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mercredi 6 août 2025

La présentation devant le jury de documents non produits en preuve par le biais d'un contre-interrogatoire

Alix c. R., 2010 QCCA 1055

Lien vers la décision


[139]       L'appelante reproche au juge du procès d'avoir permis à la poursuite, au cours de son contre-interrogatoire, de la confronter à des lettres qu'elle avait écrites à son conjoint dans lesquelles elle relatait la relation difficile et conflictuelle qu'elle avait avec sa mère. Elle soutient de plus que l'usage en contre-interrogatoire d'une déclaration enregistrée sur vidéo faite aux policiers le 13 mars 2005, laquelle fut déclarée libre et volontaire, mais non déposée en preuve, constitue une forme irrecevable de contre-preuve de la poursuite. En outre, l'appelante plaide que les lettres et la déclaration auraient dû être produites en preuve principale.

[140]      Il convient de résumer sommairement le contexte.

[141]      Lors de la détention de son conjoint Leblanc, à la suite d'une condamnation pour des voies de fait commises à son endroit, l'appelante lui a écrit plusieurs lettres. La poursuite a choisi de ne produire que certaines d'entre elles (P-87), et de se servir de deux lettres lors du contre-interrogatoire de l'appelante. Dans ces deux lettres, l'appelante indique que vivre avec sa mère, « est l'enfer sur terre » et que celle-ci fait tout pour la blesser et l'abaisser. Elle y précise qu'elles se querellent du matin au soir.

[142]      Ces déclarations extrajudiciaires antérieures illustrent la relation non harmonieuse qu'elle entretenait avec sa mère, laquelle est pertinente au litige. Bien que le mobile présenté par la poursuite ait été essentiellement de nature financière, la relation existante entre la mère et la fille demeurait liée au litige d'autant que la poursuite a présenté des témoins pour relater la relation difficile qui prévalait entre l'appelante et sa mère à l'époque.

[143]      Partant, la proposition de l'appelante qu'il s'agit d'une contre-preuve est dénuée de fondement.

[144]      D'une part, l'appelante a admis avoir écrit ces lettres. La défense connaissait l'existence de cette preuve, la poursuite lui ayant divulgué les lettres écrites par l'appelante à son ex-conjoint, lesquelles reflétaient sa relation difficile avec sa mère. D'autre part, comme l'appelante a affirmé lors de son témoignage au procès entretenir une bonne relation avec sa mère, sauf quant au choix de son conjoint, ces lettres manuscrites constituent des déclarations antérieures contradictoires avec sa version des faits au procès. En tentant de minimiser le conflit existant entre elle et sa mère lors de son témoignage, l'appelante donnait ouverture à la mise en contradiction au moyen d'un écrit contradictoire sur un aspect relié à l'accusation. Il était loisible pour la poursuite de ne pas produire toutes les lettres et d'en conserver certaines aux fins du contre-interrogatoire.

[145]      Il est utile de reproduire les articles pertinents de la Loi sur la preuve, (ci-après Loi), L.R.C. (1985), c. C-5 :

10. (1) Lors de tout procès, un témoin peut être contre-interrogé au sujet des déclarations antérieures qu’il a faites par écrit, qui ont été prises par écrit ou qui ont été enregistrées sur bande audio ou vidéo, ou autrement, relativement au sujet de la cause, sans qu’il lui soit permis d’en prendre connaissance. Cependant, si l’on entend mettre le témoin en contradiction avec lui-même au moyen de cette pièce, l’on doit, avant de pouvoir établir cette preuve contradictoire, appeler son attention sur les parties de celle-ci qui doivent servir à le mettre ainsi en contradiction. Le juge peut toujours, au cours du procès, exiger la production de la pièce dans le but de l’examiner et en faire, dans la poursuite de la cause, l’usage qu’il croit convenable.

