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mardi 4 juin 2013

Les principes en matière de publicité des procédures judiciaires

Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41 (CanLII), [2005] 2 RCS 188

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4                                   Les demandes concurrentes se rapportant à des procédures judiciaires amènent nécessairement les tribunaux à exercer leur pouvoir discrétionnaire.  La présomption de « publicité » des procédures judiciaires est désormais bien établie au Canada.  L’accès du public ne sera interdit que lorsque le tribunal compétent conclut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice ou nuirait indûment à la bonne administration de la justice

21 Une fois le mandat de perquisition exécuté, la présomption devait jouer en faveur de la publicité des débats. La partie qui cherchait à interdire l’accès du public aux renseignements devait donc, après l’exécution du mandat, prouver que leur divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice.

23 Le paragraphe 487.3(2) est particulièrement pertinent en l’espèce. Il prévoit qu’une ordonnance de mise sous scellés peut être fondée sur le fait que la communication serait préjudiciable aux fins de la justice parce qu’elle compromettrait la nature et l’étendue d’une enquête en cours. C’est ce motif que le ministère public fait valoir en l’espèce. Il s’agit certainement d’un motif valable de mettre sous scellés une dénonciation utilisée pour obtenir un mandat provincial, en plus des dénonciations faites sous le régime du Code criminel. Dans les deux cas, il ne suffit cependant pas d’invoquer ce motif dans l’abstrait; il faut l’étayer d’allégations spécifiques liées à l’enquête que l’on prétend compromise. C’est ce qui n’a pas été fait en l’espèce, selon le juge Doherty, comme nous le verrons plus loin.

26 Dans Mentuck, la Cour a réaffirmé, tout en le reformulant dans une certaine mesure, le critère énoncé dans Dagenais. Dans Mentuck, le ministère public demandait une interdiction de publication visant l’identité de policiers banalisés et les techniques d’enquête qu’ils avaient utilisées. La Cour a statué que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de restreindre la liberté d’expression relativement à des procédures judiciaires touche divers droits et qu’une ordonnance de non‑publication ne doit être rendue que si :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice. [par. 32]

27 S’exprimant au nom de la Cour, le juge Iacobucci a souligné que le « risque » dont il est question dans le premier volet de l’analyse doit être réel et important et qu’il doit s’agir d’un risque dont l’existence est bien appuyée par la preuve : « il faut que ce soit un danger grave que l’on cherche à éviter, et non un important bénéfice ou avantage pour l’administration de la justice que l’on cherche à obtenir » (par. 34).
29 Enfin, dans Vancouver Sun, la Cour a approuvé expressément les motifs du juge Dickson dans MacIntyre et a souligné que la présomption de publicité des procédures judiciaires s’applique aussi au stade précédant le procès. Elle a statué que le « principe de la publicité des débats en justice est inextricablement lié à la liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte et sert à promouvoir les valeurs fondamentales qu’elle véhicule » (par. 26). Ce principe s’applique donc à chacune des étapes de la procédure (par. 23‑27).

41                              Le juge Doherty a insisté à juste titre sur l’importance de la liberté d’expression et de la liberté de la presse, et il a souligné que les demandes visant à empiéter sur ces libertés doivent être [traduction] « scrutées à la loupe et satisfaire à des normes rigoureuses » (par. 19).  Toutefois, il a finalement rejeté la demande présentée par le ministère public en l’espèce parce qu’elle reposait entièrement sur une allégation générale portant que la publicité peut compromettre l’intégrité de l’enquête

Il est possible d'obtenir un arrêt des procédures lorsque le délai entre l'infraction et la dénonciation est excessif et risque de nuire à l'équité du procès

R. c. Flamand, 1999 CanLII 13326 (QC CA)

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Il est effectivement possible d'obtenir un arrêt des procédures lorsque le délai entre l'infraction et la dénonciation est excessif et risque de nuire à l'équité du procès. Or cet équité n'est pas compromise du seul fait du retard (R. c L. (W. K.), 1991 CanLII 54 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 1091) et l'accusé invoquant l'article 24 de la Charte canadienne doit prouver cette violation (p. 1099, référant à R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, à la p. 277). Le retard peut être perçu comme un abus de procédure s'il n'y a pas présence d'autres facteurs. Comme l'écrit le juge Lamer dans R. c. Mills, 1986 CanLII 17 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 863, à la p. 945, «Le délai antérieur à l'inculpation est pertinent en vertu de l'art. 7 et de l'alinéa 11d), car ce n'est pas la durée du délai qui importe, mais plutôt l'effet de ce délai sur l'équité du procès» (les soulignés sont du juge Stevenson qui, dans R. c. L. W.K., reprend cet extrait du juge Lamer).

Je suis d'avis qu'en l'espèce le délai n'a pas eu de conséquences préjudiciables à l'équité du procès. Le seul élément en principe préjudiciable à cette équité était l'absence de Réjean Fortier. Or les des deux parties aurait pu demander qu'une commission rogatoire se rende à son domicile pour l'interroger. Je suis donc d'avis qu'un arrêt des procédures ne devait pas être accordé pour ce motif, en l'absence de preuve de préjudice.

