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mercredi 29 mai 2013

Détermination de la peine en matière de vol qualifié

R. c. Lubin Durand, 2012 QCCS 6713 (CanLII)

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[33]        La procureure de l’accusé soumet les précédents jurisprudentiels suivants :
a)   R. c. Vandal, J.E. 2002-621 (C.Q.)
L’accusé âgé de 33 ans a reconnu sa culpabilité sous neuf chefs d’accusation reliés à trois séries d’événements.
Le premier, un vol qualifié au cours duquel il a utilisé une fausse arme à feu, a séquestré ou saisi de force le gardien, a eu en sa possession, sans excuse légitime, des instruments servant à une introduction par effraction et s’est déguisé lors de la perpétration de l’infraction.
Le deuxième, une introduction par effraction dans une mine pour y voler des explosifs et la possession, sans excuse légitime, de ces explosifs.
Le troisième, un complot pour commettre un autre vol d’explosifs à la même mine.
L’accusé a des antécédents judiciaires de vol et recel, il n’affiche pas de remords face à ses victimes et il présente, selon un rapport de probation, des risques de récidive. Selon le juge d’instance, même si le pronostic à court terme n’est pas favorable, il n’en demeure pas moins que l’accusé est jeune et que son intelligence et sa grande capacité d’adaptation laissent entrevoir une possibilité de réhabilitation. Tenant compte de cent quarante-sept (147) jours que l’accusé a passés en détention préventive, soit l’équivalent de dix (10) mois de détention, le juge lui impose les peines suivantes : un emprisonnement de dix-huit (18) mois pour le vol qualifié et de douze (12) mois consécutifs pour l’usage d’une fausse arme à feu, douze (12) mois concurrents pour séquestration, possession d’outils de cambriolage et déguisement dans un dessein criminel pour un total de trente (30) mois, dix (10) mois pour introduction par effraction et quatre (4) mois consécutifs pour complot, ces peines consécutives à celle de trente (30) mois, pour un total de quarante‑quatre (44) mois d’emprisonnement.
b)   R. Constantineau 2012 QCCA 1312 (CanLII), (2012 QCCA 1312)
L’accusé, dont l’âge n’est pas mentionné dans l’arrêt, a commis un complot, un vol qualifié et des voies de fait alors qu’il portait une arme. Le juge de première instance lui a imposé une peine de seize (16) mois de détention, moins la détention provisoire de deux cent sept (207) jours. La Cour d’appel rejette la requête du ministère public pour permission d’en appeler de la peine. Elle écrit :
[4]         Le juge de première instance a tenu compte du témoignage de l'agent de probation qui écrit ce qui suit dans son rapport :
Par le passé, monsieur a fait montre d'un manque de conformisme en omettant de réaliser ses travaux communautaires en 2009, mais il a exécuté, avec satisfaction de la ressource, les travaux prescrits en 2010. Au cours des quatre dernières années, nous constations que monsieur a diminué ses agirs délictueux, il a stabilisé sa vie en travaillant et il a commencé à changer son réseau social alors nous croyons qu'il s'est mobilisé dans un certain changement.
Ceci dit, la présente mesure de détention préventive semble avoir eu les effets escomptés. Le sujet est davantage conscient des pertes encourues dans sa vie, il reconnaît ses problématiques et une mobilisation est amorcée. Nous constatons que le degré de malaise est bien présent et la volonté de changement l'est également. Son projet de réinsertion sociale est réalisable avec un encadrement serré et le support des siens (famille, conjointe et ami), diminuant ainsi le risque de récidive en matière criminelle.
Pour ce faire, monsieur doit demeurer abstinent (l'alcool / drogues), éviter les pairs déviants (consommateurs) et maintenir un emploi déclaré. De plus, il devra effectuer un suivi psychosocial afin d'aborder les problèmes susmentionnés et développer de nouvelles stratégies d'adaptation.
[34]        Dans R. c. Deschênes[4]le juge Claude C. Gagnon, j.c.s., passe en revue plusieurs précédents jurisprudentiels :
22.1      R. c. Corkum [1997] N.S.J. no. 421 (N.S. Sup. Court) :
w         L’accusé de 26 ans a commis deux vols qualifiés en menaçant ses victimes avec une note écrite.  Ses nombreux antécédents comprennent une condamnation à trente mois pour  vol qualifié.  La peine prononcée est de cinq (5) ans de prison.
R. c. A.D.P.  [2005] B.C.J. no 2737 (B.C.C.A.)
La Cour d’appel inflige à un accusé de 37 ans, déjà condamné à seize (16) mois et à quatre (4) ans pour des vols qualifiés, à une peine de six (6) ans en lieu et place de la peine avec sursis imposée en première instance.  L’accusé avait alors volé sous la menace trois postes d’essence de sommes d’argent inférieures à 150,00 $ en menaçant les commis.