(…)

11. Si un témoin, contre-interrogé au sujet d’une déclaration antérieure faite par lui relativement au sujet de la cause et incompatible avec sa présente déposition, n’admet pas clairement qu’il a fait cette déclaration, il est permis de prouver qu’il l’a réellement faite. Avant de pouvoir établir cette preuve, les circonstances dans lesquelles a été faite la prétendue déclaration doivent être exposées au témoin de manière à désigner suffisamment l’occasion en particulier, et il faut lui demander s’il a fait ou non cette déclaration.

[146]      Ces dispositions permettent d'établir que le témoin ou l'accusé a, dans des déclarations antérieures, donné une version contradictoire « au sujet de la cause ». L'exercice ne vise pas à établir la véracité de ces déclarations antérieures, mais plutôt  d'affecter la crédibilité du témoin. Il revient au jury d'apprécier ces contradictions et d'en déterminer l'impact sur la crédibilité du témoin, en l'espèce l'appelante. C'est la distinction que rappelait le juge Sopinka dans l'arrêt R. c. Calder, 1996 CanLII 232 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 660. à la page 673 :

[24]      La distinction entre l'admission d'un élément de preuve pour un usage général, notamment l'incrimination et la remise en question de la crédibilité, d'une part, et l'admission à seule fin d'attaquer la crédibilité, de l'autre, est bien établie en droit de la preuve.  Elle est reconnue depuis longtemps.  Cette distinction est fréquemment invoquée au sujet de l'utilisation de déclarations antérieures incompatibles. Voir Deacon c. The King1947 CanLII 38 (SCC), [1947] R.C.S. 531, et  McInroy c. La Reine1978 CanLII 175 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 588.  Plus récemment, cette distinction a été invoquée dans Kuldip et dans R. c. Crawford1995 CanLII 138 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 858.  Elle a été cependant estompée dans certains cas précis par des arrêts récents de notre Cour. Voir B. (K.G.), précité, et R. c. U. (F.J.)1995 CanLII 74 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 764.

[25]      Cette distinction est ténue.  Lorsqu'une déclaration est admise, elle peut généralement servir de preuve positive de l'innocence ou de la culpabilité.  Elle fait foi de son contenu qui peut être incriminant.  Qui plus est, le simple fait qu'une déclaration disculpatoire fausse ait été faite peut être preuve de la conscience coupable.  Par contre, une déclaration dont l'utilisation est limitée à la contestation de la crédibilité ne peut servir qu'à mettre en doute le témoignage du témoin.  On peut tout au plus s'en servir pour anéantir les dépositions de ce témoin.  Peu importe à quel point cet anéantissement est total, il ne constitue pas une preuve sur laquelle le ministère public peut s'appuyer pour établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable, encore qu'il puisse aboutir au rejet d'un moyen de défense avancé par l'accusé.

[Je souligne.]

[147]      Il est possible pour la poursuite de tenter de miner la crédibilité d'un accusé au moyen de déclarations antérieures contradictoires.

[148]      C'est d'ailleurs la directive qu'a donnée la juge du procès aux jurés à l'égard de cette preuve. Elle leur mentionne ceci :

Toutefois, vous vous rappellerez que la couronne a aussi contre-interrogé l'accusée à l'aide d'une déclaration vidéo prise par le sergent détective Gagnon le 13 mars 2005, ainsi qu'à l'aide de deux lettres que l'accusée aurait écrites à Stéphane Leblanc et Josée Rémillard, la conjointe de Leblanc.

Cette déclaration [vidéo] ainsi que les deux lettres n'ont pas été déposées en preuve. Elles ne peuvent donc pas servir de preuve, mais servent uniquement à attaquer la crédibilité de l'accusée. Par contre, lorsque l'accusée admet un fait contenu à ces documents, ce fait devient de la preuve, même si le document n'a pas été déposé.

[Je souligne.]

[149]      Quant à l'argument de l'appelante selon lequel, ce faisant, la poursuite devait déposer l'entièreté du document et non se limiter à lire des parties du document à l'appelante, il est sans mérite.