Comment déterminer la crédibilité d'un témoin

R. c. Sareault, 2013 QCCQ 4502 (CanLII)

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[61] Le Tribunal est confronté à une preuve contradictoire, devant laquelle il n'est pas inutile de rappeler les propos de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. W.(D.):

Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement;

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement;

Troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincu hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé.

[62] Notre Cour d'appel, dans l'affaire Araujo c. R., précitée, rappelle ceci quant à la norme de preuve (références omises) :

21 … Eu égard à la norme de preuve, un juge des faits qui est confronté à des versions contradictoires ne peut s'obliger à choisir entre les versions en accréditant le témoin à charge au motif qu'il n'a aucun intérêt à mentir et en faire un élément décisif si l'inculpé ne réussit pas à démontrer le contraire : c'est là enfreindre les principes fondamentaux qui régissent le fardeau et la norme de preuve.

22 Un juge ne peut pas faire appel à un élément extrinsèque au dossier, comme par exemple, affirmer qu'en principe un policier ne peut mentir, pour trancher la question de la crédibilité tout en respectant la norme de preuve. Si tel était le cas, il suffirait de substituer le juge des faits à un ordinateur qui déciderait de la crédibilité selon le statut, l'âge ou encore le sexe du témoin. Si la dynamique d'un procès expose très souvent le juge des faits à trancher en apparence une alternative entre deux versions opposées, il n'en est pas ainsi en droit puisqu'une troisième voie est ouverte, soit celle du doute raisonnable qui subsiste en raison de ces versions contradictoires.

23 Cela dit, il s'impose de distinguer ces situations irrégulières de celles où le juge des faits, à bon droit, peut s'interroger sur l'intérêt à mentir d'un témoin dans son appréciation de la crédibilité qui est de son ressort exclusif. Le sens commun mène très souvent le juge des faits à se demander si la victime a un intérêt à mentir : un problème surgira s'il fait porter à l'accusé le poids de son incapacité à démontrer l'intérêt à mentir et utiliser ce test pour décider de deux versions contradictoires…

[63] Déterminer la crédibilité d'un témoin constitue, pour un tribunal, un exercice difficile qui tient davantage de la logique et du bon sens que de règles juridiques rigides. Dans cet exercice, le Tribunal doit tenir compte de la conduite du témoin, de son comportement général, de son souci de renseigner le tribunal, de sa sincérité, de sa franchise et de sa spontanéité, de la vraisemblance de ses propos.

[64] Le Tribunal peut retenir un témoignage en entier ou partiellement. Il peut aussi le rejeter dans sa totalité. La crédibilité de l'accusé s'apprécie comme celle de n'importe quel autre témoin. Cette détermination de la crédibilité de l'accusé se fait dans le contexte de la preuve dans son ensemble.

[65] Pour le Tribunal, conclure qu'un témoin est crédible signifie qu'il est digne de foi et qu'il mérite d'être cru.

vendredi 31 mai 2013

Les éléments devant être examinés pour décider si le fonctionnaire est dans l'exécution de ses fonctions

Berniquez St-Jean c. Boisbriand (Ville de), 2012 QCCS 2369 (CanLII)

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[18]            Selon le même auteur, « Deux éléments doivent être examinés pour décider si l'élu municipal est dans l'exécution de ses fonctions, soit la finalité de l'acte posé par ce dernier et la pertinence de l'acte au regard des affaires municipales »

[19]            Il ne faut pas confondre le fait qu'une personne puisse se servir de sa fonction pour certaines fins proscrites et un acte dans l'exercice des fonctions de la personne.

[23] Suivant l'auteur Jean-François Gaudreault-Desbiens dans un essai publié en 1993, la notion d'exercice des fonctions doit s'examiner sous l'angle du bénéfice ou de l'intérêt que la municipalité tire de l'acte posé par l'élu municipal.

mercredi 29 mai 2013

L'article 122 C.cr. et son interprétation

R. c. Perreault, 1992 CanLII 3282 (QC CA)


La première décision canadienne en la matière est l'affaire R. c. Arnoldi, (1892) 23 O.R. 201 (Ch. D. de l'Ont.), antérieure au Code de 1892.  Dans cette affaire, les commentaires du juge Boyd ne sont malheureusement pas d'une lumineuse clarté.  D'une part, en effet, fait-il la revue de la jurisprudence britannique et notamment de Bembridge pour conclure (à tort, à mon avis, au moins dans ce cas précis) qu'une simple illégalité suffit à fonder l'infraction.   D'autre part, et par opposition, met-il l'accent sur l'appât du gain et le profit personnel que comptait tirer l'accusé de l'opération et qui, en l'espèce, ne faisait pas de doute.  Le passage important de l'arrêt et qui est souvent cité est le suivant:

«  Upon this statement of facts, it is urged that no criminal offence exists, because it is essential that pecuniary damage should result to the public, by reason of the irregular conduct of the officer.  But in my opinion the gravity of this administrative transgression is not to be measured by mere ascertained pecuniary results.  The defendant was tempted to do what he did by the prospect of gain, - he profited by his own dereliction of duty, and to accomplish his purpose it was necessary to conceal the actual transaction.  This was misbehaviour in office, which is an indictable offence at common law.»                                            (p. 209)

Il me semble cependant tirer une conclusion ferme, (et à mon avis l'observation ici est capitale): même si l'infraction pourrait éventuellement être basée sur un acte de négligence (sans donc nécessité d'une corruption), il faut cependant, même dans ce cas comme élément de l'infraction, la poursuite d'un but personnel («furtherance of personal ends»):

«  Therefore I conclude that the element of profit more than ordinary is immaterial, except as a circumstance to be regarded in mitigation of the defendant's conduct, to which due weight will be given when judgment is pronounced against him.


