypothèse où un client mêlé à une affaire litigieuse aurait confié des renseignements confidentiels à un avocat. Si cet avocat exerçait avec un associé, le public jugerait déloyal et tout à fait inacceptable que l’associé puisse occuper pour l’adversaire du client. De même, si cet avocat se joignait à un cabinet que l’adversaire du client a mandaté au sujet de la même affaire, même le membre du public le plus raisonnable et le plus juste trouverait intolérable que ce cabinet occupe pour ceux dont les intérêts sont opposés à ceux de ce client. Dans les deux situations, une impression de déloyauté ressortirait de la facilité avec laquelle des avocats travaillant ensemble dans le même cabinet pourraient s’échanger des renseignements confidentiels confiés par des clients. »  (Soulignements ajoutés)


[38]            Dans la présente affaire, le Tribunal conclut qu’il y a apparence à tout le moins de conflit d’intérêts et un public raisonnablement informé craindrait pour l’intégrité du système judiciaire.

[44]            Le Tribunal croit nécessaire de commenter certaines décisions portées à son attention.

[45]            Dans l’affaire R. c. Joyal, la Cour d’appel n’a pas retenu un moyen d’appel soulevé par l’accusé-appelant qui prétendait ne pas avoir eu un procès juste et équitable vu que le procureur ad hoc de la Couronne avait été son avocat cinq ans auparavant. Dans cette affaire, l’accusé-appelant a été parfaitement mis au courant de cette situation et n’avait pas fait objection à ce que son avocat agisse pour la Couronne; de plus, il n’y avait aucune possibilité apparente d’un préjudice au droit à un procès juste et équitable.

[46]            Dans le jugement R. c. Berrardo rendu par le juge Jean-Guy Boilard de la Cour supérieure, le juge Boilard dit ce qui suit :
p. 2
«  Dans le cas actuel, la seule personne qui est en mesure de déterminer la base factuelle d’un empêchement dirimant pour Me Poupart de représenter Berrardo c’est justement son ancien client Beaudoin. »

[47]            Toutefois, dans le cas actuel Dominique Racine n’est pas un ancien client mais encore un client actuel.

[48]            Dans la décision R. c. Stockwell, le juge Pierre Béliveau dit ce qui suit :
Par. 55
« Cette jurisprudence, presqu’entièrement postérieure à l’arrêt Succession MacDonald c. Martin, nous apprend clairement qu’une apparence de conflit doit s’appuyer sur plus que des hypothèses éloignées, à moins que le conflit soit inhérent à la situation. En sus, il faut tenir compte du fait qu’en droit pénal, un accusé a droit d’être défendu par l’avocat de son choix. »

[49]            Dans la présente affaire, le Tribunal constate que le conflit est justement inhérent à la situation.

[50]            Dans un arrêt rendu par la Cour d’appel le 12 septembre 1990, l’affaire Louis Henry c. Sa Majesté La Reine, le juge Gendreau, exprimant le jugement unanime de la Cour, dit ce qui suit :
p. 6
« Je présume que la Couronne entendra appeler comme témoin ce que l’on appelait euphémystiquement la source c’est-à-dire un dénommé Beauchamp. Je présume qu’aucun des avocats en défense n’a été l’avocat de ce témoin là. » (Soulignements ajoutés)

[51]            Dans l’arrêt R. c. Neil, le juge Binnie de la Cour suprême rappelle le devoir de loyauté d’un avocat envers un client existant et il cite les paroles de Lord Henry Brougham appelé en 1821 à prendre la défense de la reine Caroline accusée par son époux le roi Georges IV :
p. 641
« L’avocat, dans l’accomplissement de son devoir, ne connaît qu’une personne au monde et cette personne est son client. Le sauver par tous les moyens, aux dépens et au risque de tous les autres et, parmi les autres, de lui-même, est son premier et son unique devoir et il doit s’en acquitter sans se préoccuper de l’inquiétude, des tourments ou de la destruction qu’il peut causer à autrui. Il doit faire la distinction entre ses devoirs de patriote et ses devoirs d’avocat et agir sans se soucier des conséquences, jusqu’à entraîner son pays dans la confusion si malheureusement tel doit être son destin. »

[52]            En l’occurrence, le Tribunal croit que Me Pelletier ne peut être loyal à la fois à Dominique et à Michel Racine.

