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mercredi 13 août 2025

L’infraction de voies de fait envers un agent de la paix & l’infraction de voies de fait armées envers un agent de la paix

R. c. Louis, 2024 QCCQ 7851 



C.  L’infraction de voies de fait envers un agent de la paix

[112]   L’infraction de voies de fait envers un agent de la paix agissant dans l’exercice de ses fonctions visée par les second et troisième chefs d’accusation est prévue à l’alinéa 270(1)a) du Code criminel.

[113]   Tel qu’en fait foi son libellé, cette infraction est notamment perpétrée lorsqu’une personne exerce des voies de fait « soit contre un fonctionnaire public ou un agent de la paix exerçant dans l’exercice de leurs fonctions, ou une personne qui leur prête main-forte ».

[114]   Il est bien établi que l’emploi, direct ou indirect, de la force contre une autre personne sans son consentement constitue des voies de fait au sens du Code criminel lorsque l’acte reproché est perpétré avec l'intention d'employer une telle force[38]. L’intention générale d'employer la force suffit et il n'est donc pas nécessaire que l’accusé ait eu l'intention de causer des blessures[39].

[115]   Des voies de fait peuvent aussi être commises en tentant ou menaçant, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne si l’accusé est en mesure actuelle, ou porte à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure d’accomplir son dessein[40].

[116]   Lorsque des voies de fait sont portées contre un fonctionnaire public ou un agent de la paix et que l’infraction prévue à l’alinéa 270(1)a) du Code criminel est en cause, la poursuite doit par ailleurs prouver, au niveau de l’actus reus, que la personne visée était effectivement un fonctionnaire public ou un agent de la paix et qu’elle agissait dans l’exécution de ses fonctions[41].

[117]   Quant à la mens rea, elle requiert qu’il soit démontré que l’accusé savait que la personne visée est un fonctionnaire public ou un agent de la paix, étant cependant entendu qu’il n’a pas à être prouvé que l’accusé avait l'intention d'employer la force contre une personne en particulier[42].

            D.  L’infraction de voies de fait armées envers un agent de la paix

[118]   Faisant l’objet du quatrième chef d’accusation, cette infraction est prévue à l’alinéa 270.01(1)a) du Code criminel. Il en ressort qu’elle est commise par toute personne qui, en commettant des voies de fait visées à l’article 270, « porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme ».

[119]   Pour établir que cette infraction a été perpétrée, la poursuite doit prouver, en plus des éléments précités concernant l’infraction de voies de fait contre un agent de la paix prévue à l’article 270, que l’accusé s’est livré à de telles voies de fait en portant, utilisant ou en menaçant d’utiliser une arme ou une imitation d’arme[43].

[120]   L’article 2 du Code criminel définit ce qui constitue une arme en ces termes :

Toute chose conçue, utilisée ou qu’une personne entend utiliser pour soit tuer ou blesser quelqu’un, soit le menacer ou l’intimider. Sont notamment visés par la présente définition les armes à feu et, pour l’application des articles 88, 267 et 272, toute chose conçue, utilisée ou qu’une personne entend utiliser pour attacher une personne contre son gré.

L’infraction d’entrave au travail d’un agent de la paix & ce que constitue l'exécution de ses fonctions

R. c. Louis, 2024 QCCQ 7851



[101]   L’infraction d’entrave au travail d’un agent de la paix agissant dans l’exercice de ses fonctions qui fait l’objet du premier chef d’accusation est prévue à l’alinéa 129a) du Code criminel[25].

[102]   Cette disposition prévoit que cette infraction est commise par quiconque « volontairement entrave un fonctionnaire public ou un agent de la paix dans l’exécution de ses fonctions ou toute personne prêtant légalement main-forte à un tel fonctionnaire ou agent, ou lui résiste en pareil cas ».

