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vendredi 15 février 2013

L'état du droit relativement à l'expectative de vie privée VS l'ordinateur de l'employeur utilisé à des fins personnelles

R. c. Cole, 2012 CSC 53 (CanLII)

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[1] Dans l’arrêt R. c. Morelli, 2010 CSC 8 (CanLII), 2010 CSC 8, [2010] 1 R.C.S. 253, la Cour n’a laissé aucun doute que les Canadiens peuvent raisonnablement s’attendre à la protection de leur vie privée à l’égard des renseignements contenus dans leurs propres ordinateurs personnels. À mon avis, le même principe s’applique aux renseignements contenus dans les ordinateurs de travail, du moins lorsque leur utilisation à des fins personnelles est permise ou raisonnablement prévue.

[2] Les ordinateurs qui sont utilisés d’une manière raisonnable à des fins personnelles — qu’ils se trouvent au travail ou à la maison — contiennent des renseignements qui sont significatifs, intimes et qui ont trait à l’ensemble des renseignements biographiques de l’utilisateur. Au Canada, la Constitution accorde à chaque personne le droit de s’attendre à ce que l’État respecte sa vie privée à l’égard des renseignements personnels de ce genre.

[3] Bien que les politiques et les pratiques en vigueur dans le milieu de travail puissent réduire l’attente du particulier en matière de respect de sa vie privée à l’égard d’un ordinateur de travail, les réalités opérationnelles de ce genre ne font pas à elles seules disparaître complètement l’attente : la nature des renseignements en jeu expose les préférences, intérêts, pensées, activités, idées et recherches de renseignements de l’utilisateur individuel

[34] L’article 8 de la Charte garantit que chacun au Canada a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Une inspection constitue une fouille ou perquisition, et un prélèvement constitue une saisie, lorsqu’une personne a des attentes raisonnables en matière de vie privée relativement à l’objet de l’action de l’État et aux renseignements auxquelles cet objet donne accès (R. c. Tessling, 2004 CSC 67 (CanLII), 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, par. 18; R. c. Evans, 1996 CanLII 248 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 8, par. 11; R. c. Borden, 1994 CanLII 63 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 145, p. 160).

[35] La protection de la vie privée est une question d’attentes raisonnables. L’attente en matière de respect de la vie privée bénéficie de la protection de la Charte si une personne raisonnable et bien informée, placée dans la même situation que l’accusé, aurait des attentes en matière de respect de sa vie privée (R. c. Patrick, 2009 CSC 17 (CanLII), 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579, par. 14‑15).

[36] Si le demandeur peut s’attendre raisonnablement au respect de sa vie privée, l’art. 8 entre en jeu, et le tribunal doit alors déterminer si la fouille, la perquisition ou la saisie était raisonnable.

[37] Lorsque, comme en l’espèce, une fouille ou perquisition est effectuée sans mandat, elle est présumée abusive (R. c. Nolet, 2010 CSC 24 (CanLII), 2010 CSC 24, [2010] 1 R.C.S. 851, par. 21; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, p. 161). Afin d’établir son caractère raisonnable, le ministère public doit prouver, selon la prépondérance des probabilités (1) que la fouille était autorisée par la loi, (2) que la loi l’autorisant n’avait elle‑même rien d’abusif et (3) que le pouvoir d’effectuer la fouille n’a pas été exercé d’une manière abusive (Nolet, par. 21; R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, p. 278).

[39] La question de savoir si M. Cole avait une attente raisonnable en matière de vie privée dépend de « l’ensemble des circonstances » (R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 128, par. 45).

[40] Le critère de « l’ensemble des circonstances » s’intéresse au fond et non à la forme. Quatre questions guident l’application du critère : (1) l’examen de l’objet de la prétendue fouille; (2) la question de savoir si le demandeur possédait un droit direct à l’égard de l’objet; (3) la question de savoir si le demandeur avait une attente subjective en matière de respect de sa vie privée relativement à l’objet; (4) la question de savoir si cette attente subjective en matière de respect de la vie privée était objectivement raisonnable, eu égard à l’ensemble des circonstances (Tessling, par. 32; Patrick, par. 27). Je me pencherai sur chaque question à tour de rôle.

[41] En l’espèce, ce sont les données, ou le contenu informationnel du disque dur de l’ordinateur portatif, son image miroir et le disque comportant les fichiers Internet qui constituent l’objet de la prétendue fouille — non pas le matériel informatique lui‑même.