[150]      D'une part, l'article 10 de la Loi prévoit que le juge peut demander à une partie de produire la déclaration visée, mais les parties n'ont pas l'obligation de le faire d'emblée : Bériault c. R., 1997 CanLII 10431 (QC CA), [1997] R.J.Q. 1171, p. 1174 (C.A.).  Ce qui importe, c'est que le témoin soit mis au fait du contexte de sa déclaration antérieure et que l'on porte à son attention les passages avec lesquels on entend le contredire.

[151]      D'autre part, le juge n'a pas l'obligation d'ordonner la production du document ou de la déclaration. En l'espèce, l'appelante n'a pas nié avoir écrit ces lettres, ni leur contenu. Elle a d'ailleurs eu l'occasion d'expliquer la teneur de ses propos et le conflit existant avec sa mère, lequel provenait du fait que sa mère désapprouvait sa relation avec M. Leblanc et qu'elle ait un deuxième enfant de ce dernier. Par ailleurs, il est toujours loisible, après le contre-interrogatoire d'un témoin par la partie adverse, d'établir en réinterrogatoire, les circonstances et le contexte de ces déclarations. Ici, la juge du procès a demandé à l'avocat de l'appelante s'il entendait interroger à nouveau, ce qu'il n'a pas fait.

[152]      Quant à l'obligation pour la poursuite de déposer en preuve ces déclarations en preuve principale, comme le mentionne la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. Mallory (2007), 217 C.C.C. (3d) 266, 2007 ONCA 46, en résumant les principes applicables aux déclarations d'un accusé aux paragraphes 230 et suivants :

[230]   First, voluntary admissions by an accused are generally admissible for their truth as an exception to the hearsay rule.

[231]    Second, although a voir dire is required to establish the voluntariness of an admission to the police, or to another person in authority, generally no voir dire is required if the admission is made to a person not in authority, even if that person is an unsavoury witness or a jailhouse informant.

[232]    Third, the Crown is entitled to call the evidence it chooses in its case, provided that it does not call any evidence with an "oblique motive".

[233]   Fourth, the Crown is not prohibited from reserving evidence for cross-examination that was not called in-chief, provided the evidence is not otherwise inadmissible, the Crown has a good faith basis in the foundation for its question, the Crown is not splitting its case, and the prejudicial effect of the cross-examination does not outweigh its probative value.

[Je souligne; p. 326.]

[153]      En l'espèce, c'est exactement ce que la poursuite a fait, soit se servir des lettres en contre-interrogatoire pour tenter d'affecter la crédibilité de l'appelante.

[154]      La proposition de l'appelante selon laquelle la poursuite a ainsi fractionné sa preuve alors qu'elle a l'obligation de présenter dans sa preuve tous les éléments pertinents pour étayer l'accusation n'a aucun mérite.

[155]      Il est vrai que la poursuite ne peut conserver certains éléments de preuve en réserve pour ensuite les présenter dans le cadre d'une contre-preuve. L'arrêt R. c. Krause1986 CanLII 39 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 466, limite la présentation d'une contre-preuve à de nouvelles questions soulevées par la défense que la poursuite « ne pouvait pas raisonnablement prévoir » (p. 474). Toutefois, le contre-interrogatoire de l'appelante sur ses déclarations antérieures incompatibles ne saurait équivaloir à une contre-preuve d'autant que la preuve de la poursuite faisait état de cette relation conflictuelle.

[156]      Partant, la poursuite n'avait pas l'obligation de produire ces lettres et pouvait s'en servir en contre-interrogatoire. Il s'ensuit qu'elle n'a pas scindé sa preuve, mais qu'elle a plutôt réservé certains éléments de preuve pour affecter la crédibilité de l'appelante lors du contre-interrogatoire.

[157]      Les mêmes principes et conclusions sont applicables à l'égard de la déclaration vidéo du 13 mars 2005. Il était loisible à la poursuite de contre-interroger l'appelante sur ses déclarations antérieures contradictoires concernant les médicaments qu'elle prenait à l'époque contemporaine du décès de sa mère.

