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vendredi 29 août 2025

Les éléments constitutifs de l'infraction d'usage / entreposage négligent d'une arme à feu

Gendreau c. R., 2015 QCCA 1910

Lien vers la décision


[19]        Les crimes de négligence pénale, comme celui en l’espèce, ne se laissent pas cerner facilement. À ce propos, le juge Sopinka écrivait que « [c]e domaine du droit, tant ici que dans les autres pays de common law, s’est révélé l’un des plus difficiles et des plus incertains de tout le droit criminel »[5]. La principale difficulté en matière de responsabilité criminelle objective provient probablement du fait que l’actus reus et la mens rea des infractions de cette nature sont des notions qui se côtoient étroitement, d’où le risque de les confondre l’une avec l’autre en raison du critère objectif qu’elles partagent.

[20]        La doctrine énonce ainsi le but poursuivi par l’article 86(1) C.cr. :

Cette disposition vise à protéger les personnes contre les actes de négligence, susceptibles d’entraîner des lésions corporelles pour autrui. Parce que les armes à feu et les munitions peuvent occasionner des blessures graves ou une perte de vie, le législateur a reconnu qu’il importe que les personnes en possession de ces articles aient l’obligation de les utiliser, de les porter, de les manipuler, de les expédier ou de les entreposer d’une manière prudente et sûre.[6]

[21]        Pour sa part, la jurisprudence résume l’élément central de cette infraction en ces termes :

21.      […]

L’élément essentiel de l’infraction [art. 86 (1) C.cr.] est la conduite qui constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’observerait une personne raisonnablement prudente.  Une personne ne peut pas être déclarée coupable de l’infraction s’il existe un doute raisonnable soit que la conduite en question ne constituait pas un écart marqué par rapport à cette norme de diligence, soit que des précautions raisonnables ont été prises pour satisfaire à l’obligation de diligence dans les circonstances : R. c. Finlay1993 CanLII 63 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 103, p. 117.  De plus, pour que la responsabilité criminelle soit engagée, la conduite doit avoir été adoptée sans excuse légitime.[7]

[22]        Selon ce qui précède, on peut facilement affirmer que la disposition en cause oblige tout utilisateur à faire usage d’une arme à feu avec diligence ou encore avec suffisamment de précautions pour ne pas compromettre la sécurité d’autrui. À moins d’invoquer une excuse légitime, par exemple la défense d’un bien[8], l’accusé verra son comportement jugé selon une norme objective de prudence.

[23]        La position majoritaire exprimée par la juge Charron dans l’arrêt Beatty de la Cour suprême[9] fournit le cadre analytique applicable à la présente affaire, et ce, avec les adaptations nécessaires.

[24]        Les enseignements tirés de cet arrêt nous invitent à définir l’actus reus selon les termes de la disposition en cause. En l’espèce, l’aspect matériel de l’infraction prévue à l’article 86(1) C.crcomporte deux éléments, alors que la preuve d’un seul suffit pour établir l’infraction. Il s’agit pour le juge des faits de déterminer hors de tout doute raisonnable si d’un point de vue objectif l’accusé a utilisé l’arme à feu « [1] d’une manière négligente ou [2] sans prendre suffisamment de précautions pour la sécurité d’autrui ». À ce stade préalable, l’analyse doit porter sur l’appréciation objective du comportement de l’accusé ou, le cas échéant, sur l’insuffisance de ses précautions au moment de l’utilisation de l’arme à feu.

[25]        En tenant compte de l’ensemble des circonstances, cette preuve repose essentiellement sur le comportement de l’accusé au moment d’utiliser l’arme à feu, du lieu de l’événement et du risque que représente la situation[10].

[26]        La mens rea de cette infraction, quant à elle, repose sur la preuve hors de tout doute raisonnable que la manière négligente d’utiliser l’arme à feu constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable placée dans la même situation que l’accusé[11]. Encore une fois, le critère objectif constitue l’élément central pour trancher cette question.

[27]        Je précise au passage que l’analyse de la mens rea en matière de négligence pénale ne repose pas seulement sur le comportement attendu de la personne raisonnable, ce qui nous rapprocherait trop de la norme de la conduite simplement imprudente, d’où l’importance du critère objectif « modifié » adopté par la Cour suprême dans Hundal[12]. En fait, la preuve doit plutôt démontrer un écart marqué par rapport au comportement qu’aurait adopté en pareille situation la personne dite « raisonnable ». La preuve de l’écart marqué demeure une question de degré laissée à l’appréciation du juge des faits.

