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vendredi 6 juin 2025

Comment apprécier la vulnérabilité d'une victime

Siciliano c. R., 2025 QCCA 335

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[51]      Selon les appelants, le juge se trompe lorsqu’il inclut, en tant que facteur aggravant, la situation de vulnérabilité de la victime, suivant l’article 718.04 C.cr. 

[52]       En général, la vulnérabilité d’une victime s’apprécie à la lumière de l’ensemble des faits retenus par le juge. Il s’agit d’un facteur dont l’importance variera selon les circonstances particulières du dossier. Une victime peut être vulnérable en raison de ses caractéristiques personnelles la rendant « plus susceptible d’être blessée, attaquée ou exploitée »[43], mais elle peut aussi devenir vulnérable à cause des circonstances précises de l’infraction.

[53]      En l’espèce, la conduite des appelants a placé X dans une situation de vulnérabilité, alors qu’elle se trouve seule dans une chambre d’hôtel avec eux. L’inégalité dans le rapport de force, dans ces circonstances, est évidente. Au surplus, Daigle, à qui X avait fait part des règlements de l’hôtel et de ses préoccupations quant au fait qu’elle devait rester dormir dans la chambre pour ne pas être vue, connaissait la situation délicate dans laquelle X se plaçait en lui rendant visite.

[54]      Par ailleurs, le témoignage de X illustre de façon éloquente la vulnérabilité qu’elle ressentait, alors qu’elle décrit être « tombée dans un piège » et avoir été « la sardine idéale pour leur filet à poissons ».

[55]      Je ne vois aucune erreur commise par le juge lorsqu’il tient compte de cette situation de vulnérabilité, d’autant plus que l’argument des appelants sur cette question est fondé sur des mythes et stéréotypes. Ils soutiennent en effet que X n’était pas vulnérable puisqu’elle était « libre de partir à tout moment ». Cet argument occulte complètement la réalité d’une victime d’agression sexuelle en général, et de cette victime en particulier. Bien que les appelants n’invoquent pas l’inférence prohibée selon laquelle l’absence de résistance équivaut à consentement[44] (en fait, ils reconnaissent, par leur plaidoyer de culpabilité, l’absence de consentement de X), il est tout aussi aberrant pour eux de soutenir que le « libre arbitre » de la victime permet de conclure qu’elle n’était pas vulnérable.

[56]      Comme les auteures Desrosiers et Beausoleil-Allard l’écrivent : 

[…] la majorité des victimes connaissent leur agresseur et […] nombre d’entre elles entretiennent une relation d’autorité et de confiance avec celui-ci, de sorte qu’elles n’ont d’autre choix que de se soumettre. De plus, les victimes ont peur. Les forces physiques en présence sont inégales et leur sécurité physique est menacée. Si elles résistent, elles risquent de se faire blesser, parfois tuer. La crainte d’attiser la violence contraint souvent à la passivité.[45]

[soulignements ajoutés]

[57]      Bref, la prétention selon laquelle X aurait pu quitter si elle l’avait voulu et qu’elle n’était conséquemment pas dans une situation de vulnérabilité s’inscrit dans une logique stéréotypée et depuis longtemps dépassée[46].

[58]      La vulnérabilité de X qui se trouve seule dans une chambre d’hôtel avec deux hockeyeurs, qui ensemble l’agressent sexuellement, ne saurait être remise en cause.

Un plaidoyer de culpabilité est un facteur atténuant reconnu, et cela pour plusieurs raisons

Siciliano c. R., 2025 QCCA 335

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[35]      Un plaidoyer de culpabilité est un facteur atténuant reconnu[26], et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, en règle générale, le fait pour un accusé de reconnaître sa participation dans l’infraction qui lui est reprochée démontre, au minimum, une amorce de conscientisation et de reconnaissance des torts causés à la victime et/ou à la société, et, bien souvent, témoigne de remords liés à sa conduite[27]. Ces éléments participent aussi souvent à diminuer le risque de récidive et peuvent être une bonne indication du potentiel de réhabilitation et de réinsertion sociale du délinquant[28]. En l’espèce, ces éléments atténuants sont dûment considérés par le juge[29].

[36]      Deuxièmement, un plaidoyer de culpabilité peut atténuer la peine parce qu’en évitant un procès, il permet d’économiser les ressources judiciaires et d’épargner à la victime toutes les conséquences et difficultés liées à un témoignage[30].

[37]      Renvoyant à une jurisprudence constante sur la question, le juge souligne que le plaidoyer inscrit à la dernière minute, avant le procès, ne mérite cependant pas une aussi grande considération que celui inscrit avec célérité[31]. Il est faux de prétendre que le juge punit les appelants pour des choix légitimes dans le déroulement de leur dossier. Il ne fait que constater l’évidence, c’est-à-dire que les plaidoyers sont inscrits la veille d’un procès fixé pour 11 jours. Par ailleurs, le juge mentionne expressément le désarroi et l’angoisse ressentis par X, et exprimés dans son témoignage, en raison de cette annonce soudaine, le jour même où elle se préparait à aller témoigner[32].