R. c. MacDonald - 2006 B.C.C.A. 535
w         La Cour réduit de huit (8) à quatre (4) ans la peine d’un accusé de 45 ans, au long casier judiciaire, qui a commis deux vols à la pointe d’un couteau parce que le premier juge n’a pas suffisamment considéré une période d’accalmie de douze (12) années pendant laquelle MacDonald n’avait pas été condamné et avait travaillé régulièrement.
22.4      R. c. Allin – 2001 B.C.C.A. 710
w         La Cour confirme une peine de vingt-quatre (24) mois de prison pour vol qualifié consécutive à une peine de seize (16) mois. Le crime est commis dans une banque où l’accusé a exhibé au commis une note menaçante.  Allin a un passé judiciaire comprenant vingt-huit (28) condamnations dont deux (2) pour des vols qualifiés.  Au moment du vol reproché, la dépendance de l’accusé à la drogue était hors de contrôle.
22.5      R. c. Craig [2007] B.C.P.C. 144
w         L’accusé est condamné à cinq (5) ans de prison pour deux vols qualifiés dans des banques, commis au moyen de notes menaçantes.  Craig, 27 ans, avait un problème de dépendance à la drogue et cinq (5) antécédents judiciaires de vols qualifiés.  Les crimes reprochés avaient été commis peu de temps après sa sortie de prison et alors qu’il était encore sous libération conditionnelle.
22.6      R. c. Packwood [1991] A.Q. no 221 (C.A.Q.)
w         La Cour d’appel réduit à quatre (4) ans la peine pour un vol qualifié commis par un accusé déjà condamné à douze (12) reprises pour vol qualifié en treize (13) ans.  La peine est réduite en raison de la probabilité raisonnable de réhabilitation.
22.7      R. c. Dionne [2004 ] B.C.C.A.
w         La Cour confirme, dans le cas de l’appelant, la peine de trois (3) ans prononcée en première instance pour un vol qualifié commis par trois (3) individus en usant de menaces implicites.  L’accusé, qui était resté à l’extérieur de la banque, avait déjà à son passif onze (11) condamnations antérieures pour de tels crimes.  Le Tribunal note cependant que la peine se situe « at the very low end of the range for this offence committed by this offender… »
23.1      R. c. Upton (2006) B.C.P.C. 496.
w         L’accusé, qui avait un problème de dépendance à la drogue, a commis trois (3) vols qualifiés en exhibant une note évoquant la possibilité qu’il devienne violent.  Au moment de ses crimes, il était sous libération conditionnelle suite à une condamnation de cinquante-quatre (54) mois pour vol qualifié.  Le Tribunal lui impose une peine de six (6) ans consécutive à la partie non purgée de sa peine précédente.
23.2      R. c. D. (D.A.) 2001 S.K.C.A. 14
w         L’accusé a commis deux (2) vols qualifiés en présentant des notes menaçantes à des commis féminins où il exigeait l’argent de leurs caisses.  Il avait déjà été condamné à une cinquantaine de reprises et était en libération conditionnelle au moment de la commission des crimes reprochés, suite à une condamnation à cinq (5) ans pour vol à main armée.  Le Tribunal infirme la peine de quatre ans et demi (4 ½) imposée par le premier juge et impose plutôt huit (8) années de détention.
23.3      R. c. Bezdan – 2001 B.C.C.A. 215
w         L’accusé se présente dans une banque et remet au commis une note dans laquelle il exige la remise de l’argent.  Condamné à plusieurs reprises, dont sept (7) fois pour vol qualifié au cours des quinze (15) dernières années, l’accusé était toujours sous probation lors du vol de banque.  La Cour d’appel confirme une peine de cinq (5) années parce que le premier juge avait eu raison, compte tenu des faibles probabilités de réhabilitation, de faire primer la protection du public dans le cas de l’accusé qui a l’habitude de commettre des vols qualifiés pour satisfaire sa dépendance à la cocaïne.

23.4      R. c. Kirby (06-04-1992) C.A. Montréal 500-10-000350-916 (1992) (C.A. Québec)
w         L’accusé plaide coupable à un vol de deux cent soixante dollars (260,00 $) commis en exhibant une note menaçante à une caissière. Âgé de 29 ans, il est un consommateur abusif de drogue et d’alcool depuis plus de dix (10) ans et a commis plusieurs vols qualifiés pour satisfaire à sa dépendance.  La Cour d’appel réduit de cinq (5) à deux (2) ans moins un (1) jour sa peine pour tenir compte de la possibilité réelle de réhabilitation de l’accusé.
[35]        Cette revue amène le juge Gagnon à conclure :
[25]      L’expérience judiciaire nous enseigne donc que les peines pour le vol qualifié commis en utilisant la menace et sans causer de lésions corporelles aux victimes, varient entre deux (2) et neuf (9) ans pour un récidiviste en semblable matière.
[36]        Les facteurs atténuants dans la présente affaire sont :
•         les plaidoyers de culpabilité;
•         l’âge relativement jeune de l’accusé, 33 ans, au moment de la commission des infractions;
•         le fait qu’il n’a été, entre le 1er août 2008 et le 12 mai 2011, soit pendant près de trois ans, impliqué dans aucune infraction de nature criminelle, si ce n’est celle pour laquelle il se trouvait, le 12 mai 2011, en liberté sur engagement dans un dossier où on lui reproche d’avoir fait souffrir inutilement un animal, accusation dont l’issue n’est pas connue au moment de l’audition et du prononcé de la peine;
•         le fait qu’il ait occupé pendant plus d’un an des emplois à la satisfaction de ses employeurs;
•         l’absence d’antécédents judiciaires de vol qualifié;
•         l’absence de preuve quant à des séquelles à moyen ou long terme chez la victime du vol qualifié;
•         le fait que l’accusé exprime des regrets à l’endroit de cette victime, bien que sa sincérité paraît peu certaine.
[37]        Les facteurs aggravants sont les suivants :
•         la gravité objective des délits, particulièrement celle pour vol qualifié;
•         la préméditation dans la commission du vol qualifié : il a établi le lien entre ses deux complices Deschênes et Beaudry, a préparé les tuques aux fins de déguisement, a préparé l’utilisation d’une fausse arme à feu;
•         l’utilisation de voies de fait contre la victime de vol qualifié, bien que cette dernière n’ait pas souffert de lésions corporelles;
•         la tentative de minimiser sa participation et de faire porter une plus grande part de responsabilité sur une complice;
•         le nombre d’antécédents judiciaires dont vol, introduction par infraction, voies de fait et menaces et vingt (20) bris de probation ou d’ordonnance;
•         le fait que l’accusé était en liberté sous engagement au moment de la commission des crimes.
[41]        CONDAMNE Hérold Steve Lubin Durand aux peines d’emprisonnement suivantes :
a)            Sur le deuxième chef d’accusation, vol qualifié : un emprisonnement de trente (30) mois;
b)            Sur le troisième chef d’accusation, utilisation d’une fausse arme à feu lors de la perpétration d’un vol qualifié : un emprisonnement de douze (12) mois consécutifs;
c)            Sur le quatrième chef d’accusation, déguisement dans l’intention de commettre un acte criminel : un emprisonnement de six (6) mois concurrents;
pour un total de quarante-deux (42) mois d’emprisonnement, desquels doit être déduit le temps déjà couru depuis le 25 août 2011 jusqu’à ce jour, soit quinze (15) mois et douze (12) jours, ce qui établit la peine à être purgée à vingt-six (26) mois et dix-huit (18 jours), à compter de ce jour;

