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mardi 2 janvier 2018

Les éléments constitutifs de l'infraction d'intimidation envers une personne associée au système judiciaire

R. c. Durand, 2016 QCCA 78 (CanLII)

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[13]        L’intimé est accusé d’avoir usé de violence envers une personne associée au système judiciaire. Les éléments matériels (actus reus) de l’infraction prévue au troisième chef d’accusation sont les suivants :
         l’usage de violence, un acte interdit par le paragraphe 2 a) de l’article 423.1 C.cr.;
         à l’encontre d’une personne associée au système judiciaire, en l’occurrence, un policier.
[14]        Quant à la mens rea de l’infraction, celle-ci requiert la preuve d’une double intention spécifique. Le contrevenant doit agir dans 1) l’intention de provoquer la peur et 2), de nuire à l’exercice des attributions d’une personne associée au système judiciaire.
[15]        Nulle part à l’article 423.1 n’est-il donc fait mention que cette personne doit être dans l’exécution de ses fonctions au moment où l’acte interdit est commis comme, par exemple, pour le crime d’entrave prévu à l’article 129 a) C.cr. :
129. [Infractions relatives aux agents de la paix] Quiconque, selon le cas :

a) volontairement entrave un fonctionnaire public ou un agent de la paix dans l’exécution de ses fonctions ou toute personne prêtant légalement main-forte à un tel fonctionnaire ou agent, ou lui résiste en pareil cas;

[…]
129. [Offences relating to public or peace officer] Everyone who

(a) resists or wilfully obstructs a public officer or peace officer in the execution of this duty or any person lawfully acting in aid of such an officer;

[…]
[16]        Un arrêt récent de notre Cour confirme, du reste, cette interprétation dans la mesure où l’appel d’un individu trouvé coupable en première instance d’avoir intimidé un policier en rôdant autour de son domicile a été rejeté.

mercredi 6 décembre 2017

Les agents de la paix ne doivent pas nécessairement adopter un langage formaliste pour communiquer l'ordre prévu à 254(2) C.cr

Piazza c. R., 2016 QCCS 1622 (CanLII)


[51]        La Couronne plaide que bien que l'ordre formel, en l'occurrence la lecture d'une carte de service n'intervient qu'à 3 h 50, il ressort de la preuve et de la conclusion du juge de première instance que l'agent Trudelle explique ses intentions à l'Appelant dès la cristallisation des soupçons, donc vers 3 h 40.
[52]        Spécifions que les agents de la paix ne doivent pas nécessairement adopter un langage formaliste pour communiquer l'ordre prévu à 254(2) C.cr.  Un seul énoncé d'intention compréhensible s'avère suffisant:
« The demand need not be in any particular form, provided it is made clear to the driver that he or she is required to give a sample of his or her breath forthwith.  This can be accomplished through words or conduct, including the "tenor [of the officer's] discussion with the accused".  See R. v. Horvath, [1992] B.C.J. No. 1107 (B.C.S.C.) (A.D.)  What is crucial is that the words used be sufficient to convev to the detainee the nature of the demand.  See R. v. Ackerman (1972), 6 C.C.C. (2d) 425 at 427 (Sask. C.A.) and R. v. Flegel (1972), 7 C.C.C. (2d) 55 at 57 (Sask. C.A.). »
[53]        Dans Quansah, on lit:
[45] In sum, I conclude that the immediacy requirement in s. 254(2) necessitates the courts to consider five things. First, the analysis of the forthwith or immediacy requirement must always be done contextually. Courts must bear in mind Parliament’s intention to strike a balance between the public interest in eradicating driver impairment and the need to safeguard individual Charter rights.
[46] Second, the demand must be made by the police officer promptly once he or she forms the reasonable suspicion that the driver has alcohol in his or her body. The immediacy requirement, therefore, commences at the stage of reasonable suspicion.
[47] Third, “forthwith” connotes a prompt demand and an immediate response, although in unusual circumstances a more flexible interpretation may be given. In the end, the time from the formation of reasonable suspicion to the making of the demand to the detainee’s response to the demand by refusing or providing a sample must be no more than is reasonably necessary to enable the officer to discharge his or her duty as contemplated by s. 254(2).
[48] Fourth, the immediacy requirement must take into account all the circumstances. These may include a reasonably necessary delay where breath tests cannot immediately be performed because an ASD is not immediately available, or where a short delay is needed to ensure an accurate result of an immediate ASD test, or where a short delay is required due to articulated and legitimate safety concerns. These are examples of delay that is no more than is reasonably necessary to enable the officer to properly discharge his or her duty. Any delay not so justified exceeds the immediacy requirement.
[49] Fifth, one of the circumstances for consideration is whether the police could realistically have fulfilled their obligation to implement the detainee’s s. 10(b) rights before requiring the sample. If so, the “forthwith” criterion is not met.

