R. c. Hodgson, [1998] 2 RCS 449, 1998 CanLII 798 (CSC)
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30. En attendant, je suggère que, dans les cas où une déclaration est soutirée à l’accusé par une personne qui n’est pas en situation d’autorité au moyen d’un traitement dégradant, telles la violence ou des menaces de violence, une directive claire soit donnée au jury relativement aux risques qu’il pourrait y avoir à se fier à cette déclaration. Cette directive pourrait être formulée en ces termes: «Il est possible qu’une déclaration obtenue par suite d’un traitement inhumain ou dégradant ou le recours à la violence ou à des menaces de violence ne soit pas l’expression de la volonté librement exercée de confesser ses actes. Au contraire, elle peut n’être que le résultat de la contrainte ou de la crainte d’un tel traitement. Si c’est le cas, il se peut fort bien que la déclaration ne soit pas vraie ou qu’elle ne soit pas fiable. Par conséquent, si vous concluez que la déclaration a été obtenue par une telle contrainte, il faut ne lui accorder que très peu de poids, voire pas du tout.» Toutefois, si un particulier a recours à la violence ou à la menace de violence après que la déclaration a été faite, cette conduite ne constituera en règle générale pas un facteur influençant le caractère volontaire de la déclaration, et la directive suggérée ne sera pas nécessaire.
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mercredi 3 septembre 2014
mardi 2 septembre 2014
La saisie par un représentant de l’État, en sa qualité de poursuivant possible, d’un ordinateur ou autre appareil susceptible de stocker des informations personnelles doit faire l’objet au préalable d’une autorisation
Amyot c. Autorité des marchés financiers, 2012 QCCA 2160 (CanLII)
[11] Ces principes énoncés, je passe maintenant aux moyens invoqués par les requérants à l’encontre du jugement de la Cour supérieure. Ils sont au nombre de trois, ainsi formulés :
a) (...)
b) la première juge permet une description des biens à perquisitionner qui est beaucoup plus large et partant, qui n’est pas conforme à la jurisprudence : elle crée entre autres un précédent dangereux en permettant la saisie de l’intégralité d’ordinateurs et de téléphones cellulaires, sans aucun contrôle ni balise, et ce, sans même discuter de la contestation des Requérants à cet égard dans ses motifs;
c) (...)
[13] Par contre, je suis d’avis que le deuxième moyen mérite l’attention de la Cour au regard de deux arrêts de la Cour suprême du Canada : R. c. Morelli, 2010 CSC 8 (CanLII), 2010 CSC 8, [2010] 1 R.C.S. 253 et R. c. Cole, 2012 CSC 53 (CanLII), 2012 CSC 53.
[14] En effet, depuis ces deux arrêts, il est désormais reconnu que la saisie d’un ordinateur est susceptible de porter gravement atteinte au droit d’une personne à la préservation de sa vie privée, droit protégé par l’art. 8 de la Charte.
[15] C’est pourquoi la saisie par un représentant de l’État, en sa qualité de poursuivant possible, d’un ordinateur ou autre appareil susceptible de stocker des informations personnelles doit faire l’objet au préalable d’une autorisation, statutairement précisée et valide ou, à défaut, d’un mandat délivré par un juge.