L’accusation d’abus de confiance par un fonctionnaire public constitue une infraction d’intention générale

R. c. Lavigne, 2011 ONSC 1335 (CanLII)

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[95] Comme l’accusation d’abus de confiance par un fonctionnaire public constitue une infraction d’intention générale, je conclus, en me fondant sur l’ensemble de la preuve que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable, que l’accusé avait l’intention générale d’utiliser son poste de fonctionnaire, à savoir un sénateur ayant autorité sur son adjoint à la recherche, afin d’utiliser les services de cet adjoint dans le but d’obtenir un bénéfice pécuniaire personnel, à savoir faire abattre des arbres sur son fonds de terre à des fins autres que l’intérêt public.

Actus reus et mens rea de l’infraction d’abus de confiance prévue à l’art. 122

R. c. Boulanger, 2006 CSC 32 (CanLII), [2006] 2 RCS 49

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2.4.1 Actus Reus

49 Il ressort clairement des premières décisions que la multitude de conduites visées par l’abus de confiance rend difficile la définition de l’actus reus de l’infraction. Dans Perreault, le juge Baudouin a conclu que, sous réserve de l’exigence d’un bénéfice, tout acte ou omission contraire à un devoir imposé par la loi, un règlement, le contrat d’emploi ou une directive relative aux fonctions de la charge ou de l’emploi pouvait entraîner l’application de l’art. 122 du Code criminel. Cela va dans le sens de l’arrêt Campbell, rendu antérieurement, selon lequel l’infraction est [traduction] « assez large pour englober tout manquement aux normes de responsabilité et de conduite applicables à l’accusé en raison de la nature de sa charge de haut fonctionnaire » (p. 255).

50 Il est certain qu’une description de l’infraction qui tenterait de la restreindre à des actes ou omissions précis ne permettrait pas de prévoir toutes les circonstances pouvant constituer un abus de confiance par un fonctionnaire. Cela dit, tout manquement aux normes de conduite applicables, quelle qu’en soit la gravité, ne constituera pas nécessairement un abus de confiance. Par exemple, il se peut que l’utilisation de l’ordinateur de bureau à des fins personnelles aille à l’encontre d’une ligne directrice relative à l’emploi, mais ce n’est pas du même ordre que l’abus de confiance. La notion d’abus de confiance par un fonctionnaire perdrait son sens si le seuil était placé aussi bas. Un tel seuil ne tiendrait pas compte non plus des règlements, lignes directrices et codes d’éthique auxquels les fonctionnaires sont assujettis et dont beaucoup prévoient de lourdes sanctions disciplinaires.

51 Il importe également de se rappeler que l’abus de confiance n’est pas la seule infraction criminelle visant les fonctionnaires. Par exemple, selon l’al. 121(1)c), commet une infraction le fonctionnaire ou l’employé de l’État qui accepte d’une personne qui a des relations d’affaires avec le gouvernement une commission, une récompense, un avantage ou un bénéfice. Un fonctionnaire peut être poursuivi pour fraude en vertu de l’art. 122 ou en vertu de l’art. 380. De plus, il peut, comme n’importe qui d’autre, être poursuivi pour toute infraction criminelle, dont le vol (art. 334), l’extorsion (art. 346) et l’entrave à la justice (art. 139) et, dans des circonstances comme celles de Dytham, la négligence criminelle causant la mort (art. 220) ou des lésions corporelles (art. 221). Quel est l’objet de l’art. 122 du Code criminel, autre que celui de ces autres infractions?