Quel critère permet au juge de rejeter une suggestion commune

R. c. Anthony‑Cook, [2016] 2 RCS 204, 2016 CSC 43 (CanLII)

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[32]                          Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. Mais que signifie ce seuil? Deux arrêts de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador sont utiles à cet égard.
[33]                          Dans Druken, par. 29, la cour a jugé qu’une recommandation conjointe déconsidérera l’administration de la justice ou sera contraire à l’intérêt public si, malgré les considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de la peine recommandée, elle [traduction] « correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale ». Et, comme l’a déclaré la même cour dans R. c. B.O.22010 NLCA 19 (CanLII), par. 56 (CanLII), lorsqu’ils examinent une recommandation conjointe, les juges du procès devraient [traduction] « éviter de rendre une décision qui fait perdre au public renseigné et raisonnable sa confiance dans l’institution des tribunaux ».
[34]                          À mon avis, ces déclarations fermes traduisent l’essence du critère de l’intérêt public élaboré par le comité Martin. Elles soulignent qu’il ne faudrait pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe, une conclusion à laquelle je souscris. Le rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé — et à juste titre, comme je l’explique ci‑après

Quelques indications à l’intention des juges du procès sur l’approche qu’ils devraient suivre lorsqu’une suggestion commune relative à la peine les préoccupe

