R. c. Latimer, [2001] 1 R.C.S. 3, 2001 CSC 1
Résumé des faits
Le présent pourvoi découle de la mort de Tracy Latimer, une fillette de 12 ans qui souffrait d’une paralysie cérébrale grave. Son père, Robert Latimer, lui a enlevé la vie il y a environ sept ans. Il a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré.
Analyse
Le moyen de défense fondé sur la nécessité est restreint et n’a qu’une application limitée en droit criminel. L’accusé doit démontrer l’existence de trois éléments avant de pouvoir invoquer la nécessité. Premièrement, il doit y avoir danger imminent. Deuxièmement, l’accusé ne doit pas avoir d’autre solution raisonnable et légale que d’agir comme il l’a fait. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre le mal infligé et le mal évité.
Tuer quelqu’un — dans le but de mettre fin à la douleur produite par un état de santé physique ou mental qui peut être traité par des soins médicaux — n’est pas une réaction proportionnée au mal que constitue une douleur qui ne met pas la vie en danger et qui résulte de cet état de santé.
Les deux premières exigences — le danger imminent et l’absence de solution raisonnable et légale — doivent être évaluées selon la norme objective modifiée décrite précédemment. Comme il est mentionné dans Perka, la nécessité repose sur une norme objective : le caractère involontaire se mesure en fonction de ce que la société considère comme une résistance normale et appropriée à la pression
Il est habituel et, dans la plupart des cas, préférable que le juge du procès se prononce sur la possibilité d’invoquer un moyen de défense avant les exposés finals au jury. Même si ce moyen de défense a été soustrait à l’examen du jury à une étape plus avancée du procès que d’habitude, cela n’a pas nui à l’équité du procès de l’accusé ni violé ses droits constitutionnels.
Le principe de la « preuve à réfuter » est un élément du droit constitutionnel de l’accusé à une défense pleine et entière. Cela signifie que l’accusé a le droit de connaître la preuve qui pèse contre lui avant d’y répondre. La raison d’être de ce principe est que, avant de présenter sa défense, l’accusé doit pouvoir tenir pour acquis que le ministère public a présenté toute la preuve sur laquelle il se fondera pour établir sa culpabilité
Le juge du procès n’a pas porté atteinte aux droits de l’accusé en répondant à la question du jury, qui voulait savoir s’il pouvait participer à la détermination de la peine. Le procès n’est pas devenu inéquitable du seul fait que le juge du procès a miné le pouvoir d’annulation de fait du jury. Dans la plupart voire la totalité des cas, l’annulation par le jury n’est pas un élément valable dont il faut tenir compte en analysant l’équité du procès pour l’accusé. Il est souhaitable et légitime pour le juge du procès d’empêcher l’annulation par le jury; en fait, le juge est tenu de prendre les mesures nécessaires pour que le jury applique la loi correctement.
L’expression « annulation par le jury » vise la situation rare où le jury choisit en connaissance de cause de ne pas appliquer la loi et acquitte le défendeur malgré la force de la preuve qui pèse contre lui. L’annulation par le jury est un concept inusité en droit criminel, car elle reconnaît effectivement qu’il peut arriver que le jury décide, dans de très rares cas, de ne pas appliquer la loi.
Le juge en chef Dickson a prévenu que « reconnaître ce fait qu’un jury peut annuler est très loin de suggérer qu’un avocat peut encourager un jury à méconnaître une loi qui ne lui plaît pas ou à lui dire qu’il a le droit de le faire ».
La règle au Canada veut qu’il appartienne au jury de déterminer la culpabilité et au juge du procès de déterminer la peine. Le rôle du jury est de déterminer à partir des faits si la preuve établit la culpabilité.
Il peut paraître étrange que le jury, ne connaissant pas la peine, puisse ne tenir aucun compte des conséquences de ses conclusions, mais ce fait est aussi approprié que souhaitable compte tenu du risque que le jury puisse être influencé — en faveur de l’acquittement ou de la déclaration de culpabilité — par la peine éventuelle. Cette logique s’applique avec la même force lorsque la peine prescrite est une peine minimale fixée par la loi. Le fait qu’une personne reconnue coupable soit assujettie à une peine minimale fixée d’avance ne devrait pas influencer le jury dans l’examen de la question de la culpabilité.
En l’espèce, la peine minimale obligatoire pour meurtre au deuxième degré ne constitue pas une peine cruelle et inusitée au sens de l’art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.
La gravité de l’infraction ainsi que la situation personnelle du contrevenant et les circonstances particulières de l’infraction doivent être prises en compte aux fins de l’analyse fondée sur l’art. 12
Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l’art. 12 de la Charte consiste, pour reprendre les termes utilisés par le juge en chef Laskin, à se demander «si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine.» En d’autres termes, bien que l’État puisse infliger une peine, l’effet de cette peine ne doit pas être exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié.
En vérifiant si une peine est exagérément disproportionnée, la cour doit d’abord prendre en considération la gravité de l’infraction commise, les caractéristiques personnelles du contrevenant et les circonstances particulières de l’affaire afin de déterminer quelles peines auraient été appropriées pour punir, réhabiliter ou dissuader ce contrevenant particulier ou pour protéger le public contre ce dernier.
Quant aux caractéristiques du contrevenant et aux circonstances particulières de l’infraction, nous devons tenir compte des circonstances aggravantes et des circonstances atténuantes.
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jeudi 2 avril 2009
mardi 31 mars 2009
Suffisance de l'ordre relativement au prélèvement d’un échantillon de sang selon l'article 254 du Code criminel
R. c. Knox, [1996] 3 R.C.S. 199
Résumé des faits
À la suite d’un grave accident de la route, le policier chargé de l’affaire a estimé que l’accusé était en état d’ébriété et il lui a ordonné de fournir un échantillon de sang, conformément au par. 254(3) du Code criminel. (L’accusé était à l’hôpital et l’ivressomètre le plus proche se trouvait assez loin de là.) L’ordre type imprimé sur une carte, qui a été lu à l’accusé, ne comportait pas les garanties requises au par. 254(4) (et énoncées en détail dans l’arrêt R. c. Green), à savoir que les échantillons de sang ne seraient prélevés que par un médecin qualifié convaincu que ces prélèvements ne risqueraient pas de mettre en danger la vie ou la santé du suspect.
Analyse
Le ministère public n’est pas tenu de prouver que l’accusé a consenti au prélèvement d’un échantillon de sang en vertu du par. 254(3) du Code. C’est une disposition impérative et non consensuelle. Une personne qui en reçoit l’ordre est tenue de fournir un échantillon de sang et quiconque «refuse d’obtempérer» à un ordre de fournir un échantillon de sang commet une infraction distincte (par. 254(5)).