[103]   Il s’agit d’un crime d’intention générale[26] qui requiert que les éléments essentiels suivants soient prouvés hors de tout doute raisonnable :

1.   L’accusé a entravé le travail d’un agent de la paix;

2.   L’accusé savait qu’il s’agissait d’un agent de la paix;

3.   L’agent de la paix était dans l’exécution de ses fonctions;

4.   L’accusé savait que l’agent de la paix était dans l’exécution de ses fonctions;

5.   L’accusé avait l’intention d’entraver le travail de l’agent de la paix ou prévoyait certainement, ou presque certainement, que son travail serait entravé par son intervention.[27]

[104]   Concernant plus particulièrement ce qui peut entraver le travail d’un agent de la paix, la Cour supérieure du Québec a mentionné dans l’affaire Lavin « [qu’i]l y aura entrave d’un agent de la paix dans l’exécution de ses fonctions si quelqu’un pose à son endroit un geste volontaire sachant ou prévoyant que cette action aura pour effet de nuire à l’exécution du travail policier ou de le rendre plus difficile, peu importe que le contrevenant réussisse son entreprise et quelque soit sa motivation véritable. »[28]. Cela étant, l’accusé doit avoir fait davantage qu’être peu coopératif[29].

[105]   Depuis l’affaire Vigneault, il est par ailleurs clair que le fait de refuser de s’identifier à un agent de la paix qui est en droit de l’exiger pour émettre un constat en vertu de la réglementation municipale constitue une entrave au sens de l’alinéa 129a) du Code criminel[30].

[106]   Quant à l’élément essentiel requérant que l’agent de la paix ait agi dans l’exécution de ses fonctions, il est bien établi que lorsqu’un policier exerce la fonction d’agent de la paix, il n’agit légalement que si sa conduite s’inscrit dans le cadre des devoirs qui lui sont imposés en vertu de la loi ou de la common law[31].

[107]   En l’espèce, il n’est pas nécessaire de discourir sur la portée des devoirs incombant aux policiers en vertu de la common law. En effet, l’article 69 de la Loi sur la police prévoit expressément qu’un corps de police municipal a compétence non seulement pour prévenir et réprimer les infractions aux lois sur l’ensemble du territoire du Québec, mais aussi pour agir à l’égard des « infractions aux règlements municipaux sur le territoire de la municipalité à laquelle il est rattaché ainsi que sur tout autre territoire sur lequel il assure des services policiers. »[32]

[108]   Par ailleurs, il est clair qu’un policier agit dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’il arrête sans mandat une personne qu’il trouve en train de troubler la paix contrairement à un règlement municipal dans la mesure où une telle arrestation constitue le seul moyen raisonnable à sa disposition pour mettre un terme à la perpétration de l’infraction et qu’il la relâche dès qu’il acquiert des motifs raisonnables de croire que sa détention n’est plus nécessaire pour empêcher la reprise ou la continuation, dans l’immédiat, de l’infraction[33].

[109]   À ce sujet, la trame factuelle ayant prévalu dans l’affaire McCambridge s’apparente grandement au cas d’espèce[34]. Dans cette affaire, la Cour d’appel du Québec, référant à l’article 71 de la Loi sur la police tel qu’il se lisait au moment de la perpétration de l’infraction en cause, a rappelé qu’un policier municipal peut arrêter sans mandat toute personne qu’il trouve en train de troubler la paix, la santé ou la sécurité publiques contrairement à un règlement municipal[35].

[110]   Cela étant, elle a aussi noté, à la première note de bas de page de cet arrêt, que le pourvoi s’avérait essentiellement théorique depuis l’entrée en vigueur, le 1er octobre 1990, des articles 72 à 75 du Code de procédure pénale[36]. Considérant la preuve administrée en l’espèce, il vaut ici de citer in extenso les articles 74 et 75 du Code de procédure pénale, lesquels sont toujours en vigueur et n’ont fait l’objet d’aucun amendement :

74. L’agent de la paix peut arrêter sans mandat la personne informée de l’infraction alléguée contre elle qui, lorsqu’il l’exige, ne lui déclare pas ou refuse de lui déclarer ses nom et adresse ou qui ne lui fournit pas les renseignements permettant d’en confirmer l’exactitude.

La personne ainsi arrêtée doit être mise en liberté par celui qui la détient dès qu’elle a déclaré ses nom et adresse ou dès qu’il y a confirmation de leur exactitude.

