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dimanche 7 septembre 2025

Les principes régissant le pouvoir de common law de procéder à la fouille d’un véhicule accessoirement à l’arrestation du conducteur pour une infraction liée aux stupéfiants

Tontarelli c. R., 2009 NBCA 52

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[40]                                   Heureusement, l’arrêt R. c. Caslake est bientôt venu intégrer le paysage jurisprudentiel et a fixé une fois pour toutes les principes régissant le pouvoir de common law de procéder à la fouille d’un véhicule accessoirement à l’arrestation du conducteur pour une infraction liée aux stupéfiants. Une revue des faits qui sous­‑tendent cet arrêt-clé est justifiée, ne serait‑ce que pour bien poser le contexte.

 

[41]                                   Dans l’affaire Caslake, un agent des Ressources naturelles avait trouvé un sac à déchets contenant plusieurs livres de cannabis (marihuana) dans un secteur situé en bordure de la route où il avait aperçu M. Caslake quelques instants avant que celui‑ci ne parte en voiture. L’agent s’était rapidement lancé à la poursuite du véhicule et avait promptement réussi à arrêter M. Caslake pour possession de stupéfiants. M. Caslake avait ensuite été confié à la GRC qui l’avait conduit à un détachement situé non loin de là et avait fait remorquer et saisir son véhicule. Environ six heures après l’arrestation, un agent de la GRC, l’agent Boyle, avait fouillé le véhicule sans la permission de M. Caslake et sans mandat. Il avait découvert 1 400 $ en espèces et deux paquets contenant chacun environ 0,25 gramme de cocaïne. L’agent Boyle a témoigné n’avoir effectué la fouille du véhicule que parce qu’elle était obligatoire en application d’une politique de la GRC qui exigeait qu’un inventaire fût dressé quant à l’état et au contenu d’un véhicule saisi dans le cadre d’une enquête. M. Caslake a été déclaré coupable de possession de cannabis (marihuana) en vue d’en faire le trafic et de possession de cocaïne. Il s’est pourvu contre cette dernière déclaration de culpabilité en faisant valoir que la fouille de son véhicule était abusive selon l’art. 8 de la Charte et que la cocaïne n’aurait pas du être admise en preuve selon le par. 24(2).

 

[42]                                   Après avoir dit que cette affaire donnait « à la Cour l’occasion de clarifier les principes qui régissent le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation » (par. 1) et souligné qu’il s’agissait d’un sujet qui avait été bien étudié dans plusieurs décisions des juridictions inférieures, dont l’arrêt Leclerc, le juge en chef Lamer a fait les observations cruciales suivantes en rendant jugement au nom de la majorité :

 

En l’espèce, le ministère public invoque, à l’appui de la légalité de la fouille, le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation.  Dans Cloutier, précité, ma collègue le juge L’Heureux‑Dubé (au nom de la Cour à l’unanimité) a analysé ce pouvoir en détail.  Elle a conclu qu’il constitue une exception aux conditions ordinaires d’une fouille non abusive (énoncées dans Hunter, précité), du fait qu’il ne requiert ni mandat ni motifs raisonnables et probables indépendants.  Au contraire, le droit de fouiller découle de l’arrestation même.  Cela est justifiable du fait que l’arrestation elle‑même requiert l’existence de motifs raisonnables et probables […].  Cependant, étant donné que la légalité de la fouille dépend de la légalité de l’arrestation, s’il s’avère ultérieurement que l’arrestation était invalide, la fouille le sera aussi.  Comme le juge Cory l’a affirmé dans l’arrêt R. c. Stillman1997 CanLII 384 (CSC)[1997] 1 R.C.S. 607, au par. 27, «[a]ucune fouille, si raisonnable soit‑elle, ne peut être validée par ce pouvoir de common law [de procéder à une fouille accessoire à une arrestation] si l’arrestation qui y a donné lieu a été arbitraire ou par ailleurs illégale.»