Une déclaration antérieure compatible faite par un accusé peut être admissible, lorsque les forces de l’ordre le confrontent pour la première fois à l’égard d’une accusation, lorsqu’il s’agit d’établir la réaction de l’accusé à l’accusation et la cohérence de sa thèse, si celui-ci témoigne

Lefebvre c. R., 2025 QCCS 1709

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[29]      Bien qu’il ne l’ait pas nommément indiqué en première instance, en appel, l’Appelant invoque maintenant spécifiquement l’exception fondée sur l’arrêt R. v. Edgar de la Cour d’appel de l’Ontario[10].

[30]      En autant que ses conditions d’admissibilité soient satisfaites, cette exception à la règle générale de preuve qui interdit en principe à une partie de mettre en preuve une déclaration antérieure compatible, vise essentiellement à permettre la preuve de cette déclaration afin de démontrer la réaction de l’accusé et la cohérence de cette déclaration avec son témoignage au procès. Une telle déclaration extrajudiciaire serait alors pertinente à la fois pour le verdict et pour évaluer la crédibilité de l’accusé.

[31]      En effet, il est acquis qu’une déclaration antérieure compatible avec le témoignage du témoin donné lors du procès est en principe inadmissible. Cette interdiction se fonde notamment sur le principe que la répétition d’une déclaration ne renforce pas la valeur probante ou la véracité d’un témoignage. Autrement dit, les déclarations antérieures compatibles ne peuvent servir à renforcer la crédibilité d’un témoin au regard de l’exactitude de son témoignage. Les déclarations antérieures compatibles sont ainsi généralement inadmissibles parce que superflues et de peu de valeur probante en plus de constituer une déclaration intéressée[11].

[32]      Cependant, cette règle générale de preuve comporte certaines exceptions de principe reconnues en jurisprudence, « notamment en présence d’une allégation de fabrication récente, en application de la règle de la res gestae, ou encore, lorsque la déclaration extrajudiciaire antérieure est mixte »[12].

[33]      Par ailleurs, dans l’arrêt Edgar rendu en juillet 2010, la Cour d’appel de l’Ontario, sous la plume du juge Sharpe, reconnait une autre exception visant les déclarations spontanées disculpatoires faites par un accusé lors de son arrestation ou peu après dans le but de montrer la réaction de l'accusé lorsqu'il a été confronté pour la première fois à l'accusation, à condition que l'accusé témoigne et s'expose de ce fait à un contre-interrogatoire[13] :

[24]      For the following reasons, I conclude that the spontaneous exculpatory statements made by an accused person upon or shortly after arrest may be admitted as an exception to the general rule excluding prior consistent statements for the purpose of showing the reaction of the accused when first confronted with the accusation, provided the accused testifies and thereby exposes himself or herself to cross-examination.

[72] I conclude, therefore, that it is open to a trial judge to admit an accused's spontaneous out-of-court statements made upon arrest or when first confronted with an accusation as an exception to the general rule excluding prior consistent statements as evidence of the reaction of the accused to the accusation and as proof of consistency, provided the accused takes the stand and exposes himself or herself to cross-examination. As the English cases cited above hold, the statement of the accused is not strictly evidence of the truth of what was said (subject to being admissible under the principled approach to hearsay evidence) but is evidence of the reaction of the accused, which is relevant to the credibility of the accused and as circumstantial evidence that may have a bearing on guilt or innocence.

[Nos soulignements]

[34]      Peu après cette décision, au Québec, le juge Delisle de la Cour du Québec traite dans R. c. Tremblay de l’exception énoncée dans l’arrêt Edgar de la façon suivante[14] :

[12]      Par ailleurs, dans un arrêt récent du 23 juillet 2010, soit R. c. Edgar[2010] O.J. no 31522010 ONCA 529 (CanLII), la Cour d’appel de l’Ontario a revisité la règle interdisant l’admissibilité des déclarations antérieures compatibles. Au terme de son analyse, elle a énoncé que les déclarations disculpatoires spontanées faites par l’accusé lors de son arrestation ou peu de temps après peuvent être admises à titre d’exception à la règle générale d’exclusion aux fins de démontrer sa réaction au moment de l’arrestation ou lorsqu’il a été, en premier lieu, confronté à l’accusation, dans la mesure où il témoigne et se prête au contre-interrogatoire. […]