R. c. Anthony‑Cook, [2016] 2 RCS 204, 2016 CSC 43 (CanLII)

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[49]                          Enfin, voici à l’intention des juges du procès quelques indications sur l’approche qu’ils devraient suivre lorsqu’une recommandation conjointe relative à la peine les préoccupe.
[50]                          Dans l’ensemble, les tribunaux de partout au pays s’entendent sur la procédure qu’un juge devrait suivre quand il est enclin à écarter une recommandation conjointe (voir, par exemple, B.O.2, par. 74‑82; R. c. Sinclair, 2004 MBCA 48 (CanLII)185 C.C.C. (3d) 569, par. 17; G.W.C., par. 26). Les parties et les intervenants insistent sur l’importance de la procédure. Elle fait en sorte que le juge tiendra compte des recommandations conjointes, et que les personnes accusées — qui ont déjà enregistré un plaidoyer de culpabilité — soient traitées avec équité. La procédure qui suit reflète la sagesse pratique que nos tribunaux de première instance et d’appel ont acquise par l’expérience. Elle n’est censée s’appliquer qu’aux affaires dans lesquelles la recommandation conjointe est controversée et soulève des préoccupations pour le juge du procès. Comme je l’ai déjà mentionné, la plupart des recommandations conjointes n’ont rien d’exceptionnel et sont facilement approuvées d’emblée par les juges du procès.
[51]                          Premièrement, les juges du procès devraient aborder la recommandation conjointe telle qu’elle leur est présentée. Autrement dit, le critère de l’intérêt public s’applique, que le juge envisage de modifier la peine recommandée ou d’y ajouter quelque chose dont les parties n’ont pas fait mention, par exemple une ordonnance de probation. Si les parties n’ont pas sollicité une ordonnance en particulier, le juge devrait supposer qu’elle a été examinée et exclue de la recommandation conjointe. Toutefois, si les avocats ont omis d’inclure une ordonnance impérative, le juge ne devrait pas hésiter à les en informer. Le besoin de certitude dans le contexte des recommandations conjointes ne peut justifier l’omission d’imposer une ordonnance impérative.
[52]                          Deuxièmement, les juges du procès doivent appliquer le critère de l’intérêt public lorsqu’ils envisagent d’infliger une peine plus lourde ou plus clémente que celle recommandée conjointement (DeSousa, le juge Doherty). Cela ne veut pas dire pour autant que l’analyse sera la même dans les deux cas. Au contraire, du point de vue de l’accusé, l’infliction d’une peine plus clémente ne suscite pas chez lui de préoccupations relativement au droit à un procès équitable, ni ne mine sa confiance envers la certitude des négociations sur le plaidoyer. De plus, quand il se demande si la sévérité d’une peine recommandée conjointement irait à l’encontre de l’intérêt public, le juge du procès doit être conscient de l’inégalité du rapport de force qu’il peut y avoir entre le ministère public et la défense, surtout lorsque l’accusé n’est pas représenté par avocat ou est détenu au moment de la détermination de la peine. Ces facteurs peuvent atténuer l’intérêt qu’a le public dans la certitude et justifier l’imposition d’une peine plus clémente dans des circonstances limitées. Par contre, lorsque le juge du procès envisage d’infliger une peine plus clémente, il doit se rappeler que la confiance de la société envers l’administration de la justice risque d’en souffrir si un accusé profite des avantages d’une recommandation conjointe sans avoir à purger la peine convenue (voir DeSousa, par. 23‑24). 
[53]                          Troisièmement, en présence d’une recommandation conjointe controversée, le juge du procès voudra sans aucun doute connaître les circonstances à l’origine de la recommandation conjointe, en particulier tous les avantages obtenus par le ministère public ou toutes les concessions faites par l’accusé. Plus les avantages obtenus par le ministère public sont grands, et plus l’accusé fait de concessions, plus il est probable que le juge du procès doive accepter la recommandation conjointe, même si celle‑ci peut paraître trop clémente. Par exemple, si la recommandation conjointe est le fruit d’une entente par laquelle l’accusé s’engage à prêter main‑forte au ministère public ou à la police, ou si elle reflète une faille dans la preuve du ministère public, une peine très clémente peut ne pas être contraire à l’intérêt public. Par contre, si la recommandation conjointe ne découlait que du constat de l’accusé qu’une déclaration de culpabilité était inévitable, la même peine pourrait faire perdre au public la confiance que lui inspire le système de justice pénale.
[54]                          Les avocats doivent évidemment donner au tribunal un compte rendu complet de la situation du contrevenant, des circonstances de l’infraction ainsi que de la recommandation conjointe sans attendre que le juge du procès le demande explicitement. Puisque les juges du procès sont tenus de ne s’écarter que rarement des recommandations conjointes, [traduction] « les avocats ont l’obligation corollaire » de s’assurer qu’ils « justifient amplement leur position en fonction des faits de la cause, tels qu’ils ont été présentés en audience publique » (rapport du comité Martin, p. 329). La détermination de la peine — y compris celle fondée sur une recommandation conjointe — ne peut se faire à l’aveuglette. Le ministère public et la défense doivent [traduction] « présenter au juge du procès non seulement la peine recommandée, mais aussi une description complète des faits pertinents à l’égard du contrevenant et de l’infraction », dans le but de donner au juge « un fondement convenable lui permettant de décider si [la recommandation conjointe] devrait être acceptée » (DeSousa, par. 15; voir aussi Sinclair, par. 14).
[55]                          Cela ne veut pas dire que les avocats doivent informer le juge du procès [traduction] « des positions qu’ils ont adoptées lors des négociations ou du contenu de leurs discussions ayant mené à l’entente » (R. c. Tkachuk2001 ABCA 243 (CanLII)293 A.R. 171, par. 34). Les avocats doivent cependant être en mesure d’expliquer au juge pourquoi la peine qu’ils recommandent n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou n’est pas par ailleurs contraire à l’intérêt public. S’ils ne le font pas, ils courent le risque de voir le juge du procès rejeter la recommandation conjointe.
[56]                          Certes, dans certains cas, il ne sera pas possible de consigner au dossier les principales considérations sous‑tendant une recommandation conjointe, en raison de préoccupations quant à la sécurité ou la vie privée, ou du risque de mettre en péril des enquêtes criminelles en cours (voir le rapport du comité Martin, p. 317). Dans de tels cas, les avocats doivent trouver d’autres moyens de communiquer ces considérations au juge du procès, et ce, dans le but de s’assurer que le juge est au fait des facteurs pertinents et qu’un dossier adéquat est créé pour les besoins d’un appel éventuel.
[57]                          Une justification exhaustive de la recommandation conjointe comporte également un élément important relatif à la perception du public. À moins que les avocats consignent au dossier les considérations sous‑tendant la recommandation conjointe, [traduction] « la justice peut être rendue, mais elle peut paraître ne pas l’être; le public peut soupçonner, à tort ou à raison, qu’elle est entachée d’une irrégularité » (C. C. Ruby, G. J. Chan et N. R. Hasan, Sentencing (8e éd. 2012), p. 73).
[58]                          Quatrièmement, si le juge du procès n’est pas satisfait de la peine recommandée par les avocats, [traduction] « l’équité fondamentale exige que soit offerte aux avocats la possibilité de présenter des observations additionnelles en vue de tenter de répondre aux préoccupations du juge [. . .] avant qu’il impose la peine » (G.W.C., par. 26). Le juge devrait faire part aux avocats de ses préoccupations, et les inviter à y répondre, en leur indiquant notamment la possibilité de permettre à l’accusé de retirer son plaidoyer de culpabilité, comme l’a fait le juge du procès en l’espèce.
[59]                          Cinquièmement, si les préoccupations que le juge du procès a soulevées au sujet de la recommandation conjointe ne sont pas atténuées, le juge peut permettre à l’accusé de demander le retrait de son plaidoyer de culpabilité. Il n’est pas nécessaire d’établir, dans les présents motifs, les circonstances dans lesquelles un plaidoyer peut être retiré. Toutefois, à titre d’exemple, le retrait peut être autorisé lorsque les avocats ont commis une erreur fondamentale quant à la légalité de la recommandation conjointe, par exemple si une peine d’emprisonnement avec sursis a été recommandée mais ne peut être imposée.
[60]                          Enfin, le juge du procès qui n’est toujours pas convaincu par les observations des avocats devrait énoncer des motifs clairs et convaincants à l’appui de sa décision d’écarter la recommandation conjointe. Ces motifs permettront d’expliquer aux parties pourquoi la peine recommandée n’était pas acceptable, et pourront leur être utiles pour le règlement d’affaires ultérieures. Les motifs faciliteront aussi l’examen en appel.