Revue du droit sur la déclaration d'inhabilité d'un avocat

R. c. Maltais, 2007 QCCQ 1378 (CanLII)


[5]               Tant le code d’éthique des membres du Barreau , que le droit d’un accusé en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés d’être représenté par un avocat loyal et compétent, oblige chaque avocat de s’assurer avant d’accepter un mandat qu’il peut le remplir sans risque de se retrouver en situation de conflit d’intérêts. Il y va de l’intégrité et du respect du système judiciaire par les citoyens, que chaque justiciable soit représenté, non seulement par des membres du Barreau compétents, mais libres de toute contrainte qui pourrait les entraver voire les gêner dans la défense des intérêts de leurs clients. Dans l’affaire Neil , le juge Binnie écrivait : « Si une partie à un litige n'est pas assurée de la loyauté sans partage de son avocat, ni cette partie ni le public ne croiront que le système juridique, qui leur paraît peut-être hostile et affreusement complexe, peut s'avérer un moyen sûr et fiable de résoudre leurs conflits et différends. » Voilà une ligne de conduite très claire pour tous les intervenants du système judiciaire.

[6]               Rappelons qu’il n’appartient pas seulement à la partie opposée à soulever cette question, mais également à chaque avocat lui-même puisque ce sont les droits du justiciable qui sont en cause, et non ceux de l’avocat. Il est aussi évident que si la poursuite se doit de signaler, dès qu'elle le constate, toute situation de conflit d'intérêts, en aucun cas elle ne doit se servir de cette potentielle requête en déclaration d'inhabileté comme instrument de négociation quelconque, geste qui serait certes contraire à l'éthique . Il y va tout autant du devoir du tribunal présidant un procès de s’assurer qu’un accusé représenté par un avocat, ne le soit pas par un avocat qui est en situation de conflit d’intérêts réel ou potentiel , par souci de préserver les normes exigeantes de la profession d'avocat et d'intégrité du système judiciaire.

[7]               Dans une décision qui constitue l’autorité en la matière, la Cour suprême  fixe les règles applicables sur la question. Dans le résumé on peut y lire : « Pour décider s'il existe un conflit d'intérêts entraînant une inhabilité, la Cour doit prendre en considération trois valeurs en même temps: 1) le souci de préserver les normes exigeantes de la profession d'avocat et l'intégrité de notre système judiciaire; 2) en contrepoids, le droit du justiciable de ne pas être privé sans raison valable de son droit de retenir les services de l'avocat de son choix; 3) la mobilité raisonnable qu'il est souhaitable de permettre au sein de la profession. La "probabilité de préjudice", qui est le critère anglais traditionnel, n'est pas une norme assez exigeante pour assurer à la justice ce caractère apparent que le public exige d'elle. L'utilisation de renseignements confidentiels est habituellement impossible à prouver et le critère retenu doit donc tendre à convaincre le public, c'est-à-dire une personne raisonnablement informée, qu'il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels. »


[8]               Les précédents sont nombreux sur cette question de conflit d’intérêts. Ainsi est en situation de conflit le procureur qui « a antérieurement » représenté une personne, devenue maintenant témoin à charge en poursuite, et cela même si son mandat est terminé . Représenter plusieurs accusés dans un dossier conjoint entraîne toujours le risque de conflit, et la possibilité en appel pour un accusé déclaré coupable d’invoquer la question. Les accusations réfèrent-elles à un « complot » que forcément la situation est alors la plus susceptible de créer un conflit. Enfin est en situation de conflit d’intérêts on ne peut plus flagrante, l’avocat qui représente des accusés dont certains ont fait des déclarations incriminantes contre d’autres accusés qu’il représente également. 