[13]      Dans cette affaire, l’accusé avait fourni deux déclarations dans les minutes (30 minutes) suivant son arrestation relativement à une accusation de meurtre au second degré. Une troisième déclaration a également été donnée aux enquêteurs à l’hôpital quatre heures après l’arrestation. La Cour d’appel a déterminé que les deux premières déclarations étaient spontanées et contemporaines à l’arrestation alors que la troisième représentait le prolongement des deux premières (paragr. 76). Elle ne voyait pas d’obstacle à leur admissibilité parce que leur contenu n’introduisait aucun fait qui n’aurait pu être scruté pendant le contre-interrogatoire (paragr. 77). La Cour d’appel a cependant refusé d’intervenir parce que la valeur probante de la preuve exclue était faible et qu’il n’y avait aucune possibilité raisonnable que le jury rende un verdict différent (paragr. 81-82).

[Nos soulignements]

[35]      Plus tard, en 2018, dans Dubourg c. R., la Cour d’appel du Québec, sous la plume du juge Healy, fait écho à l’application au Québec de l’exception de l’arrêt Edgar en indiquant qu’une déclaration antérieure « peut également être admise en conjonction avec le témoignage de l’accusé comme déclaration antérieure compatible pour révéler son état d’esprit à ce moment ou contrer une allégation de fabrication récente, encore une fois sous condition que la déclaration soit spontanée »[15] :

[33]      En principe, les déclarations extrajudiciaires disculpatoires d’un accusé sont inadmissibles. Elles constituent du ouï-dire et l’on considère qu’elles sont intéressées et de peu de valeur probante. Elles permettent également à l’accusé de présenter sa version sans prêter serment, sans témoigner et sans être soumis au contre-interrogatoire. Comme tout ouï-dire, ces déclarations peuvent être admises en preuve par exception selon essentiellement les mêmes règles. En particulier, l’exception traditionnelle de common law de res gestae ou des déclarations spontanées peut, sous certaines conditions, justifier d’admettre en preuve une déclaration disculpatoire d’un accusé. Cette exception exige que la possibilité de fabrication soit réduite, et donc la fiabilité augmentée, par la contemporanéité entre la déclaration et l’évènement auquel elle se rapporte. C’est le cas si la déclaration fait partie intégrante de l’évènement ou si elle est faite sous l’emprise d’un stress qui en résulte, de sorte qu’il est peu probable que le déclarant ait réfléchi et concocté une déclaration fausse et intéressée. Une telle déclaration peut également être admise en conjonction avec le témoignage de l’accusé comme déclaration antérieure compatible pour révéler son état d’esprit à ce moment ou contrer une allégation de fabrication récente, encore une fois sous condition que la déclaration soit spontanée. Des déclarations de cette nature sont recevables par exception précisément parce qu’elles sont faites dans des circonstances qui présentent des indices suffisants de fiabilité pour qu’elles soient admises devant le juge des faits afin d’évaluer leur valeur probante.

[Nos soulignements]

[36]      Dans R. c. Ghazi, une affaire plus récente, le juge Buffoni se livre à une explication plus exhaustive de l’exception de l’arrêt Edgar[16] :

[43]      En vertu de cette exception, la déclaration faite spontanément par un accusé lors de son arrestation ou lorsqu’il est confronté pour la première fois à l’accusation qu’on lui reproche — que ce soit par un policier ou par une autre personne — est admissible si celui-ci témoigne et peut être contre-interrogé. La spontanéité constitue une garantie importante de la fiabilité de la déclaration.