75. L’agent de la paix qui constate qu’une personne est en train de commettre une infraction peut l’arrêter sans mandat si l’arrestation est le seul moyen raisonnable à sa disposition pour mettre un terme à la perpétration de l’infraction.

La personne ainsi arrêtée doit être mise en liberté par celui qui la détient dès que celui-ci a des motifs raisonnables de croire que sa détention n’est plus nécessaire pour empêcher la reprise ou la continuation, dans l’immédiat, de l’infraction.

[111]   En somme, il ressort de ces deux dispositions qu’un agent de la paix peut arrêter sans mandat en vertu du Code de procédure pénale une personne en train de commettre une infraction, si l’arrestation est le seul moyen raisonnable à sa disposition pour mettre un terme à la perpétration de l’infraction, ou une personne informée de l’infraction lui étant reprochée qui agit de manière à empêcher son identification. L’infraction en cause peut être une contravention à un règlement municipal[37].

mardi 12 août 2025

La fourchette des peines en matière d'homicide involontaire coupable

Normand c. R., 2025 QCCA 528

Lien vers la décision


[20]      Il est vrai que le juge n’est pas très prolixe au moment d’expliquer sa conclusion sur la peine. En revanche, ayant conclu que les circonstances de l’homicide s’approchaient d’un « quasi-meurtre » – une conclusion qui est incontestable – et ne pouvaient donc se rapprocher de l’accident, la fourchette des peines s’établissait alors à un emprisonnement de 10 à 15 ans, selon l’arrêt Gavin c. R., 2009 QCCA 1, paragr. 38. Ces principes sont repris dans l’arrêt R. c. Vallée2017 QCCA 666 :

[9] […] Sans vouloir donner à la synthèse de la jurisprudence que ces auteurs présentent le caractère d’une codification – cela dépasserait la portée de leur propos – on note qu’ils distinguent deux catégories d’homicides coupables non spécifiés, dont chacune comporte une gradation. Il y a d’abord l’homicide involontaire coupable se rapprochant du meurtre (quasi-meurtre), pour lequel les peines d’emprisonnement vont de 9 ans à l’emprisonnement à perpétuité, avec prédominance des peines de 10 à 15 ans d’emprisonnement. Vient ensuite l’homicide involontaire coupable résultant d’un acte dangereux comportant une prévision objective du risque, pour lequel les peines s’étalent de 5 à 9 ans d’emprisonnement (avec possibilité de peines plus importantes dans les cas de « grande violence ») si cette prévision permet d’entrevoir la mort, de 5 à 7 ans lorsqu’elle permet d’entrevoir des lésions corporelles graves, et de 5 ans ou moins lorsqu’elle permet d’entrevoir des lésions corporelles (situation qui se rapproche de l’accident).

                                                                                                              [Renvoi omis]

[21]      Très récemment, cette fourchette a de nouveau été retenue par la Cour dans l’arrêt Lakehal c. R., 2025 QCCA 140, paragr. 136.

[22]      On sait que l’individualisation de la peine surpasse le respect de la fourchette, mais il reste qu’ici, le juge impose une peine qui cadre parfaitement dans celle-ci.

[30]      Il n’est évidemment pas rare que l’intoxication soit en cause dans les cas d’homicides involontaires coupables. Elle est souvent le résultat d’une forme de négligence pouvant entraîner une conclusion de culpabilité morale élevée, comme le juge l’a fait ici et comme les tribunaux supérieurs en conviennent. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique le souligne dans l’arrêt R. v. Badhesa, précité :

[39] Intoxication by alcohol or drugs often figures prominently in manslaughter cases. While relevant to moral culpability, self-induced intoxication that leads to violence is typically the product of intentional risk-taking, which conduct is itself dangerous, irresponsible and blameworthy. In such circumstances, the offender is held fully accountable for his or her condition and principles of deterrence and denunciation are paramount in the determination of a fit sentence. This is because the offending conduct encroaches on our society’s basic code of values and warrants condemnation and punishment […]

[Renvoi omis]

[32]      Enfin, comme le rappelle la Cour dans Pozzobon c. R., 2019 QCCA 725 :

[55]      En matière d’homicide involontaire coupable, les circonstances pouvant varier à l’infini, l’éventail des peines est particulièrement large : Gavin c. R., 2009 QCCA 1. C’est d’ailleurs ce que souligne le juge de première instance qui rappelle qu’« [u]ne foule d’éléments doivent être pris en compte par le Tribunal afin de déterminer la peine appropriée en matière d’homicide involontaire ». Cela étant, l’intimée rappelle la grande déférence qui est due au juge de première instance à l’égard de toute peine, mais encore plus, si cela est possible, à l’égard d’une peine infligée pour un homicide involontaire coupable.