mercredi 22 janvier 2014

Le principe cardinal devant guider la Cour quant à la déclaration d'inhabilité d'un avocat: le devoir de loyauté

R. c. Neil, 2002 CSC 70 (CanLII), [2002] 3 RCS 631


Certes, la plupart du temps, lorsqu’une partie lui demande de déclarer un avocat inhabile à continuer d’agir dans une affaire, ou une autre réparation connexe, la cour se préoccupe de l’utilisation, à bon ou à mauvais escient, de renseignements confidentiels; néanmoins, le devoir de loyauté envers un client actuel englobe un principe de portée beaucoup plus large de prévention des conflits d’intérêts, qui peut mettre en cause, ou non, l’utilisation de renseignements confidentiels.  Les aspects du devoir de loyauté pertinents quant au pourvoi incluaient effectivement des questions de confidentialité relativement aux affaires Canada Trust, mais les trois aspects suivants étaient plus particulièrement en cause : le devoir d’éviter les conflits d’intérêts, un devoir de dévouement à la cause du client et un devoir de franchise envers le client pour les questions pertinentes quant au mandat.  La règle générale interdit à un avocat de représenter un client dont les intérêts sont directement opposés aux intérêts immédiats d’un autre client actuel — même si les deux mandats n’ont aucun rapport entre eux — à moins que les deux clients n’y aient consenti après avoir été pleinement informés (et de préférence après avoir obtenu des avis juridiques indépendants) et que l’avocat ou l’avocate estime raisonnablement pouvoir représenter chaque client sans nuire à l’autre.

L'appréciation de la "démesure"

R. c. Manning, 2013 CSC 1 (CanLII), [2013] 1 RCS 3
[5]                              À l’instar de la Cour d’appel du Québec 2011 QCCA 900 (CanLII), (2011 QCCA 900 (CanLII)), nous sommes d’avis que le juge de première instance a commis une erreur à cet égard : voir R. c. Craig2009 CSC 23 (CanLII), 2009 CSC 23, [2009] 1 R.C.S. 762, par. 13.
[6]                              Toutefois, contrairement à la Cour d’appel, et avec égards, nous estimons que l’erreur commise par le juge du procès est fatale à sa conclusion. 
[7]                              En outre, au vu du dossier dont nous disposons, nous ne sommes pas convaincus que la confiscation sollicitée par le ministère public était « démesurée », au sens où il faut entendre ce mot pour l’application du par. 490.41(3) du Code criminel.  En tirant une conclusion différente, le juge du procès a erronément mis l’accent sur la situation personnelle de M. Manning et n’a pas accordé, comme l’exige le par. 490.41(3), le poids voulu au casier judiciaire de ce dernier, notammentcinq déclarations de culpabilité à l’égard d’infractions relatives à la conduite sous l’effet de l’alcool et trois à l’égard de manquements à des ordonnances de probation ou à des engagements.

L'exécution d'un mandat de perquisition qui s'étend au delà de 21h00 ne devient pas invalide de ce fait

R. v. Gallinger, 2012 ONCJ 600 (CanLII)
[53]                  The defence argued that the police remained in the residence past 8:59pm the time set out by the telewarrant and that this continued presence was a violation of the warrant. I find that there was no violation as the police clearly entered the residence within the prescribed time frame. As set out in R. v. Woodall [1993] O.J. No. 4001 (OCA) the warrant authorized entry by that time. It did not require exit by that time. This principle was recently supported in the decision of R. v. Rafferty [2012] O.J. No. 2132 at paragraph 28:
“The law is clear that once the police enter the premises within the time frame specified in the search warrant, as they did here, the warrant remains operative until the police complete their search and finally leave the premises.”