La portée du recours en certiorari
Amyot c. Autorité des marchés financiers, 2012 QCCA 2160 (CanLII)
[10] Le recours en certiorari est d’une portée très limitée. Dans l’arrêt Express Transaction, je le souligne en ces termes :
[26] It is well established that a certiorari application challenging the validity of the issuance of a search warrant is a rather limited exercise. It can be used only to question the jurisdiction of inferior provincial judges or decisions by them that constitute jurisdictional error. In R. v. Russell, 2001 SCC 53 (CanLII), [2001] 2 S.C.R. 804, 2001 SCC 53, the Supreme Court held unanimously:
19 The scope of review on certiorari is very limited. While at certain times in its history the writ of certiorari afforded more extensive review, todaycertiorari "runs largely to jurisdictional review or surveillance by a superior court of statutory tribunals, the term ‘jurisdiction’ being given its narrow or technical sense": Skogman v. The Queen, 1984 CanLII 22 (SCC), [1984] 2 S.C.R. 93, at p. 99. Thus, review on certiorari does not permit a reviewing court to overturn a decision of the statutory tribunal merely because that tribunal committed an error of law or reached a conclusion different from that which the reviewing court would have reached. Rather certiorari permits review "only where it is alleged that the tribunal has acted in excess of its assigned statutory jurisdiction or has acted in breach of the principles of natural justice which, by the authorities, is taken to be an excess of jurisdiction": Skogman, supra, at p. 100 (citing Forsythe v. The Queen, 1980 CanLII 15 (SCC), [1980] 2 S.C.R. 268).
[27] In the instant case, it is clear that the justice of the peace did not commit a jurisdictional error by delivering the search warrants, considering the information to obtain that formed part of the application. There was enough to satisfy the issuing judge that there were reasonable and probable grounds to believe that an offence had been or was being committed, and that the authorization sought would afford evidence of that offence (s. 487(1) Cr.C.).
samedi 30 août 2014
État du droit par la Cour d'Appel sur la question des motifs raisonnables dans le cas d’une arrestation sans mandat
Lévesque Mandanici c. R., 2014 QCCA 1517 (CanLII)
[51] Le test portant sur la qualification des motifs raisonnables est à double volet : l’un est objectif, l’autre est subjectif. Cela signifie que l'arrestation doit non seulement être raisonnablement justifiée, mais encore faut-il que l'agent de la paix croie que tel est le cas. Ces motifs doivent être objectivement raisonnables et s'imposer à une personne placée dans la même situation que l’agent. La seule intuition ne peut constituer des motifs raisonnables, tout comme d’ailleurs les simples soupçons : R. c. Harrison, 2009 CSC 34 (CanLII), 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S 494, paragr. 20; R. v. Ironeagle 1989 CanLII 4755 (SK CA), (1989), 49 C.C.C. (3d) 339 (C.A. Sask.). De plus, l’arrestation à des fins d’enquête seulement est une arrestation illégale : R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, paragr. 35. Dans R. c. Stillman,1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607, le juge Cory souligne :
30 On a jugé que l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario R. c. Duguay, Murphy and Sevigny 1985 CanLII 112 (ON CA), (1985), 18 C.C.C. (3d) 289, confirmé pour d’autres motifs par 1989 CanLII 110 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 93, permet de dire que des policiers qui n’ont pas de motifs raisonnables de lier le suspect à la perpétration d’un crime ne peuvent pas effectuer une arrestation dans le seul but de faciliter leur enquête. […]
[52] De plus, comme le précise le juge Cory dans Storrey, à la page 249, il importe encore davantage, dans le cas d’une arrestation sans mandat, que les policiers établissent « l’existence de ces mêmes motifs raisonnables et probables justifiant l’arrestation ». Comme il le souligne ensuite, en l’absence de cette importante mesure de protection que sont les motifs raisonnables et probables, « même la société la plus démocratique ne pourrait que trop facilement devenir la proie des abus et des excès d’un État policier » de sorte que « l'importance que revêt cette exigence pour les citoyens d'une démocratie se passe de démonstration ».
[60] Je suis conscient qu’il faut examiner la situation globalement, sans isoler indûment les faits. Or, même considérées dans leur ensemble, les circonstances de l’intervention policière ne permettent pas de conclure à l’existence de motifs raisonnables pour procéder à une arrestation.
[63] Ni l’une ni l’autre de ces deux circonstances, même considérées globalement à la lumière des autres faits, ne change quoi que ce soit à la situation.