   The gravity of the matter is not so much in its merely profitable aspect as in the misuse of power entrusted to the defendant for the public benefit, for the furtherance of personal ends.  Public example requires the infliction of punishment when public confidence has thus been abused, and my judgment is, that the conviction should be sustained.»                                                     (p. 201)
        (Les soulignements sont de moi.)

Dans R. c. McMorran, (1948) 91 C.C.C. 19 (C.A. de l'Ont.), l'honorable Hogg (pp. 26 et s.) arrive à la conclusion que l'abus de confiance peut consister en un acte de  négligence ou en un manquement au devoir de la charge publique.  Toutefois, en l'espèce, comme d'ailleurs le juge le note, les actes de l'accusé étaient nettement prémédités, délibérés et intentionnels: il avait préféré, dans l'attribution de certains contrats, sa propre firme à d'autres.  Il y avait donc ici, même s'il n'était question que de simple négligence, la promotion ou la recherche d'un profit personnel.

Dans R. c. Campbell, [1967] O.R. 201 (C.A. Ont.), confirmé par [1969] R.C.S. V, la question principale portait sur le fait de savoir si l'infraction créée par l'ancien article 103 C.cr. était un ....«breach of trust in respect to trust property» (p. 201), ce à quoi la Cour répondit, évidemment, par la négative.  L'arrêt, par ailleurs, ne se prononce pas sur les questions qui nous intéressent ici.

Dans Campeau c. R., C.A. M. no: 500-10-000016-74, du 10 juin 1976 (C.A.Q.), mes collègues, les juges Tremblay, Owen et Lajoie, ont maintenu les verdicts de culpabilité contre l'accusé qui, selon les faits de la cause, avait de toute évidence poursuivi la recherche d'importants profits personnels.

L'affaire Leblanc c. R., [1979] C.A. 417 (confirmée par la Cour suprême, 1982 CanLII 169 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 344) de notre Cour, décidée par les juges Dubé (dissident), Kaufman et Lamer, mérite une étude plus approfondie en raison du fait qu'elle a, par la suite, été souvent citée comme précédent.  Leblanc était trésorier d'une municipalité. Il reçut de l'urbaniste Gagnon une somme de l 125 $ non pour accomplir ou ne pas accomplir un travail particulier qui relevait de ses fonctions mais, comme le signale le juge Dubé, parce que les deux parties:

«....s'attendaient tout simplement à une plus efficace coopération: l'appelant, par exemple, se sentait obligé de travailler en temps supplémentaire pour fournir à Gagnon les informations légitimes qu'il demandait; d'autre part, Gagnon se sentait moins gêné pour demander à l'appelant des renseignements qu'il aurait été obligé de chercher lui-même ou de se procurer en se payant les services d'autres personnes;  le poste qu'occupait l'appelant ne lui permettait pas de voter en faveur de l'urbaniste Gagnon ou de lui accorder aux dépens du Conseil des faveurs auxquelles il n'avait pas droit: d'ailleurs, d'après la preuve, jamais on ne lui a demandé de frauder la municipalité ni même d'abuser de sa confiance et il affirme, sans être contredit, que de tels actes n'ont pas été posés.» (p. 418)

Ce qui est particulièrement important dans cet arrêt est un passage souvent cité par la suite, du juge Lamer qui fait la réflexion suivante:

«  En ce qui a trait au premier chef d'accusation, soit celui fondé sur l'article 111 du Code criminel, je crois qu'il serait opportun d'ajouter quelques commentaires ayant trait à la portée de ce texte d'incrimination.

   Il n'est aucunement nécessaire pour qu'une infraction soit commise en vertu de l'article 111 du Code criminel que l'accusé ait agi malhonnêtement, de façon corrompue ou encore qu'il ait posé un geste illégal.  Ce sont là des conditions de fond d'infractions que l'on retrouve ailleurs au Code dont, à titre d'exemple, aux articles 108 et 109 du Code criminel où on prévoit que l'accusé doit avoir agi «par corruption».  Ces crimes sont d'ailleurs punis de façon beaucoup plus sévère.

   L'infraction prévue à l'article 111 du Code criminel est, à quelques nuances près, la codification des crimes de Common Law connus sous le nom de «misbehaviour» et de «misfeasance in public office».

Russell en disait ceci:

Misbehaviour in office is an indictable offence at common law and it is not essential that pecuniary damage should have resulted to the public by reason of such irregular conduct, nor that the defendant should have acted from corrupt motives.

   En 1893, le juge Boyd de la Cour du Banc de la Reine, Chancery Division d'Ontario, dans la cause de R. c. Arnoldi, commentant ce crime de Common Law, disait, avec l'accord de ses collègues de la Cour:

The gravity of the matter is not so much in its merely profitable aspect as in the misuse of power entrusted to the defendant for the public benefit, for the furtherance of personal ends.  Public example requires the infliction of punishment when public confidence has thus been abused, and my judgment is, that the conviction should be sustained.