 

Dans Cloutier, le juge L’Heureux‑Dubé a aussi reconnu l’étendue potentielle de ce pouvoir de la police.  Elle a conclu que la cour doit soupeser l’intérêt qu’a l’État dans l’application de la loi et dans la protection des policiers en fonction du droit à la vie privée de la personne arrêtée, pour déterminer si une fouille constituait un exercice raisonnable et justifiable du pouvoir de la police.  Elle a ensuite énoncé trois limites importantes au pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation (p. 186):

 

1.   Ce pouvoir n’impose pas de devoir.  Les policiers jouissent d’une discrétion dans l’exercice de la fouille.  Dans les cas où ils sont satisfaits que l’application de la loi peut s’effectuer d’une façon efficace et sécuritaire sans l’intervention d’une fouille, les policiers peuvent juger opportun de ne pas procéder à la fouille.  Ils doivent être en mesure d’apprécier les circonstances de chaque cas afin de déterminer si la fouille répond aux objectifs sous‑jacents.

 

2.   La fouille doit viser un objectif valable dans la poursuite des fins de la justice criminelle, telle la découverte d’un objet pouvant menacer la sécurité des policiers, du prévenu ou du public, faciliter l’évasion ou constituer une preuve contre le prévenu.  Le but de la fouille ne doit pas être étranger aux fins d’une saine administration de la justice, ce qui serait le cas, par exemple, si la fouille avait pour but d’intimider le prévenu, de le ridiculiser ou d’exercer une contrainte pour lui soutirer des aveux.

 

3.   La fouille ne doit pas être effectuée de façon abusive et, en particulier, l’usage de contrainte physique ou psychologique ne doit pas être hors de proportion avec les objectifs poursuivis et les autres circonstances de l’espèce.

 

Si ces conditions sont respectées toutes les trois, et que l’arrestation elle‑même est légale, la fouille sera «autorisée par la loi» aux fins de l’art. 8 de la Charte.  En l’espèce, il n’est pas allégué que l’arrestation était illégale ou que la fouille était abusive.  Le problème résulte plutôt du fait que l’objectif et l’étendue de la fouille ont excédé ses limites acceptables. [Par. 13 et 14.]

[C’est moi qui souligne.]

 

[43]                                   Je suis respectueusement d’avis que ces observations donnent à penser que l’application de l’exception au titre de la fouille accessoire à une arrestation qui a été apportée à la règle générale adoptée dans l’arrêt Hunter a une portée plus étendue que celle qui a été définie dans l’arrêt Leclerc. De l’avis de la majorité dans Caslake, la légalité de l’exercice de ce pouvoir de common law, dans une situation où la fouille d’un véhicule est concomitante de l’arrestation du conducteur, n’est assujettie qu’aux trois conditions énoncées dans l’arrêt Cloutier c. Langlois dont aucune n’exige l’existence d’une situation d’urgence.

Ce qu’il faut entendre par « urgence de la situation » et « difficilement réalisable » face à une perquisition sans mandat sous le par. 11(7) de la LRCDAS