[66] Qu’un policier soit alerte, c’est évidemment louable, mais cela ne lui permet pas d’effectuer une arrestation en se fondant sur de simples soupçons. Ce n’est sûrement pas ce que la jurisprudence envisage en disant qu’il faut tenir compte de toutes les circonstances d’une arrestation. La déclaration de M. Krishna ne permettait aucunement de croire de façon raisonnable que l’appelant aurait pu être complice de l’agression.
[67] En conclusion, au moment de l’arrestation, le policier avait une intuition, des soupçons. Certes, ils se sont avérés exacts. Cela ne peut toutefois les transformer en motifs raisonnables au moment de l’arrestation. Comme le mentionne le juge Doherty dans R. c. Simpson, 1993 CanLII 3379 (ON CA), (1993) 79 C.C.C. (3d) 482 : « A "hunch" based entirely on intuition gained by experience cannot suffice, no matter how accurate that "hunch" might prove to be […] A guess which proves accurate becomes in hindsight a "hunch" ».
[68] Je rappelle aussi ces mots du juge Fish dans R. c. Morelli, 2010 CSC 10 (CanLII), 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 253, sur l’insuffisance des soupçons :
[91] Le simple fait qu’une personne collectionne, reproduise ou stocke quelque chose — fichiers musicaux, lettres, timbres, etc. — ne suffit guère à l’assimiler à un type susceptible d’accumuler des images illicites. Tirer cette inférence en l’espèce procède de la conjecture interdite. Tout au plus, l’interprétation proposée peut éveiller des soupçons chez certains. Et, en droit, les soupçons ne sauraient remplacer des motifs raisonnables et probables de croire que l’appelant a commis l’infraction alléguée ou que la preuve de l’infraction se trouverait dans son ordinateur.
[69] Dans R. c. Kokesch, 1990 CanLII 55 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 3, à la p. 29, le juge Sopinka réitère l’importance de ne pas procéder à une arrestation sur le seul fondement de soupçons :
Lorsque la police n'a que des soupçons et ne peut légalement obtenir d'autres éléments de preuve, elle doit alors laisser le suspect tranquille, et non aller de l'avant et obtenir une preuve d'une manière illégale et inconstitutionnelle.
[70] Je souligne d’ailleurs être en désaccord avec l’intimée qui estime qu’il faut tenir compte ici des « circonstances très soudaines et émotives » d’une décision prise « rapidement, dans une situation volatile ». C’était le cas lors de l’interception initiale et de la détention à des fins d’enquête; ce ne l’était certainement plus au moment de l’arrestation, après l’interrogatoire de M. Krishna.
[71] Pour paraphraser le juge Binnie dans R. c. Patrick, 2009 CSC 17 (CanLII), 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579, paragr. 32, la question n’est pas de savoir si l’appelant avait le droit de quitter les lieux où il aurait commis un crime sans que l’État puisse intervenir, mais plutôt de savoir si les citoyens ont le droit de déambuler sur la rue sans être arrêtés par des policiers qui n’ont aucun motif raisonnable de ce faire.
[72] R. v. Williams, 2009 ONCA 35 (CanLII), 2009 ONCA 35, est un exemple de circonstances donnant ouverture à une arrestation légale, dans le cas où le voleur est arrêté tout près des lieux du crime et dans la minute qui suit. Voici comment la Cour d’appel de l’Ontario, au paragr. 5, décrit la scène :
The officer was told that there was a robbery in progress at the gas station. Within about a minute, he was at the site and saw a person, running away from the station. When the officer first observed the runner, he was about 20-25 metres from the station. The description he had been given was: male, black, wearing a blue hat and blue jeans, 39-40 years old, 5'7" tall and 240 pounds. The person he spotted running away from the gas station was: male, black, wearing a black baseball cap, blue jeans and a black leather jacket, 38 years old, 5'9" tall and 160 pounds. Of these six factors, five are either identical or very similar and one (weight) is spectacularly different. In our view, in "the totality of the circumstances", including a robbery scenario, a man running from the scene, and elapsed time of about a minute, the single significant difference between the radioed description of the potential robber and the description of the man Tedford saw running from the scene is not enough to render the detention and arrest objectively unreasonable.