lundi 20 janvier 2014

Les délais anticipés

R. c. Auclair, 2013 QCCA 671 (CanLII)


[29]        Il faut noter que ce ne sont pas les délais tels qu'ils existaient au moment du jugement qui fondent la décision du juge d'arrêter les procédures sur les chefs 2 à 7, mais bien les délais anticipés. Voici ce qu'il écrit :
[134] La Cour est d'avis que les délais actuels ne sont pas déraisonnables. Considérant l'ampleur de la preuve, la gravité et le nombre d'accusations et d'accusés, le processus qui est en marche depuis deux ans ne soulève pas de doute réel quant à son caractère raisonnable.
[135] Qu'en est-il des délais anticipés? Dans un premier temps, la Cour suprême a reconnu qu'il est possible d'ordonner une réparation en prévision d'une violation future ou appréhendée. Le fardeau qui repose sur un requérant dans tel cas a été succinctement décrit par la Cour d'appel du Québec :
[157]     Il n'est pas contesté qu'en matière de droit constitutionnel, c'est à la personne qui affirme être victime de la violation d'un droit de démontrer l'existence d'une atteinte, selon la prépondérance des probabilités. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'une violation appréhendée, le requérant doit démontrer l'existence d'un risque assez grave, ou encore d'une forte probabilité ou d'un haut degré de probabilité.
[136] Pour permettre l'analyse de cette question, il faut procéder dans un premier temps à établir le rang chronologique des procès. La séparation de l'A.D.D. a créé 11 groupes qui doivent subir chacun un procès. Quel groupe sera désigné pour subir son procès en premier? En dernier? Il est acquis que deux procès procéderont simultanément au Centre judiciaire Gouin, quoique le début du deuxième puisse être retardé pour s'assurer qu'il n'y aura pas de conflit dans la présentation des témoins.
[30]        Après une minutieuse analyse de la situation, le juge de première instance retient le calendrier décrit précédemment. Conscient qu'il ne peut s'agir d'un exercice exact et mathématique, il conclut toutefois que, à compter du procès numéro 6 (le groupe de 31), les accusés ont « établi une haute probabilité sinon la certitude que leur procès ne pourrait pas avoir lieu dans un délai raisonnable ». En d'autres termes, au regard des accusations de trafic de drogue et de gangstérisme, le délai de plus de six ans est déraisonnable. Par contre, en tenant compte de l'importance des accusations de meurtre et de la complexité des procédures et de la preuve, ce délai se justifie lorsque l'on considère les chefs 1 (complot de meurtre) et 8 à 29 (meurtres) qui seront l'objet du cinquième procès. Il écrit, à ce sujet :
[153] La Cour a considéré les facteurs suivants. Premièrement, si les requérants faisant partie des groupes 1 à 5 et 7 à 11 devaient subir deux procès, ce serait dû au choix de la poursuivante et à une contrainte statutaire. Ce ne sont pas les requérants qui ont créé cette situation en demandant la séparation des chefs. La Cour a considéré qu'en vertu de l'article 589 C.cr., un requérant pouvait consentir à être jugé sur tous les chefs lors d'un procès. Cette possibilité est plutôt théorique que réaliste dans le présent dossier. Pourquoi un requérant, faisant face à des accusations de meurtre au premier degré, adopterait-il une position qui permettrait qu'une preuve de mauvais caractère étalée sur deux ans avant le début des meurtres et durant sept ans après soit admise lors du procès?
[155] La Cour a analysé la nature des accusations. Si toutes les accusations sont importantes, il est particulièrement nécessaire pour l'intérêt public que les chefs de complot de meurtre et de meurtre au premier degré soient jugés. C'est la raison pour laquelle la Cour n'est pas prête aujourd'hui à conclure qu'un délai allant jusqu'à six ans après les arrestations pour débuter le procès du groupe 5 soit déraisonnable, considérant la criminalité alléguée et son contexte.
[156] L'opinion de la Cour n'est pas la même pour le groupe de 31 qui forme le groupe 6. Quoique importante, la criminalité et les peines anticipées pour les membres de ce groupe ne peuvent pas se comparer aux membres des groupes 1 à 5. […]
[157] La Cour a également considéré le préjudice que subissent les requérants. Comme tous les accusés, ils sont présumés innocents. Compte tenu de la nature des accusations, la grande majorité sera détenue préventivement pour la durée des procédures. Pour ceux qui retrouveront leur liberté grâce à l'octroi d'un cautionnement, ils seront sujets à des conditions de mise en liberté contraignantes.
[158] En terminant, si la Cour n'avait pas atteint la certitude que les délais pour certains groupes deviendraient déraisonnables, elle n'aurait pas choisi d'intervenir. Dans le présent dossier, lorsque tous les éléments sont examinés, la Cour est d'avis que sa décision était inévitable