[42] Ce qui nous intéresse est donc le droit au respect du caractère privé des renseignements personnels : « le droit revendiqué par des particuliers, des groupes ou des institutions de déterminer eux‑mêmes le moment, la manière et la mesure dans lesquels des renseignements les concernant sont communiqués » (Tessling, par. 23, citant A. F. Westin, Privacy and Freedom (1970), p. 7).

[43] Le droit direct et l’attente subjective en matière de respect de la vie privée que possédait M. Cole à l’égard du contenu informationnel de son ordinateur portatif peuvent aisément être déduits de l’utilisation qu’il en fait pour naviguer sur Internet et pour stocker des renseignements personnels sur le disque dur.

[44] Il reste à déterminer si l’attente subjective de M. Cole en matière de respect de sa vie privée était objectivement raisonnable.

[45] Il n’existe pas de liste définitive des facteurs à examiner pour répondre à cette question, bien que l’on puisse trouver quelques indications dans la jurisprudence pertinente. Comme l’a expliqué le juge Sopinka dans l’arrêt R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 281, à la p. 293 :

Étant donné les valeurs sous‑jacentes de dignité, d’intégrité et d’autonomie qu’il consacre, il est normal que l’art. 8 de la Charte protège un ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l’État. Il pourrait notamment s’agir de renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l’individu.

[46] Plus l’objet de la prétendue fouille se trouve près de l’ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel, plus ce facteur favorisera une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée. Autrement dit, plus les renseignements sont personnels et confidentiels, plus les Canadiens raisonnables et bien informés seront disposés à reconnaître l’existence d’un droit au respect de la vie privée garanti par la Constitution.

[47] Les ordinateurs qui sont utilisés à des fins personnelles, indépendamment de l’endroit où ils se trouvent ou de la personne à qui ils appartiennent, « renferment les détails de notre situation financière, médicale et personnelle » (Morelli, par. 105). Cela est particulièrement vrai lorsque, comme en l’espèce, l’ordinateur sert à naviguer sur le Web. Les appareils connectés à Internet « révèlent [. . .] nos intérêts particuliers, préférences et propensions, enregistrant dans l’historique et la mémoire cache tout ce que nous recherchons, lisons, regardons ou écoutons dans l’Internet » (ibid.).

[48] Les renseignements personnels de ce genre se situent au cœur même de l’« ensemble de renseignements biographiques » protégés par l’art. 8 de la Charte.

[51] Bien que la propriété des biens soit une considération pertinente, elle n’est pas déterminante (R. c. Buhay, 2003 CSC 30 (CanLII), 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631, par. 22). Elle ne devrait pas non plus se voir accorder une importance excessive dans le cadre de l’analyse contextuelle. Comme l’a souligné le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l’arrêt Hunter c. Southam, à la p. 158, « le texte de l’article [8] ne le limite aucunement à la protection des biens ni ne l’associe au droit applicable en matière d’intrusion ».

[52] Le contexte dans lequel des renseignements personnels sont stockés dans un ordinateur appartenant à l’employeur a néanmoins de l’importance. Les politiques, pratiques et coutumes en vigueur dans le milieu de travail sont pertinentes dans la mesure où elles concernent l’utilisation des ordinateurs par les employés. Ces [traduction] « réalités opérationnelles » peuvent réduire l’attente en matière de respect de la vie privée que des employés raisonnables pourraient autrement avoir à l’égard de leurs renseignements personnels (O’Connor v. Ortega, 480 U.S. 709 (1987), p. 717, la juge O’Connor).

[53] Cependant, même modifiées par la pratique, les politiques écrites ne sont pas déterminantes quant à l’attente raisonnable d’une personne en matière de respect de sa vie privée. Quoi que prescrivent les politiques, il faut examiner l’ensemble des circonstances afin de déterminer si le respect de la vie privée constitue une attente raisonnable dans ce contexte particulier (R. c. Gomboc, 2010 CSC 55 (CanLII), 2010 CSC 55, [2010] 3 R.C.S. 211, par. 34, la juge Deschamps).

[62] Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec la Cour d’appel. Le directeur avait l’obligation légale de maintenir un milieu d’apprentissage sécuritaire (Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E.2, art. 265), et, par voie de conséquence logique, le pouvoir raisonnable de saisir et de fouiller un ordinateur portatif fourni par le conseil scolaire s’il avait des motifs raisonnables de croire que le disque dur contenait des photographies compromettantes d’une élève. Ce pouvoir implicite ne diffère pas de celui qu’ont reconnu les juges majoritaires de notre Cour dans l’arrêt M. (M.R.), au par. 51.