[74] Si le fondement factuel de l’analyse par le juge de première instance requiert la déférence de la Cour d’appel, il en va autrement de l’existence de motifs objectifs en fonction de ces conclusions factuelles. Il s’agit alors d’une question de droit, qui n’exige pas la déférence, comme le rappellent la juge en chef McLachlin et la juge Charron, dans R. c. Shepherd, 2009 CSC 35 (CanLII), 2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527 :
[20] Bien qu’il ne fasse aucun doute que l’existence de motifs raisonnables et probables découle des conclusions de fait du juge du procès, la question de savoir si les faits qu’il a constatés constituent en droit des motifs raisonnables et probables est une question de droit. Comme pour toute question litigieuse en appel nécessitant que la cour examine le contexte factuel qui sous‑tend l’affaire, on pourrait penser, à première vue, que la question des motifs raisonnables et probables est une question de fait. Toutefois, notre Cour a, à maintes occasions, affirmé que l’application d’une norme juridique aux faits est une question de droit —: voir R. c. Araujo, 2000 CSC 65 (CanLII), 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992, par. 18; R. c. Biniaris, 2000 CSC 15 (CanLII), 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 23. À notre avis, le juge qui a entendu l’appel de la déclaration sommaire de culpabilité a commis une erreur en ne faisant pas la distinction entre les conclusions de fait du juge du procès et la décision qu’il a ultimement rendue selon laquelle les faits en question ne constituaient pas, en droit, des motifs raisonnables et probables. Bien que les conclusions de fait du juge du procès commandent la déférence, la décision qu’il a rendue en définitive est susceptible de contrôle au regard de la norme de la décision correcte.
[75] On pourrait peut-être croire que le mandat général décerné par la suite a pu régulariser la saisie. Il n’en est rien. D’une part, la juge de paix magistrat n’avait pas comme tel à examiner les motifs d’arrestation et à déterminer sa légalité. Ce qui importait, c’était principalement de s’assurer que des renseignements relatifs à une infraction pourraient être obtenus par un mandat général et que cela servirait les fins de la justice : art. 487.01 C.cr.
[76] D’autre part, la dénonciation sous serment signée par le policier faisait état de faits constatés après l’arrestation, mais dont le récit pouvait laisser croire qu’ils étaient connus avant l’arrestation, notamment la présence de boue sur les chaussures. Même si, selon le juge de première instance, cela n’a eu aucun impact sur la validité du mandat, il n’en reste pas moins que les motifs d’arrestation sont moins sérieux que ceux décrits par le policier dans cette dénonciation. À titre d’exemple, dans R. c. Crowther, 2013 BCCA 364 (CanLII), 2013 BCCA 364, la Cour souligne l’importance de la présence de boue sur les pantalons de deux hommes fuyant la scène pour expliquer leur arrestation. Il n’y a pas de tel constat ici pour justifier l’arrestation de l’appelant.
vendredi 8 août 2014
État du droit quant à l'obligation de divulguer à l'accusé tous les renseignements pertinents
Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Accurso, 2014 QCCQ 4014 (CanLII)
[10] L'arrêt Stinchcombe établit que la poursuite a l'obligation de divulguer à l'accusé tous les renseignements pertinents se rapportant à l'enquête le concernant et qui sont en sa possession ou sous son contrôle.
[11] Cette obligation est réitérée dans l'arrêt R. c. McNeil :
[17] […] Stinchcombe énonce clairement que l’information pertinente devant être communiquée par la partie principale comprend non seulement les renseignements ayant trait aux éléments que le ministère public a l’intention de présenter en preuve contre l’accusé, mais également ceux qui peuvent raisonnablement aider ce dernier à présenter une défense pleine et entière.