52 L’objet de l’infraction d’action fautive dans l’exercice d’une charge ou d’un emploi publics — qui est maintenant l’abus de confiance par un fonctionnaire prévu à l’art. 122 — remonte aux anciennes jurisprudence et doctrine qui reconnaissent que les attributions des fonctionnaires leur sont confiées pour le bien public. Le public a le droit de s’attendre à ce que les fonctionnaires investis de ces pouvoirs et responsabilités s’acquittent de leurs fonctions pour le bien public. Les fonctionnaires doivent répondre de leurs actions devant le public d’une façon qui ne s’impose peut‑être pas aux acteurs privés. Toutefois, cela n’a jamais voulu dire qu’ils étaient tenus à la perfection sous peine d’être déclarés coupables d’actes criminels; les « simples erreurs » et les « erreurs de jugement » ont toujours été exclues de l’infraction. Il faut davantage pour établir l’infraction d’abus de confiance par un fonctionnaire. La conduite en cause doit s’accompagner de la mens rea requise et elle doit aussi être suffisamment grave pour passer du domaine de la faute administrative à celui du comportement criminel. Cette préoccupation se reflète clairement dans l’exigence de gravité énoncée dans Shum Kwok Sher et dans Attorney General’s Reference. Il faut [traduction] « une conduite si éloignée des normes acceptables qu’elle équivaut à un abus de la confiance du public envers le titulaire de la charge ou de l’emploi publics » (Attorney General’s Reference, par. 56). Comme il est mentionné dans R. c. Creighton, 1993 CanLII 61 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 3, « [e]n droit, nul n’est inconsidérément qualifié de criminel » (p. 59).

53 Les questions posées dans Shum Kwok Sher par Sir Anthony Mason, de la Cour de dernier ressort de Hong Kong, définissent bien les paramètres de l’examen à effectuer pour déterminer si la conduite s’écarte substantiellement des normes reconnues. Cet examen doit tenir compte des responsabilités de la charge ou de l’emploi et de l’importance des fins publiques poursuivies :

[traduction] La gravité, dans le présent contexte, s’évalue compte tenu des responsabilités de la charge, ou de l’emploi, et de son titulaire, de l’importance des fins publiques auxquelles elles s’attachent ainsi que de la nature et de la portée du manquement à ces responsabilités. [Je souligne; par. 86.]

54 Le critère applicable dans cet examen est analogue à celui se rapportant à la négligence criminelle. Relativement à cette dernière infraction, il a fallu, comme pour l’abus de confiance par un fonctionnaire, distinguer la conduite suffisamment grave pour mériter une sanction criminelle de la conduite moins grave, exposant simplement à une sanction civile ou administrative. Pour établir cette distinction, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé, dans R. c. Rajic 1993 CanLII 3423 (ON CA), (1993), 80 C.C.C. (3d) 533, qu’il doit s’agir d’une conduite s’écartant [traduction] « de façon marquée » d’une conduite prudente. La Cour suprême du Canada a entériné ce raisonnement dans des affaires de conduite dangereuse, affirmant que le comportement en cause doit représenter un écart « marqué » par rapport à la norme de diligence qu’observerait une personne raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances : R. c. Hundal, 1993 CanLII 120 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 867. De même, il faut que la conduite d’un fonctionnaire s’écarte de façon « marquée » des normes auxquelles une personne placée dans un poste de confiance comme le sien est censée se conformer. Toutefois, contrairement à la négligence criminelle, l’abus de confiance par un fonctionnaire nécessite un élément moral subjectif, que je vais maintenant examiner ci‑après.

2.4.2 Mens Rea

55 Dans les anciennes affaires de common law, l’élément moral de la faute dans l’exercice d’une charge ou d’un emploi publics était imprécis et il variait d’une affaire à l’autre. Cependant, les juges des tribunaux de common law ont toujours insisté sur l’existence d’une quelconque intention vile ou malhonnête. Celle‑ci est décrite sous différents termes : malhonnêteté, corruption, partialité, abus. Mais ces termes expriment tous le même souci, à savoir que les fonctionnaires, investis de fonctions à accomplir pour le bien public, s’en acquittent honnêtement et dans l’intérêt public et qu’ils n’abusent pas de leur charge pour des motifs illicites, notamment la corruption.

56 Conformément aux principes fondamentaux du droit criminel, le degré de culpabilité morale requis était élevé dans le cas de l’action fautive commise dans l’exercice d’une charge ou d’un emploi publics. Les simples erreurs n’étaient pas suffisantes, les erreurs de jugement non plus. Comme le juge en chef Abbott l’a écrit dans Borron :

[traduction] . . . il s’agit toujours de se demander non pas si les actes accomplis peuvent être jugés strictement corrects après examen approfondi, mais bien quels en étaient les fondements : procédaient‑ils d’un motif de malhonnêteté, d’abus ou de corruption — description pouvant généralement comprendre la crainte et le favoritisme — ou de simples erreurs? Ce n’est que dans le premier cas qu’ils donnent ouverture à châtiment. [p. 721‑722]


En principe, la mens rea de l’infraction réside dans l’intention d’user de sa charge ou de son emploi publics à d’autres fins que l’intérêt public. En pratique, elle a toujours été associée au fait d’en user dans un objectif de malhonnêteté, de partialité, de corruption ou d’abus, lesquels représentent le motif non public visé par l’infraction.