[67] Lorsqu’elle a pris possession du matériel informatique et a examiné son contenu, la police a agi indépendamment du conseil scolaire (R. c. Colarusso, 1994 CanLII 134 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 20, p. 58‑60). Le fait que le conseil scolaire avait légalement pris possession de l’ordinateur portatif pour ses propres besoins administratifs ne conférait pas à la police un pouvoir délégué ou dérivé de confisquer et de fouiller l’ordinateur pour les besoins d’une enquête criminelle.

[68] Cela ressort clairement de l’arrêt Colarusso, dans lequel un coroner qui avait légalement saisi des échantillons de substances organiques les a ensuite remis à la police. Comme l’a expliqué le juge La Forest :

Les arguments avancés par le ministère public pour établir le caractère non abusif de saisies sans mandat effectuées par un coroner reposent sur la prémisse sous‑jacente selon laquelle le coroner remplit une fonction essentielle de nature non pénale. L’État ne peut cependant gagner sur les deux tableaux; il ne saurait prétendre que la saisie par le coroner est non abusive du fait que celui‑ci agissait indépendamment de la branche de l’État chargée de l’application du droit criminel et en même temps chercher à produire dans une poursuite criminelle la preuve même qu’a saisie le coroner. D’où il s’ensuit logiquement, à mon avis, que la saisie opérée par un coroner est non abusive dans la seule mesure où la preuve sert aux fins pour lesquelles elle a été saisie, soit pour décider s’il y a lieu de tenir une enquête sur la mort d’une personne. Du moment que la branche de l’État chargée de l’application du droit criminel s’approprie la preuve en question pour l’utiliser dans le cadre d’une poursuite criminelle, on est mal fondé à soutenir que la saisie effectuée par le coroner conserve son caractère non abusif. [p. 62‑63]

[69] Si une norme constitutionnelle moins exigeante est applicable dans un contexte administratif comme c’est le cas en l’espèce, la police ne peut invoquer cette norme afin de se soustraire à l’autorisation judiciaire préalable normalement exigée pour les fouilles, les perquisitions ou les saisies dans le cadre des enquêtes criminelles.

[73]                          Bien entendu, le conseil scolaire avait légalement le droit d’informer la police de sa découverte de documents illicites dans l’ordinateur portatif.  Cela aurait sans aucun doute permis à la police d’obtenir un mandat pour fouiller l’ordinateur afin d’y trouver les documents illicites.  Cependant, la remise de l’ordinateur par le conseil scolaire ne permettait pas à la police d’accéder sans mandat aux renseignements personnels qu’il renfermait.  Ces renseignements restaient assujettis, à tous les moments considérés, à l’attente raisonnable et durable de M. Cole en matière de respect de sa vie privée

vendredi 8 février 2013

Les conséquences de la décision du ministère public de poursuivre l’intimé par procédure sommaire plutôt que par acte criminel relativement à certaines infractions

R. c. Blais, 2013 QCCS 25 (CanLII)

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[153] Il y a peut-être lieu de préciser brièvement les conséquences de la décision du ministère public de poursuivre l’intimé par procédure sommaire :

a. La procédure sommaire favorise que le procès et la disposition du dossier soient traités avec célérité.

b. Une ordonnance en vertu de l’article 109 du Code criminel n’est pas obligatoire.

c. L’application de l’article 110 du Code est à la discrétion du juge.

d. L’ordonnance prévue en vertu de l’article 487.051 (1) du Code criminel qui exige qu’un échantillon d’une substance corporelle soit fourni aux fins d’une analyse d’ADN reste applicable.

e. Le juge a l’option de prononcer une sentence d’emprisonnement avec sursis.

f. La période d’emprisonnement maximale est de 18 mois.

g. L’accusé ne peut bénéficier d’un procès devant juge et jury

Comment évaluer l'incidence d'un don dans l'octroi d'une absolution

R. c. Blais, 2013 QCCS 25 (CanLII)

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[159] Le premier juge est évidemment fermement d’avis que l’accusé n’achète pas son droit à une absolution. C’est une observation qui touche à son honneur et à son intégrité et je n’ai pas un mot à dire. Avec égards cependant, je suis loin d’être d’avis qu’un public bien instruit et bien renseigné verra la situation dans la même optique.