[77]        Par ailleurs, en écrivant que « si la Cour n'avait pas atteint la certitude que les délais pour certains groupes deviendraient déraisonnables, elle n'aurait pas choisi d'intervenir », le juge indique que, non seulement, il fonde sa décision sur l'existence de délais anticipés, mais surtout qu'il est convaincu que ces délais se réaliseront. Cette affirmation est importante et j'y reviendrai.
[78]        L'appelante est d'avis qu'un tribunal ne peut ordonner l'arrêt des procédures sur la base de délais anticipés. Je ne partage pas son avis.
[79]        Elle cite cet extrait de l'arrêt de cette Cour R. c. Coulombe pour soutenir son argument :
[4] En réalité, le seul motif du juge porte sur l’anticipation d’un délai qui pourrait, hypothétiquement, être déraisonnable. Cela ne peut fonder une décision de déclarer un arrêt des procédures en application de l’article 11 b) de la Charte canadienne des droits.
[80]        Or, cet arrêt ne supporte pas l'argument. D'une part, les délais dans Coulombe n'avaient rien à voir avec les délais qui sont en cause dans le présent appel. D'autre part, ce que dit l'arrêt c'est que, dans le dossier Coulombe, les délais pouvaient hypothétiquement être déraisonnables, ce qui était insuffisant. Ce n'est pas le cas ici, au contraire. Ce n'est pas une situation où les délais pourraient hypothétiquement être déraisonnables : il s'agit de délais qui sont déraisonnables. En somme, des délais anticipés qui, selon le tribunal, se matérialiseront sûrement peuvent parfois, dès lors, être qualifiés de déraisonnables.
[81]        En l'espèce, contrairement à l'opération Printemps 2001, aucune salle d'audience supplémentaire n'a été construite ou n'est prévue pour répondre adéquatement à l'influx engendré par ces arrestations. Aucune mesure n'a été prise par l'État pour permettre la tenue des procès dans des conditions raisonnables. Devant ce constat, le juge pouvait conclure, sur la base de la complexité du dossier, que les délais qu'il avait identifiés ne pourraient être moindres. Devant une telle conclusion, devait-il attendre encore avant d'arrêter les procédures? Devait-il laisser le préjudice se concrétiser avant d'intervenir alors que deux ans s'étaient déjà écoulés depuis les arrestations? Je ne le crois pas. D'ailleurs, la suite des choses tend à lui donner raison : comment prétendre que son estimation était exagérée, alors que, aujourd'hui, quatre ans après les arrestations, aucun témoin n'a encore été entendu. En fait, on pourrait raisonnablement croire que les délais seront encore plus longs que ceux retenus par le juge.
[82]        Dans R. c. Brassard, il est écrit qu'un tribunal pourrait tenir compte d'un « inevitable anticipatory delay ». Cela est certes exceptionnel, mais l'exercice ne peut être qualifié d'erroné. Tout dépend du degré de certitude qu'atteint le tribunal. En l'espèce, je rappelle que le juge de première instance écrit qu'il a la « certitude » que les délais deviendraient déraisonnables. En d'autres mots, le juge est certain que ces délais se matérialiseront et qu'ils causeront préjudice aux accusés. À mon avis, cela est suffisant.
[83]        Par ailleurs, dans Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray)1995 CanLII 86 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 97, dans des motifs concordants, le juge Cory traite de la notion de violation appréhendée de la Charte. Il écrit :
108     C'est à celui qui fait valoir une violation de la Charte qu'il incombe de la prouver. Il est vrai qu'une réparation peut être accordée pour une menace de violation de la Charte. (Voir Operation Dismantle Inc., précité.) Toutefois, la réparation ne sera accordée que si le demandeur peut prouver qu'il existe un risque assez grave que la violation alléguée se produira effectivement. Dans l'arrêt Operation Dismantle Inc., précité, où la violation appréhendée portait sur l'art. 7, le juge en chef Dickson a adopté (à la p. 458) l'exigence selon laquelle le tribunal n'accordera une réparation à la personne qui cherche à empêcher une action gouvernementale que si elle démontre qu'il y a un "haut degré de probabilité" que la violation de la Charte se produira.
[…]
110     Franchement, je ne vois pas beaucoup de différence entre le critère du "haut degré de probabilité" et celui du "risque réel et important". Ces deux critères signifient essentiellement que le tribunal n'interdira une action gouvernementale que s'il est convaincu qu'il est fort probable qu'en l'absence de cette réparation, il y aura préjudice aux droits d'une personne garantis par la Charte. […]
[Je souligne.]