[44]      La déclaration extrajudiciaire de l’accusé n’est pas admise afin de faire preuve de son contenu, mais plutôt en vue de démontrer la réaction de l’accusé (son état d’esprit) et la cohérence de cette déclaration avec son témoignage au procès. Une telle déclaration extrajudiciaire est pertinente à la fois pour le verdict et pour évaluer la crédibilité de l’accusé. Pour reprendre les termes du juge Laskin, au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Liard :

[…] The statements are evidence of an accused’s reaction to being accused of a crime and are relevant to show consistency with an accused’s trial testimony. Thus, although not admissible for the truth of their contents, they are relevant to an accused’s credibility and as a piece of circumstantial evidence bearing on an accused’s guilt or innocence. In short, the statements are relevant because an accused’s immediate reaction to an accusation of a crime may be more reliable and more probative than the accused’s testimony given years later in a courtroom. […]

[Nos soulignements]

[37]      Au final, pour mettre en preuve une déclaration antérieure en vertu de l’exception de l’arrêt Edgar, trois conditions doivent être réunies :

a)            l’accusé doit témoigner;

b)            la déclaration doit avoir été faite lorsque l’accusé a été arrêté ou lorsqu’il a été confronté à l’accusation pour la première fois; et

c)            la déclaration doit être spontanée.

[38]      De plus, l’objet de la preuve doit viser la réaction de l’accusé (son état d’esprit) et s’avère ainsi pertinente afin de démontrer la cohérence de cette déclaration avec son témoignage au procès. À l’instar des autres exceptions reconnues à la règle d’exclusion des déclarations antérieures, les inférences pouvant être tirées de cette preuve demeurent circonscrites et, plus particulièrement, la preuve ne peut être utilisée par l’accusé à titre d’autocorroboration :

[150]     Toutefois, les inférences pouvant être tirées de cette preuve demeurent circonscrites. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique résume bien les principes applicables dans l’arrêt R. v. Gill :

[68]      When prior consistent statements are admitted pursuant to an exception to the general exclusionary rule, their use is limited in accordance with the rationale underlying the rule itself. The trier of fact must never use a prior consistent statement to support the “prohibited inference” that a witness is more likely to be telling the truth because he or she repeated the same thing more than onceStirling at para. 7Khan at para. 41. In addition, the trier of fact must avoid treating an admissible prior consistent statement as a form of self-corroboration of a witness’s in-court testimonyDinardo at para. 40; Khan at para. 41.

[Soulignements dans l’original]

[39]      Voyons ce qu’il en est en l’espèce.

[40]      D’entrée de jeu, il va de soi que le fardeau de démontrer que sa déclaration antérieure était admissible en vertu d’une des exceptions aux règles de preuve reposait sur les épaules de l’Appelant en première instance[17]. Or, malgré les questions du premier juge lui demandant d’identifier l’objet pour lequel il cherchait à mettre en preuve la déclaration antérieure, l’Appelant s’est limité à indiquer qu’il entendait mettre cette déclaration en preuve pour démontrer qu’il a « dit des choses aux policiers qui ressemblent sensiblement aux choses qui ont été dites » au procès, et le juge lui permet cette réponse.

[43]      De façon importante, l’Appelant précise lors de sa plaidoirie en appel, qu’il ne cherchait pas à faire admettre la déclaration antérieure afin de démontrer son « état d’esprit » ou sa « réaction » au moment de l’arrestation ou de la formulation de la déclaration, mais plutôt qu’il veut produire le contenu de sa déclaration afin de démontrer sa cohérence avec le témoignage au procès.

[45]      Or, de l’avis du Tribunal, en l’instance, la raison pour laquelle l’Appelant cherche à mettre en preuve sa déclaration ne correspond pas à l’objectif visé par l’exception de l’arrêt Edgar.

[46]      En effet, comme le souligne l’Intimé, l’exception de l’arrêt Edgar vise justement « l’état d’esprit ou la réaction » comme élément visant à supporter la cohérence de la déclaration antérieure et du témoignage au procès; c’est la conjonction de ces deux éléments (d’une part, l’état d’esprit ou la réaction et, d’autre part, la cohérence) qui peut avoir un impact sur l’analyse de la crédibilité du témoignage au procès.