[160] Les tribunaux supérieurs n’ont pas dénoncé le paiement de certaines sommes d’argent aux organismes comme la CAVAC, comme partie intégrante de la peine. Dans ce contexte, la pratique existe et est utilisée ici au Québec par certains de mes collègues et par certains juges de la Cour du Québec.

[161] J’estime que l’appelante a raison lorsqu’elle écrit à la page 30 de son mémoire le paragraphe suivant :

«Pourtant, si un délinquant mérite réellement une absolution, les conditions de celle-ci ne peuvent contenir aucun élément punitif. C’est ce que confirma la cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt R c. Carroll 1995 CanLII 1123 (BC CA), (1995) 38 C.R. (4th) 238. L’ordonnance de faire un don dans le cadre d’une sentence peut être appropriée, dépendant des circonstances. Par contre, il faut se garder de déguiser des amendes dans les conditions d’absolutions conditionnelles. »

[162] Pour ma part j’incline vers les commentaires exprimés par le juge Langdon de l’Ontario High Court of Justice dans la cause de R c. Grosso, [2008] O.J. No.3157. Cette décision est mentionnée également à la page 30 du mémoire de l’appelante. Le juge Langdon s’exprime ainsi :

« The law is clear that a fine and a discharge cannot be imposed. So sometimes courts are seen to get around that inconvenient requirement by ordering a charitable donation. Not only is that indirect imposition of a fine, or at least arguably so, but it leaves the taste in one’s mouth that someone who can afford to make a significant charitable donation can, in fact, in effect, purchase a discharge whereas a person of lesser means cannot. »

La notion de l’intérêt public dans le cadre d'une absolution

R. c. Blais, 2013 QCCS 25 (CanLII)

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[130] Les balises à considérer dans l’application de l’article 730 (1) sont claires. Les conséquences d’une absolution sont également claires. L’accusé évite la honte ou l’opprobre qui se rattachent à une condamnation. La loi présume que l’accusé n’a pas été condamné pour l’infraction en question. En théorie et en droit strict l’absolution est disponible pour toute infraction punissable par une période d’emprisonnement de moins de 14 ans et pour laquelle le Code criminel ne prescrit aucune peine minimale.

[131] Comme la Cour d’appel l’a dit dans R. c. Scheper, [1986] 5 QAC 270, l’art. 730 ne constitue pas une mesure exceptionnelle qui ne doit être accordée que dans les cas exceptionnels. L’absolution est une des sanctions prévues au Code criminel et le juge peut l’accorder dans les cas appropriés, dans la mesure où les conditions de l’art. 730 sont remplies.

[132] La décision de l’octroyer se fera sur une base individualisée en prenant en considération toutes les balises applicables à la détermination de la peine avec, enfin, une considération approfondie des intérêts du délinquant et de l’intérêt public.

[134] Il a été bien établi qu’aucun accusé n’est obligé de témoigner lors de l’audition sur la détermination de la peine. Je suis d’avis cependant que si un individu cherche la sentence la plus clémente prévue par la loi, il est dans l’obligation morale de satisfaire le juge personnellement qu’il rencontre les critères que ce dernier est dans l’obligation de peser. Il doit démontrer qu’il mérite une absolution. La preuve est faible à ce sujet.

[137] Le juge Cournoyer et Me Ouimet, dans leur Code criminel annoté 2013, sous la rubrique de l’article 730 résument cette décision dans les termes suivants. Leur résumé servira aux fins de cette décision :

« R. c. Rozon, [1999] R.J Q 805, REJB 1999-11797, [1999] J Q. no. 752 (C S.) - Il y a lieu d'accorder une absolution inconditionnelle lorsque l'accusé s'est reconnu coupable d'une agression sexuelle d'une gravité relativement faible, n'a pas d'antécédents judiciaires, a fait l'objet d'une couverture médiatique humiliante, et s'il est possible qu'une condamnation entraîne des conséquences particulièrement négatives. L'article 730 a un caractère égalitaire qui vise à empêcher qu'un accusé subisse des conséquences disproportionnées par rapport à tous ceux qui se sont rendus coupables du même délit : il ne s'applique pas uniquement à ceux qui jouissent d'un statut social privilégié. Le refus d'accorder cette mesure pourrait même aller à l'encontre de l'intérêt public si cela entraîne des pertes d'emplois reliées à l'entreprise de l'accusé en raison de son incapacité à aller aux États-Unis, et empêche celui-ci de subvenir aux besoins de sa famille. La confiance du public dans le système judiciaire doit s'apprécier en fonction d'une personne raisonnable et renseignée, qui ne fonde pas son opinion sur la couverture médiatique du procès. Le juge qui siège en appel peut intervenir si la décision n'est pas suffisamment motivée, et s'il est vraisemblable que l'absolution a été refusée en raison de la nature de l'infraction, ce qui constitue une erreur de principe. »