R. c. Paterson, 2017 CSC 15

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[32]                        Cela dit, l’« urgence de la situation » a été reconnue dans des cas qui s’apparentaient beaucoup à ceux mentionnés dans la définition du par. 529.3(2). Les décisions de la Cour relatives à l’application de l’art. 10 de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, c. N‑1 (abrogée et remplacée par la LRCDAS), lequel disposait qu’une perquisition pouvait être effectuée sans mandat, sauf dans une maison d’habitation, lorsque l’agent de la paix croyait, pour des motifs raisonnables, à la perpétration d’une infraction en matière de stupéfiants, sont éclairantes. Dans l’arrêt R. c. Grant1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223 (« Grant 1993 »), la Cour statue que cette disposition respecte l’art. 8 de la Charte lorsqu’elle fait l’objet d’une interprétation atténuée de façon à permettre la perquisition sans mandat seulement en situation d’urgence. La Cour opine qu’il y a situation d’urgence lorsqu’il existe « un risque imminent que les éléments de preuve soient perdus, enlevés, détruits ou qu’ils disparaissent si la fouille, la perquisition ou la saisie est retardée » (Grant 1993, p. 243; R. c. Feeney1997 CanLII 342 (CSC)[1997] 2 R.C.S. 13, par. 153, la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente; R. c. Silveira1995 CanLII 89 (CSC)[1995] 2 R.C.S. 297, par. 51, le juge La Forest, dissident). De même, elle estime par ailleurs qu’il y a « situation d’urgence quand une action immédiate est requise pour assurer la sécurité des policiers » (Feeney, par. 52; voir également, relativement aux fouilles et aux perquisitions visant à assurer la sécurité des policiers, R. c. MacDonald2014 CSC 3[2014] 1 R.C.S. 37, par. 32, où la Cour affirme que ces fouilles et ces perquisitions constituent une réponse « à une situation dangereuse créée par une personne, situation à laquelle les policiers doivent réagir sous l’impulsion du moment »). Dans l’arrêt Feeney, la Cour ajoute au par. 47 qu’il peut y avoir situation d’urgence lorsqu’un policier prend un suspect « en chasse » (voir également R. c. Macooh1993 CanLII 107 (CSC)[1993] 2 R.C.S. 802, p. 820-821).

[33]                        Le thème commun qui émerge de ces descriptions de situations constituant des situations urgentes visées au par. 11(7) (« exigent circumstances » dans la version anglaise) dénote non pas simplement l’idée de commodité, d’avantage ou d’économie, mais plutôt d’urgence, une urgence découlant de circonstances qui commandent une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public. Cette interprétation est confirmée par le texte même de la version française du par. 11(7), « urgence de la situation ».

[34]                        Par ailleurs, l’urgence de la situation ne justifie pas à elle seule la perquisition sans mandat d’une résidence sur le fondement du par. 11(7). Elle doit en effet rendre l’obtention d’un mandat « difficilement réalisable ». À cet égard, je ne puis malheureusement pas convenir avec la Cour d’appel que, pour l’application du par. 11(7), lorsque l’obtention d’un mandat est difficilement réalisable, il y a nécessairement urgence de la situation. Le libellé du par. 11(7) (« lorsque l’urgence de la situation rend [l’]obtention [d’un mandat] difficilement réalisable ») montre clairement que le caractère difficilement réalisable de l’obtention d’un mandat ne permet pas de conclure à l’urgence de la situation. L’urgence de la situation doit plutôt être établie pour que l’obtention d’un mandat puisse être jugée difficilement réalisable. Autrement dit, le caractère « difficilement réalisable », quel que soit le sens de l’expression, ne saurait justifier une perquisition sans mandat en application du par. 11(7) au motif qu’il en découle une urgence de la situation. Il faut plutôt établir que l’urgence de la situation a fait en sorte que l’obtention d’un mandat était difficilement réalisable.

[35]                        Selon l’appelant, la condition que l’« urgence de la situation » rende l’obtention d’un mandat « difficilement réalisable » commande en effet que [traduction] « les policiers n’aient alors d’autre choix que d’entrer dans une maison d’habitation ». En d’autres termes, il soutient que le caractère « difficilement réalisable » doit s’entendre de l’impossibilité. En revanche, le ministère public fait valoir que le critère applicable est beaucoup moins strict, de sorte que l’obtention d’un mandat ne doit être ni [traduction] « réaliste » (quoi que cela puisse vouloir dire) ni « pratique ».