   Plus tard, en 1967, la Cour d'Appel d'Ontario, commentant cette infraction dans sa forme codifiée conférait aux mots «abus de confiance» que l'on retrouve au texte d'incrimination une portée assez large pour correspondre à ce crime de Common Law de «misbehaviour in public office» dont Lord Mansfield, dans la cause de R. c. Bembridge en l783, disait ceci:

Here there are two principles applicable: first, that a man accepting an office of trust concerning the public, especially if attended with profit, is answerable criminally to the King for misbehaviour in his office; this is true, by whomever and in whatever the way the officer is appointed.  In Vidian (Vidian's Entries, p. 213) there is a precedent of an indictment against the custos brevium for losing a record.  Secondly, where there is a breach of trust, fraud, or imposition, in a matter concerning the public, though as between individuals it would only be actionable, yet as between the King and the subject it is indictable.  That such should be the rule is essential to the existence of the country.

   À mon avis, le fait qu'un fonctionnaire accepte des sommes d'argent autres que ses émoluments officiels, pour offrir à celui qui les lui donne un meilleur service que celui dont bénéficieront tous autres qui, à juste titre, se croient justifiés de ne payer que leurs impôts et leurs taxes constitue de l'inconduite dans l'exécution de ses fonctions au sens que l'entendait le Common Law et, partant est «un abus de confiance» au sens de l'article 111 du Code criminel.

   D'ailleurs, les tentatives par l'appelant de camoufler ces cadeaux en disent long sur l'opinion qu'il pouvait avoir lui-même de cette pratique.»                       (p.420)


Il me semble donc que le juge Lamer, dans son opinion, constate deux choses.  La première est que la corruption n'est pas nécessairement un élément essentiel de l'infraction.  Le terme
«abus de confiance» à l'article 122 C.cr. a un sens plus large et n'est pas restreint au seul acte de corruption.  La seconde est que celui qui reçoit de l'argent (comme dans l'affaireLeblanc), même s'il agit pour un motif qui peut paraître louable, commet un abus de confiance.  Le juge Lamer me paraît donc aussi reconnaître au moins implicitement la règle qu'il faut l'existence ou la recherche d'un but ou intérêt personnel ou privé.

Dans Bouchard c. R., C.A.M. no: 500-10-000355-808, du 14 octobre 1982, notre Cour a appliqué ces principes à une instance où le fonctionnaire avait participé à une décision administrative concernant un tiers, alors précisément qu'il recevait, à la même époque, une rémunération de ce tiers.

Dans R. c. Lessard, C.A.Q. no: 200-10-000069-802, du 27 septembre 1982 (C.A.Q.), le juge Paré cite abondamment les propos rapportés plus haut du juge Lamer dans l'affaire Leblanc et fait l'observation suivante:

«   Tant en matière de fraude que d'abus de confiance, l'article 111 n'exige pas que les actes osés soient de leur nature des crimes.  Même si ce ne sont que des actes donnant lieu à des recours civils, ils pourront devenir l'objet de poursuites criminelles parce qu'ils sont posés par des fonctionnaires.»                                                      (p. 3)

Là encore, dans cette affaire, l'accusé, maire d'une municipalité, avait fait un profit sur la vente d'un immeuble préalablement acheté par l'intermédiaire d'un prête-nom et la fraude était évidente.

Dans R. c. McKitka1982 CanLII 425 (BC CA), (1982) 66 C.C.C. (2d) 164 (C.A.C.B.), là encore le conflit d'intérêt à la base de l'abus de confiance était manifeste.  La Cour fait d'ailleurs la réflexion suivante:

«  We are also in agreement with what the learned Chancellor later said, namely, that the work of a public servant must be a real service in which no concealed pecuniary self-interest should bias the judgment of the officer, and in which the substantial truth of every transaction should be made to appear.»                                    (p. 170)

(Les soulignements sont de moi.)

Dans R. c. Curzi, C.A.M. no: 500-10-000419-802, du 2 juin 1983, l'arrêt de notre Cour fait état de  l'affaire Leblanc dans une espèce où l'accusé avait reçu une somme d'argent, pour accepter de recommander aux autorités municipales la candidature d'une firme commerciale.

  Dans R. c. Hébertreflex, [1986] R.J.Q. 236 (C.A.),  mon collègue, le juge Chevalier, rejetait l'appel d'un fonctionnaire qui avait fait exécuter par ses employés des travaux à sa résidence personnelle.  Le juge Chevalier rappelle la règle bien établie que l'existence d'un préjudice réel pour l'État n'est pas un des éléments constitutifs de l'infraction et, là encore, cite l'opinion du juge Lamer dans l'affaire Leblanc à l'effet qu'il n'est pas nécessaire que l'accusé ait agi malhonnêtement ou d'une façon corrompue.  Il est évident que la corruption était exclue en l'espèce, l'accusé ayant agi ouvertement, avec l'accord tacite de ses supérieurs et sans que les ouvriers soient débauchés pendant les heures de travail.  Toutefois nettement, là encore, il y avait encore poursuite d'un bénéfice personnel.