[138] Disons d’emblée que je suis entièrement en accord avec la disposition à laquelle le juge Béliveau est arrivée dans l’affaire Rozon. Ceci dit, j’ajoute que je ne partage pas entièrement son raisonnement sur la notion de l’intérêt public. Je dois au juge Béliveau le plus grand respect et déférence par rapport à son opinion sur les bornes de cette notion. Je ne suis cependant pas obligé à souscrire à son raisonnement sur toute la ligne de façon aveugle.

[139] Les dispositions du Code criminel qui régissent la détermination de la peine y compris l’article 730 ont un caractère égalitaire comme l’a écrit le juge Béliveau. Pour ma part j’emploie le mot « égalitaire » au sens que, dans la mesure du possible, les effets néfastes ou punitifs d’une condamnation ne devraient pas être plus sévères pour un accusé que pour un autre. La deuxième dimension de la notion égalitaire est que, dans les cas où c’est réalisable, les conséquences de la punition ne devraient pas être hors de proportion par rapport avec l’importance de l’infraction en question.

[140] Il faut garder à l’esprit la distinction entre l’intérêt public et l’intérêt de l’accusé. Lorsqu’on considère l’intérêt de l’accusé, la question de son licenciement potentiel est sans doute une question d’importance. Encore une fois, dans le contexte de l’article 730 du Code criminel, les deux facteurs de l’intérêt de l’accusé et l’intérêt public devront être mis dans la balance et pesés avec soin.

[141] Si le juge Béliveau a élargi la notion de l’intérêt public, le premier juge a également ajouté à cette notion certaines facettes qui ont eut pour effet de ramollir ou diluer son importance dans la détermination de la peine. De prime abord, l’intérêt public dans la cause sous étude comprend de nombreux facteurs d’une importance variable. Les plus saillants cependant sont ceux qui ont pour objet de protéger le public, dénoncer la conduite en question, dissuader d’autres personnes qui seraient tentées d’agir de la même manière, d’exprimer la désapprobation de la collectivité, et enfin de traiter la question de rétribution. La question des effets potentiels pour l’entreprise et les coûts additionnels qui seront encourus advenant le cas où l’intimé soit licencié ne méritent pas d’être pris en considération. Au milieu de paragraphe 52, le juge s’exprime ainsi : « Le fait que l'accusé soit une occasion de meilleure rentabilité face aux compétiteurs de son entreprise n'est pas sans importance. Il est vrai que cela contribue à la viabilité financière de l'entreprise et au maintien des emplois. » C’est là ou « le bât blesse ».

[142] Généralement, les conséquences potentielles pour une entreprise et pour ses employés suite au licenciement d’un employé, même un employé-clé, comme conséquence d’une condamnation criminelle sont à mon avis des facteurs trop éloignés ou indirects. Sur cette question très étroite je me sens obligé, avec égards, d’adopter un point de vue plus conservateur. D’ailleurs, il n’y a rien dans la preuve dans la cause sous étude pour étayer la conclusion que le licenciement de l’intimé n’entraînerait rien d’autres que des inconvénients et certains coûts additionnels pour la compagnie. Rien du tout !

[143] À l’alinéa 60 de sa décision le juge reproduit un extrait du Traité Général de Preuve et de Procédure pénale, 17e édition, Éditions Thémis, par les juges Béliveau et Vauclair, où ils précisent que le juge doit aussi tenir compte du fait qu’il n’est pas dans l’intérêt public que l’accusé perde son emploi et ne puisse assurer sa subsistance et celle de sa famille. C’est une position qui a été affirmée par la Cour d’appel du Québec dans R. c. Corbeil-Richard, [2009] QCCA 1201. J’ajoute que les juges Béliveau et Vauclair ont pris soin de préciser que généralement une ordonnance d’absolution est prononcée lorsque les circonstances de l’infraction présentent peu de gravité alors que les conséquences d’une condamnation pourraient s’avérer très sérieuses. C’est une qualification importante que le premier juge semble avoir écartée ou perdue de vue.

