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vendredi 7 mars 2025

Le rôle du juge réviseur et le fardeau de preuve

R. c. Savard, 2022 QCCS 711

Lien vers la décision


[40]        Ce qui nous amène maintenant à cerner le rôle du Tribunal à l’égard de la Requête et le fardeau de preuve des requérants.

3.3         Le rôle du juge réviseur et le fardeau de preuve :

[41]        Puisque la loi accorde à l’autorisation judiciaire une apparence de validité[21], le Ministère public n’a qu’à produire l’autorisation judiciaire en cause lors du voir-dire pour en établir la validité à première vue. Comme le signalait la juge Charron dans R. c. Pires, il s’agit là simplement d’un fardeau de présentation (« evidentiary burden ») et non d’un fardeau de persuasion (« persuasive burden »)[22].

[42]        Il appartient ensuite à la personne accusée de démontrer, par prépondérance des probabilités, que la dénonciation ne justifiait pas que l’autorisation soit émise[23].

[43]        Rappelons que la Requête s’attaque autant à la validité apparente que sous-apparente des autorisations judiciaires.

[44]        Une contestation de la validité apparente (« facial validity ») vise à déterminer si l’affidavit au soutien de la demande d’autorisation judiciaire était, à première vue, suffisant pour appuyer le mandat. Les déclarations de l’affiant sont alors tenues pour avérées et acceptées comme étant fiables et exactes[24], et il appartient à la personne accusée de réfuter la présomption de validité du mandat[25]. Le juge réviseur doit alors déterminer si le juge émetteur, agissant judiciairement, devait délivrer le mandat sur la base du contenu de la demande[26]. En d’autres termes, l’affiant fournit-il, à première vue, des motifs suffisants de croire que des preuves d’une infraction seraient trouvées à l’adresse cible?[27]

[45]        Dans le cas d’une contestation de la validité sous-apparente (« sub-facial validity »), il incombe également à l’accusé d’établir l’invalidité du mandat, mais en s’attaquant cette fois à la fiabilité de son contenu[28]. Toutes les erreurs et inexactitudes de l’affidavit doivent alors être excisées, mais peuvent être amplifiées par des preuves en autant que les erreurs ou les inexactitudes aient été commises de bonne foi. Pour déterminer la validité sous-apparente d’un mandat, le juge réviseur doit se demander si, d’après le dossier tel qu’excisé et amplifié, il y avait au moins certains éléments de preuve qui pouvaient raisonnablement être fondés et sur lesquels l’autorisation pouvait être délivrée[29].

[46]        Comme le juge émetteur ne donne aucun motif à l’appui de sa décision, cette analyse s’effectue à partir de la dénonciation. Le juge réviseur évalue si l’information présentée au juge émetteur lui permettait d’accorder le mandat en litige. S’il conclut que le juge émetteur pouvait accorder le mandat, il ne doit pas intervenir.

[47]        Le juge réviseur doit procéder à une analyse contextuelle de l’affidavit dans son ensemble et non de façon parcellaire et fragmentaire à l’égard d’éléments de preuve individuels dépouillés de leur contexte[30]. Déterminer si la preuve révèle une probabilité qu’une infraction soit commise n’exige donc pas d’analyser les faits de très près ou de les évaluer de façon mathématique, mais plutôt de repérer des faits crédibles justifiant le caractère raisonnable de la décision d’autoriser un mandat au vu de l’ensemble des circonstances[31].

[48]        Le rôle du juge réviseur est donc circonscrit à examiner la dénonciation afin de vérifier s’il existait, dans l’ensemble de la trame factuelle, suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables pour permettre au juge de délivrer le mandat, et non pas à se substituer au juge émetteur en se demandant s’il aurait lui-même délivré le mandat[32].

[49]        La révision de la décision du juge qui a délivré l’autorisation judiciaire doit se faire avec prudence et déférence[33], en tenant compte aussi qu’on ne peut imposer à l’affiant un standard de perfection[34].

[50]        Dans la récente affaire R. c. Dion[35], le juge Eric Downs de notre Cour résume très bien l’état du droit au sujet du rôle du juge réviseur :

« [71]   Le rôle du juge réviseur consiste à déterminer si le juge autorisateur avait des motifs d’accorder l’autorisation.

[72]      Le rôle du Tribunal au stade de la révision ne consiste pas à se demander s’il aurait lui-même émis l’autorisation, mais de vérifier si les conditions d’émission des autorisations étaient satisfaites et s’il existait suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables pour permettre au juge d’émettre l’autorisation.

[73]      L’audition de type Garofoli n’est pas une audition de novo. Le juge réviseur ne doit pas substituer sa discrétion à celle du juge ayant émis l’autorisation.

[74]      La révision se fait sur la base du dossier dont disposait le juge qui a accordé l’autorisation et est complétée par la preuve faite lors de l’audition devant le juge réviseur.

[75]      Le juge réviseur doit examiner le tableau général des différents éléments de l’affidavit et le cumul de ceux-ci et de leurs interrelations. Il doit se garder de déterminer si chaque élément de l'affidavit était suffisant pour justifier l'autorisation. La révision exige une analyse contextuelle du dossier, et non une dissection fragmentaire des éléments de preuve individuels, pris hors de leur contexte, dans une vaine quête en vue de trouver des inférences disculpatoires.

[76]      Il ne s’agit pas de déterminer s’il existait des motifs raisonnables de porter des accusations contre l’individu, mais bien s’il existait des motifs raisonnables de croire que l’interception de ses communications aiderait à faire progresser l’enquête sur l’infraction.

