samedi 7 novembre 2009

La jurisprudence applicable à l’article 10 b) de la Charte

R. c. Perron, 2007 CanLII 62814 (QC C.M.)

• Le but recherché par l’article 10 b) de la Charte

[7] L’arrêt R. c. Brydges, 1990 CanLII 123 (C.S.C.), (1990) 1 R.C.S. 190 a expliqué que l’une des raisons majeures d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat après avoir été placé en détention tient à la protection du droit de ne pas s’incriminer. La personne a alors immédiatement besoin de conseils juridiques, à cette étape initiale de la détention, afin de connaître l’existence du droit de garder silence et d’être conseillée sur la façon d’exercer ce droit.

[8] Dans cet arrêt, l’Honorable juge Lamer s’exprimait ainsi :

« Notre Cour a affirmé à maintes reprises qu'il y a lieu d'interpréter le sens des droits et libertés garantis par la Charte selon une méthode fondée sur l'objet visé: Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (C.S.C.), [1984] 2 R.C.S. 145, et R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (C.S.C.), [1985] 1 R.C.S. 295. Quant à l'art. 10 de la [page203] Charte, la Cour a clairement affirmé que le droit à l'assistance d'un avocat vise, selon l'expression du juge Wilson dans l'arrêt Clarkson, précité, à la p. 394, "à promouvoir le principe de l'équité dans le processus décisionnel" et que ce principe comporte notamment "le souci de traiter équitablement une personne accusée". Il y a lieu de souligner que le droit à l'assistance d'un avocat prend naissance "en cas d'arrestation ou de détention". Traiter équitablement une personne accusée ou détenue signifie nécessairement qu'il faut lui donner une possibilité raisonnable d'exercer son droit à l'assistance d'un avocat parce que la personne détenue est à la merci des policiers et que, de ce fait, elle n'a pas la liberté d'exercer les privilèges qu'elle pourrait par ailleurs exercer. Il existe donc une obligation pour les policiers de faciliter la communication avec un avocat puisque, comme je l'ai dit dans l'arrêt R. c. Manninen, 1987 CanLII 67 (C.S.C.), [1987] 1 R.C.S. 1233, aux pp. 1242 et 1243:

Le droit à l'assistance d'un avocat a pour objet de permettre à la personne détenue non seulement d'être informée de ses droits et de ses obligations en vertu de la loi, mais également, voire qui plus est, d'obtenir des conseils sur la façon d'exercer ces droits. [...] Pour que le droit à l'assistance d'un avocat soit efficace, le détenu doit pouvoir obtenir ces conseils avant d'être interrogé ou requis autrement de fournir des éléments de preuve. »

• Les obligations des policiers en fonctions de l’article 10 b) de la Charte

[9] L’arrêt R. c. Manninen, 1987 CanLII 67 (C.S.C.), (1987) 1 R.C.S. 1233 a expliqué les obligations des policiers en vertu de l’article 10 b) de la Charte de la manière suivante :

• Ils ont l’obligation d’informer le détenu de ses droits.

• Ils doivent donner au détenu une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat et cette obligation inclut l’obligation d’offrir de se servir d’un téléphone, lorsqu’il y en a un à proximité.

• Ils ont l’obligation de cesser d’interroger ou de tenter autrement de soutirer des éléments de preuve du détenu tant que celui-ci ne se sera pas vu offrir une possibilité raisonnable de recourir à l’assistance d’un avocat.

[10] L’Honorable juge Lamer dans l’arrêt R. c. Brydges précité s’est exprimé ainsi :

« En conséquence, l'al. 10b) de la Charte impose au moins deux obligations aux policiers en plus de celle d'informer le détenu de ses droits. D'abord, les policiers doivent donner à la personne accusée ou détenue une possibilité raisonnable d'exercer le droit de recourir à l'assistance d'un avocat, puis les policiers doivent s'abstenir de questionner la personne ou d'essayer de lui soutirer des éléments de preuve jusqu'à ce qu'elle ait eu cette possibilité raisonnable. La deuxième obligation comporte notamment l'interdiction faite aux policiers de forcer la personne détenue à prendre une décision ou à participer à quelque chose qui pourrait finalement avoir un effet préjudiciable sur un éventuel procès, jusqu'à ce que cette personne ait eu une possibilité raisonnable d'exercer son droit à l'assistance d'un avocat: R. c. Ross, 1989 CanLII 134 (C.S.C.), [1989] 1 R.C.S. 3, à la p. 12. »

[11] La Cour Suprême du Canada a réitéré ce principe dans l’arrêt R. c. Bartle (1994) 3 R.C.S. 730 où l’Honorable juge Lamer a indiqué ce qui suit :

« Notre Cour a dit à maintes reprises que l’al. 10b) de la Charte impose aux représentants de l’État qui arrêtent une personne ou qui la mettent en détention les obligations suivantes :

(1) informer la personne détenue de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et de l’existence de l’aide juridique et d’avocats de garde;

(2) si la personne détenue a indiqué qu’elle voulait exercer ce droit, lui donner la possibilité raisonnable de le faire (sauf en cas d’urgence ou de danger);

(3) s’abstenir de tenter de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu'à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable (encore une fois, sauf en cas d’urgence ou de danger).