[144] L’intérêt public devrait être considéré à la lumière des faits délictuels commis par l’intimé et les conséquences d’un tel comportement pour la sécurité et le bien-être de la collectivité. Bien sûr, c’est dans l’intérêt public et dans la mesure du possible que quelqu’un ne soit pas privé de son emploi et de sa capacité de pourvoir aux besoins financiers de lui-même ou de sa famille. Si les tribunaux supérieurs ont décidé qu’un tel état d’affaires mérite considération sous la rubrique d’intérêt public dans la détermination de la peine, sa place sur l’échelle d’importance sera variable selon les circonstances.

[145] Je crois que l’approche qui s’applique à la cause sous étude est celle énoncée par la Cour d’appel dans R. c. Corbeil-Richard, (supra). Je m’adonne encore une fois au résumé du juge Cournoyer et Me Ouimet pour lequel je les remercie :

« R. c. Corbeil-Richard, EYB 2009-160449, 2009 QCCA 1201 (CanLII), 2009 QCCA 1201 - L'intérêt de l'accusé présuppose que ce dernier est une personne de bon caractère qui n'a généralement pas d'antécédents judiciaires et qui ne présente pas de problème en matière de dissuasion spécifique et de réhabilitation. La présence d'une autre absolution au dossier, même pour une infraction commise postérieurement, devra être prise en considération et mènera généralement au refus d’une deuxième absolution. L'existence d'antécédents judiciaires n'exclut pas le recours à l'absolution dans la mesure où le Code criminel ne prévoit pas le contraire. Quant à l'intérêt public, il s'évalue, entre autres, par la gravité de la conduite et son incidence dans la collectivité, par le besoin de dissuasion générale et, enfin, par l’importance de maintenir la confiance du public dans l'administration de la justice. À cet égard, le fait que l’accusé ait tenté de tromper la cour lors de son témoignage milite contre l'octroi d'une absolution Le tribunal doit aussi tenir compte du fait qu'il n'est pas dans l'intérêt public que l'accusé perde son emploi et ne puisse assurer sa subsistance et celle de sa famille. Généralement, une absolution est accordée lorsque les circonstances de l’infraction présentent peu de gravité et que les conséquences d'une condamnation pourraient s'avérer très sérieuses. Il n’y a toutefois pas lieu d'interpréter l'art. 730 de manière restrictive ou exceptionnelle, le seul test étant l’équilibre entre les intérêts de la société et ceux de l'accusé. Il y a notamment déséquilibre entre ces intérêts lorsque la loi prévoit que, en cas de condamnation criminelle, un individu devient inhabile à exercer un métier ou une profession. »

[146] Lors de sa considération de la notion de l’intérêt public le premier juge, à l’alinéa 65 de sa décision, a écrit ce qui suit :

« [65] L'appréciation de la qualification de ce qu'est l'intérêt public dans un cas précis doit aussi tenir compte du principe combien fondamental de la proportionnalité appliqué aux faits de l'instance jugée. Plus l'infraction est objectivement et subjectivement grave et plus le degré de responsabilité d'un infracteur est élevé, plus ce sera nuire à l'intérêt public d'octroyer une absolution. »

Les éléments constitutifs du crime de faire défaut ou refuser d'obtempérer à un ordre donné par un agent de la paix au terme de l'article 254 (2)b)

Pitre c. R., 2011 QCCS 3555 (CanLII)

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[24] Le crime de faire défaut ou refuser d'obtempérer à un ordre donné par un agent de la paix au terme de l'article 254 (2)b), nécessite que le ministère public fasse la preuve hors de tout doute raisonnable des éléments essentiels suivants :

1 - L'existence d'un ordre valide d'un agent de la paix de fournir l'échantillon d'haleine suffisante à la réalisation d'une analyse convenable,

2 - Le défaut ou le refus de l'accusé de fournir l'échantillon d'haleine nécessaire à la réalisation d'une analyse convenable à l'aide d'un appareil de détection approuvé,

3 - L'intention de l'accusé de produire ce résultat.