57 Comme pour toute infraction, la mens rea s’infère des circonstances. La tentative de l’accusé de camoufler ses actions peut souvent indiquer une intention illicite (Arnoldi) et l’obtention d’un avantage personnel substantiel, que l’accusé a agi dans son propre intérêt plutôt que dans celui du public. Cependant, un avantage obtenu par un fonctionnaire ne permet pas nécessairement de conclure à l’existence d’une intention coupable. L’exercice légitime d’un pouvoir public par un fonctionnaire confère souvent des avantages indirects. Comme le juge Widgery (plus tard Juge en chef) l’a signalé dans R. c. Llewellyn‑Jones (1966), 51 Cr. App. Rep. 4, p. 7 :

[traduction] . . . je ne suis pas disposé à affirmer qu’un greffier rendant une décision qui a effectivement influé sur ses intérêts personnels est coupable d’inconduite simplement parce qu’il savait que ses intérêts étaient en cause, s’il a pris la décision honnêtement en croyant sincèrement qu’il exerçait correctement sa compétence pour ce qui est des bénéficiaires et des autres personnes visées. [Cité par le lord juge en chef Widgery dans Dytham, p. 394.]

Par contre, l’infraction peut être établie lorsqu’il n’est pas question d’avantage personnel

2.4.3 Résumé de l’infraction

58 Je conclus qu’il y aura preuve d’abus de confiance par un fonctionnaire lorsque le ministère public aura prouvé hors de tout doute raisonnable les éléments suivants :

1. l’accusé est un fonctionnaire;

2. l’accusé agissait dans l’exercice de ses fonctions;

3. l’accusé a manqué aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge ou de son emploi;

4. la conduite de l’accusé représente un écart grave et marqué par rapport aux normes que serait censé observer quiconque occuperait le poste de confiance de l’accusé;

5. l’accusé a agi dans l’intention d’user de sa charge ou de son emploi publics à des fins autres que l’intérêt public, par exemple dans un objectif de malhonnêteté, de partialité, de corruption ou d’abus.

L'état du droit concernant l'aide et l'encouragement

R. c. Briscoe, 2010 CSC 13 (CanLII)

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[13] Le droit criminel canadien ne fait pas de distinction entre l’auteur principal d’une infraction et les participants à l’infraction pour déterminer la responsabilité criminelle. Selon le par. 21(1) du Code criminel, les personnes qui commettent une infraction et celles qui les aident et les encouragent à la commettre sont également responsables :

(...)

La personne qui fournit l’arme peut donc être déclarée coupable de la même infraction que la personne qui a appuyé sur la gâchette. L’actus reus et la mens rea relatifs à l’aide ou à l’encouragement sont toutefois différents de ceux de l’infraction principale.

[14] L’actus reus de l’aide ou de l’encouragement consiste à accomplir (ou, dans certaines circonstances, à omettre d’accomplir) une chose qui aide ou encourage

l’auteur de l’infraction à commettre cette dernière. Bien qu’on ait l’habitude de considérer l’aide et l’encouragement ensemble, ce sont deux concepts distincts, et la responsabilité peut découler de l’un comme de l’autre. De façon générale, « [a]ider, au sens de l’al. 21(1)b), signifie assister la personne qui agit ou lui donner un coup de main. [. . .] Encourager, au sens de l’al. 21(1)c), signifie notamment inciter et instiguer à commettre un crime, ou en favoriser ou provoquer la perpétration » : R. c. Greyeyes, 1997 CanLII 313 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 825, par. 26. L’actus reus n’est pas en cause dans le présent pourvoi. Comme je l’ai déjà souligné, le ministère public a fait valoir au procès que M. Briscoe avait aidé et encouragé à commettre les infractions. La conclusion du juge du procès selon laquelle M. Briscoe a posé les quatre actes d’assistance décrits précédemment n’est pas contestée.

[15] Évidemment, accomplir ou omettre d’accomplir une chose qui a pour effet d’aider une autre personne à commettre un crime ne suffit pas à engager la responsabilité criminelle. Comme l’a souligné la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. F. W. Woolworth Co. (1974), 3 O.R. (2d) 629, [traduction] « une personne ne se rend pas coupable en louant ou en prêtant une voiture pour des activités commerciales ou récréatives légitimes simplement parce que la personne à qui elle a prêté ou loué la voiture décide au cours de l’utilisation de transporter des articles volés, ou en louant une maison à des fins résidentielles à un locataire qui l’utilise à son insu pour entreposer des drogues » (p. 640). La personne qui aide ou qui encourage doit aussi avoir l’état d’esprit requis ou la mens rea requise. Plus précisément, aux termes de l’al. 21(1)b), la personne doit avoir prêté assistance en vue d’aider l’auteur principal à commettre le crime.

[16] L’exigence de la mens rea qui ressort de l’expression « en vue de » à l’al. 21(1)b) comporte deux éléments : l’intention et la connaissance. En ce qui concerne l’élément d’intention, il a été établi dans R. c. Hibbert, 1995 CanLII 110 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 973, que l’expression « en vue de » de l’al. 21(1)b) devrait être considérée comme étant essentiellement synonyme d’« intention ». Le ministère public doit établir que l’accusé avait l’intention d’aider l’auteur principal à commettre l’infraction. La Cour a insisté sur le fait que les mots « en vue de » ne devraient pas être interprétés comme incorporant la notion de « désir » dans l’exigence de faute pour que la responsabilité du participant soit engagée. Il n’est donc pas nécessaire que l’accusé désire que l’infraction soit perpétrée avec succès (Hibbert, par. 35). La Cour a conclu, au par. 32, que les conséquences malencontreuses qui découleraient d’une interprétation de l’al. 21(1)b) voulant que l’expression « en vue de » s’entende d’un « désir » étaient clairement illustrées par la situation hypothétique suivante décrite par Mewett et Manning :