[38]      Le juge examine les circonstances et les conséquences rattachées à la tardiveté du plaidoyer de culpabilité et détermine que son effet atténuant est réduit en l’espèce[33]Il ne commet aucune erreur de principe en lien avec ce facteur.

Il est reconnu que le jeune âge constitue généralement une circonstance atténuante dans la détermination de la peine, plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’un délinquant primaire (qui en est à sa première infraction)

Siciliano c. R., 2025 QCCA 335

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[24]       Il est reconnu que le jeune âge constitue généralement une circonstance atténuante dans la détermination de la peine[14], plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’un délinquant primaire (qui en est à sa première infraction)[15]Sans équivoque, la peine en l’espèce devait tenir compte du jeune âge des appelants (18 ans lors de la commission des crimes) et de l’absence d’antécédents judiciaires.

[26]      L’argument des appelants vise donc plutôt la pondération de ce facteur qui, selon eux, aurait dû bénéficier d’un poids plus important, de nature à réduire la peine infligée. Or, la détermination de l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes demeure du ressort du juge d’instance[17] et la Cour ne pourra intervenir en l’absence d’une démonstration que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon déraisonnable.

[27]      Les appelants s’appuient sur l’arrêt Hills dans lequel la Cour suprême énonce que « [l]a dissuasion spécifique et la réinsertion sociale sont les objectifs premiers lorsque vient le temps de déterminer les peines infligées à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction »[18]. La Cour suprême réitère ce principe dans Bertrand Marchand[19]. Toutefois, il ne s’agit pas d’une règle absolue[20] et ce principe est effectivement nuancé en l’espèce par l’application de l’article 718.01 C.cr. qui prévoit que les principes de dénonciation et de dissuasion sont à favoriser dans le cas du mauvais traitement d’une personne de moins de 18 ans. La Cour suprême précise que cet article évoque un ordonnancement des objectifs[21] selon lequel il n’est pas loisible au juge d’accorder une priorité équivalente ou supérieure à d’autres objectifs[22].

[28]      Dans Courchesne c. R., la juge Bich, au nom de la Cour, explique l’interrelation de ces deux principes :

[51]  Bref, il incombe au tribunal d’accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, ce qui affecte donc forcément l’exercice de pondération auquel il doit se livrer aux fins de déterminer la peine, y compris dans les cas où, en raison de la jeunesse d’un délinquant primaire, il doit également donner un poids certain, c’est-à-dire important, aux facteurs de réhabilitation et de dissuasion spécifique.[23]

[soulignements ajoutés]

[29]      Selon les appelants, le facteur aggravant codifié au sous-al. 718.2a)(ii.1) C.cr., soit que le crime constitue un « mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans », tout comme le principe de l’article 718.01 C.cr. énoncé ci-dessus, devaient être tempérés en l’espèce puisque X, à 17 ans, avait presque l’âge de la majorité, au moment des faits allégués, et que l’écart d’âge avec les appelants était très faible[24].

[30]      Cet argument ne saurait convaincre. Bien que l’échelle de gravité puisse varier selon l’âge d’une victime — par exemple, ce facteur serait encore plus grave dans le cas d’un crime semblable commis envers une fillette de huit ans — la possibilité d’imaginer un facteur plus aggravant ne permet pas d’écarter celui qui s’applique ici. Le Code criminel trace la limite d’âge de façon claire et oblige le juge à accorder une priorité (primary consideration) aux objectifs de dénonciation et de dissuasion lorsqu’il s’agit de mauvais traitements à l’égard d’une personne de moins de 18 ans

[31]      Essentiellement, lors de la détermination de la peine pour un jeune contrevenant primaire ayant commis une infraction contre une personne mineure, le juge doit tenir compte du facteur aggravant codifié au sous-al. 718.2a)(ii.1) et prioriser la dénonciation et la dissuasion conformément à l’article 718.01 C.crCependant, il doit aussi s’assurer que la peine infligée respecte le principe de l’individualisation, de la proportionnalité et de la modération.

Norme d’intervention en matière d'appel d'une peine

Siciliano c. R., 2025 QCCA 335

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[19]      Une cour d’appel « ne peut substituer sa propre décision à celle du juge de la peine que pour un motif valable »[9] et doit faire preuve de déférence envers le vaste pouvoir discrétionnaire du juge d’instance[10] à qui est dévolue la tâche bien difficile de pondérer tous les facteurs pertinents en matière de détermination de la peine, dans la poursuite des objectifs pénologiques énoncés au Code criminel. Comme l’exprimait le juge Gendreau dans R. c. S.T. :

[14] La détermination de la peine est, sans doute, l’une des tâches les plus difficiles et les plus délicates de la fonction judiciaire. En effet, trouver et appliquer la norme la plus juste et la plus équitable pour l’accusé tout en manifestant la réprobation sociale adéquate et en assurant la protection de la société est un exercice de pondération complexe puisqu’il tend à assurer un équilibre entre des valeurs qui, sans s’opposer, visent des objectifs différents.[11]

[20]      Le caractère strict de la norme d’intervention en la matière est bien connu et réitéré dans tous les arrêts de la Cour où un appelant cherche à faire réformer une peine infligée en première instance.