Dans Cyr c. R., C.A.M. no: 500-10-000053-858, du 30 septembre 1987 (autorisation de pourvoi refusée par la Cour suprême le 26 mai 1988), ma collègue, Madame la juge Mailhot, s'exprimant au nom de la Cour a confirmé la validité en droit des directives du juge de première instance qui étaient les suivantes:

«Il n'est pas essentiel à l'offense qu'il y ait un bénéfice matériel.  Comme dans le cas du premier chef, il suffit qu'il y ait un usage impropre ou abusif du poste public pour l'avancement des buts privés ou personnels.  La question à savoir s'il y avait un tel avancement des buts privés ou personels est une question de faits; la question à savoir si un tel avancement a été accompli avec la conscience coupable, telle que discutée, est une question de faits et toutes les deux questions doivent être établies hors de tout doute raisonnable.  ............................................................Vous vous rappellerez dans votre étude de ce chef que non seulement doit-il être établi que les buts personnels ou privés de l'acteur sujet des accusations soient avancés, mais aussi qu'il y avait la conscience coupable que ce soit le cas.  Et vous vous rappellerez que les éléments doivent être établis hors de tout doute raisonnable.»
(Les soulignements sont de moi.)

Elle ajoute la remarque suivante:

«   Je suis d'accord avec le premier juge sur le fait que le prix n'est pas ici un élément essentiel et que le bénéfice matériel n'est pas non plus essentiel.  Il suffit qu'il y ait démonstration hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait fait un usage impropre de son poste public pour «l'avancement de ses buts privés ou personnels».»
(Les soulignements sont de moi.)

Dans R. c. Chrétien, J.E. 88-684 (C.A.), mon collègue, le juge Vallerand, après avoir fait une revue complète de la jurisprudence et de la doctrine, a décidé qu'il y avait abus de confiance de la part d'un fonctionnaire pour avoir accepté l'asphaltage gratuit de l'entrée de sa résidence, même s'il s'agissait d'un simple cadeau de l'entrepreneur à qui la ville avait accordé des contrats, sans contrepartie.  Il écrit:


«   Le fait pour lui d'accepter un cadeau et un cadeau substantiel d'un entrepreneur dont il avait la charge de surveiller les travaux et, qui plus est, un cadeau directement relié à ces mêmes travaux me paraît être en soi un «breach of the appropriate standard of conduct» qu'interdit l'article 111 du Code criminel.  Ce geste implique nécessairement à tout le moins une équivoque sérieuse quant à l'exécution fidèle des fonctions du surintendant des travaux publics et est susceptible de jeter un discrédit sur l'administration de la Ville. 
Cela suffit, je pense, pour conclure à une contravention des normes acceptables de conduite de la part d'un fonctionnaire.»                                                   (p. 11)

Enfin, dans Carré c. R., J.E. 89-1515 (C.A.),  mon collègue, le juge Tyndale, a maintenu le verdict de culpabilité à l'endroit d'un fonctionnaire qui avait communiqué à deux de ses assistants un numéro de téléphone confidentiel à n'utiliser que pour le service gouvernemental et qui avait permis à ceux-ci de s'en servir.  Ici, l'accusé utilisait donc, par l'intermédiaire de ses assistants, ce numéro pour ses propres intérêts commerciaux.

De cette brève revue de la jurisprudence sur la question, il me semble clair que les éléments essentiels de l'infraction prévue à l'article 122 C.cr. sont les suivants:

1>           que l'accusé ait le statut de fonctionnaire;

2>           que l'acte reproché ait été commis dans le cadre général de l'exécution de ses fonctions;

3>           que l'acte constitue une fraude[1] ou un abus de confiance.

Pour identifier maintenant les conditions nécessaires à ce troisième élément constitutif lorsqu'il s'agit d'abus de confiance, il me paraît que les conditions suivantes doivent être suivies:

1>           L'accusé a posé un geste d'action ou d'omission contraire au devoir qui lui est imposé par la loi, un règlement, son contrat d'emploi ou une directive relativement à sa fonction.

2>           L'acte posé doit lui rapporter un bénéfice personnel (par exemple une compensation pécuniaire, un avantage en nature, en services ou autres) ou dérivé (par exemple un avantage à son conjoint, un membre de sa famille ou même dans certains cas, un tiers).  Ce bénéfice peut être direct (par exemple le paiement d'une somme d'argent) ou indirect (par exemple l'espoir d'une promotion, le désir de plaire à un supérieur).

L'existence d'un préjudice réel au public ou à l'État n'est pas un élément de l'infraction, selon une jurisprudence unanime.  Le contraire est nécessaire pour établir la fraude puisqu'il faut obligatoirement l'existence d'une privation.

Pourquoi faut-il, comme condition de l'abus de confiance par un fonctionnaire, la présence d'un bénéfice réel ou escompté direct ou indirect pour l'accusé?  J'y vois plusieurs raisons.

La première est que le crime d'abus de confiance, s'il n'implique pas nécessairement l'idée de corruption, implique au moins celle de réception d'un bénéfice quelconque.  Accepter qu'un entrepreneur de travaux publics asphalte gratuitement l'entrée de la maison d'un fonctionnaire municipal n'est probablement pas un acte d'une grande malhonnêteté ou d'une turpitude morale importante de la part de ce dernier.  Toutefois, c'est un avantage qui résulte directement du statut même de sa personne et de sa fonction de représentant du public.  Le fonctionnaire, comme la femme de César, doit être au-dessus de tout soupçon.