[47]      Le fait que la déclaration antérieure soit simplement cohérente avec le témoignage ne constitue pas un volet autonome de l’exception de l’arrêt Edgar donnant ouverture à l’admissibilité de la déclaration antérieure. Vouloir produire la déclaration antérieure sur la base de l’exception de l’arrêt Edgar uniquement pour faire valoir sa cohérence avec son témoignage au procès revient, en réalité, à invoquer la déclaration antérieure comme une forme de corroboration de témoignage et, ainsi, à amener le juge d’instance à en tirer une inférence prohibée. Comme l’indique l’Intimé, si Edgar s’appliquait comme le propose l’Appelant, l’exception deviendrait la règle.

[48]      Bien sûr, le contenu en lui-même de la déclaration antérieure d’un accusé peut être qualifié de « réaction » à une allégation ou à une accusation et, inversement, la « réaction » peut simplement prendre la forme d’une déclaration[21]. Toutefois, ici, il appert que l’Appelant ne cherchait pas à mettre en preuve sa réaction ou son état d’esprit, mais uniquement que sa déclaration antérieure était compatible ou cohérente avec son témoignage.

[50]      Mais de toute manière, même si l’Appelant avait raison sur ce point, il demeure que le premier juge n’a pas commis d’erreur quant au caractère non spontané de la déclaration antérieure, alors qu’il s’agit là d’une condition essentielle à son admissibilité aux termes de l’exception de l’arrêt Edgar.

[51]      D’ailleurs, comme l’indique la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Liard, rendu peu après l’arrêt Edgar, le critère de la spontanéité est d’importance capitale. C’est la spontanéité qui confère à la déclaration sa valeur probante et qui justifie son admissibilité en preuve. Le tribunal peut ainsi examiner la réaction naturelle d’une personne confrontée pour la première fois à une accusation criminelle qui doit normalement clamer son innocence. Dans Liard, la Cour d’appel de l’Ontario explique l’importance du critère de la spontanéité[22] :

[62]      The requirement that the accused’s statement be spontaneous is the critical requirement for admissibility under the Edgar exception. Spontaneity is what gives the statement its probative value and justifies its admission. A spontaneous reaction is more likely “to truly reflect the individual’s honest and genuine reaction to the allegation”, and thus is more likely to be a reliable reaction. See Kailayapillai, at para. 60. Conversely, when an accused has an opportunity to “think things through”, the spontaneity of the statement is diminished, and in some cases eliminated altogether.

[63]      No single consideration, no single point in time, determines whether the spontaneity requirement has been met. The passage of time between the crime and the accused’s reaction to an accusation of committing it, and any intervening events, are undoubtedly relevant. But spontaneity lies along a spectrum. And along that spectrum, the degree of spontaneity may vary. In Edgar itself, the accused made three statements – the third, four hours after he was arrested. Sharpe J.A. held that all three statements were admissible. In R. v. Johnson2010 ONCA 646, 262 C.C.C. (3d) 404, in an obiter comment at para. 71, Rouleau J.A. said he would have admitted under the Edgar exception a statement given by the accused on arrest, even though the arrest took place more than a month after the victim’s disappearance and over a week after her body was discovered.

[64]      Thus, in determining whether an accused has satisfied the spontaneity requirement, the trial judge must consider all the circumstances of the case – the passage of time, any intervening events, and the making of the statement itself. Importantly, as Sharpe J.A. pointed out in Edgar, at para. 69, when in doubt about spontaneity, the trial judge should admit the statement and allow the jury to assess its weight. Proper jury instructions can eliminate any risk of the jury’s misuse of the statement.

[Nos soulignements]

[53]      D’abord, quant à l’analyse du caractère spontané de la déclaration, l’Appelant se méprend en plaidant que le délai écoulé entre le moment de l’incident et le moment de la déclaration n’est pas pertinent et qu’il ne faudrait considérer que le temps écoulé entre l’arrestation et la déclaration. Tel qu’indiqué dans Liard dans l’extrait précité, « The passage of time between the crime and the accused’s reaction to an accusation of committing it, and any intervening events, are undoubtedly relevant »[23]. Aussi, les circonstances de chaque affaire sont uniques et doivent être examinées de manière contextuelle, au cas à cas. On ne peut simplement s’en remettre au nombre de minutes ou d’heures écoulées pour déterminer si le critère de la spontanéité est satisfait.