[36]                        Les prétentions de l’appelant ne me convainquent pas que le qualificatif « difficilement réalisable » retenu par le législateur suppose l’application de la condition stricte de l’impossibilité. Celles du ministère public ne me convainquent pas non plus qu’il sera « difficilement réalisable » d’obtenir un mandat de perquisition du seul fait que ce sera « peu pratique ». Cependant, considéré dans le contexte du par. 11(7), dont le critère de l’urgence de la situation, le qualificatif « difficilement réalisable » suppose, tout bien considéré, l’application d’un critère plus strict voulant que l’obtention d’un mandat soit impossible dans les faits ou inenvisageable. Dans la version anglaise de la disposition, le terme correspondant à « difficilement réalisable »  « impracticable » — se concilie également avec l’application d’une condition moins stricte que l’impossibilité mais plus stricte que celle du caractère « peu pratique »[3]. Dans cette optique, le qualificatif employé au par. 11(7) suppose que la nature urgente de la situation est telle que prendre le temps d’obtenir un mandat compromettrait sérieusement l’objectif de l’intervention policière, qu’il s’agisse soit de préserver la preuve, soit d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public.

[37]                        Dès lors, pour qu’une entrée sans mandat réponde aux exigences du par. 11(7), le ministère public doit démontrer qu’elle s’imposait en raison de l’existence d’une urgence commandant une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public. De plus, il faut démontrer que cette urgence était telle que prendre le temps d’obtenir un mandat aurait sérieusement compromis ces impératifs.

Enseignements de la Cour d'appel du Québec quant à la technique d'enquête policière qu'est l'enregistrement en continu à l'aide de caméras placées sur des poteaux d'utilité publique à l'insu de l'accusé

Gignac c. R., 2013 QCCA 752

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[27]        Les appelants n'ont pas prétendu qu'ils avaient une attente subjective en matière de vie privée.  Ils n'on pas tenté de faire cette preuve, comme le relate la première juge[29].  Ce critère n'est, il est vrai, pas très exigeant[30].  Mais cette attente ne pouvait être marquée pour ce qui concerne les portes d'expéditions de l'immeuble.

[28]        Le local surveillé étant une propriété privée, une certaine attente de vie privée existait, mais il ne s'agit pas ici d'une chambre d'hôtel dont la porte est fermée comme dans l'affaire Wong.  Le local des appelants est commercial, accessible au public et visible de la voie publique.  L'attente ne pouvait être que limitée.  D'un autre côté, comme le souligne à juste titre la juge, la fabrication et la vente de produits du tabac sont sévèrement réglementées.  Les appelants sont tenus de déclarer leur production et leur volume de ventes.

[29]        Si l'on s'arrête à l'objet de l'enregistrement contesté[31], la surveillance se concentrait sur les portes de livraison de la manufacture, avec pour objectif de quantifier le tabac qui en sortait.  L'emplacement des caméras ne permet pas d'en douter.  Les enquêteurs cherchaient à déterminer la production de tabac écoulée par les appelants.  L'appelant possédait certes un droit sur la production et les ventes, mais il avait l'obligation, en vertu de la loi, de rendre des comptes précis et exacts.  Les activités observées n'étaient pas dissimulées.

[30]        Les appelants peuvent-ils néanmoins prétendre à une attente objectivement raisonnable de vie privée ?  Il faut rappeler que « le besoin de voir respecter sa vie privée peut varier selon la nature de ce qu'on veut protéger, les circonstances de l'ingérence de l'État et l'endroit où celle-ci se produit, et selon les buts de l'ingérence »[32].

[31]        Plusieurs éléments factuels doivent être soupesés :  le chargement des livraisons se faisait à la vue du public; seule une connaissance particulière des obligations édictées en vertu des lois régissant le tabac permettait de déceler une irrégularité; plusieurs personnes avaient accès à l'immeuble, qui n'était pas exclusivement occupé par les appelants; deux caméras ne pouvaient faire de « zoom » alors qu'une permettait de voir comme si un agent utilisait des jumelles de rapprochement; une personne déambulant sur le trottoir, en bordure de la route 157, pouvait faire des constatations analogues à celles faites à l'aide des caméras de surveillance; l'activité que les appelants veulent protéger est strictement réglementée.