La première obligation (…) touche à l’information. Les deuxième et troisième participent davantage de l’obligation de mise en application et ne prennent naissance que si la personne détenue indique qu’elle veut exercer son droit à l’assistance d’un avocat. »

[12] L’arrêt R. c. Tremblay 1987 CanLII 28 (C.S.C.), (1987) 2 R.C.S. 435 a indiqué qu’il y a violation de l’alinéa 10 b) de la Charte lorsque les policiers font subir un alcootest à une personne immédiatement après que celle-ci eut tenté une fois de contacter un avocat et alors qu’il restait amplement de temps pour respecter le délai du Code criminel pour administrer un alcootest.

[13] Cependant, l’arrêt R. c. Johnson (1989) 222 A.P.R. 373 (C.A. N.-É.) (autorisation d’appeler refusée : (1989) 1 R.C.S. IX) a aussi indiqué qu’obliger une personne à passer un ivressomètre, après qu’elle ait pu, pendant plus de une heure et demie, tenter de contacter son avocat, ne porte pas atteinte à l’alinéa 10 b) de la Charte.

[14] L’arrêt R. c. Ross 1989 CanLII 134 (C.S.C.), (1989) 1 R.C.S. 3 a donné au détenu le droit de choisir son avocat et ce n’est que si l’avocat choisi ne peut être disponible dans un délai raisonnable qu’on doit s’attendre à ce qu’il en appelle un autre.

[15] Dans cet arrêt, l’Honorable juge Lamer s’exprimait ainsi :

« ¶ 13 Je voudrais souligner ici qu'on a demandé à l'appelant Leclair s'il voulait appeler un autre avocat et qu'il a répondu que non. Le ministère public prétend que, par cette réponse, Leclair a renoncé à son droit à l'assistance d'un avocat. Je ne suis pas d'accord. Leclair avait clairement indiqué qu'il désirait communiquer avec son avocat. Le simple refus d'appeler un autre avocat ne peut honnêtement être considéré comme une renonciation à son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. Bien au contraire, il a simplement fait valoir son droit à l'assistance d'un avocat, et à [page11] l'avocat de son choix. Notons que comme l'a dit cette Cour dans l'arrêt R. c. Tremblay, 1987 CanLII 28 (C.S.C.), [1987] 2 R.C.S. 435, un prévenu ou un détenu, bien qu'il ait le droit de choisir un avocat, doit faire preuve de diligence raisonnable dans l'exercice de ses droits, sinon les obligations corollaires qui, selon l'arrêt Manninen, sont imposées aux policiers, sont suspendues. La diligence raisonnable dans l'exercice du droit de choisir son avocat dépend de la situation dans laquelle se trouve l'accusé ou le détenu. Au moment de son arrestation, par exemple, le détenu a un besoin immédiat de conseils juridiques et doit faire preuve de diligence raisonnable en conséquence. Par contre, lorsqu'il cherche le meilleur avocat pour un procès, l'accusé n'est pas dans une telle situation d'urgence. Néanmoins, l'accusé ou le détenu a le droit de choisir son avocat et ce n'est que si l'avocat choisi ne peut être disponible dans un délai raisonnable qu'on doit s'attendre à ce que le détenu ou l'accusé exerce son droit à l'assistance d'un avocat en appelant un autre avocat. »

[16] Ainsi, l’arrêt R. c. McKenzie (20000 28 C.R. (5th) 394 a statué qu’il y a violation du droit à l’avocat de son choix lorsqu’un policier qui essaie de contacter l’avocat choisi par l’accusé n’obtient aucune réponse et met immédiatement après cet échec, et ce, sans faire d’autres essais, l’accusé en communication avec l’avocat de service.

• La renonciation au droit de l’article 10 b) de la Charte

[17] Enfin, l’arrêt R. c. Ross précité a clairement indiqué que la renonciation au droit à l’assistance d’un avocat ne peut résulter que d’une indication claire en ce sens. Ainsi, le simple refus d’appeler un autre avocat que le sien ne peut être considéré comme une renonciation à ce droit.