[25]             Une fois ces éléments prouvés hors de tout doute raisonnable, il appartient à l'accusé de démontrer, par une preuve prépondérante, qu'il avait une excuse raisonnable pour avoir omis ou refuser d'obtempérer à l'ordre donné

jeudi 7 février 2013

Détermination de la peine relativement à l'infraction de possession de monnaie contrefaite

R. c. Martin, 2012 QCCQ 1215 (CanLII)

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[6] Le Tribunal s’en tiendra aux extraits suivants de la décision du 18 janvier dernier afin de rappeler les faits pertinents.

« [11] Essentiellement, Linda Martin reconnaît avoir utilisé de la monnaie contrefaite, d’avoir effectué des achats avec cette fausse monnaie (les 3 chefs du dossier 550-01-026262-065). Mais elle dit avoir appris, seulement le matin-même de la perquisition pratiquée à son domicile de Jonquière, qu’il y avait dans sa demeure l’importante somme d’argent en question soit environ 535 400 $ en dollars US et plus ou moins 21 500 $ devises canadiennes en fausse monnaie

[30] Notre Cour d’appel préconise depuis fort longtemps une approche axée sur la dissuasion en matière de peines pour des affaires de cette nature.

[31] En 1971 juge Rivard écrivait : « (…) je suis d’opinion que la sentence d’un an est inadéquate et ne comporte pas les conséquences de dissuasion qui me semblent nécessaires pour empêcher ceux-là qui, par l’appât du gain, pourraient être tentés de suivre l’exemple de Sonsalla » (l’accusé). Le père de famille de 38 ans, imprimeur de métier, bon travailleur sans antécédents judiciaires vit sa peine augmentée à quatre ans pour avoir imprimé quelque 24 100 billets de 10 $ chacun.

[32] Le juge Rivard rappelait que la Cour d’appel s’était déjà montrée ferme lorsque le juge Rinfret avait écrit quelques années plus tôt et ce de façon explicite, dans R. c. Lacoste que l’exemplarité devait primer.

[33] Il s’en prenait aux « sentences insignifiantes qui sont bien plus un encouragement à la pratique qu’un détersif valable ». Et, « (…) Même si le criminel n’est pas un récidiviste, la sentence doit en certaines circonstances avoir le caractère punitif et exemplaire».

[34] La sentence d’emprisonnement pour le jeune père de famille sans antécédents qui s’était reconnu coupable de possession de 6 400 billets de 5 $ chacun, passa, malgré les divergences d’opinion exprimées de trois mois à deux ans compte tenu de la sentence déjà purgée.

[35] Ces deux décisions ont été considérées dans de nombreux jugements de nos cours d’instance comme par celles à l’extérieur du Québec.

[36] Dans une décision beaucoup plus contemporaine de notre Cour, et qui fait grand état des propos tenus dans l’affaire Lacoste précitée, juge René de la Sablonnière actualisait la nécessité de traiter sévèrement les possesseurs de fausse monnaie et ceux qui en fabriquent comme c’était le cas dans l’affaire dont il traitait. Il s’inscrivit dans le courant privilégié jusqu’alors mettant l’accent sur la dissuasion et l’exemplarité. Il disait craindre qu’à défaut de ce faire, une peine moindre constituerait pour certains un encouragement à se lancer dans la contrefaçon, opération très lucrative qui se pratique au détriment de l’économie de la société. Il imposa une peine de trois ans de pénitencier à la jeune femme sans antécédents judiciaires, qui tenait un emploi tout en étudiant à l’université. Elle n’était pas seule dans cette opération mais demeurait maître d’œuvre de l’affaire qui impliquait aussi, dans son cas, l’impression des billets.

[37] À Vancouver, un homme de 30 ans sans antécédents judiciaires avait reçu en première instance une peine de neuf mois. Il avait sur sa personne lors de son arrestation 24 billets de 100 $ et en avait écoulé une douzaine avant l’arrestation. Ce jeune travailleur supportait sa femme et deux jeunes enfants[4].

[38] En appel cette peine était maintenue et le juge en chef McEachern affirmait que l’importance de la dissuasion devait primer davantage dans de telles matières que pour bien d’autres infractions.

[39] La Cour d’appel de l’Ontario décida dans R. c. Mankoo qu’une sentence de 23 mois et demi d’emprisonnement était appropriée pour cet homme qui passait autant que 300 000 $ en billets et chèques de voyage. On lui refusa le retrait de plaidoyer et compte tenu de ses antécédents judiciaires et du fait qu’il était en probation lors de la commission des infractions la Cour statua qu’il n’était pas éligible au sursis.