La seconde est que ne pas requérir cet élément reviendrait à faire intervenir le droit pénal et sa répression dans des domaines où il n'a rien à faire.  Comme l'a bien dit la Commission de réforme du droit du Canada, dans ce document fondamental, «Notre droit pénal» (Ottawa, 1976):

«Si le rôle du droit pénal est de réaffirmer les valeurs fondamentales, il doit donc s'occuper uniquement des «crimes véritables» et non de la pléthore «d'infractions réglementaires» qu'on trouve dans les lois.  Notre Code criminel ne devrait contenir que des actions qui sont non seulement punissables, mais aussi mauvaises, des actions qui vont à l'encontre des valeurs fondamentales.  Aucune autre infraction ne devrait figurer au Code.» ...........................................                                    (p. 19)

«Pour être qualifiée de crime véritable, une action doit être moralement mauvaise.  Cependant, ceci n'est qu'une condition nécessaire et non pas une condition suffisante, comme nous l'avons dit plus tôt.  Ce ne sont pas toutes les mauvaises actions qu'on devrait qualifier de crimes.  Le véritable droit pénal ne devrait porter que sur les actions mauvaises qui menacent ou qui violent gravement les valeurs sociales fondamentales.»                                
                                                        (p. 20)

Le droit criminel a pour mission de sanctionner les atteintes graves, dérogeant à des valeurs sociales fondamentales.  Il est certain que de tirer un profit personnel de l'exercice d'une charge publique en est une.  Par contre, le droit criminel n'a pas à sanctionner le simple écart technique de conduite, l'acte d'indiscipline administrative ou la faute administrative, même délibérée.  La sanction relève alors de la discipline du droit administratif, peut-être même du droit civil.  S'il en était autrement, le droit pénal serait constamment à l'affût de comportements répréhensibles certes, blâmables sans doute, irréguliers évidemment, mais qui n'ont rien de criminel en eux-mêmes. Il devrait alors sanctionner pénalement le policier qui a reçu des ordres précis d'intercepter tout véhicule dépassant la limite de vitesse prescrite par règlement et qui procède à des arrestations sélectives.  Il devrait condamner comme criminel le fonctionnaire qui, d'après le règlement, est tenu de recevoir les membres du public dans l'ordre de leur arrivée et qui en dépit de ce fait, accorde préférence et préséance à une personne âgée, etc.... .


L'appelant ici porte sûrement une responsabilité pour avoir enfreint de façon voulue et délibérée un règlement clair.  Cette responsabilité toutefois doit se situer à d'autres niveaux.  Il existe d'ailleurs au Québec, comme dans les autres provinces, des textes législatifs qui punissent, parfois même sévèrement,  l'inconduite et les incartades des fonctionnaires, par exemple la Loi sur la fraude et la corruption dans les affaires municipales, L.R.Q., c. F-6.  D'ailleurs, il est intéressant de constater que dans une affaire qui a de très fortes analogies avec la nôtre (Labrosse c. Ville de Montréal-Estreflex, [1986] R.J.Q. 200) et où le fonctionnaire était poursuivi sur la base de cette dernière loi, mon collègue, le juge LeBel, parlant pour la majorité, rejetait la poursuite dirigée contre l'appelant au motif que son geste reflétait une imprudence et une irrégularité grave, mais non une malversation, un abus de confiance ou une inconduite vénale.

À mon avis, ce que 122 du Code criminel vise, c'est précisément la conduite vénale, la malversation, le conflit d'intérêt, la corruption, le trafic d'influence, la concession, le bénéfice indu qui exigent tous à la base la poursuite d'un intérêt personnel ou selon l'expression de la jurisprudence de common law «the furtherance of personal ends» donc l'utilisation d'une situation de pouvoir dans la fonction publique, pour promouvoir des buts privés ou obtenir directement ou indirectement un bénéfice quelconque.  Comme l'écrivait M. le juge Boilard dans R. c. Ouellettereflex, [1988] R.J.Q. 810 p. 812 (C.S.):

«   Il me semble que la prohibition de l'article 111 est claire.  Commet un crime le fonctionnaire qui, relativement aux devoirs de sa charge, utilise à son avantage personnel des pouvoirs ou des connaissances que lui procure sa fonction.  C'est la définition adoptée, je crois, par les cours d'appel de l'Ontario et du Québec dans R. c. Campbell

Quant à la mens rea nécessaire, sans me prononcer sur la question, car elle n'est pas nécessaire à la solution du litige, je rappellerai simplement d'abord l'énoncé du juge Dickson dans R. c. Cité de Sault-Ste-Marie1978 CanLII 11 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 1299:

«   The distinction between the true criminal offence and the public welfare offence is one of prime importance. Where the offence is criminal, the Crown must establish a mental element, namely, that the accused who committed the prohibited act did so intentionally or recklessly, with knowledge of the facts constituting the offence, or with wilful blindness toward them.  Mere negligence is excluded from the concept of the mental element required for conviction.  Within the context of a criminal prosecution a person who fails to make such inquiries as a reasonable and prudent person would make, or who fails to know facts he should have known, is innocent in the eyes of the law.»                                       (p. 1309)

et ensuite les propos de la Cour d'appel de l'Ontario dans R. c. DeSousareflex, (1991) 62 C.C.C. (3d) 95:


  The Criminal Code contains numerous provisions which do not provide for a specific mens rea requirement with respect to each and every essential ingredient of the actus reus.  In such cases, the requisite mental element is implicit in order to give effect to the fundamental tenet of criminal law that there is no guilty act unless it is accompanied by a guilty mind.  It is only in a case where the impugned section cannot bear an interpretation compatible with the mens rea requirements essential to find criminal guilt that the constitutional validity of the section must be examined under ss. 7 and 1

Le crime d'abus de confiance VS le rôle de maire

R. c. Gagné, 2000 CanLII 6072 (QC CA)


[29]           Le devoir de fonction apparaît bien à la lecture de l'article 52 de la Loi sur les cités et villes:
Le maire exerce le droit de surveillance, d’investigation et de contrôle sur tous les départements et les fonctionnaires ou employés de la municipalité, et voit spécialement à ce que les revenus de la municipalité soient perçus et dépensés suivant la loi, et à ce que les dispositions de la loi, les règlements et les ordonnances du conseil soient fidèlement et impartialement mis à exécution (…)
[30]           C'est en s'appuyant sur cette disposition que le juge de la Cour du Québec a écrit:
Donc la preuve prise dans son ensemble démontre hors de tout doute raisonnable que le prévenu a manqué de fidélité, d’impartialité pendant que le projet était sous étude, alors que les fonctionnaires de la ville analysaient ce dernier afin de prendre une décision conforme à la réglementation municipale et que l’émission des permis de construction retardait.
[31]           L’article 122 du Code criminel(L.R.C. 1985, c. C-46.) se lit comme suit:
Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans tout fonctionnaire qui, relativement aux fonctions de sa charge, commet une fraude ou un abus de confiance, que la fraude ou l’abus de confiance constitue ou non une infraction s’il est commis à l’égard d’un particulier.
[32]           Notre Cour a eu l'occasion de rappeler les éléments essentiels de l'infraction:  Perreault c. R., 1992 CanLII 3282 (QC CA), [1992] R.J.Q. 1829, 1839 (C.A.) (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée le 4 février 1993); Flamand c. R. (13 septembre 1999), Québec 200-10-000176-946, J.E. 99-1933 (C.A.) (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée le 30 mars 2000).  Voir aussi R. c. Lippé 1996 CanLII 5780 (QC CA), (1996), 111 C.C.C. (3d) 187 (C.A.Q.); R. c. Vermette (9 mai 1994), Montréal 500-10-000066-900, J.E. 94-858 (C.A.); R. c. Berntson, [1999] S.J. No. 89 (Sask. Q.B.); R. c. Plourde (14 février 1991), Terrebonne 700-01-005906-899, J.E. 91-565 (C.Q.). Le bénéfice attendu ou réalisé, résultat des actes ou omissions, peut être personnel ou dérivé si, comme en l'espèce, il est dévolu au fils de l'accusé.  Les trois éléments sont:  (1) le statut de fonctionnaire (il n'est pas contesté en l'espèce que le maire d'une municipalité est assujetti à l'article 122 du Code criminel); (2) l'acte reproché commis dans le cadre de la fonction (il est établi que ceux sur lesquels porte la controverse sont des actes ou des omissions de fonction); (3) l'acte doit constituer une fraude ou comme en l'espèce le cas échéant, un abus de confiance.
[33]           Le crime d'abus de confiance est dit d'intention générale (R. c. Flamand, précité; R. c. Power 1993 CanLII 3223 (NS CA), (1993), 82 C.C.C. (3d) 73 (N.S.C.A.); R. c. Vander Zalm, [1992] B.C.J. No. 1390 (B.C.S.C.) et il suffit de prouver, au regard des agissements de l'accusé, qu'une personne raisonnable conclurait vraisemblablement à la commission d'un abus de confiance (R. c. Power, précité, à la p. 79).
[34]           Sur la notion d'abus de confiance, l'arrêt de notre Cour R. c. Chrétien1988 CanLII 562 (QC CA), [1988] R.L. 267 est toujours utile.  Notre collègue le juge Vallerand, avec l'appui des juges LeBel et Gendreau, en fait l'analyse en examinant particulièrement l'arrêt R. c. Leblanc, [1979] C.A. 417, confirmé par 1982 CanLII 169 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 344 où la Cour suprême appuie les propos du juge Kaufman pour qui «une plus efficace coopération de la part de l'accusé» suffit et ceux du juge Lamer qui commentait en ces termes l'article 111 du Code criminel, aujourd'hui l'article 122:
L'infraction prévue à l'article 111 du Code criminel est, à quelques nuances près, la codification des crimes de Common Law connus sous le nom de “misbehaviour” et de “misfeasance in public office”.
[35]           De plus le juge Lamer cite avec approbation Russel (W.O. Russell, A Treatise on Crimes and Misdemeanors, 7th English ed. & 1stCanadian ed. by Alfred B. Morine, Toronto, Canada Law Book, 1910) qui écrivait: «Misbehaviour in office is an indictable offence at common law and it is not essential that pecuniary damage should have resulted to the public by reason of such irregular conduct, nor that the defendant should have acted from corrupt motives.».
[36]           Enfin le juge Lamer approuve le juge Boyd dans R. c. Arnoldi (1893), 23 O.R. 201, 212, qui écrivait:  The gravity of the matter is not so much in its merely profitable aspect as in the misuse of power entrusted to the defendant for the public benefit, for the furtherance of personal ends.  Public exampl

La constitutionnalité de l'article 122 C.cr.