[32]        Il faut qualifier l'endroit où la surveillance (« perquisition ») s'est déroulée[33].  Or, les policiers ont marché en un endroit sur une bordure de 56 centimètres du terrain des appelants pour installer des caméras sur des poteaux d'utilité publique.  Tout comme dans l'arrêt Patrick, « l’intrusion physique de la police avait un caractère relativement périphérique»[34].  Et contrairement à cette affaire, il s'agit ici d'un commerce ouvert au public et non d'une maison d'habitation.  Cet empiètement était temporaire et superficiel et la juge conclut, à bon droit, qu'il est « sans incidence »[35].

[33]        Récemment, notre Cour arrivait à une conclusion semblable alors qu'une fouille sans mandat effectuée à 23 pieds de la voie publique a été considérée comme périphérique[36].  Ajoutons que les lieux observés étaient à la vue du public[37].

[34]        Venons-en maintenant au caractère envahissant de la conduite policière vis-à-vis du droit à la vie privée[38].

[35]        Il ne fait pas de doute que la police a utilisé un moyen envahissant, soit l'enregistrement en continu à l'aide de caméras placées à l'insu des appelants[39].  La juge de première instance ne l'ignore pas, elle mentionne que « [l]a technique utilisée permettait de capter des images sur une longue période alors que la présence d'un agent de police aurait forcément attiré l'attention »[40].  Elle note également que la preuve obtenue dépasse celle qu'aurait pu observer un agent[41].

[36]        La technique utilisée était-elle pour autant objectivement déraisonnable ?[42]  Je ne le crois pas.

[37]        L'infraction était très difficile à déceler parce que dissimulée dans les activités normales de l'entreprise.  Les enquêteurs devaient colliger une multitude d'informations afin de révéler la supercherie.  Sans ces données, il n'était pas possible de conclure qu'une quantité importante de tabac était produite sans être déclarée conformément à la loi.

[38]        La technique était beaucoup moins envahissante que dans l'affaire Duarte.  De plus, comme il a été souligné dans l'affaire Hunter, « il faut dans chaque cas trouver un équilibre réaliste entre le droit au respect de la vie privée et les besoins légitimes en matière d’application de la loi et d’enquêtes criminelles »[43].  La juge de première instance considère, à bon droit, que cet équilibre n'a pas été rompu.

[39]        Enfin, la surveillance n'a pas révélé de détails intimes ou des renseignements d'ordre biographique concernant les appelants.  Aucun renseignement personnel n'a été obtenu.  Pour ce qui concerne le volume d'affaires des appelants, il s'agit de données qui doivent de toute façon être déclarées en vertu de la loi.

[40]        En somme, la juge de première instance n'a pas commis d'erreur en décidant que les appelants n'avaient pas d'attente raisonnable de vie privée en regard de leurs ventes et livraisons de tabac.

Retrait d’un plaidoyer de culpabilité non éclairé pour cause de méconnaissance d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente, à savoir l’interdiction de territoire issue de la LIPR

Zamiara c. R., 2020 QCCA 841

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a.         Principes

[51]        Dans Wong, les juges Moldaver, Gascon, Brown et Rowe, sous la plume des trois premiers, décrivent ainsi le premier volet du test applicable en matière de retrait d’un plaidoyer de culpabilité :

[9]        Nous reconnaissons que l’accusé doit tout d’abord établir qu’il n’était pas au courant d’une conséquence indirecte juridiquement pertinente au moment de plaider coupable et nous souscrivons à une méthode générale d’évaluation de la pertinence d’une conséquence indirecte pour juger si un plaidoyer de culpabilité était suffisamment éclairé. Nous convenons également qu’une conséquence indirecte juridiquement pertinente est habituellement imposée par l’État, découle de la déclaration de culpabilité ou de la peine et touche des intérêts sérieux de l’accusé. Et, tout comme notre collègue, nous n’estimons pas nécessaire de définir la portée exacte de ces conséquences ou leurs caractéristiques pour les besoins du présent pourvoi. Toutefois, à notre avis, la formulation du deuxième volet par notre collègue pose problème sous deux rapports.

