jeudi 17 octobre 2024

Le consentement, la personne en autorité et la relation thérapeutique

Hébert c. R., 2017 QCCA 1646

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[40]        Rappelons d’abord le cadre juridique applicable en cette matière.

[41]        Au sujet du consentement, la Cour suprême écrit, dans l’arrêt Ewanchuk :

S’il y a un doute raisonnable sur la question de consentement, ou s’il est établi que la plaignante a participé activement à l’activité sexuelle, le juge des faits doit néanmoins se demander si celle-ci a consenti pour une des raisons énumérées au par. 265(3), notamment la crainte, la fraude ou l’exercice de l’autorité. Il n’est pas nécessaire que l’état d’esprit de la plaignante à l’égard de ces facteurs soit raisonnable. Si sa décision de consentir a été motivée par l’un de ces facteurs, de telle sorte que sa liberté de choisir a été viciée, le droit considère qu’il y a eu absence de consentement et l’actus reus de l’agression sexuelle est encore une fois établi.[33]

[Soulignements ajoutés]

[42]        Ne constitue donc pas un consentement le fait pour une plaignante de se soumettre ou de ne pas résister en raison de l’exercice de l’autorité[34]. Énoncée en matière de voies de fait[35], la portée de cette règle a été élargie et reçoit maintenant application en présence d’une accusation d’agression sexuelle. La Cour suprême a ainsi précisé, dans l’arrêt Norberg c. Wynribla notion de soumission à une personne représentant l’autorité :

La notion générale de soumission à une personne représentant « l’autorité » indique une inégalité de rapport de force entre les parties susceptible de remettre en question l’existence d’un consentement valable.

[…]

Le point commun dans les rapports de force et de dépendance est l’existence d’une association personnelle ou professionnelle sous-jacente qui engendre un déséquilibre marqué quant à la force respective des parties […] L’exploitation survient lorsque la personne « puissante » profite de sa situation d’autorité pour amener la personne « dépendante » à avoir des relations sexuelles et lui cause ainsi un préjudice.[36]

[Soulignements ajoutés]

[43]        L’autorité au sens de l’article 265(3) C.cr. ne saurait être restreinte aux personnes ayant le droit de donner des ordres ou d’imposer l’obéissance. Elle se rapporte également à celles ayant le pouvoir d’influencer la conduite et l’action d’autrui, d’être cru ou d’inspirer la confiance[37]. Notre Cour a dégagé, dans l’arrêt Lapointe c. R.[38], les éléments qui doivent être analysés pour déterminer si le consentement d’une victime d’agression sexuelle a pu être vicié par un tel rapport de force : 1) une inégalité de rapport de force et de dépendance; 2) l’exploitation de cette inégalité et 3) l’effet de l’exploitation sur la victime.[39]

[44]        La professeure Julie Desrosiers écrit à ce sujet :

Remarquons d’emblée que la ligne de démarcation entre l’ « incitation par abus de confiance ou de pouvoir » et l’ « exercice de l’autorité » est mince et que dans la plupart des cas, des recoupements seront constatés. [...] [Dans l’arrêt R. c. Audet, 1996 CanLII 198 (CSC)[1996] 2 R.C.S. 171, paragr. 38] la Cour suprême poursuit en affirmant que le juge du procès doit tenir compte de toutes les circonstances factuelles pertinentes pour déterminer s’il existait une relation de confiance entre les parties, notamment, la différence d’âge entre elles, l’évolution de leur relation et surtout, le statut de l’un par rapport à l’autre[40].

[45]        Un accusé ne saurait prétendre avoir cru sincèrement à l’existence d’un consentement, lorsqu’il est celui qui l’a vicié par un rapport de domination sur la victime[41]. Cela dit, la seule existence d’un rapport d’autorité ne permet pas de conclure à l’existence d’un vice de consentement. Il faut encore que l’accusé profite de ce rapport de force pour exploiter la victime. En somme,

…ce n’est pas le fait d’avoir des rapports sexuels avec une personne vulnérable ou dans un état d’infériorité qui constitue l’infraction (d’agression sexuelle), mais bien d’avoir des rapports sexuels avec une personne qui ne consent pas ou dont le consentement est vicié, par exemple, par sa vulnérabilité ou l’abus de confiance ou de pouvoir. C’est dans ce contexte que la vulnérabilité ou l’abus de confiance et de pouvoir, de même que toutes les circonstances de l’espèce, dont l’inégalité du rapport de force, sont pertinents à la détermination de l’existence ou de l’inexistence d’un consentement valide.[42]