[84]        Il n'est pas dit que le raisonnement s'applique à tous les droits garantis par la Charte. Je suis toutefois d'avis que cette idée, selon laquelle il faut établir une forte probabilité de violation et de préjudice avant d'ordonner une réparation, peut s'appliquer à la protection du droit à un procès dans un délai raisonnable, même lorsque les délais sont anticipés. C'est ce qu'a fait le juge de première instance en se disant certain que les délais qu'il anticipait se matérialiseraient.
[85]        Dans États-Unis d'Amérique c. Kwok, 2001 CSC 18 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 532, la juge Arbour s'exprime dans le même sens :
66     Le fait qu'on utilise le passé dans le texte anglais du par. 24(1) n'empêche pas, en droit, les tribunaux d'accorder une réparation à l'égard d'éventuelles violations. Dans Operation Dismantle Inc. c. La Reine, 1985 CanLII 74 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 441, notre Cour a indiqué qu'une réparation pouvait être accordée en vertu du par. 24(1) non seulement en cas de violation réelle des droits garantis par la Charte, mais aussi dans le but de prévenir un préjudice éventuel probable dans les cas où le requérant peut démontrer qu'il y a risque qu'une telle violation se produise dans un procès à venir. Dans l'arrêt R. c. Vermette, 1988 CanLII 87 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 985, p. 992, on a confirmé la possibilité pour les tribunaux d'accorder des réparations fondées sur la Charte lorsque le demandeur est en mesure de démontrer qu'il y menace de violation future.
[86]        Bref, les violations, mêmes éventuelles, peuvent être l'objet d'une réparation en vertu de la Charte : New Brunswick c. G.(J.)1999 CanLII 653 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 46; R. c. Harrer, [1994] 3 R.C.S. 562; P.G. Québec c. R.2003 CanLII 33470 (QC CA), [2003] R.J.Q. 2027 (C.A.).
[87]        C'est de la même façon que je comprends l'arrêt R. c. Smith, précité, alors que le juge Sopinka écrit qu'une requête anticipée, fondée sur le paragr. 11(b) de la Charte, peut, selon les circonstances, justifier une réparation :
16     Deux questions de compétence sont soulevées d'après les faits de l'espèce, toutes les deux portant sur l'exercice par le juge des requêtes de son pouvoir discrétionnaire de statuer sur la requête de l'appelant fondée sur l'al. 11b). D'abord, l'appelant a engagé ces procédures au moyen d'un avis de requête plusieurs mois avant la date prévue pour l'ouverture de l'enquête préliminaire. La requête de l'appelant fondée sur l'al. 11b) est donc anticipée si on considère le délai écoulé entre la date de sa requête et celle prévue pour l'ouverture de l'enquête préliminaire. Cependant, compte tenu des circonstances de l'espèce, étant donné que la date de l'enquête préliminaire était fixe et ne pouvait (à la demande de l'accusé) être rapprochée, le juge des requêtes a eu raison d'examiner la requête de l'appelant fondée sur l'al. 11b) en considérant que le délai entier était déjà écoulé.
[88]        Par ailleurs, je ne peux conclure, comme le fait mon collègue le juge Levesque, que le juge de première instance a décidé de la question sans même donner aux parties l'occasion d'être entendues et qu'il a excédé sa compétence en causant un dommage irréparable à la poursuite sans l'avoir entendue au préalable.
[89]        Dès le 6 mai 2010, la requête en arrêt des procédures et en cassation de l'acte d'accusation fait état des délais et, par un amendement du 28 octobre 2010, précise qu'il s'agit de délais anticipés. Voici comment est rédigée l'allégation :
325.- Ce qu'il y a aussi de particulier c'est que, si un procès est tenu, il durera plus de deux ans, et, si les accusés sont séparés ou que les chefs d'accusation sont séparés, la fin des procédures judiciaires dépassera 10 ans de détention préventive pour la plupart des requérants. Or, la Cour suprême a reconnu qu'il est possible d'ordonner une réparation en prévision d'une violation future ou appréhendée.
[90]        Lors de ses observations en première instance, l'appelante a amplement traité de la question des délais, qu'ils soient échus ou anticipés. Elle soutient en appel que le juge était lié par sa position en ce qui concerne l'ordre des procès, que des délais anticipés ne peuvent donner lieu à une intervention de la Cour et que le juge n'a pas respecté comme il se devait le test élaboré dans l'arrêt Morin. En somme, et cela est déterminant, elle ne soulève aucunement en appel un accroc à la règle audi alteram partem.
[92]        En conclusion, l'appelante ne me convainc pas que le juge de première instance ne pouvait intervenir comme il l'a fait, sur la base des circonstances très particulières de ce dossier.