[Je souligne]

[19]      À notre avis, l’accusé qui souhaite retirer son plaidoyer de culpabilité doit prouver l’existence d’un préjudice au moyen d’un affidavit établissant la possibilité raisonnable qu’il aurait (1) enregistré un plaidoyer différent ou (2) plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Cette façon de faire atteint ce que nous considérons être le juste équilibre entre le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et l’équité envers l’accusé.

[20]      S’agissant du premier type de préjudice — lorsque l’accusé aurait opté pour un procès et plaidé non coupable — il se présentera évidemment des situations où l’accusé n’aura que peu ou pas de chances d’avoir gain de cause à son procès, et que choisir de subir son procès n’est pour lui qu’une tentative de dernier recours. Mais de faibles chances d’avoir gain de cause au procès ne signifient pas forcément que l’accusé n’est pas sincère lorsqu’il affirme qu’il aurait enregistré un plaidoyer différent. Pour certains accusés, comme celui dans l’affaire Lee, la conséquence certaine, quoiqu’auparavant inconnue, d’une déclaration de culpabilité rendait intéressantes même de faibles chances d’avoir gain de cause à l’issue d’un procès. Dans un tel cas, et si la cour reconnaît la véracité de ses propos, l’accusé aura su prouver l’existence d’un préjudice et devrait être autorisé à retirer son plaidoyer.

[21]      Ce qui nous laisse le second type de préjudice — lorsque l’accusé aurait plaidé coupable, mais à d’autres conditions. Le fait qu’un accusé aurait plaidé coupable, mais à d’autres conditions, suffira à établir l’existence d’un préjudice si la cour arrive à la conclusion que l’accusé aurait insisté pour que son plaidoyer de culpabilité soit assorti de ces conditions et si cellesci auraient dissipé la totalité ou une partie des effets négatifs de la conséquence juridiquement pertinente. Nous n’avons pas la prétention d’énumérer toutes les conditions susceptibles de donner lieu à un préjudice si elles sont soulevées par l’accusé. Cellesci comprennent par contre à tout le moins le consentement à plaider coupable à une accusation réduite relativement à une infraction moindre et incluse, le retrait d’autres accusations, l’engagement du ministère public à ne pas donner suite à d’autres accusations ou la présentation d’une recommandation conjointe relative à la peine.

[…]

[23]      Nous notons incidemment que l’accusé n’est pas tenu de prouver un moyen de défense valable à l’égard de l’accusation dont il fait l’objet en vue de retirer un plaidoyer pour des motifs d’ordre procédural. [traduction] « [L]e préjudice réside dans le fait qu’en plaidant coupable, l’accusé a renoncé à son droit à un procès » (R. c. Rulli2011 ONCA 18, par. 2 (CanLII)). Exiger de l’accusé qu’il fasse état de la voie menant à son acquittement va à l’encontre de la présomption d’innocence et de la nature subjective de la décision de plaider coupable. L’accusé a parfaitement le droit de garder le silence, de ne présenter aucune défense et d’obliger le ministère public à s’acquitter de son fardeau de prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Il serait insensé de permettre à un accusé de subir un procès en première instance sans avoir à présenter une quelconque défense tout en insistant sur une telle défense dans le cas du retrait d’un plaidoyer non éclairé qui renverrait l’affaire à procès. Même si la décision de subir un procès pourrait s’avérer malavisée ou même téméraire, nous ne cherchons pas à protéger l’accusé contre luimême. Nous cherchons plutôt à protéger le droit de l’accusé d’enregistrer un plaidoyer éclairé.