[46]        Enfin, en ce qui concerne la nature thérapeutique des actes posés, la Cour suprême insiste sur la nécessité de considérer « l’ensemble des circonstances entourant la conduite pour déterminer la nature et la qualité de l’acte accompli »[43] :

La nature de la relation qui existait entre la plaignante et son présumé agresseur, y compris l’absence de position de force chez la patiente et son manque de connaissances, ainsi que l’obligation du médecin de ne faire des examens médicaux que pour le bien de la patiente sont tous des éléments dont il faut tenir compte pour déterminer si la patiente a effectivement consenti à la conduite en cause.[44]

[Soulignements ajoutés]

[47]        Il peut y avoir un rapport de force lié à une relation thérapeutique lorsqu’une personne s’adresse à une autre pour obtenir de l’aide et lui fait confiance, et que cette personne, sachant cela, profite de la situation non pas pour apporter un soulagement thérapeutique mais obtenir certaines faveurs de nature sexuelle ou initier certains contacts de même nature[45].

Le capacité pour une victime d'accomplir des gestes de base n'équivaut pas à une capacité à consentir à des actes sexuels

R. v. Merrit, 2004 CanLII 34353 (ON SC)

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[56]        Noting that the relevant inquiry is whether T.W. “lacked the minimal capacity to consent (or withhold her consent) to the sexual activity" (R. v. Jensen (1996), 1996 CanLII 1237 (ON CA), 106 C.C.C. (3d) 430 (Ont. C.A.) at 437), the defence points to certain factual circumstances to argue that a reasonable doubt must exist on the capacity issue.  Counsel for the appellant submitted that at “a basic level”, on arrival at the appellant's house, T.W. knew she was going to be sick, stayed on her own in the bathroom, was able to vomit on her own, and walked unassisted to the appellant's bedroom.  While capacity to consent to sexual activity may not amount to a very significant standard of cognitive awareness, equating relatively primitive actions such as walking a short distance, or unassisted vomiting, to capacity to consent to sex is entirely unpersuasive.  This is particularly so in light of the evidence of the complainant's extreme intoxication including lack of consciousness after midnight.

L'appréciation du consentement lorsque la victime est intoxiquée

R. v. Haraldson, 2012 ABCA 147

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[7]                The Criminal Code explicitly provides that there can be no consent if the complainant is incapable of consenting to the activity (s. 273.1). Capacity to consent to sexual activity requires something more than the capacity to execute baseline physical functions. The question is the degree to which intoxication negates comprehension or volition. A drunk complainant may retain the capacity to consent: R. v. R.(J) (2006), 2006 CanLII 22658 (ON SC), 40 C.R. (6th) 97 (Ont. S.C.J.) at paras. 17‑19, 43. Mere drunkenness is not the equivalent of incapacity: R. v. Jensen (1996), 1996 CanLII 1237 (ON CA), 106 C.C.C. (3d) 430 (Ont. C.A.). Nor is alcohol-induced imprudent decision making, memory loss, loss of inhibition or self control: R. v. Merritt[2004] O.J. No. 1295 (Ont. S.C.J.). A drunken consent is still a valid consent. Where the line is crossed into incapacity may be difficult to determine at times. Expert evidence may assist and even be necessary, in some cases (R. v. Faulkner (1997), 1997 CanLII 1193 (ON CA), 120 C.C.C. (3d) 377 (Ont. C.A.)), though it is not required as a matter of law: R. v. Merrittsupra; R. v. Hernandez[1997] A.J. No. 955 (Alta. C.A.)R. v. Cedeno2005 ONCJ 91, 195 C.C.C. (3d) 468 at para. 18.

Un individu a la responsabilité, avant d’engager un acte sexuel, de prendre les mesures raisonnables pour s’assurer du consentement, à plus forte raison si l’un des participants connaît des limitations intellectuelles

R. v. R.R., 2001 CanLII 27934 (ON CA)

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[57]         The appellant argued that before guilt is found based on an incapacity to consent, there should be some evidence to show with certainty that a person who is severely or moderately mentally disabled does not understand the sex act.  This distorts how the issue of consent is to be approached.  Under any circumstances, there is a responsibility, prior to engaging in sexual activity, to take reasonable steps to ascertain consent: Criminal Code s. 273.2(b).  But in circumstances such as these, where one of the participants has demonstrable mental limitations, the threshold of responsibility escalates exponentially.  This is not to suggest that persons who are developmentally disabled cannot consent; [1] rather, it requires that prior caution be exercised to avoid the exploitation of an exceptionally vulnerable individual. The issue in any event was not the capacity of persons with developmental disabilities to consent to sexual activity; rather, the issue was the capacity of this particular complainant to consent to sexual activity with the appellant and whether he had an honest but mistaken belief in that capacity.