Il existe réellement une différence de sens entre «obtempérer» et «consentir». Consentir signifie être d’accord et coopérer, et connote une décision de permettre à la police de faire quelque chose qu’elle ne pourrait pas faire autrement. Obtempérer a un sens plus subtil qui comporte l’omission de s’opposer. Le fait d’acquiescer et d’obtempérer indique seulement l’omission de s’opposer et ne constitue pas un consentement.
La norme actuelle exige simplement que le ministère public prouve qu’il existait des motifs raisonnables et probables de croire que l’accusé avait commis l’infraction de conduite avec facultés affaiblies, qu’il était impossible d’obtenir un échantillon d’haleine et qu’un ordre de prélèvement d’échantillon de sang avait été donné. Cependant, personne ne peut être contraint, physiquement ou autrement, de fournir un échantillon de sang. Par ailleurs, le fait d’obtempérer peut être vicié dans certaines circonstances comme celles où il y a eu recours à la supercherie.
L’ordre type qui a été lu en l’espèce était insuffisant parce qu’il ne comportait pas les garanties prévues au par. 254(4), à savoir que les échantillons de sang ne seraient prélevés que par un médecin qualifié convaincu que ces prélèvements ne risqueraient pas de mettre en danger la vie ou la santé du suspect. Sans ces garanties, le prélèvement sanguin contrevenait aux art. 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Si l’ordre n’a pas été ainsi validement donné, l’accusé ne peut pas être déclaré coupable, en vertu du par. 254(5), de ne pas avoir obtempéré à cet ordre.
L’intégrité du régime d’échantillons de sang exige que le policier donne un ordre valide assorti des garanties prévues au par. 254(4), même si l’accusé avait obtempéré à l’ordre en l’absence des garanties médicales.
Pour appliquer le par. 24(2) de la Charte, il y a une différence importante entre le fait d’obtempérer et le fait de refuser. Si un accusé a obtempéré à un ordre de fournir un échantillon sanguin sans que ne lui soient données les garanties médicales prévues au par. 254(4), la production en preuve de cet échantillon n’est pas susceptible de «déconsidérer l’administration de la justice». Cela est d’autant plus vrai lorsque les conditions prescrites par la disposition ont été effectivement remplies. L’administration de la justice n’est pas déconsidérée par l’ordre insuffisant lorsqu’un accusé y a vraiment obtempéré dans ces circonstances, car un ordre régulier fondé sur le par. 254(4) ne servirait qu’à encourager davantage à y obtempérer.
Résumé des faits
À la suite d’un grave accident de la route, le policier chargé de l’affaire a estimé que l’accusé était en état d’ébriété et il lui a ordonné de fournir un échantillon de sang, conformément au par. 254(3) du Code criminel. (L’accusé était à l’hôpital et l’ivressomètre le plus proche se trouvait assez loin de là.) L’ordre type imprimé sur une carte, qui a été lu à l’accusé, ne comportait pas les garanties requises au par. 254(4) (et énoncées en détail dans l’arrêt R. c. Green), à savoir que les échantillons de sang ne seraient prélevés que par un médecin qualifié convaincu que ces prélèvements ne risqueraient pas de mettre en danger la vie ou la santé du suspect.
Analyse
Le ministère public n’est pas tenu de prouver que l’accusé a consenti au prélèvement d’un échantillon de sang en vertu du par. 254(3) du Code. C’est une disposition impérative et non consensuelle. Une personne qui en reçoit l’ordre est tenue de fournir un échantillon de sang et quiconque «refuse d’obtempérer» à un ordre de fournir un échantillon de sang commet une infraction distincte (par. 254(5)).
Il existe réellement une différence de sens entre «obtempérer» et «consentir». Consentir signifie être d’accord et coopérer, et connote une décision de permettre à la police de faire quelque chose qu’elle ne pourrait pas faire autrement. Obtempérer a un sens plus subtil qui comporte l’omission de s’opposer. Le fait d’acquiescer et d’obtempérer indique seulement l’omission de s’opposer et ne constitue pas un consentement.
La norme actuelle exige simplement que le ministère public prouve qu’il existait des motifs raisonnables et probables de croire que l’accusé avait commis l’infraction de conduite avec facultés affaiblies, qu’il était impossible d’obtenir un échantillon d’haleine et qu’un ordre de prélèvement d’échantillon de sang avait été donné. Cependant, personne ne peut être contraint, physiquement ou autrement, de fournir un échantillon de sang. Par ailleurs, le fait d’obtempérer peut être vicié dans certaines circonstances comme celles où il y a eu recours à la supercherie.
L’ordre type qui a été lu en l’espèce était insuffisant parce qu’il ne comportait pas les garanties prévues au par. 254(4), à savoir que les échantillons de sang ne seraient prélevés que par un médecin qualifié convaincu que ces prélèvements ne risqueraient pas de mettre en danger la vie ou la santé du suspect. Sans ces garanties, le prélèvement sanguin contrevenait aux art. 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Si l’ordre n’a pas été ainsi validement donné, l’accusé ne peut pas être déclaré coupable, en vertu du par. 254(5), de ne pas avoir obtempéré à cet ordre.
L’intégrité du régime d’échantillons de sang exige que le policier donne un ordre valide assorti des garanties prévues au par. 254(4), même si l’accusé avait obtempéré à l’ordre en l’absence des garanties médicales.
Pour appliquer le par. 24(2) de la Charte, il y a une différence importante entre le fait d’obtempérer et le fait de refuser. Si un accusé a obtempéré à un ordre de fournir un échantillon sanguin sans que ne lui soient données les garanties médicales prévues au par. 254(4), la production en preuve de cet échantillon n’est pas susceptible de «déconsidérer l’administration de la justice». Cela est d’autant plus vrai lorsque les conditions prescrites par la disposition ont été effectivement remplies. L’administration de la justice n’est pas déconsidérée par l’ordre insuffisant lorsqu’un accusé y a vraiment obtempéré dans ces circonstances, car un ordre régulier fondé sur le par. 254(4) ne servirait qu’à encourager davantage à y obtempérer.
La légitime défense ne s’applique pas dans une bagarre à coups de poing entre adversaires consentants
R. c. Paice, [2005] 1 R.C.S. 339, 2005 CSC 22
Résumé des faits
À la suite d’une bousculade à l’intérieur d’un bar, la victime a mis l’accusé au défi d’aller se battre dehors. Une fois à l’extérieur, ils se sont proféré des menaces, et la victime a poussé l’accusé à une ou peut‑être deux reprises. L’accusé a frappé la victime à la mâchoire. La victime est tombée à la renverse et s’est heurté la tête sur le pavé. L’accusé lui a alors assené deux autres coups à la tête. La victime est décédée des suites de ses blessures et l’accusé a été inculpé d’homicide involontaire coupable
Résumé des faits
Dans une bagarre à coups de poing entre adversaires consentants, la légitime défense prévue au par. 34(1) ne s’applique pas étant donné qu’en raison de son consentement à la bagarre aucun des adversaires ne peut prétendre avoir été la victime innocente d’une attaque qu’il n’a pas provoquée.