[…]

[26]      Même si son analyse porte principalement sur le choix subjectif de l’accusé, le tribunal n’a pas à accepter automatiquement la prétention de celuici. Comme c’est le cas pour toutes les conclusions sur la crédibilité, la prétention de l’accusé quant à savoir quel aurait été son choix subjectif et pleinement éclairé est appréciée en fonction de circonstances objectives. Le tribunal doit donc examiner attentivement la prétention de l’accusé et se pencher sur la preuve circonstancielle et objective permettant de mettre à l’épreuve la véracité de cette prétention au regard d’une norme de possibilité raisonnable. Figurent au nombre de ces facteurs la solidité du dossier du ministère public, les concessions ou déclarations faites par le ministère public au sujet de son dossier (notamment s’il s’est montré disposé à présenter une recommandation conjointe ou à réduire l’accusation à celle d’une infraction moindre et incluse) et tout moyen de défense pertinent que l’accusé pourrait faire valoir. Le tribunal pourrait aussi évaluer la solidité du lien de causalité entre le plaidoyer de culpabilité et la conséquence indirecte, c’estàdire examiner si l’élément déclencheur de la conséquence indirecte est la déclaration de culpabilité comme telle et non la durée de la peine. Plus précisément, lorsque la conséquence indirecte dépend de la durée de la peine — sans oublier qu’un plaidoyer de culpabilité atténue généralement la peine imposée —, le tribunal pourrait avoir des raisons de douter de la véracité de la prétention avancée par l’accusé.

[…]

[28]      Bien entendu, l’examen judiciaire de la prétention d’un accusé ne se fonde pas uniquement sur les circonstances objectives concomitantes au plaidoyer initial, puisque ces circonstances pourraient ne pas témoigner des préférences propres à l’accusé. Par conséquent, le tribunal de révision doit en outre mettre à l’épreuve la véracité des affirmations de l’accusé comme telles. Un tribunal pourrait conclure à juste titre que les préférences exprimées par un accusé sont crédibles et qu’elles établissent une possibilité raisonnable de préjudice en s’appuyant exclusivement sur le contenu de l’affidavit de l’accusé et sur le fait que ce dernier ne s’est pas compromis lors de son contreinterrogatoire.

[29]      Cependant, tout au long de la mise à l’épreuve de la prétention de l’accusé, il faut s’attacher à ce que l’accusé en cause — et seulement lui — aurait fait. Cette analyse subjective repose sur le caractère subjectif de la décision initiale d’enregistrer un plaidoyer. Puisque le plaidoyer de culpabilité initial exprime le jugement subjectif de l’accusé, il s’ensuit logiquement que le test permettant le retrait du plaidoyer porte lui aussi sur ce même jugement. Cette approche établit un juste équilibre entre l’intérêt qu’a la société dans le caractère définitif des plaidoyers de culpabilité et l’équité envers l’accusé en annulant son plaidoyer uniquement s’il avait procédé différemment.

[…]

[33]      Rappelons que le cadre d’analyse pour l’annulation d’un plaidoyer de culpabilité non éclairé comporte deux volets distincts : (1) l’accusé a été mal informé au sujet de renseignements pouvant avoir des conséquences suffisamment graves; (2) ce manque de renseignements donne lieu à un préjudice (motifs du juge Wagner, par. 44). Bien que cette distinction entre les deux volets se confonde parfois dans les motifs du juge LeBel dans Taillefer, à notre avis, l’interprétation la plus juste de ses motifs devrait conserver cette distinction.[29]

[24]      Pour cette même raison, nous sommes d’accord avec notre collègue que le cadre d’analyse de l’assistance inefficace de l’avocat n’est pas pertinent en l’espèce (motifs du juge Wagner, par. 60). Ce cadre d’analyse porte essentiellement sur la source de l’information erronée (ou incomplète) plutôt que sur l’information erronée ellemême. La source d’une information erronée n’entre pas en ligne de compte lorsque vient le temps d’examiner si cette information a donné lieu à un préjudice. Comme la juge Saunders l’a expliqué en Cour d’appel, l’erreur judiciaire survenue en l’espèce résulte de l’invalidité du plaidoyer de M. Wong (2016 BCCA 416, 342 C.C.C. (3d) 435, par. 24).[30]

