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vendredi 6 juin 2025

Il est reconnu que le jeune âge constitue généralement une circonstance atténuante dans la détermination de la peine, plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’un délinquant primaire (qui en est à sa première infraction)

Siciliano c. R., 2025 QCCA 335

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[24]       Il est reconnu que le jeune âge constitue généralement une circonstance atténuante dans la détermination de la peine[14], plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’un délinquant primaire (qui en est à sa première infraction)[15]Sans équivoque, la peine en l’espèce devait tenir compte du jeune âge des appelants (18 ans lors de la commission des crimes) et de l’absence d’antécédents judiciaires.

[26]      L’argument des appelants vise donc plutôt la pondération de ce facteur qui, selon eux, aurait dû bénéficier d’un poids plus important, de nature à réduire la peine infligée. Or, la détermination de l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes demeure du ressort du juge d’instance[17] et la Cour ne pourra intervenir en l’absence d’une démonstration que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon déraisonnable.

[27]      Les appelants s’appuient sur l’arrêt Hills dans lequel la Cour suprême énonce que « [l]a dissuasion spécifique et la réinsertion sociale sont les objectifs premiers lorsque vient le temps de déterminer les peines infligées à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction »[18]. La Cour suprême réitère ce principe dans Bertrand Marchand[19]. Toutefois, il ne s’agit pas d’une règle absolue[20] et ce principe est effectivement nuancé en l’espèce par l’application de l’article 718.01 C.cr. qui prévoit que les principes de dénonciation et de dissuasion sont à favoriser dans le cas du mauvais traitement d’une personne de moins de 18 ans. La Cour suprême précise que cet article évoque un ordonnancement des objectifs[21] selon lequel il n’est pas loisible au juge d’accorder une priorité équivalente ou supérieure à d’autres objectifs[22].

[28]      Dans Courchesne c. R., la juge Bich, au nom de la Cour, explique l’interrelation de ces deux principes :

[51]  Bref, il incombe au tribunal d’accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, ce qui affecte donc forcément l’exercice de pondération auquel il doit se livrer aux fins de déterminer la peine, y compris dans les cas où, en raison de la jeunesse d’un délinquant primaire, il doit également donner un poids certain, c’est-à-dire important, aux facteurs de réhabilitation et de dissuasion spécifique.[23]

[soulignements ajoutés]

[29]      Selon les appelants, le facteur aggravant codifié au sous-al. 718.2a)(ii.1) C.cr., soit que le crime constitue un « mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans », tout comme le principe de l’article 718.01 C.cr. énoncé ci-dessus, devaient être tempérés en l’espèce puisque X, à 17 ans, avait presque l’âge de la majorité, au moment des faits allégués, et que l’écart d’âge avec les appelants était très faible[24].

[30]      Cet argument ne saurait convaincre. Bien que l’échelle de gravité puisse varier selon l’âge d’une victime — par exemple, ce facteur serait encore plus grave dans le cas d’un crime semblable commis envers une fillette de huit ans — la possibilité d’imaginer un facteur plus aggravant ne permet pas d’écarter celui qui s’applique ici. Le Code criminel trace la limite d’âge de façon claire et oblige le juge à accorder une priorité (primary consideration) aux objectifs de dénonciation et de dissuasion lorsqu’il s’agit de mauvais traitements à l’égard d’une personne de moins de 18 ans

[31]      Essentiellement, lors de la détermination de la peine pour un jeune contrevenant primaire ayant commis une infraction contre une personne mineure, le juge doit tenir compte du facteur aggravant codifié au sous-al. 718.2a)(ii.1) et prioriser la dénonciation et la dissuasion conformément à l’article 718.01 C.crCependant, il doit aussi s’assurer que la peine infligée respecte le principe de l’individualisation, de la proportionnalité et de la modération.