[40] Dans une décision de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick, R. c. Al Saidi, juge Ferguson s’exprima d’une façon fort intéressante :

"[60] There is a parasitic aspect to the offence of passing counterfeit money in that the perpetrators of this type of offence in a calculating way prey on the trusting nature of innocent people, in this case a series of cashiers who find themselves economically at the very base of the retail merchandising paradigm. The offence is calculating and premeditated in its nature since it sometimes involves considerable marketing in order to dupe those who are the intended victims".

[41] Le juge Ferguson fit prévaloir lui aussi, le critère de la dissuasion et compte tenu de la période déjà purgée équivalente à une année de détention imposa une peine de huit mois additionnels à cet individu qui n’avait pas comme l’avait fait ses complices, reconnu sa culpabilité d’avoir utilisé quelque 2 000 $ en billets contrefaits et d’avoir eu possession conjointement avec d’autres de plus de 5 000 $ en billets U.S.A

[53]            Madame Linda Martin purgera une peine de détention ferme de 20 mois pour l’infraction de possession de monnaie contrefaite

Les principes régissant les perquisitions dans des bureaux d’avocats

Directeur des poursuites criminelles et pénales et Shérif de la Chambre criminelle et pénale, 2010 QCCS 2362 (CanLII)

Lien vers la décision

[19] Dans Lavallee, la Cour suprême déclare inconstitutionnel et annule l'article 488.1 du Code criminel qui établissait la procédure permettant de décider si le secret professionnel de l’avocat s’applique aux documents saisis en vertu d’un mandat de perquisition dans un bureau d’avocats.

[20] Dans sa décision, la juge Arbour, pour la majorité, «formule les principes généraux régissant la légalité, en common law, des perquisitions dans des bureaux d’avocats jusqu’à ce que le législateur juge bon d’adopter de nouvelles dispositions législatives sur la question». Le législateur n'a toujours pas adopté de nouvelles dispositions. Cela est malheureux.

[21] Les principes énoncés sont les suivants:

1. Aucun mandat de perquisition ne peut être décerné relativement à des documents reconnus comme étant protégés par le secret professionnel de l’avocat.

2. Avant de perquisitionner dans un bureau d’avocats, les autorités chargées de l’enquête doivent convaincre le juge saisi de la demande de mandat qu’il n’existe aucune solution de rechange raisonnable.

3. Lorsqu’il permet la perquisition dans un bureau d’avocats, le juge saisi de la demande de mandat doit être rigoureusement exigeant, de manière à conférer la plus grande protection possible à la confidentialité des communications entre client et avocat.

4. Sauf lorsque le mandat autorise expressément l’analyse, la copie et la saisie immédiates d’un document précis, tous les documents en la possession d’un avocat doivent être scellés avant d’être examinés ou de lui être enlevés.

5. Il faut faire tous les efforts possibles pour communiquer avec l’avocat et le client au moment de l’exécution du mandat de perquisition. Lorsque l’avocat ou le client ne peut être joint, on devrait permettre à un représentant du Barreau de superviser la mise sous scellés et la saisie des documents.

6. L’enquêteur qui exécute le mandat doit rendre compte au juge de paix des efforts faits pour joindre tous les détenteurs potentiels du privilège, lesquels devraient ensuite avoir une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège et, si cette objection est contestée, de faire trancher la question par les tribunaux.

7. S’il est impossible d’aviser les détenteurs potentiels du privilège, l’avocat qui a la garde des documents saisis, ou un autre avocat nommé par le Barreau ou par la cour, doit examiner les documents pour déterminer si le privilège devrait être invoqué et doit avoir une occasion raisonnable de faire valoir ce privilège.

8. Le procureur général peut présenter des arguments sur la question du privilège, mais on ne devrait pas lui permettre d’examiner les documents à l’avance. L’autorité poursuivante peut examiner les documents uniquement lorsqu’un juge conclut qu’ils ne sont pas privilégiés.

9. Si les documents scellés sont jugés non privilégiés, ils peuvent être utilisés dans le cours normal de l’enquête.

10. Si les documents sont jugés privilégiés, ils doivent être retournés immédiatement au détenteur du privilège ou à une personne désignée par la cour

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Executing Warrants for Digital Evidence: The Case for Use Restrictions on Nonresponsive Data

Lien vers le document Kerr, Orin S., Executing Warrants for Digital Evidence: The Case for Use Restrictions on Nonresponsive Data (July 9, 2...