L’arrêt Jobidon précise que, pour que le consentement soit vicié, il faut que des lésions graves aient été à la fois voulues et causées.
Un accusé ne peut invoquer le par. 34(1) que s’il a été illégalement attaqué « sans provocation de sa part ». Aux termes de l’art. 36 du Code criminel, la provocation comprend « celle faite par des coups, des paroles ou des gestes ». La légitime défense prévue au par. 34(1) a un sens large et permet à la personne attaquée d’employer la force nécessaire pour se défendre, sans qu’aucune crainte préalable de mourir ou de subir des lésions corporelles graves soit nécessaire. La conduite adoptée est justifiée dans la mesure où la force employée n’a pas pour but de causer la mort ou des lésions corporelles graves. Le paragraphe 34(1) ne peut être invoqué que dans le cas où l’accusé est une victime innocente qui a été attaquée sans provocation de sa part. La personne qui décide de participer à un échange de coups ne peut pas, par la suite, affirmer qu’elle n’a pas provoqué l’attaque
Résumé des faits
À la suite d’une bousculade à l’intérieur d’un bar, la victime a mis l’accusé au défi d’aller se battre dehors. Une fois à l’extérieur, ils se sont proféré des menaces, et la victime a poussé l’accusé à une ou peut‑être deux reprises. L’accusé a frappé la victime à la mâchoire. La victime est tombée à la renverse et s’est heurté la tête sur le pavé. L’accusé lui a alors assené deux autres coups à la tête. La victime est décédée des suites de ses blessures et l’accusé a été inculpé d’homicide involontaire coupable
Résumé des faits
Dans une bagarre à coups de poing entre adversaires consentants, la légitime défense prévue au par. 34(1) ne s’applique pas étant donné qu’en raison de son consentement à la bagarre aucun des adversaires ne peut prétendre avoir été la victime innocente d’une attaque qu’il n’a pas provoquée.
L’arrêt Jobidon précise que, pour que le consentement soit vicié, il faut que des lésions graves aient été à la fois voulues et causées.
Un accusé ne peut invoquer le par. 34(1) que s’il a été illégalement attaqué « sans provocation de sa part ». Aux termes de l’art. 36 du Code criminel, la provocation comprend « celle faite par des coups, des paroles ou des gestes ». La légitime défense prévue au par. 34(1) a un sens large et permet à la personne attaquée d’employer la force nécessaire pour se défendre, sans qu’aucune crainte préalable de mourir ou de subir des lésions corporelles graves soit nécessaire. La conduite adoptée est justifiée dans la mesure où la force employée n’a pas pour but de causer la mort ou des lésions corporelles graves. Le paragraphe 34(1) ne peut être invoqué que dans le cas où l’accusé est une victime innocente qui a été attaquée sans provocation de sa part. La personne qui décide de participer à un échange de coups ne peut pas, par la suite, affirmer qu’elle n’a pas provoqué l’attaque
dimanche 29 mars 2009
Fouilles, perquisitions et saisies à l’école
R. c. M. (M.R.), [1998] 3 R.C.S. 393
Résumé des faits
Des élèves ont donné au directeur adjoint d’une école secondaire des renseignements raisonnablement dignes de foi, selon lesquels un autre élève avait l’intention de vendre de la drogue lors d’une activité scolaire tenue à l’école. Le directeur adjoint a invité l’accusé à se rendre à son bureau où il a demandé s’il était en possession de drogue, en le prévenant qu’il le fouillerait. Un agent de la GRC en tenue civile, appelé par le directeur adjoint conformément à la politique de l’école, était présent mais est resté muet pendant que le directeur adjoint parlait aux élèves et les fouillait.
Analyse
La protection de la Charte contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives (art. 8) s’applique parce que les écoles font partie du gouvernement.
Le seul fait qu’il y ait eu coopération entre le directeur adjoint et la police et qu’un policier ait assisté à la fouille n’est pas suffisant pour indiquer que le directeur adjoint agissait en qualité de mandataire de la police.
L’attente raisonnable en matière de vie privée peut toutefois être réduite dans certaines circonstances. Dans le cas d’un élève à l’école, elle est moindre que celle qu’il aurait dans d’autres circonstances, car les élèves savent que leurs enseignants et autres autorités scolaires ont la responsabilité de procurer un environnement sûr et de maintenir l’ordre et la discipline dans l’école. Ils savent que cela peut parfois commander la fouille d’élèves et de leurs effets personnels de même que la saisie d’articles interdits.
L’une des façons dont les autorités scolaires peuvent être appelées à réagir raisonnablement consiste à fouiller des élèves et à saisir des articles interdits. En matière de droit criminel, la preuve découverte par un enseignant ou par un directeur ne devrait pas être écartée parce que la fouille aurait été abusive si elle avait été effectuée par la police.
Exiger un mandat ou une autre autorisation préalable pour procéder à la fouille serait clairement peu pratique et irréalisable dans l’environnement scolaire. Les enseignants et les directeurs doivent pouvoir répondre rapidement et efficacement aux problèmes qui surgissent à l’école, afin de protéger leurs élèves et procurer l’atmosphère ordonnée propice à l’acquisition de connaissances.
La fouille d’un élève par les responsables d’une école n’a pas à reposer sur des motifs raisonnables et probables. Au contraire, dans ces circonstances, ils peuvent effectuer cette fouille s’ils ont des motifs raisonnables de croire qu’une règle de l’école a été violée ou est en train de l’être, et que la preuve de cette violation se trouve dans les lieux ou sur la personne de l’élève fouillé. Les fouilles entreprises dans des cas où la santé et la sécurité des élèves est en cause peuvent bien nécessiter l’application d’autres facteurs. Pour déterminer si une fouille est raisonnable, il faut prendre en considération toutes les circonstances qui l’ont entourée.
Un enseignant ou un directeur ne devrait pas être tenu d’obtenir un mandat pour fouiller un élève, et, partant, l’absence de mandat dans ces circonstances ne crée pas de présomption de fouille abusive. L’enseignant ou le directeur qui a des motifs raisonnables de croire qu’une règle de l’école a été violée et que la preuve de cette violation peut être découverte sur l’élève même peut procéder légitimement à la fouille de ce dernier.
La fouille exécutée par les autorités scolaires doit elle‑même être raisonnable, autorisée par la loi et appropriée eu égard aux circonstances et à la nature du manquement au règlement de l’école, dont on soupçonne l’existence. L’étendue acceptable de la fouille variera selon la gravité de l’infraction dont on soupçonne l’existence. Le caractère raisonnable d’une fouille effectuée par des enseignants ou des directeurs à la suite de la communication de renseignements doit être examiné et apprécié en fonction de toutes les circonstances en cause, y compris la responsabilité qu’ils ont d’assurer la sécurité des élèves. Les circonstances à examiner devraient aussi comprendre l’âge et le sexe de l’élève.