mardi 5 août 2025

La décision relativement à une demande de remise d’ajournement relève de la discrétion du juge, que son devoir oblige à exercer judicieusement

R. v. G. (J.C.), 2004 CanLII 66281 (QC CA)

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[8]               It is undisputed that whether an adjournment or a postponement should be granted or not is a discretionary matter for the trial judge (Manhas v. The Queen, 1980 CanLII 172 (SCC), [1980] 1 S.C.R. 591; R. v. Barrette, 1976 CanLII 180 (SCC), [1977] 2 S.C.R. 121, 29 C.C.C. (2d) 189; R. v. Darville (1956), 1956 CanLII 463 (SCC), 116 C.C.C. 113 (S.C.C.); R. v. MacDonald, 1998 CanLII 18016 (NL CA), [1998] N.J. No. 340 (QL) (C.A.) [reported 132 C.C.C. (3d) 205]).

[9]               Such judicial discretion can however be reviewed on appeal if it has not been exercised judicially (R. v. Darville, supra; R. v. Ash, 1993 NSCA 190 (CanLII), [1993] N.S.J. No. 395 (QL) (C.A.) [reported 125 N.S.R. (2d) 235]). The test for appellate review is whether the trial judge has given sufficient weight to all relevant considerations (Reza v. Canada, 1994 CanLII 91 (SCC), [1994] 2 S.C.R. 394). Of course, if the judgment is based on reasons that are not well founded in law, a court of appeal may intervene.

[10]           On the elements to be considered by a judge when asked to grant an adjournment of a criminal trial due to the absence of a witness, the Supreme Court of Canada provided some guidelines in 1956 in R. v. Darville, supra. They can be summarized as follows:

(a) that the absent witness is a material witness in the case;

(b) that the party applying for an adjournment has been guilty of no laches or neglect in omitting to endeavour to procure the attendance of this witness; and

(c) that there is a reasonable expectation that the witness can be procured at the future time to which it is sought to put off the trial.

[11]           Moreover, as pointed out by Cartwright J. in his concurring opinion in Darvillea trial judge errs in law by refusing a request for an adjournment without having given the party seeking it an opportunity to demonstrate that the conditions described above are met. I agree with this principle of law, which has been applied by numerous courts of appeal (see for examples: R. v. T. (A.) (1991), 1991 CanLII 6104 (AB KB), 69 C.C.C. (3d) 107 (Alta. Q.B.); R. v. Ash1993 NSCA 190 (CanLII), [1993] N.S.J. No. 395 (QL) (C.A.) [reported 125 N.S.R. (2d) 235]; R. v. Casey, [1987] N.S.J. No. 340 (QL) (C.A.) [reported 1987 CanLII 9246 (NS CA), 80 N.S.R. (2d) 247]; R. v. Fahey, [2003] B.C.J. No. 2331 (QL) (C.A.) [reported 308 W.A.C. 36]; R. v. MacDonald1998 CanLII 18016 (NL CA), [1998] N.J. No. 340 (QL) (C.A.) [reported 132 C.C.C. (3d) 205]). In other words, before concluding that a party has been negligent, the trial judge must give that party an opportunity to establish all the relevant facts.

[12]           Finally, I believe that it is proper for a trial judge when asked for a postponement to consider other relevant circumstances such as the gravity of the charges, the number of previous postponements and the consequences of a postponement for the accused.

[13]           Briefly stated, the decision whether or not to grant the adjournment must be made in light of the realities of each case and shall be consistent with the interests of justice.

Les témoins n’appartiennent pas à une partie en particulier et un témoin potentiel n’a aucune obligation de donner des informations aux policiers sur une base volontaire

R. v. Roulette (K.T.), 2015 MBCA 9

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[122]                 The law is clear that there is no property in a witness.  Either the Crown or the defence can have access to the witness if the witness is prepared to give access.  Likewise, both are entitled to subpoena the witness.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...