[54]        Bref, une fois prouvée sa méconnaissance d’une conséquence indirecte, mais juridiquement pertinente, méconnaissance qui entache le caractère éclairé du plaidoyer, l’accusé doit donc également démontrer l’existence d’un préjudice en établissant la « possibilité raisonnable qu’[il aurait] soit (1) opté pour un procès et plaidé non coupable, soit (2) plaidé coupable, mais à d’autres conditions »[31]. Et, ajoutent les juges majoritaires dans Wong, « [p]our évaluer la véracité de cette prétention, les cours peuvent examiner des éléments de preuve concomitants et objectifs. L’analyse est donc subjective visàvis de l’accusé, mais permet d’évaluer objectivement la crédibilité de la prétention subjective avancée par l’accusé »[32].

Les cas de figure où l’individu qui n’est pas un résident permanent sera interdit de territoire s’il est déclaré coupable par le Tribunal

Zamiara c. R., 2020 QCCA 841

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[19]        En vertu des al. 36(1)a)(2)a) et (3)a) LIPR, l’individu qui n’est pas un résident permanent (ce qui inclut la personne se trouvant au Canada en vertu d’un permis de travail) est donc interdit de territoire s’il est déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale passible d’un emprisonnement de dix ans ou plus ou s’il est déclaré coupable d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation (ce qui, en vertu de la présomption édictée par l’al. 36(3)a) LIPR, inclut l’infraction mixte, assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation).

[20]        Un rapport d’interdiction de territoire doit alors être établi en vertu du paragr. 44(1) LIPR, ce qui, sur décision du ministre (paragr. 44(2) LIPR) ou de la Section de l’immigration (al. 45d) LIPR), entraînera une mesure de renvoi. En raison du paragr. 63(3) LIPR, l’étranger interdit de territoire pour grande criminalité ou pour criminalité ne dispose d’aucun droit d’appeler de cette mesure. Un recours en contrôle judiciaire de la mesure de renvoi peut cependant être envisageable (art. 72 LIPR).

[21]        En l’espèce, il se trouve que l’agression sexuelle (al. 271a) C.cr.), l’entrave à la justice (paragr. 139(2) C.cr.) et l’omission de se conformer à une condition d’un engagement (al. 145(3)a) C.cr.), infractions mixtes, ont fait l’objet d’une mise en accusation. Les deux premières sont dès lors passibles d’un emprisonnement de dix ans et engendrent toutes les deux une interdiction de territoire pour grande criminalité au sens des al. 36(1)a) et 36(3)a) LIPR, de même qu’une interdiction de territoire pour criminalité au sens des al. 36(2)a) et 36(3)a) LIPR, l’appelant étant un étranger au sens de l’art. 2 LIPR et non un résident permanent. La troisième entraîne une peine maximale de deux ans d’emprisonnement et une interdiction de territoire pour criminalité au sens de l’al. 36(2)a) LIPR. Dans tous les cas, vu le statut d’étranger de l’appelant, la peine effectivement imposée n’importe pas, sous réserve de l’absolution, sur laquelle je reviendrai.

[22]        À la suite du jugement de première instance, un rapport d’interdiction de territoire a été dressé, comme on l’a vu, puis une mesure de renvoi prise à l’endroit de l’appelant. Celui-ci, en sa qualité d’étranger[14], était privé de tout droit d’appel et n’a par ailleurs pas demandé le contrôle judiciaire de cette mesure ni son sursis.

[23]        Précisons enfin que l’intimée reconnaît que la triple condamnation de l’appelant l’exposait à une interdiction de territoire et à une mesure d’expulsion, tout comme elle reconnaît que, au moment de plaider coupable, l’appelant ignorait bel et bien que de telles conséquences s’ensuivraient.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...