La répudiation d’une suggestion commune est un événement rare et exceptionnel

R. c. Nixon, [2011] 2 RCS 566, 2011 CSC 34 (CanLII)

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[63]                          Toutefois, la répudiation d’une entente sur le plaidoyer n’est pas qu’une simple allégation.  C’est une preuve que la Couronne n’a pas tenu parole.  Tout le monde en convient : le respect des ententes sur le plaidoyer revêt une importance cruciale pour l’administration saine et équitable de la justice criminelle.  La répudiation d’une telle entente est un événement rare et exceptionnel.  Selon moi, la preuve que la Couronne a conclu une entente sur le plaidoyer qu’elle a par la suite répudiée est conforme à la norme préliminaire à laquelle il doit être satisfait pour entreprendre un examen de la décision en vue de décider si elle constitue un abus de procédure.  En outre, dans la mesure où la Couronne est la seule partie au courant de l’information, c’est à elle qu’il incombe d’exposer au tribunal les circonstances et les motifs qui sous-tendent sa décision de répudier l’entente.  En d’autres termes, la Couronne doit expliquer au tribunal pourquoi et comment elle est parvenue à la décision de ne pas respecter l’entente qu’elle avait pourtant conclue.  En bout de ligne, c’est au demandeur qu’il revient d’établir qu’il y a eu abus de procédure et, comme il a déjà été discuté, il doit satisfaire à un critère rigoureux.  Cependant, le peu, voire l’absence d’explications de la Couronne, le cas échéant, constitue un facteur qui milite fortement en faveur de la thèse du demandeur qui cherche à établir qu’il y a eu abus de procédure