Cette norme modifiée des fouilles raisonnables devrait s’appliquer aux fouilles d’élèves à l’école, effectuées par des enseignants ou des autorités scolaires conformément à leur responsabilité et à leur pouvoir de maintenir l’ordre, la discipline et la sécurité à l’école. Cette norme ne s’appliquera pas aux mesures qui excèdent l’autorité des enseignants ou des directeurs. En outre, la situation est différente si les autorités scolaires agissent en qualité de mandataires de la police, et, dans ce cas, les normes habituelles s’appliquent.
Cette affaire ne porte que sur une fouille d’élèves exécutée dans une école élémentaire ou secondaire. On ne s’est pas penché sur le cas des fouilles effectuées dans des établissements de niveau collégial ou universitaire.
Même si le fait pour un élève de devoir se présenter au bureau du directeur ou d’être assujetti à quelque autre forme de contrainte de la part d’une autorité scolaire pouvait être perçu comme correspondant aux termes stricts de la définition du mot «détention», il n’y a pas lieu de considérer cela comme de la «détention» aux fins de l’application de l’al. 10b).
Résumé des faits
Des élèves ont donné au directeur adjoint d’une école secondaire des renseignements raisonnablement dignes de foi, selon lesquels un autre élève avait l’intention de vendre de la drogue lors d’une activité scolaire tenue à l’école. Le directeur adjoint a invité l’accusé à se rendre à son bureau où il a demandé s’il était en possession de drogue, en le prévenant qu’il le fouillerait. Un agent de la GRC en tenue civile, appelé par le directeur adjoint conformément à la politique de l’école, était présent mais est resté muet pendant que le directeur adjoint parlait aux élèves et les fouillait.
Analyse
La protection de la Charte contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives (art. 8) s’applique parce que les écoles font partie du gouvernement.
Le seul fait qu’il y ait eu coopération entre le directeur adjoint et la police et qu’un policier ait assisté à la fouille n’est pas suffisant pour indiquer que le directeur adjoint agissait en qualité de mandataire de la police.
L’attente raisonnable en matière de vie privée peut toutefois être réduite dans certaines circonstances. Dans le cas d’un élève à l’école, elle est moindre que celle qu’il aurait dans d’autres circonstances, car les élèves savent que leurs enseignants et autres autorités scolaires ont la responsabilité de procurer un environnement sûr et de maintenir l’ordre et la discipline dans l’école. Ils savent que cela peut parfois commander la fouille d’élèves et de leurs effets personnels de même que la saisie d’articles interdits.
L’une des façons dont les autorités scolaires peuvent être appelées à réagir raisonnablement consiste à fouiller des élèves et à saisir des articles interdits. En matière de droit criminel, la preuve découverte par un enseignant ou par un directeur ne devrait pas être écartée parce que la fouille aurait été abusive si elle avait été effectuée par la police.
Exiger un mandat ou une autre autorisation préalable pour procéder à la fouille serait clairement peu pratique et irréalisable dans l’environnement scolaire. Les enseignants et les directeurs doivent pouvoir répondre rapidement et efficacement aux problèmes qui surgissent à l’école, afin de protéger leurs élèves et procurer l’atmosphère ordonnée propice à l’acquisition de connaissances.
La fouille d’un élève par les responsables d’une école n’a pas à reposer sur des motifs raisonnables et probables. Au contraire, dans ces circonstances, ils peuvent effectuer cette fouille s’ils ont des motifs raisonnables de croire qu’une règle de l’école a été violée ou est en train de l’être, et que la preuve de cette violation se trouve dans les lieux ou sur la personne de l’élève fouillé. Les fouilles entreprises dans des cas où la santé et la sécurité des élèves est en cause peuvent bien nécessiter l’application d’autres facteurs. Pour déterminer si une fouille est raisonnable, il faut prendre en considération toutes les circonstances qui l’ont entourée.
Un enseignant ou un directeur ne devrait pas être tenu d’obtenir un mandat pour fouiller un élève, et, partant, l’absence de mandat dans ces circonstances ne crée pas de présomption de fouille abusive. L’enseignant ou le directeur qui a des motifs raisonnables de croire qu’une règle de l’école a été violée et que la preuve de cette violation peut être découverte sur l’élève même peut procéder légitimement à la fouille de ce dernier.
La fouille exécutée par les autorités scolaires doit elle‑même être raisonnable, autorisée par la loi et appropriée eu égard aux circonstances et à la nature du manquement au règlement de l’école, dont on soupçonne l’existence. L’étendue acceptable de la fouille variera selon la gravité de l’infraction dont on soupçonne l’existence. Le caractère raisonnable d’une fouille effectuée par des enseignants ou des directeurs à la suite de la communication de renseignements doit être examiné et apprécié en fonction de toutes les circonstances en cause, y compris la responsabilité qu’ils ont d’assurer la sécurité des élèves. Les circonstances à examiner devraient aussi comprendre l’âge et le sexe de l’élève.
Cette norme modifiée des fouilles raisonnables devrait s’appliquer aux fouilles d’élèves à l’école, effectuées par des enseignants ou des autorités scolaires conformément à leur responsabilité et à leur pouvoir de maintenir l’ordre, la discipline et la sécurité à l’école. Cette norme ne s’appliquera pas aux mesures qui excèdent l’autorité des enseignants ou des directeurs. En outre, la situation est différente si les autorités scolaires agissent en qualité de mandataires de la police, et, dans ce cas, les normes habituelles s’appliquent.
Cette affaire ne porte que sur une fouille d’élèves exécutée dans une école élémentaire ou secondaire. On ne s’est pas penché sur le cas des fouilles effectuées dans des établissements de niveau collégial ou universitaire.
Même si le fait pour un élève de devoir se présenter au bureau du directeur ou d’être assujetti à quelque autre forme de contrainte de la part d’une autorité scolaire pouvait être perçu comme correspondant aux termes stricts de la définition du mot «détention», il n’y a pas lieu de considérer cela comme de la «détention» aux fins de l’application de l’al. 10b).
samedi 14 mars 2009
La pertinence du test polygraphique
R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38
1. Informer le suspect des utilisations possibles du test polygraphique
91 Je suis d’accord pour dire que le simple fait d’omettre d’indiquer au suspect que les résultats du test polygraphique sont inadmissibles en preuve n’a pas automatiquement pour effet de rendre la confession involontaire. Les tribunaux doivent appliquer une démarche en deux étapes. Premièrement, conformément aux arrêts Rothman et Collins, précités, la confession doit être écartée si le subterfuge des policiers choque la collectivité. Deuxièmement, même si le subterfuge n’atteint pas ce degré de gravité, l’utilisation du subterfuge est un facteur pertinent dans l’analyse globale du caractère volontaire. À ce stade‑ci, la démarche est similaire à celle applicable à l’égard de la preuve fabriquée, voir précédemment, quoique, évidemment, l’utilisation d’une preuve inadmissible soit intrinsèquement moins problématique que l’utilisation d’une preuve fabriquée. Le simple fait d’omettre de dire au suspect que les résultats du test polygraphique sont inadmissibles n’entraîne pas à lui seul l’exclusion de la confession. Tout au plus peut-il constituer un facteur dans l’analyse globale du caractère volontaire.