[58]         The appellant had known the complainant for 10 years.  He was her neighbour, was fully aware that she had cognitive disabilities, acknowledged that she functioned at the same mental level as an 8 to 10 year old, and admitted that he gave no thought to her capacity to engage in sexual activity.  Notwithstanding his unfettered knowledge of her disabilities, he based his assumption about the complainant’s consent on a palpably inappropriate question about whether he was wearing underwear, and reinforced it by her touching his penis when he invited her to "check it out" and then by her silence. It is difficult to see how these facts, in the context of what the appellant knew about the complainant, could create an entitlement on his part to ignore his responsibility to consider her capacity. 

[59]         It is utterly unrealistic for the appellant to argue that he had an honest but mistaken belief in the complainant’s consent, when he acknowledged that he gave no thought whatever to her capacity to consent. The appellant's willingness to suspend all knowledge of her profoundly reduced mental abilities and assume her capacity to consent in these circumstances, defies reality. (see R. v. Ewanchuk1999 CanLII 711 (SCC), [1999] 1 S.C.R. 330; R. v. Davis1999 CanLII 638 (SCC), [1999] 3 S.C.R. 759; R. v. Esau1997 CanLII 312 (SCC), [1997] 2 S.C.R. 777; R. v. Park1995 CanLII 104 (SCC), [1995] 2 S.C.R. 836; R. v. Livermore1995 CanLII 43 (SCC), [1995] 4 S.C.R. 123; and R. v. Bulmer1987 CanLII 56 (SCC), [1987] 1 S.C.R. 782.)

dimanche 13 octobre 2024

Le silence ou la passivité de la plaignante ne saurait servir d’assise à une défense d’erreur de fait quant au consentement; l’acquiescement tacite ne constituant pas un moyen de défense

Poitras c. R., 2017 QCCA 1767

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[17]        L’appelant a en effet mentionné dans ses messages textes qu’il était toujours obligé de faire les premiers pas. Il déplorait que la plaignante se sentait obligée de le « coller » ou de l’embrasser[12]. Or, faut-il le rappeler, le silence ou la passivité de la plaignante ne saurait servir d’assise à une défense d’erreur de fait quant au consentement; l’acquiescement tacite ne constituant pas un moyen de défense[13].

L'agression sexuelle implique de porter atteinte à l'intégrité sexuelle de la victime et le critère qui doit être appliqué pour déterminer si la conduite reprochée comporte la nature sexuelle requise est objectif

R. c. Chase, 1987 CanLII 23 (CSC)

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11.              Appliquant ces principes et la jurisprudence citée, je fais les observations suivantes. L'agression sexuelle est une agression, au sens de l'une ou l'autre des définitions de ce concept au par. 244(1) du Code criminel, qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l'intégrité sexuelle de la victime. Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si la conduite reprochée comporte la nature sexuelle requise est objectif: "Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable peut‑elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l'agression?" (Taylor, précité, le juge en chef Laycraft, à la p. 269). La partie du corps qui est touchée, la nature du contact, la situation dans laquelle cela s'est produit, les paroles et les gestes qui ont accompagné l'acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, y compris les menaces avec ou sans emploi de la force, constituent des éléments pertinents (voir S. J. Usprich, "A New Crime in Old Battles: Definitional Problems with Sexual Assault" (1987), 29 Crim. L.Q. 200, à la p. 204.) L'intention ou le dessein de la personne qui commet l'acte, dans la mesure où cela peut ressortir des éléments de preuve, peut également être un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. Si le mobile de l'accusé était de tirer un plaisir sexuel, dans la mesure où cela peut ressortir de la preuve, il peut s'agir d'un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. Toutefois, il faut souligner que l'existence d'un tel mobile constitue simplement un des nombreux facteurs dont on doit tenir compte et dont l'importance variera selon les circonstances.