Les fourchettes de peines

R. c. Lacasse, [2015] 3 RCS 1089, 2015 CSC 64 (CanLII),

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[57]                          Les barèmes diffèrent des fourchettes de peines en ce que l’infliction d’une peine selon un barème s’oppose théoriquement à l’individualisation de celle-ci, ce que les fourchettes permettent : Thomas, p. 8. En revanche, le principe qui sous-tend les deux méthodes est le même : faire en sorte que les délinquants ayant commis des crimes semblables dans des circonstances semblables reçoivent des peines semblables. Il en va de même de la méthode des points de départ, qui est utilisée principalement en Alberta, mais parfois aussi dans d’autres provinces du pays : R. c. McDonnell, 1997 CanLII 389 (CSC)[1997] 1 R.C.S. 948, par. 69. Au final, peu importe le mécanisme utilisé ou la terminologie employée, le principe à sa base demeure le même. Quant aux fourchettes de peines, bien qu’elles soient utilisées principalement dans un but d’harmonisation, elles reflètent l’ensemble des principes et des objectifs de la détermination de la peine. Les fourchettes de peines ne sont rien de plus que des condensés des peines minimales et maximales déjà infligées, et qui, selon le cas de figure, servent de guides d’application de tous les principes et objectifs pertinents. Toutefois, ces fourchettes ne devraient pas être considérées comme des « moyennes », encore moins comme des carcans, mais plutôt comme des portraits historiques à l’usage des juges chargés de déterminer les peines. Ces derniers demeurent tenus d’exercer leur pouvoir discrétionnaire dans chaque espèce :
[traduction] Même lorsqu’une cour d’appel a établi une fourchette, il peut arriver que surgisse une situation factuelle qui soit suffisamment différente de celles des décisions antérieures pour que la « fourchette » [« range »], si on peut l’appeler ainsi, doive être élargie. Le point fondamental est qu’une « fourchette » ne constitue pas un carcan assujettissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge chargé de déterminer la peine.

(R. c. Keepness2010 SKCA 69 (CanLII)359 Sask. R. 34, par. 24)
[58]                          Il se présentera toujours des situations qui requerront l’infliction d’une peine à l’extérieur d’une fourchette particulière, car si l’harmonisation des peines est en soi un objectif souhaitable, on ne peut faire abstraction du fait que chaque crime est commis dans des circonstances uniques, par un délinquant au profil unique. La détermination d’une peine juste et appropriée est une opération éminemment individualisée qui ne se limite pas à un calcul purement mathématique. Elle fait appel à une panoplie de facteurs dont les contours sont difficiles à cerner avec précision. C’est la raison pour laquelle il peut arriver qu’une peine qui déroge à première vue à une fourchette donnée, et qui pourrait même n’avoir jamais été infligée par le passé pour un crime semblable, ne soit pas pour autant manifestement non indiquée. Encore une fois, tout dépend de la gravité de l’infraction, du degré de responsabilité du délinquant et des circonstances particulières de chaque cas. Je rappelle les propos du juge LeBel à ce sujet :
Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine. Une telle sanction n’est donc pas nécessairement inappropriée, mais elle doit tenir compte de toutes les circonstances liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été commise.