93 Il ressort clairement de cet échange que l’intimé comprenait que, à eux seuls, les résultats du polygraphe n’étaient pas pertinents, que c’est plutôt l’opinion qu’en tire le technicien qui compte. Comme le sergent Taker a clairement dit à l’intimé que son interprétation des résultats n’était pas admissible, je souscris à l’opinion du juge MacDonald de la Cour provinciale qu’[traduction] «[i]l n’y a absolument aucun élément de preuve établissant que M. Oickle était confus sur ce point».
2. L’exagération de la validité des tests polygraphiques
95 Je reconnais que les policiers ont exagéré la fiabilité du polygraphe. Comme de nombreux auteurs l’ont démontré, les polygraphes sont loin d’être infaillibles: (...) De même, dans R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398, notre Cour a reconnu que les résultats des tests polygraphiques ne sont pas suffisamment fiables pour être admis devant les tribunaux.
96 Dans R. c. Amyot, [1991] R.J.Q. 954, à la p. 962, la Cour d’appel du Québec a jugé que le fait de dire que le polygraphe est infaillible rend une confession involontaire. Dans cette affaire, le polygraphiste a dit à l’accusé que «le test lui démontre qu’il ne dit pas la vérité». La cour a estimé que ces propos étaient inappropriés, et ce pour les raisons suivantes:
. . . c’est pousser beaucoup trop dans l’absolu ce en quoi cet examen consiste: c’est présenter à l’appelant le résultat comme une certitude qui va évidemment l’ébranler et lui faire dire: «Mais que va‑t‑il se passer maintenant?» Il me semble qu’ainsi l’appelant est induit en erreur sur l’infaillibilité du test, et cette façon de procéder peut naturellement inciter le sujet à «passer aux aveux».
Voir également l’arrêt Fowler, précité. Dans Amyot, la Cour d’appel a insisté de façon particulière sur le fait que le suspect avait fait une confession presque immédiatement après avoir été informé des résultats du test polygraphique, ce qui tendait à indiquer que sa volonté avait été subjuguée lorsqu’on l’avait mis en présence de cette preuve accablante, censément irréfutable.
97 Sans me prononcer sur le bien‑fondé la décision rendue dans Amyot, je souligne que les faits de cette affaire diffèrent considérablement de ceux du présent cas. Comme le démontre l’échange suivant, l’intimé a à maintes reprises rejeté l’exactitude des résultats du test polygraphique:
L’intimé n’a pas été atterré par les résultats du test polygraphique. Quoiqu’il soit clair que les policiers se sont fondés de façon importante sur ces résultats pour soutirer une confession à l’intimé, il ne s’agissait pas d’une situation comme celle de l’affaire Amyot, où l’aveu a presque immédiatement suivi la communication des résultats.
98 D’autres tribunaux ont écarté des confessions obtenues par l’utilisation d’un polygraphe seulement lorsqu’il s’était écoulé un certain temps avant que le suspect finisse par faire une confession. Par exemple, dans Ollerhead, précité, le tribunal a cité le passage suivant de R. c. Romansky (1981), 6 Man. R. (2d) 408 (C. cté), à la p. 421:
[traduction] [L]es tactiques psychologiques utilisées ont créé une atmosphère d’oppression. L’accusé a rapidement perdu toute volonté lorsqu’il s’est effondré sur le plan émotif. Comme en témoigne sa docilité et/ou susceptibilité concomitantes aux suggestions, sa volonté a été vaincue et subjuguée par celle de la personne en situation d’autorité.
Divers tribunaux de juridiction inférieure ont donc adopté des approches très différentes pour déterminer si les polygraphes créent une atmosphère oppressive. Les approches différentes retenues dans des affaires comme Amyot et Ollerhead démontrent que le moment de la confession par rapport à celui de l’administration du test polygraphique ne saurait être décisif. Il s’agit plutôt d’un élément de preuve qu’il appartient au juge du procès de considérer lorsqu’il détermine si la confession était volontaire.
99 Bien que les policiers aient effectivement induit l’intimé en erreur relativement à l’exactitude du polygraphe, il reste quand même à décider si, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’interrogatoire, ce fait a rendu les confessions inadmissibles. À mon avis, ce ne fut pas le cas. Comme nous l’avons vu plus tôt, il n’y a pas eu d’effondrement émotionnel en l’espèce. Le simple fait qu’un suspect se mette à pleurer lorsqu’il fait finalement une confession, comme l’a fait l’intimé, ne témoigne pas d’un «effondrement émotionnel complet»; on peut s’attendre à des larmes lorsque l’auteur d’un crime avoue finalement qu’il l’a commis — surtout lorsque le suspect est un citoyen généralement respectueux de la loi comme l’intimé.
100 Comme nous l’avons vu précédemment, je n’estime pas non plus que les policiers ont créé une atmosphère oppressive. Le simple fait de mettre le suspect en présence d’un élément de preuve qui lui est défavorable, comme les résultats d’un test polygraphique, ne constitue pas un motif d’exclusion: voir Fitton, précité. Cette constatation vaut même dans le cas d’un élément de preuve inadmissible: voir Alexis, précité. En outre, le fait que les policiers exagèrent la fiabilité ou l’importance d’une preuve ne rend pas nécessairement une confession inadmissible. Les déclarations de témoins oculaires ne sont nullement infaillibles; pourtant, dans l’arrêt Fitton, notre Cour a jugé admissible une déclaration faite après que les policiers ont dit à un suspect qu’ils ne croyaient pas ses dénégations puisque plusieurs témoins oculaires l’avaient dénoncé. Bref, le simple fait de mettre un suspect en présence d’un élément de preuve défavorable — même en exagérant l’exactitude et la fiabilité de cet élément — ne rend pas à lui seul la confession involontaire.
3. Tromper l’accusé sur la durée de l’entrevue
101 (...) Puisque notre Cour a jugé dans Béland, précité, que les résultats de tests polygraphiques ne sont pas admissibles en preuve, [traduction] «l’administration du test doit donc être clairement séparée de l’interrogatoire mené en vue d’obtenir des déclarations» (Nugent, précité à la p. 212). Suivant la Cour d’appel, une déclaration faite tout de suite après un test polygraphique ne devrait pas être admissible parce que la défense ne peut pas expliquer adéquatement le contexte dans lequel la déclaration a été faite — ce qu’elle souhaiterait peut‑être faire en vue d’en contester le poids devant le jury — sans indiquer au jury que l’accusé a échoué au test polygraphique.