Un problème de consommation qui perdure pendant plusieurs années, sans la présence de troubles mentaux et sans démarche thérapeutique, constitue rarement une circonstance atténuante

Normand c. R., 2025 QCCA 528

Lien vers la décision


[11]      Devant nous, l’appelant invoque, pour déterminer la peine juste, le lien qui existe entre une consommation extrême comme celle-ci et les troubles de santé mentale qui l’accompagnent nécessairement. Il mentionne la possibilité d’une perte de contrôle. Il faut toutefois souligner que cet argument n’a pas été soulevé en première instance et qu’il n’y a aucune preuve, par expert ou autre, qui puisse permettre à la Cour d’aborder de la sorte cette question. En réalité, non seulement y a-t-il une preuve médicale insuffisante pour soutenir l’argument du lien à établir ici entre la toxicomanie et la maladie mentale, mais il y a même une preuve qui le contredit et qui exclut cette hypothèse. En effet, comme le rappelle le juge, le psychiatre qui a témoigné pour la défense n’a « décelé aucun problème psychiatrique ».

[12]      Ceci distingue le présent dossier de plusieurs des jugements et arrêts cités par l’appelant dont R. v. Edmunds2012 NLCA 26 (perte de contact avec la réalité causée par des troubles mentaux, ce qui permettait de réduire la peine), R. c. Martin2012 QCCA 2223 (problèmes de santé mentale) et R. v. Hicks1995 CanLII 705 (BC CA), 1995 B.C.J. 545 (B.C. C.A.) (état psychotique de l’accusé). En somme, l’argument de l’appelant voulant que la « dénonciation et l’aspect punitif sont moins importants dans le cas de problèmes de santé mentale » n’est pas applicable en l’espèce. L’arrêt R. v. Badhesa, 2019 BCCA 70 ne lui est pas davantage utile puisqu’il y est question de dépression sévère.

[13]      J’ajoute qu’une consommation qui perdure pendant plusieurs années, sans la présence de troubles mentaux et sans démarche thérapeutique, constitue rarement une circonstance atténuante : Régimballe c. R., 2012 QCCA 1290, paragr. 62 et 63Ivlev c. R., 2020 QCCA 1184, paragr. 30. Ce principe est d’autant plus pertinent lorsque l’accusé a été confronté antérieurement à des signaux d’alerte, mais n’y a pas répondu, ce qui est le cas en l’espèce. En effet, même sans véritables problèmes psychiatriques, l’appelant a fait trois séjours à l’hôpital durant l’année 2017. Le juge résume ainsi ces incidents :

[39]      Le 14 janvier 2017, il a été rencontré dans l’entrée d’un bloc appartement. Il avait un trauma à la tête après s’être battu. Il ne coopérait pas avec le personnel médical. Il est contentionné. Il menace de frapper le personnel. Il informe le personnel que, s’ils s’approchent de lui, il va les mordre.

[40]      Le 24 juin 2017, M Normand est retrouvé inconscient dans un parc. Il est agité et est contentionné en conséquence. Il crache sur les intervenants.

[41]      Le 16 septembre 2017, il perd conscience alors qu’il voyage dans un autobus municipal. Il est contentionné sur une civière. Il se débat et ne veut pas coopérer.

[14]      Ces incidents prennent leur importance dans l’analyse de la responsabilité morale de l’appelant en ce que celui-ci peut difficilement prétendre qu’il ignorait les conséquences de sa consommation.