[12] Le régime énoncé dans l'arrêt O'Connor et aux articles 278 ss. C.cr. s'applique aux dossiers en possession de tiers.
[13] Le Tribunal doit se positionner sur le système de divulgation applicable. Celui du document en possession d’un tiers ou celui du document en possession ou sous le contrôle de la poursuite.
[14] Le Tribunal est d’avis que les documents recherchés ne sont pas des dossiers en possession d'un tiers. Bien que le procureur ne soit pas la même personne physique dans tous les dossiers, le poursuivant est le même, à savoir le DPCP ou la Reine, selon que la procédure soit pénale ou criminelle.
[15] La Cour d’appel du Québec, dans la décision Poitras c. Reine, a décidé qu’il importe peu que les renseignements visés soient sous le contrôle direct d’un autre avocat agissant pour le compte de la poursuite contre un individu appelé à rendre un témoignage déterminant dans le procès du requérant, et ce, dans un autre district judiciaire. La Cour a ordonné la divulgation des documents.
[16] Dans l’arrêt Chaplin, il est établi que la Couronne n’a pas à faire des démarches auprès de tous les ministères pour savoir si des documents d’une certaine pertinence existent. Le fardeau appartient aux requérants.
[17] Malgré qu’il soit bien établi que le poursuivant n’est pas tenu de se renseigner auprès de chaque ministère des gouvernements et de chaque service de police pour savoir s’ils sont en possession de renseignements se rapportant à la poursuite engagée contre le défendeur, lorsqu’il est informé de l’existence de tels renseignements, il ne peut se contenter de n’en faire aucun cas. L’avocat du ministère public a l’obligation d’en vérifier le bien-fondé. Il en va de son obligation d’officier de justice de s’informer davantage et de tenter raisonnablement d’obtenir les renseignements en question.
[18] La jurisprudence a interprété que la pertinence ne se limite pas au dossier d'enquête de l'accusation en cours, mais à toute enquête pertinente.
[19] La pertinence est établie dès qu'il y a une possibilité raisonnable que les renseignements puissent aider le défendeur ou lui être d'une certaine utilité.
[20] La pertinence s'évalue en fonction de l'infraction et des moyens de défense possibles.
[21] Si l'existence des renseignements est mise en doute, elle doit être suffisamment établie par le requérant pour en préciser la nature et permettre au juge de décider s'ils doivent être divulgués.
L’étendue de l’obligation de divulgation de la preuve du poursuivant vue par la Cour d'Appel du Québec
Poitras c. R., 2011 QCCA 1677 (CanLII)
[29] Pour déterminer l’étendue de l’obligation de dévoilement, et, dans une certaine mesure, la marche à suivre, il faut d'abord identifier correctement la nature de la preuve dont l’accusée recherche la communication. S’agit-il de renseignements en la possession du ministère public se rapportant à l’enquête visant Mme Poitras? Si cette question appelle une réponse affirmative, l’arrêt Stinchcombe pose la règle applicable, comme l’indique Mme la juge Charron dans McNeil :
17 Il est bien établi que le ministère public est tenu de communiquer tous les renseignements pertinents qu'il a en sa possession se rapportant à l'enquête visant un accusé. L'obligation est déclenchée sur demande, sans qu'il soit nécessaire de faire appel à la cour.Stinchcombe énonce clairement que l'information pertinente devant être communiquée par la partie principale comprend non seulement les renseignements ayant trait aux éléments que le ministère public a l'intention de présenter en preuve contre l'accusé, mais également ceux qui peuvent raisonnablement aider ce dernier à présenter une défense pleine et entière.