La défense de consentement tacite n’existe pas en matière d’agression sexuelle & l’accusé doit toujours prendre des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement

R. c. J.A., 2011 CSC 28

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[47]                          Suivant la jurisprudence de la Cour, rien ne remplace le consentement réel à l’activité sexuelle au moment où elle a lieu.  L’accusé ne peut prétendre que le consentement du plaignant était implicite, compte tenu des circonstances ou de la relation qu’il entretenait avec lui.  La défense de consentement tacite n’existe pas en matière d’agression sexuelle : Ewanchuk, par. 31.

[48]                          La jurisprudence portant sur la défense de croyance sincère mais erronée au consentement, qui sert à réfuter la mens rea, va dans le même sens.  En common law, il s’agissait d’une défense courante d’erreur de fait : l’accusé n’était pas coupable s’il croyait honnêtement en un état de fait qui, s’il avait existé, aurait rendu sa conduite licite : Pappajohn c. La Reine1980 CanLII 13 (CSC)[1980] 2 R.C.S. 120, p. 134 et 139.  Dans Ewanchuk, la Cour a conclu qu’il ne suffit pas que l’accusé ait cru au consentement subjectif du plaignant en son for intérieur : « Pour que les actes de l’accusé soient empreints d’innocence morale, la preuve doit démontrer que ce dernier croyait que la plaignante avait communiqué son consentement à l’activité sexuelle en question » (par. 46 (soulignement dans l’original)).  Voir également Park, par. 39 (la juge L’Heureux-Dubé).  Par conséquent, la croyance au consentement du plaignant ne suffit pas : l’accusé doit également avoir pris les mesures raisonnables pour s’assurer du consentement et croire que le plaignant a manifesté son consentement à l’activité sexuelle.  Or, cela est impossible si le plaignant est inconscient.

samedi 12 octobre 2024

La différence entre les infractions d'intention spécifique et d'intention générale

R. c. Daley, 2007 CSC 53

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[35]                          Tant en Angleterre qu’au Canada, les tribunaux ont considéré que la mention de la capacité de [traduction] « former l’intention spécifique qui constitue un élément essentiel du crime » dans Beard établissait une distinction entre les crimes d’intention spécifique et les crimes d’intention générale, de sorte que la défense d’intoxication ne pouvait traditionnellement être invoquée que pour la première catégorie de crimes.  Pour perpétrer une infraction d’intention spécifique, il faut viser un objectif qui dépasse l’objectif immédiat, tandis que les infractions d’intention générale n’exigent que la conscience d’accomplir l’acte interdit : voir R. c. Bernard1988 CanLII 22 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 833, et R. c. George1960 CanLII 45 (SCC), [1960] R.C.S. 871.


Les policiers doivent faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat et cette appréciation dépend du contexte propre à l’affaire

Drolet c. R., 2021 QCCA 1421 

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[31]      L’alinéa 10b) de la Charte garantit le droit d’une personne détenue ou arrêtée d’être assistée par un avocat :

10 Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :

[…]

b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit;

[32]      Cet alinéa impose aux policiers qui détiennent ou arrêtent une personne les obligations suivantes[11] :

(1)  informer la personne détenue de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et de l’existence de l’aide juridique et d’avocats de garde;

(2)  si la personne détenue a indiqué qu’elle voulait exercer ce droit, lui donner la possibilité raisonnable de le faire (sauf en cas d’urgence ou de danger);

(3)  s’abstenir de tenter de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable (encore une fois, sauf en cas d’urgence ou de danger).

[33]      La première obligation a été décrite comme un volet d’information. La volonté exprimée par la personne détenue d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat déclenche les deuxième et troisième obligations, qui constituent un second volet de mise en application par les policiers. Essentiellement, ceux-ci doivent donner à la personne détenue ou arrêtée une possibilité d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat à la première occasion raisonnable et ils doivent « “surseoir” à toute mesure ayant pour objet de lui soutirer des éléments de preuve de nature incriminante »[12] tant qu’elle n’aura pas eu cette possibilité raisonnable[13]. Ces obligations sont toutefois subordonnées à certaines exceptions sur lesquelles je reviendrai.