Le droit relatif à l'écoute électronique

Mervilus c. R., 2009 QCCA 1716 (CanLII)


[22]           L’arrêt Duarte nous enseigne que, si la surveillance électronique par un organisme de l’État est une fouille au sens de l’article 8 de laCharte, le Parlement a néanmoins mis en place un régime législatif qui assure un juste équilibre « entre le droit à la vie privée sur lequel empiète l'écoute électronique et les besoins des organismes d'application de la loi dans le cadre de la dure lutte qu'ils mènent contre certaines formes perfectionnées et dangereuses de criminalité », tel que l'écrit le juge LeBel dans R. c. Araujo.
[23]           La norme de protection édictée par la loi repose sur la règle que, sauf exception, aucune écoute électronique n'est permise sans une autorisation judiciaire préalable. Cette permission ne sera délivrée que si le juge est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise ou est sur le point de l’être, que l’écoute électronique sollicitée permettra d’en recueillir la preuve et que les autres méthodes d’enquête ont été essayées et ont échoué ou ont peu de chance de réussir (le critère de nécessité examiné par le juge LeBel dans Araujo). L’article 186(1.1) C.cr. exclut cette dernière exigence si l’autorisation vise certaines infractions et particulièrement le gangstérisme.
[24]           Le rôle du juge dont on sollicite l’autorisation est décrit par le juge La Forest dans Duarte :
[…] la loi soumet l'obtention d'une telle autorisation à une norme sévère. En effet, le juge doit être convaincu que d'autres méthodes d'enquête échoueraient certainement ou vraisemblablement et que l'autorisation est le meilleur moyen de servir l'administration de la justice. Comme le juge Martin dans l'affaire R. v. Finlay and Grellette, j'estime que cette dernière condition comporte tout au moins l'exigence que le juge donnant l'autorisation soit convaincu de l'existence de motifs raisonnables et probables de croire qu'une infraction a été commise ou est en voie de l'être et que l'autorisation sollicitée permettra d'obtenir une preuve de sa perpétration. Je tiens pour évident que les dispositions et les sauvegardes que comporte la Partie IV.1 du Code ont été conçues pour empêcher les organes de l'État d'intercepter des communications privées sur la foi d'un simple soupçon.
[La référence est omise.]
[25]           Le juge de première instance, qui est aussi celui qui doit réviser l’autorisation attaquée, a pour mission d’en contrôler la légalité. Il n’agit pas de novo ni ne doit substituer sa propre opinion à celle du juge qui a autorisé l’écoute. À ce propos, le juge Sopinka, dans R. c. Garofoli,fait siennes les remarques du juge Martin sur la façon dont devrait procéder le juge saisi de la contestation de l’autorisation d'écoute :
[TRADUCTION] Si le juge du procès conclut, d'après les documents dont disposait le juge ayant accordé l'autorisation, qu'il n'existait aucun élément susceptible de le convaincre que les conditions préalables pour accorder l'autorisation existaient, il me semble alors que le juge du procès doit conclure que la perquisition, la fouille ou la saisie contrevient à l'art. 8 de la Charte.