[15]      Par ailleurs, il n’y a au dossier aucune preuve, médicale ou autre, qui puisse soutenir la thèse qu’une dépendance qui a débuté à l’adolescence entraînerait, pour cette raison, une culpabilité morale moindre ou constituerait une circonstance atténuante lorsqu’une infraction est perpétrée à l’âge adulte. S’appuyer sur des éléments de preuve qui n’ont pas été déposés dans le dossier ou sur une preuve d’opinion présentée dans une autre affaire constitue une erreur de droit : R. c. Gubbins, 2018 CSC 44, [2018] 3 R.C.S. 35, paragr. 49, et il n'y a pas de preuve que l’appelant souffrait d’une « maladie chronique du cerveau ».

[26]      La formule employée par le juge à propos du quatrième facteur aggravant n’est peut-être pas exemplaire. Il faut toutefois rappeler que la suggestion de la défense constituait une peine clémente et l’on comprend que le juge a voulu retenir cet aspect du dossier puisqu’en matière de toxicomanie, les traitements ou un véritable processus de réhabilitation peuvent constituer un facteur atténuant susceptible de fonder une peine plus clémente. C’est d’ailleurs ce que rappelle la Cour dans R. c. Muongholvilay, 2016 QCCA 232 :

[25]    Si le trafic de stupéfiants conduit en théorie à l’infliction de peines sévères qui interpellent les objectifs de dénonciation et de dissuasion, la Cour n’a pas pour autant indiqué qu’en cette matière le principe de l’individualisation de la peine ne trouvait jamais application. À titre d’exemple, une démarche probante de traitement de la toxicomanie s’attaquant à la source même du passage à l’acte et misant particulièrement sur une prise de conscience des torts causés, tant à l’égard d’une victime particulière qu’à l’égard de la communauté, ne peut être ignorée par le juge chargé d’infliger la peine. […]

                                                                                                                          [Renvoi omis]

[27]      Devant la suggestion de l’appelant, les démarches pouvant mener à la réhabilitation étaient particulièrement importantes et, quelle que soit la formule, la probabilité ou la possibilité que l’accusé s’amende restait une question de preuve. La recherche d’une peine d’emprisonnement de 7 ans requérait ici la démonstration d’une démarche thérapeutique déjà entreprise ou considérée avec sérieux. L’appelant n’a pas fait cette démonstration, de sorte que le juge pouvait en tenir compte pour répondre à sa suggestion.

[28]      Par ailleurs, on ne peut prétendre que le juge a retenu la simple consommation à titre de facteur aggravant. Je le répète : ce n’est pas seulement la consommation de drogues par l’appelant qui, selon le juge, peut être la cause de l’homicide, mais aussi et surtout sa décision de ne pas se faire traiter malgré les événements passés (donc avoir omis d’entreprendre « une démarche probante de traitement », pour reprendre les termes de la Cour dans l’arrêt Muongholvilay), de sorte que l’appelant ne pouvait pas bénéficier de cette circonstance atténuante. Bien sûr, elle n’en devenait pas aggravante pour autant, mais elle demeurait pertinente en raison des arguments de l’appelant. Bref, même si le juge avait erré en retenant la seule consommation ou plutôt la dépendance au chapitre des facteurs aggravants (ce qu’il n’a pas fait, comme on vient de le voir), l’impact de cette erreur serait négligeable puisque la question demeurait de toute façon pertinente en raison des arguments de l’appelant.

[29]      En l’espèce, l’intoxication volontaire a joué son rôle premier : l’appelant a été acquitté de meurtre. S’il va de soi que cette circonstance peut aussi influer sur la peine (R. c. Quévillon1999 CanLII 13599 (C.A.)), celle-ci ne doit toutefois pas être indûment réduite pour cette raison.

[30]      Il n’est évidemment pas rare que l’intoxication soit en cause dans les cas d’homicides involontaires coupables. Elle est souvent le résultat d’une forme de négligence pouvant entraîner une conclusion de culpabilité morale élevée, comme le juge l’a fait ici et comme les tribunaux supérieurs en conviennent. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique le souligne dans l’arrêt R. v. Badhesa, précité :

[39] Intoxication by alcohol or drugs often figures prominently in manslaughter cases. While relevant to moral culpability, self-induced intoxication that leads to violence is typically the product of intentional risk-taking, which conduct is itself dangerous, irresponsible and blameworthy. In such circumstances, the offender is held fully accountable for his or her condition and principles of deterrence and denunciation are paramount in the determination of a fit sentence. This is because the offending conduct encroaches on our society’s basic code of values and warrants condemnation and punishment […]

[Renvoi omis]

[31]      Le caractère téméraire de la consommation de l’appelant, mentionné par le juge, entre dans cette catégorie.