[traduction] Un homme se fait dire par un ami qu’il va dévaliser une banque, qu’il aimerait utiliser sa voiture pour s’enfuir et qu’il lui versera 100 $ en échange de ce service. Lorsqu’il est [. . .] accusé, en vertu de l’art. 21, d’avoir accompli quelque chose en vue d’aider son ami à commettre l’infraction, cet homme peut‑il dire « Mon but était non pas d’aider à commettre le vol, mais de gagner 100 $ »? Il soutiendrait que, même s’il savait qu’il aidait à commettre le vol, son désir était d’obtenir les 100 $ et il lui était parfaitement égal que le vol réussisse ou non.

(A. W. Mewett et M. Manning, Criminal Law (2e éd. 1985), p. 112)

Ce raisonnement s’applique sans égard à l’infraction principale en cause. Même à l’égard du meurtre, il n’y a aucune « [autre exigence voulant] que celui qui aide ou encourage à commettre une infraction approuve ou désire subjectivement la mort de la victime » (Hibbert, par. 37 (soulignement omis)).

[17] En ce qui concerne l’élément de connaissance, l’intention d’aider à commettre une infraction suppose que la personne doit savoir que l’auteur a l’intention de commettre le crime, bien qu’elle n’ait pas à savoir précisément la façon dont il sera commis. Il relève tout simplement du bon sens qu’il faut avoir une connaissance suffisante pour avoir l’intention requise. Dans R. c. Maciel, 2007 ONCA 196 (CanLII), 2007 ONCA 196, 219 C.C.C. (3d) 516, le juge Doherty donne cette explication fort utile de l’exigence de connaissance, laquelle est tout à fait pertinente en l’espèce (par. 88‑89) :

[traduction] . . . il faut établir que la personne accusée d’avoir aidé à commettre un meurtre savait que l’auteur du crime avait l’intention requise pour commettre un meurtre tel qu’il est décrit à l’al. 229a) : R. c. Kirkness 1990 CanLII 57 (SCC), (1990), 60 C.C.C. (3d) 97 (C.S.C.) p. 127.

Cette analyse s’applique lorsqu’il est allégué que l’accusé a aidé l’auteur dans la perpétration d’un meurtre au premier degré qui était prémédité et de propos délibéré. L’accusé n’est coupable d’avoir fourni une aide que s’il a fait quelque chose qui a pour effet d’aider l’auteur à commettre le meurtre prémédité et s’il l’a fait en vue d’aider l’auteur dans la perpétration d’un tel meurtre. Avant que l’on puisse conclure que le complice avait l’intention requise, le ministère public doit prouver qu’il savait que le meurtre était prémédité et de propos délibéré. La question de savoir si cette personne a acquis cette connaissance en participant à la préméditation, ou autrement, n’est pas pertinente pour juger de sa culpabilité en application du par. 21(1).

[18] Il est important de souligner que le juge Doherty, en faisant référence à l’arrêt R. c. Kirkness, 1990 CanLII 57 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 74, de la Cour, a raison de dire que la personne qui a aidé à commettre le meurtre devait « sav[oir] que l’auteur du crime avait l’intention requise pour commettre un meurtre ». Bien que certains passages de l’arrêt Kirkness puissent être interprétés comme exigeant que le complice partage l’intention du meurtrier de tuer la victime, l’arrêt doit maintenant être interprété à la lumière de l’analyse susmentionnée tirée de l’arrêt Hibbert. La personne qui aide ou qui encourage doit connaître l’intention de l’auteur de tuer la victime, sans toutefois nécessairement la partager. Il ne faut pas interpréter de l’arrêt Kirkness qu’il existe une exigence que celui ou celle qui aide ou qui encourage l’auteur principal d’un meurtre ait la même mens rea que le véritable tueur. Il suffit que, connaissant l’intention de l’auteur de commettre le crime, cette personne agisse avec l’intention d’aider l’auteur à le commettre. Ce n’est qu’en ce sens qu’il est possible de dire que celui ou celle qui aide ou qui encourage doit avoir l’intention que l’infraction principale soit commis

Exposé de la Cour Suprême sur ce que constitue l’ignorance volontaire

R. c. Briscoe, 2010 CSC 13 (CanLII)

Lien vers la décision

[21] L’ignorance volontaire ne définit pas la mens rea requise d’infractions particulières. Au contraire, elle peut remplacer la connaissance réelle chaque fois que la connaissance est un élément de la mens rea. La doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance à l’accusé qui a des doutes au point de vouloir se renseigner davantage, mais qui choisit délibérément de ne pas le faire. Voir Sansregret c. La Reine, 1985 CanLII 79 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 570, et R. c. Jorgensen, 1995 CanLII 85 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 55. Comme l’a dit succinctement le juge Sopinka dans Jorgensen (par. 103), « [p]our conclure à l’ignorance volontaire, il faut répondre par l’affirmative à la question suivante : L’accusé a‑t‑il fermé les yeux parce qu’il savait ou soupçonnait fortement que s’il regardait, il saurait? »

[22] Les tribunaux et les auteurs ont, je tiens à le rappeler, toujours insisté sur le fait que l’ignorance volontaire se distingue de l’insouciance. Comme l’a expliqué la Cour dans Sansregret (p. 584) :

. . . alors que l’insouciance comporte la connaissance d’un danger ou d’un risque et la persistance dans une conduite qui engendre le risque que le résultat prohibé se produise, l’ignorance volontaire se produit lorsqu’une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu’elle ne veut pas connaître la vérité. Elle préfère rester dans l’ignorance. La culpabilité dans le cas d’insouciance se justifie par la prise de conscience du risque et par le fait d’agir malgré celui‑ci, alors que dans le cas de l’ignorance volontaire elle se justifie par la faute que commet l’accusé en omettant délibérément de se renseigner lorsqu’il sait qu’il y a des motifs de le faire. [Je souligne.]