102 Il est vrai que les procédures policières offrent à la défense un choix désagréable: soit essayer d’expliquer la confession sans faire état du polygraphe, soit admettre que l’accusé a échoué au test. Cependant, cela se produit chaque fois qu’un suspect fait une confession après avoir été mis en présence d’un élément de preuve inadmissible, et cela ne rend pas nécessairement la confession involontaire. Le fait que la défense subisse un désavantage d’ordre tactique n’est pas pertinent pour ce qui est du caractère volontaire des confessions; tout au plus suggère‑t‑il plutôt l’existence d’un effet préjudiciable. Cependant, vu l’immense valeur probante d’une confession volontaire, je ne peux accepter que l’exclusion soit une solution appropriée.
103 Le dernier argument en faveur de la séparation de l’interrogatoire du test polygraphique est lié à l’«abus de confiance» qu’on reproche et dont j’ai déjà traité. On soutient que le lien d’intimité qui est établi à l’entrevue préliminaire perdure indûment au cours de l’interrogatoire qui suit le test. Que cela soit vrai ou non, je n’estime pas qu’il s’agit là d’un motif justifiant d’écarter la confession. Sur ce point, je souscris aux propos suivants de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Barton (1993), 81 C.C.C. (3d) 574, à la p. 575:
[traduction] Il ne fait aucun doute que la procédure est attentatoire et entend mettre à profit une expertise en psychologie en vue d’établir, entre l’interrogateur et l’«interrogé» un rapport propre à rendre l’analyse technique plus exacte. Il est également vrai que l’apparence d’intimité perdure jusqu’à la troisième étape, au cours de laquelle, dans la présente affaire, la déclaration inculpatoire a été faite. Pourtant, tout interrogatoire policier peut présenter ces caractéristiques, sous une forme ou une autre. Le «numéro du gentil policier et du méchant policier» est le plus connu.
Par conséquent, tout lien d’intimité qui aurait été créé pendant l’entrevue préliminaire ne peut avoir entraîné les confessions de l’intimé.
F. Résumé sur le caractère volontaire
104 En résumé, plusieurs aspects de l’interrogatoire de l’intimé par les policiers étaient susceptibles d’être pertinents en ce qui concerne le caractère volontaire des confessions de celui-ci, notamment les remarques faites au sujet de Mme Kilcup, les suggestions qu’«il vaudrait mieux» pour l’intimé qu’il fasse une confession et l’exagération de l’exactitude du polygraphe. Il s’agit certainement de considérations pertinentes pour statuer sur le caractère volontaire. Cependant, je souscris à l’opinion du juge du procès que ces divers facteurs — que ce soit individuellement ou ensemble avec les autres circonstances des confessions de l’intimé — ne soulèvent pas de doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions de l’intimé. Ce dernier n’a jamais été maltraité, il a été interrogé de façon extrêmement amicale et affable et aucun encouragement assez important pour soulever un doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions en l’absence de tout mauvais traitement ou d’oppression ne lui a été donné. Puisque je ne constate la présence d’aucune erreur dans les motifs du juge du procès, la Cour d’appel n’aurait pas dû infirmer ses conclusions.
1. Informer le suspect des utilisations possibles du test polygraphique
91 Je suis d’accord pour dire que le simple fait d’omettre d’indiquer au suspect que les résultats du test polygraphique sont inadmissibles en preuve n’a pas automatiquement pour effet de rendre la confession involontaire. Les tribunaux doivent appliquer une démarche en deux étapes. Premièrement, conformément aux arrêts Rothman et Collins, précités, la confession doit être écartée si le subterfuge des policiers choque la collectivité. Deuxièmement, même si le subterfuge n’atteint pas ce degré de gravité, l’utilisation du subterfuge est un facteur pertinent dans l’analyse globale du caractère volontaire. À ce stade‑ci, la démarche est similaire à celle applicable à l’égard de la preuve fabriquée, voir précédemment, quoique, évidemment, l’utilisation d’une preuve inadmissible soit intrinsèquement moins problématique que l’utilisation d’une preuve fabriquée. Le simple fait d’omettre de dire au suspect que les résultats du test polygraphique sont inadmissibles n’entraîne pas à lui seul l’exclusion de la confession. Tout au plus peut-il constituer un facteur dans l’analyse globale du caractère volontaire.
93 Il ressort clairement de cet échange que l’intimé comprenait que, à eux seuls, les résultats du polygraphe n’étaient pas pertinents, que c’est plutôt l’opinion qu’en tire le technicien qui compte. Comme le sergent Taker a clairement dit à l’intimé que son interprétation des résultats n’était pas admissible, je souscris à l’opinion du juge MacDonald de la Cour provinciale qu’[traduction] «[i]l n’y a absolument aucun élément de preuve établissant que M. Oickle était confus sur ce point».
2. L’exagération de la validité des tests polygraphiques
95 Je reconnais que les policiers ont exagéré la fiabilité du polygraphe. Comme de nombreux auteurs l’ont démontré, les polygraphes sont loin d’être infaillibles: (...) De même, dans R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398, notre Cour a reconnu que les résultats des tests polygraphiques ne sont pas suffisamment fiables pour être admis devant les tribunaux.
96 Dans R. c. Amyot, [1991] R.J.Q. 954, à la p. 962, la Cour d’appel du Québec a jugé que le fait de dire que le polygraphe est infaillible rend une confession involontaire. Dans cette affaire, le polygraphiste a dit à l’accusé que «le test lui démontre qu’il ne dit pas la vérité». La cour a estimé que ces propos étaient inappropriés, et ce pour les raisons suivantes:
. . . c’est pousser beaucoup trop dans l’absolu ce en quoi cet examen consiste: c’est présenter à l’appelant le résultat comme une certitude qui va évidemment l’ébranler et lui faire dire: «Mais que va‑t‑il se passer maintenant?» Il me semble qu’ainsi l’appelant est induit en erreur sur l’infaillibilité du test, et cette façon de procéder peut naturellement inciter le sujet à «passer aux aveux».
Voir également l’arrêt Fowler, précité. Dans Amyot, la Cour d’appel a insisté de façon particulière sur le fait que le suspect avait fait une confession presque immédiatement après avoir été informé des résultats du test polygraphique, ce qui tendait à indiquer que sa volonté avait été subjuguée lorsqu’on l’avait mis en présence de cette preuve accablante, censément irréfutable.
97 Sans me prononcer sur le bien‑fondé la décision rendue dans Amyot, je souligne que les faits de cette affaire diffèrent considérablement de ceux du présent cas. Comme le démontre l’échange suivant, l’intimé a à maintes reprises rejeté l’exactitude des résultats du test polygraphique:
L’intimé n’a pas été atterré par les résultats du test polygraphique. Quoiqu’il soit clair que les policiers se sont fondés de façon importante sur ces résultats pour soutirer une confession à l’intimé, il ne s’agissait pas d’une situation comme celle de l’affaire Amyot, où l’aveu a presque immédiatement suivi la communication des résultats.