[28]        Si le ministère public n’a pas l’obligation de démontrer que l’accusé avait l’intention subjective de manier de façon négligente l’arme à feu, la mens rea objective n’ignore pas pour autant son état d’esprit. Cette preuve, si elle existe, repose principalement sur la démonstration de son état mental de diligence au moment des événements[13], c'est-à-dire celui de ne pas avoir accordé à l’activité en cause le degré de pensée et d’attention nécessaire[14]. Une telle preuve peut résider dans les précautions insuffisantes prises par l’utilisateur au moment de s’adonner à l’activité dangereuse.

[29]        S’il est démontré que l’accusé possédait la capacité de discernement requise pour apprécier le risque inhérent à sa conduite et, en l’absence d’un état mental de diligence approprié, l’inférence tirée à partir du comportement négligent de l’accusé qui s’écarte de façon marquée de celui de la personne raisonnable suffit à établir la mens rea :

[…] Si une personne a commis un acte manifestement dangereux, il est raisonnable, en l’absence d’indications contraires, d’en déduire qu’elle n’a pas réfléchi au risque et à la nécessité de prudence.[15]

[30]        Je tiens aussi à ajouter que la mens rea objective peut également s’inférer de la nature même de l’activité à l’occasion de laquelle le geste blâmable s’est produit. Dans l’affaire qui nous occupe, personne ne conteste que la chasse à l’orignal est une activité fortement réglementée (permis de chasse, permis de possession et d’acquisition, certificat d’enregistrement, etc.). Comme l’écrivait le juge Cory dans Hundal :

[…] les titulaires de permis choisissent de se livrer à l’exercice réglementé qu’est la conduite d’un véhicule automobile [ici, la chasse à l’orignal] […]. Ils assument ainsi une responsabilité envers tous les autres membres du public qui circulent sur les chemins [ici, les autres chasseurs].[16]

[31]        À partir de cette citation, la juge Charron dans Beatty se dit d’avis que ceux qui décident de se livrer à une activité réglementée parce que dangereuse « et qui ne satisfont pas à la norme de diligence requise ne peuvent être considérés comme moralement innocents »[17].

[32]        Cependant, lorsque l’accusé propose une explication, comme c’est le cas en l’espèce, le juge des faits doit alors se demander si une personne raisonnable placée dans des circonstances analogues « aurait dû être consciente du risque et du danger inhérents au comportement de l’accusé »[18].

[33]        Je résumerais donc de la manière suivante la tâche du juge des faits appelé à décider de la culpabilité d’une personne accusée de l’infraction prévue à l’article 86(1) C.cr. Il doit d’abord déterminer si les éléments matériels de l’infraction ont été objectivement démontrés, et ce, hors de tout doute raisonnable, c'est-à-dire un usage négligent ou des précautions insuffisantes. Dans la seconde étape de son analyse, avant de parvenir à un verdict de culpabilité, il doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que le comportement en cause s’écarte de façon marquée par rapport à la norme de diligence qu’aurait observée une personne raisonnable placée dans des circonstances semblables à celles qui prévalaient au moment où l’accusé a fait usage de l’arme à feu[19]. Pour conclure en ce sens, il doit toutefois prendre en considération toute excuse légitime qui pourrait ressortir de la preuve et capable de susciter un doute raisonnable.

[34]        La réalité des choses fait voir que le risque de préjudice lié à l’usage d’une arme à feu est très grand. On s’attend de la personne raisonnable s’adonnant à une activité de chasse de faire montre d’un niveau d’anticipation élevé. La jurisprudence nous donne plusieurs exemples de comportement blâmable en matière de négligence criminelle avec une arme à feu (art. 220 et 221 C.cr.)[20] dont les enseignements, tout en tenant compte de la norme appropriée (écart marqué), peuvent être importés aux fins de trancher la responsabilité criminelle de celui accusé d’usage négligent d’une arme à feu.

[35]        Ainsi, et tout en se gardant bien de fixer une norme formelle en vue d’étayer une déclaration de culpabilité en matière de négligence impliquant une arme à feu, le juge Gonthier dans l’arrêt Morrisey de la Cour suprême y va de cette affirmation :

[…] Essentiellement, le fait de tirer sans avoir au préalable déterminé adéquatement la nature de la cible constitue une dérogation marquée par rapport à la conduite d’un chasseur prudent.[21]

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