(Nasogaluak, par. 44)
[59]                          Dans l’arrêt Brutus, la Cour d’appel du Québec a décrit ainsi les limites du processus d’harmonisation des peines :
Il est certain que la peine imposée se démarque de certaines peines rendues dans d’autres affaires pour la même infraction. Par ailleurs, comme le mentionnait notre collègue Rochon dans l’arrêt Ferland c. R2009 QCCA 1168 (CanLII), à l’égard du principe d’harmonisation des peines édicté à l’article 718.2 b) C.cr., il « comporte certaines limites en raison du processus individualisé suivi en matière de détermination de la peine » et ne saurait permettre de déroger à la règle du respect de la discrétion des juges d’instance en matière de détermination de la peine (R. c. L.M., précité, paragr. 35). [par. 12]
[60]                          Autrement dit, les fourchettes de peines demeurent d’abord et avant tout des lignes directrices et elles ne constituent pas des règles absolues : Nasogaluak, par. 44. En conséquence, une dérogation à une fourchette de peines n’est pas synonyme d’erreur de droit ou de principe. D’ailleurs, le juge Sopinka l’a clairement énoncé dans l’arrêt McDonnell, même s’il parlait alors de catégories d’agressions :
. . . j’estime que l’omission de situer une infraction particulière dans une catégorie d’agressions créée par les tribunaux, aux fins de la détermination de la peine, ne constitue jamais une erreur de principe en soi. [. . .] Si les catégories sont définies de façon stricte et que les dérogations à cette catégorisation sont généralement infirmées, le pouvoir discrétionnaire qui devrait être laissé aux juges du procès et aux juges qui infligent les peines est donc largement transféré aux cours d’appel. [par. 32]
[61]                          Conclure autrement aurait pour effet d’autoriser les cours d’appel à créer sans véritable justification des catégories d’infractions et, de ce fait, à intervenir sans retenue pour substituer une peine en appel. Or, le pouvoir de créer des catégories d’infractions appartient au législateur, et non aux tribunaux : McDonnell, par. 33.
[62]                          Il convient en outre de souligner que le législateur a régulièrement haussé le seuil des peines minimales et maximales applicables aux infractions liées à la conduite d’un véhicule avec les capacités affaiblies. À titre d’exemple, la peine maximale d’emprisonnement pour le crime de conduite avec les capacités affaiblies causant la mort est passée, en l’an 2000, de 14 ans à la prison à perpétuité : Loi modifiant le Code criminel (conduite avec facultés affaiblies causant la mort et autres matières), L.C. 2000, c. 25.
[63]                          De même, en 2008, le seuil des peines minimales pour l’ensemble des crimes reliés à la conduite avec les capacités affaiblies a été augmenté à 1 000 $ pour une première infraction, à un emprisonnement de 30 jours pour une deuxième infraction et à 120 jours d’incarcération pour toute infraction subséquente : Loi sur la lutte contre les crimes violents, L.C. 2008, c. 6.
[67]                          Tout comme la fourchette elle-même, les catégories qui la composent sont des outils visant en partie à favoriser l’harmonisation des peines. Cependant, une dérogation à une telle fourchette ou catégorie ne constitue pas une erreur de principe et ne saurait à elle seule justifier d’office l’intervention d’une cour d’appel, à moins que la peine infligée ne s’écarte nettement et sans motif de celles prévues. En effet, en l’absence d’une erreur de principe, une cour d’appel ne peut modifier une peine que si celle-ci est manifestement non indiquée.
[72]                          En somme, la peine prononcée par le juge Couture respecte les objectifs et les principes de détermination de la peine énoncés au Codecriminel. Il a souligné à bon droit l’importance de la dissuasion et de la dénonciation en l’espèce, mais il n’a pas pour autant fait abstraction de l’objectif de la réinsertion sociale (par. 92 (CanLII)). La Cour d’appel reconnaît d’ailleurs que « [l]e jugement visé par la requête est longuement motivé et il est clair que le juge de première instance a soupesé avec beaucoup d’attention les objectifs et les principes de détermination de la peine énoncés aux articles 718 à 718.2 du Code criminel » (par. 5 (CanLII)). Comme le juge Couture n’a pas commis d’erreur révisable dans son jugement et que la peine infligée n’était pas manifestement non indiquée, la Cour d’appel ne pouvait intervenir et substituer son appréciation à celle du juge. La peine — au demeurant sévère — prononcée en première instance a néanmoins été réduite par la Cour d’appel sans qu’il soit tenu compte du principe selon lequel la dissuasion et la dénonciation devaient être favorisées en semblable matière. En réduisant la peine infligée par le juge Couture au motif qu’elle dérogeait au principe de la proportionnalité, la Cour d’appel a également fait abstraction de la réalité locale, le tout au détriment des objectifs de dissuasion et de dénonciation.

