lundi 4 septembre 2023

La mise en contradiction d'un témoin avec une déclaration orale antérieure qui s’avérerait incompatible avec le témoignage qu’il livre au procès

M.H. c. R., 2023 QCCA 645

Lien vers la décision


[8]         Ce pourvoi soulève deux moyens. Le premier porte sur l’application des dispositions des articles 10 et 11 de la Loi sur la preuve au Canada[5] lorsqu’il s’agit de mettre un témoin en contradiction avec une déclaration orale antérieure qui s’avérerait incompatible avec le témoignage qu’il livre au procès. Se pose plus particulièrement la question de la possibilité d’interrompre le contre‑interrogatoire d’un témoin afin de mettre en preuve, par l’entremise du témoignage d’une autre personne, la déclaration en cause. Le second moyen concerne quant à lui l’appréciation de la preuve testimoniale et plus particulièrement l’appréciation du témoignage portant sur des faits survenus pendant l’enfance.

[11]      L’article 11 de la Loi sur la preuve au Canada est de nature procédurale et permet à une partie de prouver qu’un témoin a fait une déclaration antérieure incompatible. Lorsque le témoin nie avoir fait cette déclaration, la partie qui le contre‑interroge peut l’introduire « en preuve à cette étape mais aussi à une autre étape du déroulement du procès, en accord avec les règles générales de preuve et de procédure qui régissent la tenue du procès »[6]. L’objectif premier est de préserver l’équité qui doit guider l’exercice de mise en contradiction en permettant au témoin de s’expliquer avant qu’une preuve susceptible d’affecter sa crédibilité ne soit produite. Cette considération doit demeurer au cœur de l’analyse[7].

[12]      Les conditions que doit respecter la partie qui entend mettre en preuve une déclaration incompatible sont énoncées dans l’arrêt Mandeville de cette Cour :

Cette disposition précise que dans le cas où (1) un témoin contre-interrogé au sujet d’une déclaration antérieure faite par lui relativement au sujet de la cause, (2) que cette déclaration est incompatible avec sa présente disposition, (3) que le témoin n’admet pas clairement qu’il a fait cette déclaration, (4) que les circonstances dans lesquelles a été faite la prétendue déclaration sont exposées au témoin de manière à spécifier cette déclaration, (5) qu’il a été demandé au témoin s’il a fait ou non cette déclaration, que si ces cinq conditions sont remplies, qu’alors « il est permis de prouver » que le témoin a réellement fait cette déclaration.[8]

[13]      Lors de son témoignage en chef, la plaignante relate avoir été agressée par l’appelant alors qu’elle était étendue sur la banquette arrière de son véhicule automobile. Au cours du contre-interrogatoire, l’avocat de l’appelant lui demande à deux reprises si elle se souvient d’avoir déclaré aux policiers qu’elle était plutôt couchée sur le sol à l’arrière du véhicule. La plaignante nie et réitère qu’elle se trouvait sur la banquette arrière.

[14]      Saisie d’une objection du poursuivant, la juge considère, à juste titre, que les questions posées et les réponses offertes par la plaignante sont suffisantes pour permettre à l’appelant de mettre en preuve la déclaration à laquelle il réfère. Elle pouvait mettre donc un terme à cette série de questions :

Elle vous a dit ce qu’elle affirme lui avoir dit. Elle peut pas vous dire davantage, vous ne pouvez pas lui exhiber une déclaration qu’elle a faite si cette déclaration‑là, elle est verbale. Là, vous avez un autre document qui vient d’un policier, si vous voulez vous en servir comme contradiction, ce n’est pas avec le témoin. Le témoin, elle vous a répondu. Vous deviez lui poser la question.[9]

[15]      La juge refuse également d’interrompre le témoignage de la plaignante afin de permettre à l’appelant de procéder immédiatement à l’interrogatoire du sergent‑détective Cyr et de tenter d’établir par son entremise l’existence et la teneur de la déclaration verbale de la plaignante. Elle ne ferme cependant pas la porte à ce que cette preuve puisse être faite à une étape ultérieure.

[16]      La jurisprudence reconnaît qu’une partie peut interrompre le témoignage en cours afin de mettre en preuve la déclaration contradictoire ou attendre de le faire dans le cadre de sa propre preuve[10]. Certaines décisions privilégient cette seconde avenue puisqu’elle permet au témoignage de suivre son cours[11]. Cela dit, cette Cour a également reconnu qu’un accusé ne peut être contraint de présenter une défense à la seule fin de mettre une telle déclaration en preuve[12]. Dans de telles circonstances, le fait de refuser d’interrompre le contre‑interrogatoire et de forcer l’accusé à présenter une défense peut constituer une erreur commandant l’intervention de la Cour, si tant est qu’elle cause un préjudice à l’accusé[13].

[17]      Outre cette situation particulière, la décision de permettre à l’accusé de faire cette preuve dans le cadre de la preuve du ministère public relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal[14]. Les auteurs Vauclair et Desjardins résument ainsi les principes applicables :

La jurisprudence a indiqué que la partie qui veut mettre en preuve la déclaration antérieure du témoin doit le faire dans le cadre de sa propre preuve. En d’autres termes, on ne doit pas interrompre le témoignage du témoin pour démontrer qu’il a antérieurement déclaré le contraire. Toutefois, la Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Duclos, a décidé que le juge a le pouvoir de permettre à l’accusé d’interrompre le témoignage pour qu’il puisse, dans le cadre de la preuve de la poursuite, démontrer que le témoin a effectivement fait la déclaration. Cela vise à éviter que l’Accusé soit tenu de présenter une défense à cette seule fin et perde de ce fait son droit de plaider en dernier […][15]

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

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