 R. c. Lippé, 1996 CanLII 5780 (QC CA)


L'article 122 C.cr. se lit comme suit:

Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans, tout fonctionnaire qui, relativement aux fonctions de sa charge, commet une fraude ou un abus de confiance, que la fraude ou l'abus de confiance constitue ou non une infraction s'il est commis à l'égard d'un particulier.

L'appelant plaide, en se fondant principalement sur les arrêts R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society1992 CanLII 72 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 606, et R. c. Heywood,1994 CanLII 34 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 761, que ce texte contrevient à la norme de l'article 7 de la Charte pour défaut de précision, puisque la notion d'abus de confiance, élément capital de l'infraction, n'y est pas définie d'une part et, d'autre part, parce que le texte tel que rédigé ne donne pas un avertissement raisonnable au citoyen ordinaire quant à la composition exacte de l'infraction.

                              Je ferai remarquer, tout d'abord, qu'à mon avis, toute analogie entre la situation sous étude et celle de l'arrêt R. c. Heywood1994 CanLII 34 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 761, doit être écartée.  Dans cette dernière affaire, on s'en rappellera, l'article 179(1)(b) C.cr. portant sur le fait de flâner à proximité d'une école, a été déclaré inconstitutionnel, non à cause d'une imprécision dans la définition des éléments fondamentaux de l'infraction, mais bien parce qu'il avait, quant aux modalités de temps et de lieux de l'interdiction, une portée tellement étendue qu'il finissait par s'appliquer à toute personne présentant ou non un danger pour les enfants.

                              Il importe de ne pas confondre deux notions, en vérité proches l'une de l'autre, mais malgré tout distinctes sur le plan juridique, soit le caractère imprécis d'une infraction et le caractère non spécifiquement défini de ses éléments constitutifs d'un côté et, d'un autre côté, l'imprécision du texte et l'absence de définition législative exhaustive de son contenu.

                              Comme l'a écrit M. le juge Lamer dans Renvoi sur la prostitution1990 CanLII 105 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1123, pp. 1155 et s., citant, à ce propos, les travaux de la Commission de réforme du droit du Canada, la théorie de l'imprécision n'exige pas que la loi présente un caractère de certitude absolue.  Elle peut donc, sans pécher, être rédigée en fonction de principes généraux reflétant la philosophie du législateur pénal et son intention, à condition d'indiquer au citoyen la norme générale de conduite à suivre.  En ce sens, elle n'est pas nécessairement imprécise pour le seul motif qu'elle ne contient pas une définition spécifique de chacun des éléments de l'infraction.

                              En outre, la théorie de l'imprécision n'exclut aucunement la possibilité d'une soumission du texte à l'interprétation judiciaire.  Les tribunaux, comme l'écrit le juge Lamer dans l'arrêt précité (p. 1156), ont un rôle important à jouer dans l'herméneutique des lois.  Ils doivent, en effet, définir le  contenu de la norme législative générale, en tenant compte du contexte social de l'époque, qui doit permettre à la loi d'évoluer et de garder sa souplesse.  L'abus de confiance est, en effet, une notion qui peut s'apprécier jurisprudentiellement, du moins en partie, en fonction des normes sociales de tolérance et de standards communautaires (voir Towne Cinema Theatres c. R.1985 CanLII 75 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 494).  M. le juge Beetz dans Morgentaler c. R.1988 CanLII 90 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 30 p. 107, avait bien exprimé cette vérité, en termes quelque peu différents, lorsqu'il écrivait qu'il ne fallait pas confondre souplesse et imprécision.

                              C'est à M. le juge Gonthier, dans l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society précité, que l'on doit le résumé de l'état actuel du droit sur la question:

La théorie de l'imprécision peut donc se résumer par la proposition suivante: une loi sera jugée d'une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire.  Cet énoncé de la théorie est le plus conforme aux préceptes de la primauté du droit dans l'État moderne et il reflète l'économie actuelle du système de l'administration de la justice, qui réside dans le débat contradictoire.
                                                                                                                                                              (p.643)

Les tribunaux ont eu l'occasion, à plusieurs reprises, d'interpréter la notion d'abus de confiance prévue à l'article 122 C.cr. (voir la jurisprudence analysée dans R. c. Perreault, précitée, et plus récemment R. c. Power1993 CanLII 3223 (NS CA), (1993) 82 C.C.C. (3d) 73 (C.A.C.B.) et R. c. Gagné, J.E. 94-1579 (C.S.Q.); R. c. Prud'homme, J.E. 94-1667 (C.S.Q.)). C'est à partir de cette interprétation voulant que le fonctionnaire tire profit de l'acte posé, que la jurisprudence, depuis l'arrêt Bembridge, [1783] 99 E.R. 679, a peu à peu précisé le contenu de l'abus de confiance.  Pour évaluer donc si cet élément souffre d'imprécision, on ne doit pas avoir égard au seul texte de l'article, mais aussi et surtout à l'interprétation jurisprudentielle qui en a été donnée, au cours des ans, par l'accumulation des précédents judiciaires.

                              Je suis donc d'avis que ce premier moyen est mal fondé et doit être écarté.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les déclarations d'un accusé à son complice ne sont pas du ouï-dire

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