98 D’autres tribunaux ont écarté des confessions obtenues par l’utilisation d’un polygraphe seulement lorsqu’il s’était écoulé un certain temps avant que le suspect finisse par faire une confession. Par exemple, dans Ollerhead, précité, le tribunal a cité le passage suivant de R. c. Romansky (1981), 6 Man. R. (2d) 408 (C. cté), à la p. 421:
[traduction] [L]es tactiques psychologiques utilisées ont créé une atmosphère d’oppression. L’accusé a rapidement perdu toute volonté lorsqu’il s’est effondré sur le plan émotif. Comme en témoigne sa docilité et/ou susceptibilité concomitantes aux suggestions, sa volonté a été vaincue et subjuguée par celle de la personne en situation d’autorité.
Divers tribunaux de juridiction inférieure ont donc adopté des approches très différentes pour déterminer si les polygraphes créent une atmosphère oppressive. Les approches différentes retenues dans des affaires comme Amyot et Ollerhead démontrent que le moment de la confession par rapport à celui de l’administration du test polygraphique ne saurait être décisif. Il s’agit plutôt d’un élément de preuve qu’il appartient au juge du procès de considérer lorsqu’il détermine si la confession était volontaire.
99 Bien que les policiers aient effectivement induit l’intimé en erreur relativement à l’exactitude du polygraphe, il reste quand même à décider si, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’interrogatoire, ce fait a rendu les confessions inadmissibles. À mon avis, ce ne fut pas le cas. Comme nous l’avons vu plus tôt, il n’y a pas eu d’effondrement émotionnel en l’espèce. Le simple fait qu’un suspect se mette à pleurer lorsqu’il fait finalement une confession, comme l’a fait l’intimé, ne témoigne pas d’un «effondrement émotionnel complet»; on peut s’attendre à des larmes lorsque l’auteur d’un crime avoue finalement qu’il l’a commis — surtout lorsque le suspect est un citoyen généralement respectueux de la loi comme l’intimé.
100 Comme nous l’avons vu précédemment, je n’estime pas non plus que les policiers ont créé une atmosphère oppressive. Le simple fait de mettre le suspect en présence d’un élément de preuve qui lui est défavorable, comme les résultats d’un test polygraphique, ne constitue pas un motif d’exclusion: voir Fitton, précité. Cette constatation vaut même dans le cas d’un élément de preuve inadmissible: voir Alexis, précité. En outre, le fait que les policiers exagèrent la fiabilité ou l’importance d’une preuve ne rend pas nécessairement une confession inadmissible. Les déclarations de témoins oculaires ne sont nullement infaillibles; pourtant, dans l’arrêt Fitton, notre Cour a jugé admissible une déclaration faite après que les policiers ont dit à un suspect qu’ils ne croyaient pas ses dénégations puisque plusieurs témoins oculaires l’avaient dénoncé. Bref, le simple fait de mettre un suspect en présence d’un élément de preuve défavorable — même en exagérant l’exactitude et la fiabilité de cet élément — ne rend pas à lui seul la confession involontaire.
3. Tromper l’accusé sur la durée de l’entrevue
101 (...) Puisque notre Cour a jugé dans Béland, précité, que les résultats de tests polygraphiques ne sont pas admissibles en preuve, [traduction] «l’administration du test doit donc être clairement séparée de l’interrogatoire mené en vue d’obtenir des déclarations» (Nugent, précité à la p. 212). Suivant la Cour d’appel, une déclaration faite tout de suite après un test polygraphique ne devrait pas être admissible parce que la défense ne peut pas expliquer adéquatement le contexte dans lequel la déclaration a été faite — ce qu’elle souhaiterait peut‑être faire en vue d’en contester le poids devant le jury — sans indiquer au jury que l’accusé a échoué au test polygraphique.
102 Il est vrai que les procédures policières offrent à la défense un choix désagréable: soit essayer d’expliquer la confession sans faire état du polygraphe, soit admettre que l’accusé a échoué au test. Cependant, cela se produit chaque fois qu’un suspect fait une confession après avoir été mis en présence d’un élément de preuve inadmissible, et cela ne rend pas nécessairement la confession involontaire. Le fait que la défense subisse un désavantage d’ordre tactique n’est pas pertinent pour ce qui est du caractère volontaire des confessions; tout au plus suggère‑t‑il plutôt l’existence d’un effet préjudiciable. Cependant, vu l’immense valeur probante d’une confession volontaire, je ne peux accepter que l’exclusion soit une solution appropriée.
103 Le dernier argument en faveur de la séparation de l’interrogatoire du test polygraphique est lié à l’«abus de confiance» qu’on reproche et dont j’ai déjà traité. On soutient que le lien d’intimité qui est établi à l’entrevue préliminaire perdure indûment au cours de l’interrogatoire qui suit le test. Que cela soit vrai ou non, je n’estime pas qu’il s’agit là d’un motif justifiant d’écarter la confession. Sur ce point, je souscris aux propos suivants de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Barton (1993), 81 C.C.C. (3d) 574, à la p. 575:
[traduction] Il ne fait aucun doute que la procédure est attentatoire et entend mettre à profit une expertise en psychologie en vue d’établir, entre l’interrogateur et l’«interrogé» un rapport propre à rendre l’analyse technique plus exacte. Il est également vrai que l’apparence d’intimité perdure jusqu’à la troisième étape, au cours de laquelle, dans la présente affaire, la déclaration inculpatoire a été faite. Pourtant, tout interrogatoire policier peut présenter ces caractéristiques, sous une forme ou une autre. Le «numéro du gentil policier et du méchant policier» est le plus connu.
Par conséquent, tout lien d’intimité qui aurait été créé pendant l’entrevue préliminaire ne peut avoir entraîné les confessions de l’intimé.
F. Résumé sur le caractère volontaire
104 En résumé, plusieurs aspects de l’interrogatoire de l’intimé par les policiers étaient susceptibles d’être pertinents en ce qui concerne le caractère volontaire des confessions de celui-ci, notamment les remarques faites au sujet de Mme Kilcup, les suggestions qu’«il vaudrait mieux» pour l’intimé qu’il fasse une confession et l’exagération de l’exactitude du polygraphe. Il s’agit certainement de considérations pertinentes pour statuer sur le caractère volontaire. Cependant, je souscris à l’opinion du juge du procès que ces divers facteurs — que ce soit individuellement ou ensemble avec les autres circonstances des confessions de l’intimé — ne soulèvent pas de doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions de l’intimé. Ce dernier n’a jamais été maltraité, il a été interrogé de façon extrêmement amicale et affable et aucun encouragement assez important pour soulever un doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions en l’absence de tout mauvais traitement ou d’oppression ne lui a été donné. Puisque je ne constate la présence d’aucune erreur dans les motifs du juge du procès, la Cour d’appel n’aurait pas dû infirmer ses conclusions.
