Wood c. Schaeffer, [2013] 3 RCS 1053, 2013 CSC 71 (CanLII)
[62] Les paragraphes 9(1) et 9(3) du règlement obligent l’agent témoin et l’agent impliqué à rédiger « des notes complètes sur l’incident conformément à [leur] obligation ». Le règlement ne définit pas l’obligation de rédiger des notes, pas plus que la Loi, qui fournit une liste non exhaustive des « [fonctions d’un] agent de police » à l’art. 42 et précise que l’agent de police a notamment pour fonctions de préserver la paix, de porter des accusations et de participer à des poursuites et d’exercer les fonctions légitimes que le chef de police lui confie. [63] Bien qu’il soit acquis aux débats que, dans le cadre de ses fonctions, l’agent est notamment tenu de prendre des notes au sujet des faits survenus au cours de sa période de service, je constate qu’aucune des parties ne renvoie à un extrait décisif d’un arrêt de la Cour en ce sens. [64] Des juristes chevronnés se sont toutefois prononcés en faveur de l’existence de cette obligation. Par exemple, dans le rapport qu’il a soumis en 1993 au procureur général de l’Ontario sur le filtrage des accusations, la communication de la preuve et les discussions en vue d’un règlement, un comité constitué d’avocats et de policiers expérimentés dirigés par l’honorable G. A. Martin fait observer : [traduction] . . . l’obligation de rédiger des notes soignées en rapport avec une enquête constitue un aspect important de l’obligation générale de l’enquêteur de veiller à ce que ceux qui commettent des crimes soient tenus responsables.
. . .
. . . le policier qui prend des notes inadéquates, en plus de risquer de compromettre le déroulement de la défense, risque également de nuire au déroulement de l’enquête ou du procès. Bref, c’est rendre un bien mauvais service tant à l’accusé qu’à la collectivité, qui a le droit de s’attendre à ce que les innocents soient acquittés et les coupables dûment condamnés. [Je souligne.]
(Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions (1993) (« Comité Martin »), p. 151 et 153)
[65] L’honorable R. E. Salhany s’est aussi penché sur l’importance des notes prises par les policiers au cours d’une enquête publique menée sur un décès causé par un agent qui n’était pas de service. Il a expliqué ainsi l’importance des notes : [traduction] [La prise de notes] n’est pas une tâche fastidieuse à laquelle les policiers doivent s’astreindre à contrecœur parce que c’est ce qu’on leur a enseigné à l’école de police. Elle fait partie intégrante de l’enquête et du procès. Elle revêt autant d’importance que l’obtention d’une déclaration incriminante, la découverte de pièces à conviction ou la recherche de témoins utiles. Tout enquêteur compétent a le devoir et la responsabilité de rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives dès que possible après qu’un incident fait l’objet d’une enquête. [Je souligne.]
(Report of the Taman Inquiry (2008), p. 133)
[66] Ces conclusions reposent selon moi sur des assises solides. L’importance que revêtent les notes prises par les policiers aux yeux du système de justice pénale est évidente. Pour reprendre les propos de M. Martin au sujet des notes bien rédigées : [traduction] Les notes de l’enquêteur constituent souvent la toute première source d’éléments de preuve concernant la perpétration d’un crime. Leur teneur se rapproche possiblement le plus de ce que le témoin a effectivement vu ou vécu. Comme elles représentent le premier constat dressé, elles sont susceptibles d’être le compte rendu le plus fidèle. [p. 152]
[67] Compte tenu de ce qui précède, c’est sans grande difficulté que je conclus que les policiers ont l’obligation de rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives dès que possible après l’enquête. M’inspirant des propos formulés par M. Martin, j’estime que l’obligation de rédiger des notes constitue, à tout le moins, un aspect implicite de l’obligation qu’a tout agent de police de faciliter le dépôt d’accusations et le déroulement des poursuites, une obligation qui est d’ailleurs expressément prévue à l’al. 42(1)e) de la Loi. [68] Il n’y a évidemment rien de nouveau dans tout cela pour les agents. Dans le cas qui nous occupe, par exemple, la politique de l’OPP vient confirmer l’existence de l’obligation de prendre des notes, les agents étant tenus à consigner [traduction] « de façon concise et exhaustive les détails de chaque incident » survenu au cours de leur période de service et de « prendre toutes les notes d’enquête originales [. . .] au cours de l’enquête ou dès que possible après celle‑ci » (Ordonnance 2.50 de l’OPP, Member Note Taking, dossier de l’UES, p. 48‑52). De façon plus générale, les guides à l’intention des policiers soulignent depuis longtemps l’importance des notes exactes, détaillées et exhaustives; voir, p. ex., R. E. Salhany, The Police Manual of Arrest, Seizure & Interrogation (7e éd. 1997), p. 270‑278.