[34]      L’inobservation de l’une ou de l’autre de ces obligations entraîne une violation de la Charte[14].

a)   La première occasion raisonnable

[38]      En principe, les policiers doivent faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat. Ils ont en effet l’obligation d’agir de manière proactive « pour que le droit à un avocat se concrétise en accès à un avocat. »[15] La jurisprudence reconnaît des exceptions en cas d’une règle de droit[16], d’une menace à la sécurité des policiers ou du public[17], ou d’un risque imminent que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou qu’une autre opération policière en cours puisse être compromise[18]. De plus, ces obligations sont subordonnées à la diligence raisonnable de la personne dans l’exercice de son droit[19].

[39]      L’appréciation de la possibilité raisonnable donnée par les policiers à l’appelant d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat et de sa diligence raisonnable dépend du contexte propre à l’affaire[20]. Elle nécessite du juge qu’il tienne compte de l’ensemble des circonstances et qu’il les apprécie globalement[21]. Ces circonstances comprennent non seulement le comportement des policiers, mais aussi celui de l’appelant[22]. Dans cette analyse qui lui revient, le juge des faits se doit d’appliquer ce principe directeur, à défaut de commettre une erreur de droit[23].

[40]      La présence d’un téléphone cellulaire est une des circonstances dont le juge doit tenir compte. Toutefois, la présence d’un téléphone cellulaire ne signifie pas que les policiers devraient permettre son utilisation pour appeler un avocat. Comme le souligne notre collègue François Doyon dans R. c. Tremblay[24] :

[50]   Je conviens que la présence d’un cellulaire ne constitue pas, en soi, une circonstance forçant les policiers à en permettre l’utilisation pour communiquer avec un avocat. Cette technologie ne répond pas dans tous les cas à la question de savoir quand survient la « première occasion raisonnable ». Elle demeure néanmoins une circonstance dont il faut tenir compte en répondant à cette question. 

[49]      Le fait qu’il existe une pratique dans ce genre de dossier d’attendre l’arrivée au poste avant de faciliter l’accès à un avocat, et de ne permettre un appel du lieu de l’arrestation que s’il y a un long délai d’attente pour une remorqueuse, est troublant. Les policiers doivent, dans chaque cas, faciliter l’accès à un avocat à la première occasion raisonnable, ce qui dépend des circonstances propres à chaque situation. Ils doivent envisager la possibilité de permettre à la personne détenue d’utiliser son téléphone cellulaire sur le lieu de l’arrestation et considérer s’il y a de bonnes raisons pour ne pas le permettre, plutôt que de reporter systématiquement l’accès à un avocat à l’arrivée au poste[27]. Ni le juge de première instance ni le juge d’appel ne traitent de cette question. Cela constitue à mon avis une erreur de droit révisable.

[50]      Le premier juge invoque plutôt des questions de confidentialité et de sécurité pour justifier la décision de reporter au poste l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat. Toutefois, sa conclusion concernant l’absence de confidentialité lors d’un appel fait à partir d’un téléphone cellulaire dans la voiture de police n’a aucune assise dans la preuve au dossier « et, par conséquent, aucune base permettant d’apprécier le caractère raisonnable de l’omission de faciliter cet accès. »[28] Il s’agit d’une erreur de droit. De plus, l’absence de confidentialité ne me semble pas un motif suffisant pour ne pas offrir à l’appelant la possibilité de faire un appel à un avocat. En principe, la confidentialité appartient à l’appelant qui pouvait préférer avoir une conversation qui n’est pas parfaitement confidentielle, à ne pas avoir le bénéfice des conseils d’un avocat. Il aurait fallu au moins lui offrir la possibilité.

[51]      La question de l’enjeu sécuritaire est plus sérieuse. L’appelant est menotté et assis sur le siège arrière de la voiture de police pour des raisons de sécurité aux dires des policiers – l’agent Morneau dit craindre que l’appelant devienne violent. Le premier juge semble accepter son témoignage. Il s’agit d’une question de fait sur laquelle nous ne pouvons revenir.

[53]      Les policiers doivent, en principe, « “surseoir” à toute mesure ayant pour objet de […] soutirer des éléments de preuve de nature incriminante »[29] à une personne détenue ou arrêtée tant qu’elle n’aura pas eu la possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat[30].

[59]      L’alinéa 10b) de la Charte impose l’obligation au policier de ne pas forcer la personne détenue à prendre une telle décision lourde de conséquences légales jusqu'à ce qu’elle ait eu une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Les seules exceptions sont l’urgence, des circonstances dangereuses ou un manque de diligence de la part de la personne détenue dans l’exercice de ce droit.