Norme d’intervention en matière d'appel d'une peine

Siciliano c. R., 2025 QCCA 335

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[19]      Une cour d’appel « ne peut substituer sa propre décision à celle du juge de la peine que pour un motif valable »[9] et doit faire preuve de déférence envers le vaste pouvoir discrétionnaire du juge d’instance[10] à qui est dévolue la tâche bien difficile de pondérer tous les facteurs pertinents en matière de détermination de la peine, dans la poursuite des objectifs pénologiques énoncés au Code criminel. Comme l’exprimait le juge Gendreau dans R. c. S.T. :

[14] La détermination de la peine est, sans doute, l’une des tâches les plus difficiles et les plus délicates de la fonction judiciaire. En effet, trouver et appliquer la norme la plus juste et la plus équitable pour l’accusé tout en manifestant la réprobation sociale adéquate et en assurant la protection de la société est un exercice de pondération complexe puisqu’il tend à assurer un équilibre entre des valeurs qui, sans s’opposer, visent des objectifs différents.[11]

[20]      Le caractère strict de la norme d’intervention en la matière est bien connu et réitéré dans tous les arrêts de la Cour où un appelant cherche à faire réformer une peine infligée en première instance.

[21]      L’intervention de la Cour ne sera justifiée que si 1) la peine n’est manifestement pas indiquée; ou 2) le juge a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine[12]. Dans l’arrêt Friesen, la Cour suprême mentionne, parmi les erreurs de principe, l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. La pondération des facteurs peut aussi constituer une erreur de principe, mais seulement si le juge a « exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre »[13].

[22]      Ainsi, rien ne sert à un appelant de replaider — même avec force et conviction — les arguments présentés en première instance, en insistant sur ceux qui justifieraient à son avis une peine plus clémente. Par conséquent, la quête d’une peine juste et appropriée, proportionnelle à la gravité du crime et au degré de responsabilité du délinquant, ne mène pas à une seule peine acceptable, mais plutôt à une fourchette de peines appropriées, dont le choix relève de la discrétion du juge à l’égard de laquelle la Cour doit déférence en l’absence d’une erreur révisable.

Le principe de modération et l’obligation, avant d’envisager la privation de la liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes

R. c. Leduc, 2023 QCCQ 3306

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[23]        Le Code criminel prévoit, aux articles 718.2 d) et e) :

Art. 718.2 d) C.cr.

Art. 718.2 e) C.cr.

L’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

L’examen, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, de toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité.

[24]        La Cour d’appel du Québec s’est penchée sur le principe de modération dans l’arrêt Bachou[27] :

  Le principe de modération impose au Tribunal l’obligation d’examiner les sanctions moins contraignantes que l’incarcération lorsque les circonstances le justifient[28];

  Il a été codifié à l’article 718.2d) C.cr. à la suite à  d’une réforme substantielle du droit relatif à la détermination de la peine en 1996[29], et il participe à la solution du problème de la surincarcération au Canada[30];

  Le principe de modération doit être envisagé à l’égard de tous les délinquants[31], et l’emprisonnement ne doit être imposé qu’en dernier recours pour le délinquant primaire[32];

  Pour justifier si des circonstances justifient des sanctions moins contraignantes que l’emprisonnement, le juge doit prendre en compte les autres principes de la détermination de la peine prévus aux articles 718 à 718.2 C.cr.[33]

[25]        La Cour d’appel de l’Ontario partage aussi l’opinion que l’incarcération ne doit être considérée qu’en dernier recours[34].  Quant à l’auteur Clayton Ruby, il décrit le principe de modération de la manière suivante, en insistant sur l’échec de l’incarcération comme mesure de réduction de la criminalité[35] :

13.9 (…)  Imprisonment has failed to satisfy the basic function of the judicial system, namely, “to protect society from crime in a manner commanding public support while avoiding needless injury to the offender.

                                                                                                              (Mes soulignements)

[38]        Troisièmement, je conclus cependant qu’une ordonnance d’emprisonnement dans la collectivité n’est pas conforme aux objectifs et aux principes de la détermination de la peine visés aux articles 718 à 718.2 C.cr. pour les raisons suivantes :

  Même si le fait de purger sa peine dans la collectivité peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif appréciable[42], je suis d’avis que l’incarcération ferme est ici la seule peine convenable pour exprimer la réprobation de la société relativement à la conduite de l’accusé;

  Une telle réprobation « représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu'elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel »[43].

  Le besoin de dénonciation est intimement lié à la gravité de l’infraction. Plus l’ensemble des circonstances de l’infraction est grave, plus la dénonciation s’impose. Dans « le but de limiter la prolifération de telles infractions, l’objectif de dénonciation témoigne du rôle de communication et d’éducation du droit »[44].

