R. c. Legato, 2002 CanLII 41296 (QC CA)
[73] On peut comprendre que pour celui qui s'apprête à se parjurer, il soit important de savoir avant d'entrer dans la boîte des témoins si la Couronne pourra le contre-interroger et le contredire avec sa propre version des événements.
[74] La poursuite s'est opposée, bien à tort à mon avis, à ce que la juge rende une décision immédiatement sur cette question au motif qu'il serait ainsi permis à l'accusé de choisir sa défense.
[75] Citant Ewaschuk,[14] au par. 16 2260, à l'effet que ce n'est pas la pratique au Canada de rendre des « prospective rulings » la juge a refusé de se prononcer immédiatement, distinguant le cas de l'affaire R. c. Underwood.[15]
[76] L'arrêt Underwood posait la question de savoir si un accusé de meurtre avait le droit de savoir, avant de témoigner, si le juge allait exclure son lourd casier judiciaire. La Cour suprême a répondu par l'affirmative à cette question. Au par. 6 de son opinion, le juge Lamer qui a rendu le jugement de la Cour rappelle que : « Notre processus pénal est fondé sur le principe selon lequel, avant que l'accusé produise une preuve pour sa propre défense, il doit connaître la preuve complète qui pèse contre lui ».
[77] La question soulevée par l'appelant exige que nous examinions les questions suivantes : la confidentialité qui s'attache aux discussions qui entourent la négociation de plaidoyer et le devoir d'un avocat de ne pas présenter à la cour une preuve qu'il sait fausse.
[78] Dans leur ouvrage Ethics and Canadian Criminal Law, Irwin Law Inc., 2001, Michel Proulx et David Layton affirment, à la p. 417, qu'un tel privilège existe. Ils le font dans les termes suivants:
Communications between defence counsel and prosecutor during plea discussions are confidential and privileged.[16] : Public policy encourages full and candid discussion between the parties, and what has been revealed during those discussions is not admissible at trial. However, there may be circumstances where the privilege is set aside, most particularly where the client later waives privilege by alleging a denial of the right to the effective assistance of counsel.
[79] John Sopinka, Sidney S. Lederman et Alan W. Bryant, reconnaissent dans leur ouvrage[17], aux numéros 14.202 et 14.220, qu'un privilège de confidentialité entoure les négociations de plaidoyer en matière criminelle, mais que tel privilège n'est pas absolu.
[80] Je tiens, pour un, que la Couronne ne peut pas se servir, dans le but de prouver la culpabilité d'un accusé au procès, de ce qui lui a été dit ou communiqué par l'avocat d'un accusé lors d'une séance de négociation de plaidoyer qui a échoué.
[81] Cependant il en va différemment, à mon avis, lorsqu'un accusé rend ou se prépare à rendre un faux témoignage. Je tiens qu'il en est ainsi en l'espèce, parce que du moment que l'appelant ne prétend pas que ce qu'il a dit au psychiatre est faux, et il ne le prétend pas, il n'aurait pu affirmer qu'il n'avait pas poignardé la victime sans se parjurer. Et quant à la recherche d'une condamnation amoindrie, il ne viendrait pas à l'esprit de quiconque de tenter de faire réduire une accusation de meurtre en s'accusant faussement d'un geste meurtrier qu'on n'a pas posé.
[82] Il me paraît s'inférer nécessairement de la thèse que l'appelant a proposée aux jurés, un meurtre commis par un tiers, que le seul intérêt de faire décider immédiatement si le rapport psychiatrique pourrait être utilisé pour contre-interroger l'appelant était pour le cas où celui-ci avait l'intention d'affirmer sous serment qu'il n'avait pas poignardé la victime.
[83] Ceci m'amène à considérer le devoir d'un avocat dont le client s'apprête à se parjurer. À mon avis, il se dégage clairement de la demande de décision préliminaire présentée par le procureur de l'appelant que lui et son client voulaient savoir si l'appelant pourrait se parjurer sans risquer d'être mis en contradiction par sa propre déclaration au psychiatre qu'il consultait.
[84] La question du client qui s'apprête à se parjurer pose un sérieux problème d'éthique judiciaire à l'avocat. Elle a été étudiée de façon magistrale par les auteurs Proulx et Layton aux pages 356 et suivantes de leur ouvrage[18].