[32]      Enfin, comme le rappelle la Cour dans Pozzobon c. R., 2019 QCCA 725 :

[55]      En matière d’homicide involontaire coupable, les circonstances pouvant varier à l’infini, l’éventail des peines est particulièrement large : Gavin c. R., 2009 QCCA 1. C’est d’ailleurs ce que souligne le juge de première instance qui rappelle qu’« [u]ne foule d’éléments doivent être pris en compte par le Tribunal afin de déterminer la peine appropriée en matière d’homicide involontaire ». Cela étant, l’intimée rappelle la grande déférence qui est due au juge de première instance à l’égard de toute peine, mais encore plus, si cela est possible, à l’égard d’une peine infligée pour un homicide involontaire coupable.

La fourchette des peines pour voies de fait causant des lésions corporelles comportant un mélange de facteurs atténuants et aggravants

Medlej c. R., 2022 QCCA 891

Lien vers la décision


L’importance accordée aux objectifs de dénonciation et de dissuasion

[16]      Puisqu’aucun objectif ne prime les autres, il revient au juge de déterminer quel poids il faut accorder à l’un ou à l’autre :

[43]  […] Sous réserve de certaines règles particulières prescrites par la loi, le prononcé d’une peine « juste » reste un processus individualisé, qui oblige le juge à soupeser les objectifs de détermination de la peine de façon à tenir compte le mieux possible des circonstances de l’affaire. Aucun objectif de détermination de la peine ne prime les autres. Il appartient au juge qui prononce la sanction de déterminer s’il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs, compte tenu des faits de l’espèce.[29]

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

[17]      Le fait pour un juge d’insister sur un objectif plutôt que sur un autre ne constitue pas une erreur révisable par la Cour[30].

[18]      L’infraction de voies de fait avec lésions corporelles poursuivie par mise en accusation est punissable d’un emprisonnement maximal de 10 ans (267bC.cr.). Les auteurs Parent et Desrosiers identifient trois catégories de voies de fait causant des lésions corporelles : 1) lorsque les voies de fait comportent plusieurs facteurs atténuants[31]; 2) lorsqu’elles comportent un mélange de facteurs atténuants et aggravants[32]; et 3) lorsqu’elles comportent plusieurs faits aggravants[33].

[19]      Dans le cas de la deuxième catégorie, lorsque les infractions sont poursuivies par mise en accusation, « celles-ci donnent lieu habituellement à des peines d’emprisonnement avec sursis (pour les infractions commises avant les modifications apportées à l’article 742.1 C.cr.), ou de détention ferme allant de quelques mois à 18 mois de prison environ »[34].

[20]      Parmi les facteurs aggravants, il faut tenir compte du contexte de rage au volant. Dans un jugement récent, le juge Dennis Galiatsatos, j.c.q., écrit : « [l]e contexte de rage au volant dans lequel, selon une jurisprudence constante de la Cour supérieure, les tribunaux mettent souvent l’accent sur les objectifs de la réprobation et de la dissuasion générale »[35].

[21]      Il appert que le jeune âge est souvent considéré comme un facteur atténuant et qu’« il faut parfois éviter d’infliger une peine qui devra être purgée au pénitencier lorsque l’accusé est un jeune homme non criminalisé »[36]. Toutefois, comme l’indique la Cour suprême dans l’arrêt Lacasse, l’importance de ce facteur peut être diminuée par celle des objectifs de dénonciation et de dissuasion[37]. En l’espèce, le requérant avait 23 ans au moment des événements, mais dans le cas de l’infraction pour laquelle il a été déclaré coupable, soit les voies de fait avec lésions corporelles dans un contexte de rage au volant, la jurisprudence met l’accent sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...