[23] Il est important de distinguer les concepts d’insouciance et d’ignorance volontaire. Glanville Williams explique comme suit la principale restriction à la doctrine :

[traduction] La règle selon laquelle l’ignorance volontaire équivaut à la connaissance est essentielle et se rencontre partout dans le droit criminel. En même temps, c’est une règle instable parce que les juges sont susceptibles d’en oublier la portée très limitée. Une cour peut valablement conclure à l’ignorance volontaire seulement lorsqu’on peut presque dire que le défendeur connaissait réellement le fait. Il le soupçonnait; il se rendait compte de sa probabilité; mais il s’est abstenu d’en obtenir confirmation définitive parce qu’il voulait, le cas échéant, être capable de nier qu’il savait. Cela, et cela seulement, constitue de l’ignorance volontaire. Il faut en effet qu’il y ait conclusion que le défendeur a voulu tromper l’administration de la justice. Toute définition plus générale aurait pour effet d’empêcher la distinction entre la doctrine de l’ignorance volontaire et la doctrine civile de la négligence de se renseigner. [Je souligne.]

(Criminal Law : The General Part (2e éd. 1961), p. 159 (cité dans Sansregret, p. 586).)

[24] Le professeur Don Stuart fait utilement remarquer que l’expression [traduction] « ignorance délibérée » semble plus descriptive que l’expression « aveuglement volontaire », étant donné qu’elle suggère l’idée d’[traduction] « un processus réel de suppression des soupçons ». Considéré, comme il se doit, dans cette optique, [traduction] « le concept d’ignorance volontaire a une portée restreinte et ne s’écarte pas de l’analyse subjective du fonctionnement de l’esprit de l’accusé » (Canadian Criminal Law : A Treatise (5e éd. 2007), p. 241). Si le défaut de se renseigner peut être une preuve d’insouciance ou de négligence criminelle, par exemple lorsque le défaut de se renseigner constitue un écart marqué par rapport à la conduite d’une personne raisonnable, l’ignorance volontaire n’est pas un simple défaut de se renseigner, mais, pour reprendre les termes du professeur Stuart, une « ignorance délibérée ».

mardi 28 mai 2013

Les droits du tiers à la restitution de tout ou partie du bien en vertu de l'article 462.41 (3)