lundi 4 décembre 2017

Les pouvoirs du juge de gestion de l’instance en ce qui a trait aux admissions


R. c. Charron, 2017 QCCS 688 (CanLII)

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[54]        Cela dit, le juge de gestion de l’instance, confronté au refus de l’accusé d’admettre certains faits secondaires, s’avère-t-il sans recours?
[55]        Dans un jugement rendu dans l’affaire Bordo, le Tribunal conclut que le pouvoir d’établir des horaires et d’imposer des échéances comprend celui de fixer la durée du procès et celle de la présentation de la preuve par les parties.
[56]        Depuis cette décision, la Cour suprême a confirmé, dans l'arrêt Jordan, le pouvoir des tribunaux de mettre en œuvre des procédures plus efficaces, notamment des pratiques d’établissement de calendriers pour les procès.
[57]        La gestion de l’instance ne constitue pas un outil réservé aux procès de grande envergure.
[58]        Le pouvoir d’établir des horaires, d’imposer des échéances et de fixer la durée du procès comprend nécessairement les pouvoirs qui permettent de fixer la durée de la présentation de la preuve, la manière dont celle-ci sera présentée par les parties et les modalités qui permettent d’en assurer le respect.  

[59]        La gestion équitable et efficace de l’instance s’exerce en respectant le droit des parties de présenter la preuve pertinente et les règles fondamentales de notre système de justice criminelle accusatoire et contradictoire.
[60]        Bien entendu, tel qu’indiqué précédemment, le juge du procès doit être prudent avant de s’immiscer dans la conduite du procès et de rendre des décisions qui ont un effet sur la stratégie des parties.
[61]        Les parties ne possèdent pas le droit absolu de présenter la preuve comme elles le souhaitent. La poursuite et l’accusé ne disposent pas d’un droit de présenter une preuve qui exige un temps excessivement long qui est sans commune mesure avec la valeur probante de la preuve à l’égard des questions véritablement en litige lors du procès. 
[62]        Ainsi, le juge du procès peut fixer la manière dont la preuve sera présentée.
[63]        Voici ce qu’écrit le juge Rosenberg à ce sujet dans Felderhof :
[…] In my view, the trial judge must have the power to control the procedure in his or her court to ensure that the trial is run effectively. Sometimes, the exercise of this power may mean that the trial judge will require counsel to proceed in a different manner than counsel desired.
[64]        La gestion de l’instance doit fournir aux parties les outils nécessaires pour collaborer et mener les dossiers avec diligence. Les parties doivent utiliser de façon efficace le temps du tribunal. Elles doivent être soucieuses de faire des admissions raisonnables, de simplifier la preuve et d’identifier les questions qui doivent être tranchées avant la présentation de la preuve lors du procès.
[65]        En cas de désaccord entre les parties ou lorsque l'accusé refuse de faire des admissions raisonnables à l'égard de questions qui ne sont pas véritablement en litige, le juge de gestion de l’instance peut et doit intervenir.
[66]        Les pouvoirs généraux de gestion de l'instance, et plus particulièrement ceux prévus à l’article 551.3(3)d), permettent de fixer les modalités de la présentation d’une preuve qui est périphérique par rapport aux véritables enjeux du procès si cela ne met pas en jeu le droit à une défense pleine et entière de l’accusé.
[67]        Le juge de gestion de l’instance peut autoriser la poursuite à présenter une telle preuve par le biais d'une déclaration écrite sous serment, sous réserve du droit de l'accusé de contre-interroger l’auteur de la déclaration assermentée ou, le cas échéant, d'un autre témoin, lorsqu’il subsiste vraisemblablement une question à trancher (« a live issue »).
[68]        Dans le présent dossier, plusieurs des admissions sollicitées par la poursuite paraissent raisonnables sans qu’elles ne mettent en péril le droit à une défense pleine et entière de l’accusé.
[69]        À titre d’exemple, il s’avère difficile de comprendre pourquoi l’accusé ne veut pas admettre l’identité de sa conjointe, plusieurs chaines de possession d’objets saisis, la preuve de certaines filatures et certains aspects de la preuve du déroulement des événements qui ne mettent pas en cause la connaissance de l’accusé ou sa participation personnelle aux infractions.
[70]        La poursuite doit donc avoir la possibilité de demander l’autorisation de présenter la preuve de certains faits secondaires au moyen d’une déclaration écrite sous serment. 
[71]        L’accusé doit se voir offrir l’opportunité de la contester et d’exiger, le cas échéant, la présentation d’une preuve testimoniale.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...