[85] Aux pages 404 et suivantes de leur ouvrage, les auteurs font leurs recommandations à l'avocat confronté à ce problème.
[86] Pour les fins de la question précise à résoudre en l'espèce, je me contente de citer l'introduction et les deux premières recommandations :
Client perjury, whether anticipated or completed, presents a lawyer with the daunting challenge of reconciling the competing duties of loyalty to the client and fidelity to the truth-finding function of the criminal justice system. The potential options available to counsel are varied and complicated, and commentators often disagree as to the propriety of any given course of action. Our recommendations for the lawyer who is confronted by client perjury are as follows:
1. Counsel must first determine that the client intends to mislead the court through the presentation of false testimony. A lawyer is fixed with such knowledge where he or she reasonably draws an irresistible conclusion of falsity from available information (section (1) ).
2. Once counsel comes to the firm conclusion that a client intends to commit perjury, the immediate reaction should be to attempt to dissuade the client from pursuing such a course. The client should be informed of the serious adverse consequences that can flow from perjurious testimony, including the remedial responses available to counsel (section F(2) ).
[87] J'ajoute que le Code de déontologie des avocats du Québec ne laisse guère de place à l'équivoque. Les art. 3.02.01 c) et 4.02.01 c) et g) se lisent :
3.02.01 L'avocat doit s'acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité. Sans restreindre la généralité de ce qui précède, l'avocat ne doit pas:
c) induire ou tenter d'induire le tribunal en erreur ou, par des moyens illégaux, créer le doute en faveur de son client;
4.02.01 En outre des actes dérogatoires mentionnés aux articles 57 et 58 du Code des professions (L.R.Q., c. C-26) est dérogatoire à la dignité de la profession le fait pour un avocat:
c) de tirer sciemment avantage d'un parjure ou d'une fausse preuve;
g) de conseiller ou d'encourager son client à poser un acte qu'il sait être illégal ou frauduleux;
[88] Je tiens donc qu'un accusé n'a pas le droit de se parjurer pour tenter de se faire acquitter et que son avocat ne peut l'encourager à le faire. Il doit au contraire tenter de l'en dissuader et si le client persiste dans son intention, demander au tribunal l'autorisation de se retirer du dossier tout en nuisant le moins possible à son client, le tout sous réserve de cas particuliers dont discutent les auteurs Proulx et Layton et qui n'ont pas d'application en l'espèce.
[89] Dans l'arrêt R. c. Calder,[19] la Cour suprême a décidé à la majorité qu'une déclaration obtenue d'un détenu en violation du droit garanti par l'art. 10b) de la Charte et écartée par le juge du procès, en application de l'art. 24(2), ne peut être utilisée pour le contre-interroger.
[90] La situation est différente dans la présente cause, car le rapport a été remis à la Couronne par l'avocat de l'accusé et en l'absence de toute allégation de violation d'un droit garanti par la Charte.
[91] Les propos de madame le juge McLachlin aux par. 44 et 45 de son opinion dissidente dans Calder me paraissent s'appliquer parfaitement aux faits de la cause :
44. Deux des soucis fondamentaux qui sous-tendent les procès criminels – la découverte de la vérité et la protection du droit de l'accusé à un procès équitable – peuvent produire des effets différents dans ces deux situations.
45. Le souci de découvrir la vérité peut militer contre l'utilisation d'une déclaration produite en tant que preuve de fond, si l'on craint que la violation de la Charte l'ait rendue peu fiable. Le même souci de découvrir la vérité peut par ailleurs militer en faveur de l'utilisation de cette déclaration en contre-interrogatoire pour éprouver la crédibilité de l'accusé et faire ressortir les inexactitudes ou les fabrications de son témoignage en interrogatoire principal. Du point de vue du cas individuel, il importe de permettre au jury d'apprécier justement la véracité du témoignage. Du point de vue des procès en général, il est tout aussi important de ne pas permettre que des témoins viennent à la barre fabriquer des mensonges sans craindre d'être contre-interrogés sur des déclarations antérieures contradictoires. (Soulignement ajouté).
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