R. c. Kelly, 2013 QCCA 558 (CanLII)


[32]        Pour avoir droit à la restitution de tout ou partie du bien en vertu de l'article 462.41 (3) C.cr., le tiers doit donc démontrer qu'il ne tient pas le droit dont il se réclame d'une personne qui a été déclarée coupable ou est accusée de l'infraction désignée et convaincre qu'il est innocent de toute collusion ou complicité à l'égard de l'infraction.
[33]        En l'espèce, l'intimée, prête-nom, n'a pas de droit, mais un titre qui n'est qu'apparent en raison de sa collusion avec l'accusé. De plus, sa collusion est établie.
[34]        En l'instance, l'intimée ne pouvait prétendre à une relation innocente avec l'accusé alors qu'il est reconnu qu'elle savait que l'argent ne pouvait provenir que des produits de la criminalité et qu'elle agissait à titre de prête-nom en toute connaissance de cause.
[35]        Comme elle ne peut réclamer un titre de propriété ou droit réel dans la propriété, sa réclamation n'est qu'une créance personnelle contre son frère.
[36]        Il est établi que l'intimée a, dès avril 2007 et jusqu'à la date du procès en décembre 2010, prétendu sous serment et continué à prétendre qu'elle était la véritable propriétaire de l'immeuble. Ce faisant, elle continuait la manœuvre frauduleuse qui avait pour but de soustraire un produit de la criminalité à la confiscation.
[37]        L'intimée s'est opposée au blocage et à la confiscation pendant près de quatre ans. Voilà la cause véritable de son appauvrissement. Sans ses démarches frivoles, la confiscation et la prise en charge des dépenses par l'appelante auraient pu se faire bien avant.
[38]        Je rappelle que le jugement reconnaît sa collusion avec l'accusé, les procédures qu'elle a entreprises ne sont que la conséquence logique et la continuation de cette manœuvre frauduleuse.  Lorsque l'intimée s'acquitte de diverses dépenses rattachées à l'immeuble, elle ne fait que payer les dettes personnelles qu'elle a contractées vis-à-vis de tiers, c'est-à-dire le créancier hypothécaire, le syndicat des copropriétaires et les autorités municipales et scolaires.
[39]        Mais il y a plus. Non seulement l'intimée ne se qualifie pas au sens de l'article 462.41 C.cr. en raison de sa participation à la manœuvre de son frère, mais le type de droit qu'elle réclame ne se qualifie pas non plus alors que l'article 462.41 C.cr. autorise le juge à ordonner la restitution totale ou partielle du bien qui serait autrement confisqué. La réclamation de l'intimée ne porte pas sur tout ou partie du bien, mais relève d'une créance accrue à l'égard de ce bien et qui ne confère aucun droit réel dans le bien.
[40]        Cette différence permet de distinguer les faits de la présente affaire de ceux à l'origine du jugement de la Cour supérieure de l'Ontario dans 1431633 Ontario Inc. c. Her Majesty The Queen, où le juge Molloy, nonobstant le fait que certaines conditions essentielles à la constitution de l'équivalent en Ontario d'une hypothèque légale de la construction n'étaient pas remplies, avait conclu que l'incorporation de matériaux au bien confisqué avait accru la valeur de ce bien. Le juge de première instance s'appuie sur les paragraphes 48 et 49 de ce jugement pour faire un rapprochement entre les faits de la présente affaire et ceux auxquels la Cour supérieure de l'Ontario était confrontée. Voici donc le passage sur lequel s'appuie le juge de première instance :
[48]      […] it seems clear that Rona has suffered a deprivation.  It supplied goods for which it was entitled to receive payment, those goods were used in the construction to enhance the value of the property, and it has not been paid.
[49]      There is also a clear corresponding enrichment.  The value of the property has been directly enhanced as a result of the incorporation of the Rona products into the construction of the home. Thus, any recovery by the Crown pursuant to the Forfeiture Order has been increased as a result of the enhancement, for which Rona has not been paid.
[41]        Avec respect, je considère que c'est à tort que le juge de première instance trouve appui dans ce jugement.
[42]        Le droit réclamé dans l'affaire 1431633 Ontario inc. par un réclamant de bonne foi porte sur des biens incorporés à l'immeuble, il s'agit bien d'un droit réel, alors que dans la présente affaire, il ne s'agit que d'un droit personnel. Il est acquis que l'intimée ne détient aucun droit réel alors que le jugement rendu dans le dossier où l'intimée était partie à titre d'intervenante a établi que l'accusé était le véritable propriétaire du bien confisqué.
[43]        Si l'intimée a un recours, c'est contre son frère pour lequel elle a accepté de servir de prête-nom. Les sommes qu'elle a payées servaient en définitive à rembourser ses dettes ou celles de son frère, l'accusé, dans l'accomplissement de la manœuvre destinée à éviter la confiscation du bien.
[44]        En tout temps, qu'il ait servi ou non à l'intimée, l'immeuble est resté, sauf en apparence, dans le patrimoine de l'accusé qui, bien qu'il ait perdu le droit à l'abusus, a continué de jouir des autres attributs du droit de propriété pendant environ quatre ans, alors que les procédures de l'intimée, sa complice de l'infraction, continuait d'être en possession de produits de la criminalité au sens de l'article 462.41 C.cr.
[45]        Je rappelle que la possession d'un bien, produit de la criminalité, est en soi une infraction dont Gilbert Kelly a été accusé le 8 mai 2008 en vertu des articles 354(1) a) et 355 a) C.cr. et pour que l'intimée ait un recours, il devait sembler au juge qu'elle était innocente de toute collusion ou complicité à l'égard de l'infraction. Or, le juge de première instance a reconnu la collusion et a ordonné la confiscation du bien par l'appelante.
[46]        L'intimée s'est appauvrie en raison de sa collusion à une fraude à la loi. Elle n'a pas droit à la restitution des sommes qu'elle a dû débourser à cause de sa participation à une telle fraude, d'autant plus que le recours ne trouve aucune assise aux articles 462.41(1) et462.38(2) du Code criminel.

La confiscation peut se limiter à la partie du bien obtenu des fruits de la criminalité

R. c. Kelly, 2013 QCCA 558 (CanLII)


[25]        Dans R. c. Marriott, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a considéré que l'objet de la confiscation pouvait se limiter à la partie du bien obtenu des fruits de la criminalité et qu'en conséquence, si une partie du bien avait été acquise à même des fonds légitimes, la Couronne n'avait pas droit à la confiscation de tout le bien.
[26]        Dans cette affaire, les accusés, des conjoints de fait, avaient utilisé des sommes provenant d'une indemnité d'assurance et de régimes de retraite pour acheter une maison qui avait aussi été hypothéquée. Peu de temps après le dépôt des accusations et de la demande de confiscation, les accusés sont tués par balle et l'assurance paie le solde de l'hypothèque.
[27]        Le juge de première instance a accueilli la demande de confiscation, mais en partie seulement, en distinguant l'intérêt acquis légitimement, soit la mise de fonds et l'indemnité d'assurance de la partie acquise à même des paiements faits avec les produits de la criminalité.
[28]        Le juge de première instance s'inspire de ce jugement pour justifier la divisibilité du bien confisqué.
[29]        Avec respect, je suis d'avis que la solution à laquelle la Cour en arrive dans Marriott n'est d'aucun secours pour la résolution de la présente affaire.
[30]        Dans Marriott, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse se prononçait sur la demande de confiscation de la Couronne et limitait l'ordonnance à la partie du bien obtenu des fruits de la criminalité.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les déclarations d'un accusé à son complice ne sont pas du ouï-dire

R v Ballantyne, 2015 SKCA 107 Lien vers la décision [ 58 ]             At trial, Crown counsel attempted to tender evidence of a statement m...