  Les ravages du crack et des drogues mentionnées à l’annexe 1 de la LRCDS sont bien connus et font partie du quotidien du juge. Même si la société en général priorise une approche moins répressive relativement à la possession simple de ce type de substances, le trafic ou la possession aux fins de trafic d’une quantité non négligeable de ces substances doivent être dénoncées, car ces infractions contribuent aux ravages causés par ces drogues.

  Même si l’emprisonnement ferme n’est pas automatique, je conclus qu’en l’espèce l’emprisonnement dans la collectivité ne permet pas d’atteindre l’objectif de dénonciation compte tenu de la quantité de crack saisi et de la nature des autres stupéfiants saisis. J’imposerai donc une peine d’incarcération ferme.

Le principe de modération dans le recours à l’emprisonnement

Bachou c. R., 2022 QCCA 1145


[37]      En 1996, le droit de la détermination de la peine fait l’objet d’une réforme substantielle. Dans l’arrêt Proulx, le juge en chef Lamer résume la teneur de celle-ci :

15        Comme l’ont expliqué mes collègues les juges Cory et Iacobucci dans R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, au par. 39, «[l]’adoption de la nouvelle partie XXIII a marqué une étape majeure, soit la première codification et la première réforme substantielle des principes de détermination de la peine dans l’histoire du droit criminel canadien».  Ils ont signalé deux des principaux objectifs que visait le législateur en édictant ces nouvelles mesures législatives: (i) réduire le recours à l’emprisonnement comme sanction, (ii) élargir l’application des principes de justice corrective au moment du prononcé de la peine (au par. 48).

[38]      Afin de bien signaler sa volonté de réduire le recours à l’emprisonnement, le Parlement adopte l’alinéa 718.2d) C.crqui impose au tribunal « l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient ».

[39]      Ce principe de modération n’était pas entièrement nouveau.

[40]      Dans l’arrêt Biron[15], le juge Rothman explique que l’emprisonnement ne doit être envisagé pour un délinquant primaire que si aucune peine n’est appropriée :

It is now, I think, accepted as a general principle of sentencing that before imposing a custodial sentence on a first offender, a sentencing court should carefully explore the other dispositions available. A custodial sentence should only be imposed in cases where the circumstances are such or the gravity of the offence is such that no other sentence is appropriate. (R. v. Stein (1974), 1974 CanLII 1615 (ON CA), 15 C.C.C.(2d) 376 (Ont. C.A.); R. v. Bates (1977), 1977 CanLII 2054 (ON CA), 32 C.C.C. (2d) 493 (Ont. C.A.))[16].

[Le soulignement est ajouté]

[41]      Toutefois, l’alinéa 718.2d) consacrait législativement le principe de modération dans l’utilisation de l’emprisonnement « pour la première fois au Canada »[17] et il marque un pas en établissant que ce principe doit être envisagé à l’égard de tous les délinquants. Ce faisant, le législateur a « positionné l’emprisonnement comme une mesure de dernier recours »[18].

[42]      Tout récemment, dans l’arrêt Parranto, la juge Martin rappelle l’importance du principe de la modération dans le recours à l’emprisonnement et le fait que les réformes de 1996 en matière de détermination de la peine visaient à s’attaquer au problème de la surincarcération au Canada :

[45]      Les points de départ ne dispensent pas non plus les juges chargés de déterminer la peine de tenir compte de tous les principes applicables en la matière. Les principes de la dénonciation et de la dissuasion sont généralement des objectifs intrinsèques des points de départ et sont reflétés dans les fourchettes de peines, mais [traduction] « on ne saurait permettre à ces objectifs de réduire à néant et de rendre inopérants ou inefficaces d’autres objectifs pertinents de la détermination de la peine » (R. c. Okimaw2016 ABCA 246, 340 C.C.C. (3d) 225, par. 90). On s’attend à ce que les juges chargés de déterminer la peine tiennent compte des autres objectifs pertinents relatifs à la détermination de la peine, y compris la réinsertion sociale et la modération quant au recours à l’emprisonnement, lorsqu’ils procèdent à une analyse individualisée. D’ailleurs, notre Cour a jugé que les réformes de 1996 en matière de détermination de la peine visaient à la fois à faire en sorte que les tribunaux tiennent compte des principes de justice réparatrice et à s’attaquer au problème de la surincarcération au Canada (Gladue, par. 57Proulx, par. 16‑20). Les juges chargés de déterminer la peine jouissent du pouvoir discrétionnaire de décider à quels objectifs il faut accorder la priorité (Nasogaluak, par. 43Lacasse, par. 54), et ils peuvent choisir d’attribuer plus de poids à la réinsertion sociale et à d’autres objectifs que des objectifs intrinsèques telles la dénonciation et la dissuasion. Les cours d’appel ne devraient pas perdre de vue ces principes — ni la norme de contrôle les obligeant à faire preuve de déférence — lorsqu’elles se penchent sur des peines qui s’écartent d’un point de départ ou d’une fourchette de peines[19].