[18] Et il fut décidé dans l’arrêt R. c. Donovan 2001 CanLII 28323 (ON S.C.), (2001) 83 C.R.R. (2d) 172 (C.S. Ont.) que l’acceptation de parler à l’avocat d’office ne constitue pas une renonciation au droit de parler à son avocat.

[19] Dans les arrêts R. c. Bartle précité et R. c. Prosper 1994 CanLII 65 (C.S.C.), (1994) 3 R.C.S. 236, la Cour Suprême du Canada a clairement établi que la renonciation au droit de l’alinéa 10 b) de la Charte et à ses composantes est en réalité une chose rare et que le fait de dire qu’on ne veut pas être informé de ce droit ne constitue pas une renonciation suffisante aux composantes informatives du droit. Et le fait de dire que l’on connaît ses droits ne suffit pas non plus. Il ne peut y avoir renonciation s’il n’y a pas eu mise en garde aussi instructive et claire que possible. La renonciation implique pleine connaissance, ce qui nécessite une information complète.

[20] Dans cet arrêt de R. c. Prosper précité, la Cour Suprême du Canada s’exprimait donc ainsi :

« Les tribunaux doivent s'assurer qu'on n'a pas conclu trop facilement à la renonciation au droit à l'assistance d'un avocat. Il y a naissance d'une obligation d'information supplémentaire de la part de la police dès que la personne détenue, qui a déjà manifesté son intention de se prévaloir de son droit, indique qu'elle a changé d'avis et qu'elle ne désire plus obtenir de conseils juridiques. La police est tenue à ce moment de l'informer de son droit d'avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de l'obligation de la police de surseoir à l'enquête au cours de cette période. La personne détenue doit indiquer explicitement qu'elle a changé d'avis et il appartient au ministère public d'établir qu'elle a clairement renoncé à son droit. La renonciation doit être libre et volontaire et elle ne doit pas avoir été donnée sous la contrainte, directe ou indirecte. La norme requise pour établir l'existence d'une renonciation au droit à l'assistance d'un avocat est très stricte. La personne qui renonce à un droit doit savoir ce à quoi elle renonce pour que la renonciation soit valide. Le droit à l'assistance d'un avocat garanti à l'al. 10b) ne doit toutefois pas se transformer en obligation pour les personnes détenues de demander l'assistance d'un avocat. »

[21] Enfin, il appartient à la Couronne de prouver la renonciation au droit à l’avocat nous dit l’arrêt R. c. Maloney, 1995 CanLII 4174 (NS C.A.), (1996) 34 C.R.R. (2d) 162 (C.A. N.-É.).

• La sanction s’il y a eu violation à l’article 10 b) de la charte

[22] L’Honorable juge Lamer de la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt précité de R. c. Ross mentionnait à la page 15 dudit jugement que les éléments de preuve obtenus par suite de la violation d’un droit prévu à la Charte ne sont écartés que dans la mesure où, eu égard aux circonstances, leur utilisation serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice et citant l’arrêt R. c. Collins 1987 CanLII 84 (C.S.C.), (1987) 1 R.C.S. 265, il indique :

« … cette Cour à la majorité a estimé utile d’identifier 3 groupes de facteurs dont le tribunal doit tenir compte pour déterminer si l’utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. La première catégorie de facteurs a trait à l’équité du procès, la seconde à la gravité de la violation de la Charte et la troisième à l’effet de l’exclusion de la preuve, plus particulièrement à la question de savoir s’il est préférable, pour la réputation du système, d’utiliser ou d’écarter la preuve. »

[23] Dans l’arrêt R. c. Prosper précité, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Cory et Iacobucci ont déclaré que les échantillons d'haleine sont des éléments de preuve obtenus en mobilisant l'appelant contre lui-même, qui n'auraient peut-être pas été disponibles s'il n'y avait pas eu violation des droits que lui garantit l'al. 10b) et qui devraient être écartés en application du par. 24(2) parce qu'ils sont susceptibles de déconsidérer l'administration de la justice. La violation du droit de l'appelant à l'assistance d'un avocat porte directement atteinte à son privilège de ne pas s'incriminer, et l'utilisation des résultats des alcootests découlant de cette violation est susceptible de miner ce privilège et, partant, de rendre le processus judiciaire inéquitable. Ni l'indéniable bonne foi de la police ni la gravité relative de l'infraction de conduite avec facultés affaiblies ne pourraient compenser le manque d'équité qu'entraînerait l'utilisation de cet élément de preuve.

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