[26]            C’est donc à partir des renseignements qui ont été fournis au juge qui a accordé l’autorisation que le juge de première instance déterminera si les conditions à l’octroi de l’écoute sollicitée sont satisfaites. Ces informations doivent être incluses dans l’affidavit exigé par l’article 185(1) C. cr. qui doit être complet et fiable.
[27]            Il sera complet s'il démontre des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise ou est sur le point de l’être et que les autres moyens d’enquête ont été essayés et ont échoué, ou ont peu de chance de succès, ou qu’il y a urgence. Cette dernière condition, aussi dite exigence de nécessité pour l’enquête, a été étudiée par le juge LeBel dans l’arrêt R. c. Araujo. Le juge LeBel invite les tribunaux à examiner la condition relative aux exigences de l’enquête dans une démarche contextuelle :
Le critère approprié, je le répète, consiste à déterminer si, en pratique, il existe ou non un autre moyen d'enquête raisonnable.
[28]           Appliquant cette norme au cas dont il faisait l’étude, le juge LeBel écrit :
[43]    En l'occurrence, l'objectif de l'enquête policière était de traduire en justice les têtes dirigeantes du réseau, et non seulement d'arrêter quelques revendeurs susceptibles d'être remplacés. Les appelants contestent notamment le droit de la police de définir les objectifs de ses enquêtes pour le motif qu'elle peut le faire de manière à faciliter l'obtention d'une autorisation d'écoute électronique. Cependant, il est clair que la police avait en l'espèce des motifs probables d'enquêter sur les crimes graves en cause. Ce volet du critère applicable à l'écoute électronique — l'existence de motifs probables de croire qu'un crime grave risque d'être commis — fait en sorte qu'il n'est pas nécessaire d'examiner les doutes que tentent de faire naître les appelants. Dans la mesure où la police a des motifs probables de faire enquête au sujet d'un crime grave, elle peut recourir à l'écoute électronique, si elle satisfait à l'exigence de nécessité pour l'enquête. Il n'est aucunement pernicieux que l'objectif de l'enquête intervienne dans l'analyse relative à la nécessité pour l'enquête. Dans la présente affaire, la police avait davantage besoin de l'écoute électronique, car elle tentait d'atteindre le sommet de la hiérarchie et d'arrêter les dirigeants du réseau. Cet élément milite à juste titre en faveur d'un constat de nécessité pour l'enquête décrite dans l'affidavit. 
[29]           L’affidavit doit en second lieu être fiable. Il ne doit pas chercher à tromper. Certes, une erreur peut s’y être glissée, une information consignée peut être erronée, voire délibérément trompeuse. Cela n’a pas nécessairement pour effet d’invalider de manière automatique la demande d’autorisation si une fois ce renseignement ou cette affirmation retiré du document, l'affidavit satisfait toujours les conditions de la loi.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les délais préinculpatoires peuvent être considérés en vertu de la Charte

R. c. Ketchate, 2019 QCCA 557 Lien vers la décision [ 16 ]          Plus récemment, dans l’affaire  Hunt , il a été réitéré que les délais p...