[77]      Le fardeau de preuve requis à l’étape de la demande d’émission de l’autorisation est bien différent de celui qui existe au moment du procès. Le fardeau au stade de l’émission de l’autorisation est moindre que le standard de la balance des probabilités, mais plus exigeant que de simples soupçons. Les motifs raisonnables doivent être basés sur de l’information fiable et crédible.

[78]      La révision de l’affidavit rédigé au soutien d’une demande d’autorisation se fait à la lumière des motifs connus par l’affiant au moment de cette rédaction. Les erreurs ou omissions s’évaluent à la lumière des connaissances de l’affiant à l’époque pertinente.

[79]      Autrement dit, tel que l’a précisé la Cour suprême dans l’arrêt Groupe de la Banque Mondiale c. Wallaceles erreurs ou omissions doivent être examinées à partir de ce que l’affiant savait ou aurait dû savoir au moment où il a rédigé sa dénonciation.

[80]      Le juge réviseur peut, tout comme le juge autorisateur, tirer des inférences raisonnables du contenu de la dénonciation. Qu'un élément de preuve dans la dénonciation puisse soutenir plus d'une inférence ou même une inférence contraire à une autre qui appuie une condition préalable est sans conséquence. La question se limite à une évaluation de la dénonciation pour déterminer si elle contient quelques éléments de preuve fiable qui pourraient raisonnablement être considérés et sur la base duquel un mandat peut être émis. Des inexactitudes et des omissions dans la dénonciation n'empêchent pas, en soi, que la dénonciation puisse établir les conditions préalables à son émission.

[81]      Le juge réviseur doit évaluer si l’affidavit au soutien de la demande d’écoute ou de surveillance électronique contenait quelques éléments de preuve fiables auxquels le juge autorisateur aurait pu ajouter foi pour accorder l’autorisation. Le juge réviseur ne doit pas préférer une inférence à une autre. Il ne doit pas examiner les éléments de preuve individuels hors contexte en cherchant d’autres inférences disculpatoires. Il ne doit pas adopter une approche fragmentée vis-à-vis des éléments de preuve individuels dépouillés de leur contexte. Le juge réviseur doit plutôt effectuer une analyse contextuelle du contenu de l’affidavit dans son ensemble.

[82]      Les erreurs dans l’information présentée au juge autorisateur, même si elles sont délibérées, voire frauduleuses, ne sont que des facteurs qui doivent être considérés pour décider si le juge réviseur doit annuler l’autorisation. Ces erreurs ne mènent pas automatiquement au rejet de l’autorisation. Au terme de l’exercice, le juge réviseur doit examiner l’information contenue dans l’affidavit indépendamment de celle liée à l’erreur ou à la non-divulgation et déterminer si le reliquat de l’information est suffisant et fiable pour appuyer l’autorisation.

[83]      Le juge réviseur doit finalement déterminer si le juge autorisateur pouvait accorder l’autorisation basée sur l’information contenue dans l’affidavit et complétée par la procédure de révision incluant l’excision et l’amplification. Lorsque le juge réviseur conclut que le juge autorisateur pouvait décerner l’autorisation, il doit s’abstenir d’intervenir.

[84]      Le juge réviseur doit retrancher de l’affidavit toute information viciée ou trompeuse. Il en est de même pour toute information obtenue en violation de la Charte. Ce procédé est celui de l’excision.

[85]      Autrement dit, le juge réviseur doit faire abstraction des renseignements inexacts qui se trouvent dans la dénonciation.

[86]      Le juge réviseur peut aussi avoir recours à l’amplification pour corriger des erreurs techniques ou mineures commises de bonne foi par les policiers. Cependant, l’amplification ne doit pas être un moyen pour les policiers de se soustraire aux conditions d’une autorisation préalable.

[87]      Aussi, lorsque le reliquat de l’information est suffisant pour justifier l’émission de l’autorisation, il n’est pas nécessaire pour le juge réviseur de recourir au processus de l’amplification.

[88]      Des omissions, des erreurs techniques ou des erreurs mineures faites de bonne foi ou par inadvertance peuvent être amplifiées. L’amplification consiste à toute information supplémentaire révélée par l’exercice de révision et peut découler du contre-interrogatoire de l’affiant et de la preuve présentée au juge réviseur.

[89]      Enfin, le juge réviseur doit se demander si la dénonciation, une fois épurée et complétée, contenait suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables permettant au juge d’émettre le mandat.

[90]      En cas de violation des principes des articles 7 et 8 de la Chartele remède approprié demeure habituellement celui de l’article 24 (2) de la Charte, puisque c’est de la suffisance des motifs, après excision et amplification selon les principes reconnus, qui détermine la validité d’une autorisation.

[91]      Il faut signaler que le juge réviseur conserve également un pouvoir discrétionnaire résiduel d’écarter une autorisation d’écoute et de surveillance électronique lorsqu’il est convaincu que la conduite policière a perverti le processus d’autorisation judiciaire en raison de la non-communication intentionnelle, de la mauvaise foi, de tromperies délibérées ou de représentations frauduleuses de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

[92]      Cette discrétion prend ancrage dans l’autorité dont les Tribunaux présidant des affaires criminelles sont investis afin d’assurer de l’équité des procédures. Depuis les dernières années, de nombreuses instances dans différentes juridictions en ont reconnu l’application, dont la Cour d’appel et cette Cour.

[93]      Pour qu’un comportement étatique donne ouverture à la considération d’une exclusion en vertu de l’article 24 (1) de la Charte, il doit être à ce point choquant qu’il montre que l’affiant a délibérément tenté de pervertir le cours de la justice. Le standard requis est très sévère et la conduite des policiers doit être examinée dans son ensemble pour convaincre le juge siégeant en révision que ce standard exigeant, que certains assimilent à celui d’un abus de procédures, est satisfait. »

(Les nombreuses références sont omises. Les emphases sont ajoutées.)

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