[Les soulignements sont ajoutés]

[43]      Cela dit, « la réalisation de l’important objectif de modération dans le recours à l’incarcération »[20] ne doit pas se faire « à n’importe quel prix »[21]. Comme l’explique le juge Lamer dans l’arrêt Proulx : « pour décider si les circonstances ‘‘justifient’’ des sanctions moins contraignantes ou si des sanctions substitutives sont ‘‘justifiées’’, il faut prendre en compte les autres principes de détermination de la peine visés aux art. 718 à 718.2 »[22].

[44]      Même si on peut inférer qu’en imposant une peine d’emprisonnement le juge a écarté l’infliction d’une peine moins privative de liberté, il ne considère pas la possibilité de surseoir au prononcé de la peine et d’imposer une probation de trois ans assortie d’une obligation de faire des travaux communautaires, comme le suggérait l’appelant. 

[90]      L’appelant ayant déjà purgé 41 jours de détention, je n’ajouterais pas maintenant l’accomplissement de travaux communautaires à la probation, bien qu’il s’agisse d’une mesure de nature à responsabiliser un délinquant[67].

jeudi 5 juin 2025

Le juge agissant en révision d'une autorisation judiciaire peut tirer des inférences de l'affidavit

Laguerre c. R. 2022 QCCA 1548

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[24]      La juge réviseure devait plutôt s’en tenir à décider si l’autorisation recherchée pouvait être délivrée sur la base des renseignements présentés par la dénonciatrice. La révision ne consiste pas à « évaluer l’affidavit à la lumière de la vérité ultime »[15] ou « à faire le procès de chaque affirmation dans l’affidavit »[16], mais plutôt d'examiner « la croyance raisonnable du déposant »[17] et les inférences qui pouvaient en être tirées.

L'intoxication d'un contrevenant peut être un facteur atténuant, neutre ou aggravant selon les circonstances d'une affaire

R. c. L.P., 2020 QCCA 123

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[110]     A high degree of intoxication may, in some circumstances, reduce the moral blameworthiness of an accused and have an impact on sentencing as part of the contextual factors to be considered to render a just sentence.[61] However, that will depend on the circumstances. For example, “some persons become more dangerous while under the influence of intoxicants, and the penalty may reflect that dangerousness”.[62]

[111]     In Régimballe c. R., our Court wrote that intoxication may be treated as a mitigating or aggravating factor in sentencing, depending on the circumstances, but generally, for violent crimes, alcohol intoxication will be considered an aggravating factor, or in the best case scenario, a neutral factor.[63] The consideration of substance or alcohol intoxication in sentencing may thus be considered a mixed factor – aggravating or mitigating, with the emphasis depending on the circumstances.[64]

[112]     The circumstances may include whether the accused knew that, while intoxicated, he may become aggressive or violent but nonetheless kept drinking of failed to meaningfully address an addiction. In such a context, the accused’s blameworthiness is higher and the consumption of alcohol may become an aggravating factor.[65]

Comment la Cour doit traiter la demande d'arrêt des procédures d'un accusé qui allègue que son état de santé (physique ou mental) l'empêche de subir son procès

R v Magomadova, 2015 ABCA 26

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[48]           When an accused raises claims of physical and/or mental impairment, any claim for a stay of proceedings could in principle fall under either or both categories depending on the specific facts. Where an accused claims that the process of being subjected to a trial would significantly threaten their life or health, the most obvious category is the residual one. That is, while the trial itself may be procedurally fair (the accused can adequately instruct counsel, etc.), it would nonetheless be unconscionable for state action in the form of a trial to be responsible for threatening a person’s life.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Comment le Tribunal doit se gouverner face à la demande d'un co-accusé d'avoir un procès séparé de ses complices

R. v. Zvolensky, 2017 ONCA 273 Lien vers la décision [245] It is difficult to underestimate the importance of a principled, case-specific ap...