[21]      L’intervention de la Cour ne sera justifiée que si 1) la peine n’est manifestement pas indiquée; ou 2) le juge a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine[12]. Dans l’arrêt Friesen, la Cour suprême mentionne, parmi les erreurs de principe, l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. La pondération des facteurs peut aussi constituer une erreur de principe, mais seulement si le juge a « exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre »[13].

[22]      Ainsi, rien ne sert à un appelant de replaider — même avec force et conviction — les arguments présentés en première instance, en insistant sur ceux qui justifieraient à son avis une peine plus clémente. Par conséquent, la quête d’une peine juste et appropriée, proportionnelle à la gravité du crime et au degré de responsabilité du délinquant, ne mène pas à une seule peine acceptable, mais plutôt à une fourchette de peines appropriées, dont le choix relève de la discrétion du juge à l’égard de laquelle la Cour doit déférence en l’absence d’une erreur révisable.

Le principe de modération et l’obligation, avant d’envisager la privation de la liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes

R. c. Leduc, 2023 QCCQ 3306

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[23]        Le Code criminel prévoit, aux articles 718.2 d) et e) :

Art. 718.2 d) C.cr.

Art. 718.2 e) C.cr.

L’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

L’examen, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, de toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité.

[24]        La Cour d’appel du Québec s’est penchée sur le principe de modération dans l’arrêt Bachou[27] :

  Le principe de modération impose au Tribunal l’obligation d’examiner les sanctions moins contraignantes que l’incarcération lorsque les circonstances le justifient[28];

  Il a été codifié à l’article 718.2d) C.cr. à la suite à  d’une réforme substantielle du droit relatif à la détermination de la peine en 1996[29], et il participe à la solution du problème de la surincarcération au Canada[30];

  Le principe de modération doit être envisagé à l’égard de tous les délinquants[31], et l’emprisonnement ne doit être imposé qu’en dernier recours pour le délinquant primaire[32];

  Pour justifier si des circonstances justifient des sanctions moins contraignantes que l’emprisonnement, le juge doit prendre en compte les autres principes de la détermination de la peine prévus aux articles 718 à 718.2 C.cr.[33]

[25]        La Cour d’appel de l’Ontario partage aussi l’opinion que l’incarcération ne doit être considérée qu’en dernier recours[34].  Quant à l’auteur Clayton Ruby, il décrit le principe de modération de la manière suivante, en insistant sur l’échec de l’incarcération comme mesure de réduction de la criminalité[35] :

13.9 (…)  Imprisonment has failed to satisfy the basic function of the judicial system, namely, “to protect society from crime in a manner commanding public support while avoiding needless injury to the offender.

                                                                                                              (Mes soulignements)

[38]        Troisièmement, je conclus cependant qu’une ordonnance d’emprisonnement dans la collectivité n’est pas conforme aux objectifs et aux principes de la détermination de la peine visés aux articles 718 à 718.2 C.cr. pour les raisons suivantes :

  Même si le fait de purger sa peine dans la collectivité peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif appréciable[42], je suis d’avis que l’incarcération ferme est ici la seule peine convenable pour exprimer la réprobation de la société relativement à la conduite de l’accusé;

  Une telle réprobation « représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu'elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel »[43].

  Le besoin de dénonciation est intimement lié à la gravité de l’infraction. Plus l’ensemble des circonstances de l’infraction est grave, plus la dénonciation s’impose. Dans « le but de limiter la prolifération de telles infractions, l’objectif de dénonciation témoigne du rôle de communication et d’éducation du droit »[44].

  Les ravages du crack et des drogues mentionnées à l’annexe 1 de la LRCDS sont bien connus et font partie du quotidien du juge. Même si la société en général priorise une approche moins répressive relativement à la possession simple de ce type de substances, le trafic ou la possession aux fins de trafic d’une quantité non négligeable de ces substances doivent être dénoncées, car ces infractions contribuent aux ravages causés par ces drogues.

  Même si l’emprisonnement ferme n’est pas automatique, je conclus qu’en l’espèce l’emprisonnement dans la collectivité ne permet pas d’atteindre l’objectif de dénonciation compte tenu de la quantité de crack saisi et de la nature des autres stupéfiants saisis. J’imposerai donc une peine d’incarcération ferme.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les déclarations d'un accusé à son complice ne sont pas du ouï-dire

R v Ballantyne, 2015 SKCA 107 Lien vers la décision [ 58 ]             At trial, Crown counsel attempted to tender evidence of a statement m...