L’abus de confiance / accusé interrogé d’une façon si douce et rassurante qu’ils ont obtenu sa confiance
R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38
85 Essentiellement, la Cour d’appel reproche aux policiers d’avoir interrogé l’intimé d’une façon si douce et rassurante qu’ils ont obtenu sa confiance. Cela ne rend pas une confession inadmissible. Conclure autrement enverrait le mauvais message aux policiers, car cela reviendrait à leur dire de mener des interrogatoires accusateurs et agressifs afin d’éviter de gagner la confiance du suspect, de crainte que toute la confession obtenue par la suite soit écartée.
85 Essentiellement, la Cour d’appel reproche aux policiers d’avoir interrogé l’intimé d’une façon si douce et rassurante qu’ils ont obtenu sa confiance. Cela ne rend pas une confession inadmissible. Conclure autrement enverrait le mauvais message aux policiers, car cela reviendrait à leur dire de mener des interrogatoires accusateurs et agressifs afin d’éviter de gagner la confiance du suspect, de crainte que toute la confession obtenue par la suite soit écartée.
Les menaces qui auraient été faites à l’endroit de la fiancée de l’accusé
R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38
81 Comme nous l’avons vu dans l’examen de l’arrêt Jackson, précité, les menaces ou promesses visant un tiers pourraient constituer des encouragements inacceptables. La Cour d’appel a affirmé, au par. 128, que les policiers ont effectivement dit à l’intimé que [traduction] «s’il faisait une confession, il ne serait pas nécessaire de poursuivre l’enquête ou de soumettre sa fiancée à un long interrogatoire».
82 Dans la majorité des cas où les policiers ont fait mention de la fiancée de l’intimé, Tanya Kilcup, au cours de l’interrogatoire, leurs remarques portaient sur le fait que l’intimé comptait sur elle, comme témoin pour établir un alibi: voir, par exemple, D. A., à la p. 570. Cependant, la Cour d’appel a eu raison de conclure qu’il y avait eu des moments où les policiers avaient laissé entendre qu’il pourrait être nécessaire d’interroger Mme Kilcup pour s’assurer qu’elle n’était pas impliquée du tout dans les incendies, soit seule, soit en collaboration avec l’intimé
83 Le lien qui existait entre l’intimé et Mme Kilcup était, à mon avis, suffisamment fort pour inciter ce dernier à faire une fausse confession si elle était menacée de subir un préjudice. Cependant, je n’estime pas qu’une telle menace ait jamais été faite. Il ne pesait contre Mme Kilcup aucune accusation que les policiers offraient de laisser tomber; ils n’ont jamais menacé de porter des accusations contre elle; de fait, les policiers n’ont jamais vraiment laissé entendre qu’elle était un suspect. Ils ont tout au plus promis qu’ils ne lui feraient pas subir de test polygraphique si l’intimé faisait une confession. Compte tenu de l’ensemble du contexte, j’estime que la raison la plus probable de lui faire subir le test polygraphique n’était pas en tant que suspect, mais plutôt comme témoin susceptible d’établir un alibi. À mon avis, il ne s’agit pas d’un encouragement suffisamment important pour soulever un doute raisonnable en ce qui concerne le caractère volontaire des confessions de l’intimé.
84 En outre, le moment où les remarques concernant Mme Kilcup ont été faites tend à indiquer qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les encouragements des policiers et la confession faite subséquemment. Après les déclarations citées précédemment, le caporal Deveau a quitté la pièce et a dit à l’intimé qu’il avait l’intention de s’entretenir avec Tanya. L’intimé a donc fait sa confession environ deux heures après avoir commencé à croire que les policiers s’entretenaient déjà avec Tanya. En outre, peu après que l’agent Bogle a commencé à son tour à interroger l’intimé, ce dernier a clairement indiqué qu’il croyait que les policiers s’entretenaient avec Mme Kilcup seulement pour vérifier son alibi (D.A., à la p. 611
Les «encouragements» concernant la fiancée de l’intimé n’avaient ni l’importance, ni le lien de causalité requis pour justifier l’exclusion de la confession.
81 Comme nous l’avons vu dans l’examen de l’arrêt Jackson, précité, les menaces ou promesses visant un tiers pourraient constituer des encouragements inacceptables. La Cour d’appel a affirmé, au par. 128, que les policiers ont effectivement dit à l’intimé que [traduction] «s’il faisait une confession, il ne serait pas nécessaire de poursuivre l’enquête ou de soumettre sa fiancée à un long interrogatoire».
82 Dans la majorité des cas où les policiers ont fait mention de la fiancée de l’intimé, Tanya Kilcup, au cours de l’interrogatoire, leurs remarques portaient sur le fait que l’intimé comptait sur elle, comme témoin pour établir un alibi: voir, par exemple, D. A., à la p. 570. Cependant, la Cour d’appel a eu raison de conclure qu’il y avait eu des moments où les policiers avaient laissé entendre qu’il pourrait être nécessaire d’interroger Mme Kilcup pour s’assurer qu’elle n’était pas impliquée du tout dans les incendies, soit seule, soit en collaboration avec l’intimé
83 Le lien qui existait entre l’intimé et Mme Kilcup était, à mon avis, suffisamment fort pour inciter ce dernier à faire une fausse confession si elle était menacée de subir un préjudice. Cependant, je n’estime pas qu’une telle menace ait jamais été faite. Il ne pesait contre Mme Kilcup aucune accusation que les policiers offraient de laisser tomber; ils n’ont jamais menacé de porter des accusations contre elle; de fait, les policiers n’ont jamais vraiment laissé entendre qu’elle était un suspect. Ils ont tout au plus promis qu’ils ne lui feraient pas subir de test polygraphique si l’intimé faisait une confession. Compte tenu de l’ensemble du contexte, j’estime que la raison la plus probable de lui faire subir le test polygraphique n’était pas en tant que suspect, mais plutôt comme témoin susceptible d’établir un alibi. À mon avis, il ne s’agit pas d’un encouragement suffisamment important pour soulever un doute raisonnable en ce qui concerne le caractère volontaire des confessions de l’intimé.
84 En outre, le moment où les remarques concernant Mme Kilcup ont été faites tend à indiquer qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les encouragements des policiers et la confession faite subséquemment. Après les déclarations citées précédemment, le caporal Deveau a quitté la pièce et a dit à l’intimé qu’il avait l’intention de s’entretenir avec Tanya. L’intimé a donc fait sa confession environ deux heures après avoir commencé à croire que les policiers s’entretenaient déjà avec Tanya. En outre, peu après que l’agent Bogle a commencé à son tour à interroger l’intimé, ce dernier a clairement indiqué qu’il croyait que les policiers s’entretenaient avec Mme Kilcup seulement pour vérifier son alibi (D.A., à la p. 611
Les «encouragements» concernant la fiancée de l’intimé n’avaient ni l’importance, ni le lien de causalité requis pour justifier l’exclusion de la confession.
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