[soulignement ajouté]
[30] À mon avis, les renseignements visés sont en la possession du ministère public. Il importe peu qu’ils soient sous le contrôle direct d’un autre avocat agissant pour le compte de la poursuite contre M. Pilote, et ce, dans un autre district judiciaire. Rien ne permet de croire que ce facteur en rende la divulgation plus difficile sous quelque rapport. Toutefois, ils n'ont pas trait directement à l’enquête visant Mme Poitras. C'est ainsi d'ailleurs qu'ils ne se sont pas retrouvés d'entrée de jeu dans les documents et renseignements que les policiers chargés de l'enquête Poitras ont transmis au ministère public poursuivant aux fins du dévoilement initial à Mme Poitras en application de Stinchcombe. Je note au pasage que, à l'instar du juge Bellehumeur, les services policiers ne jouissaient pas à l'époque de l'éclairage additionnel que leur procure l'arrêtMcNeil quant à l’étendue de leur obligation de communication envers le ministère public.
[32] En pareille occurrence, la Cour suprême dans McNeil rappelle que l’obligation de divulgation se détermine habituellement dans le contexte d’une demande de type O’Connor:
25 Même si, dans ce sens strict, la police et le ministère public peuvent être considérés comme une seule entité pour les besoins de la communication, ils sont indiscutablement des entités distinctes et indépendantes, tant en fait qu'en droit. En conséquence, la production de dossiers d'enquête criminelle concernant des tiers et celle de dossiers disciplinaires de la police doivent habituellement être déterminées dans le contexte d'une demande de type O'Connor. Cela n'est pas surprenant, car il est peu probable que les renseignements portant sur l'inconduite d'un tiers accusé ou d'un policier aboutissent dans les dossiers communiqués au ministère public visés par Stinchcombe, à moins qu'ils n'aient trait d'une façon quelconque à la cause de l'accusé. […]
[soulignement ajouté]
[33] Une demande de type O’Connor comporte deux étapes. À la première, la partie requérante doit établir la pertinence vraisemblable des renseignements demandés. Si cette partie réussit à franchir la première étape, le juge peut alors prendre connaissance des renseignements requis et décider ensuite, au terme de la seconde étape, d’en ordonner ou non la communication à l’accusé.
[35] (...) Ce n’est pas parce Mme Poitras n’est pas impliquée dans le dossier de l’accusation portée contre M. Pilote que les renseignements qu’il contient n’ont nécessairement aucune pertinence. Dans McNeil, Mme la juge Charron précise les contours de la pertinence vraisemblable devant faire l’objet de l’analyse à la première étape d’une demande de type O’Connor:
33 La « pertinence vraisemblable » selon le régime de common law établi dans l'arrêt O'Connor signifie qu'il existe « une possibilité raisonnable que les renseignements aient une valeur logiquement probante relativement à une question en litige ou à l'habilité à témoigner d'un témoin » (O'Connor, par. 22 (soulignement omis)). Une « question en litige » comprend non seulement les questions pertinentes quant au déroulement des événements qui font l'objet du litige, mais également la « preuve concernant la crédibilité des témoins et la fiabilité des autres éléments de preuve présentés dans l'affaire » (O'Connor, par. 22).[…]
[soulignement ajouté]
[36] En l’espèce, la crédibilité de M. Pilote et la fiabilité de son témoignage sont clairement au cœur des accusations portées contre Mme Poitras. De fait, M. Pilote est le seul témoin à charge et la preuve du ministère public repose intégralement sur sa version. Or, la requête pour communication de preuve complémentaire fait état de l’existence d’accusations qui mettent apparemment en cause son intégrité. Les gestes qu’on lui reproche seraient de la nature de la fraude et de la fabrication de faux documents, et ils auraient été commis dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise de construction. Sous ce rapport, Mme Poitras fait à première vue un rapprochement avec les accusations portées contre elle et dont M. Pilote se dit victime.
[37] Suivant la Cour suprême, le fardeau qui repose sur les épaules de l’auteur d'une demande de type O'Connor est important sans être onéreux. Voici en quels termes elle le décrit :
29 Il est important de rappeler que, comme notre Cour l'a souligné dans O'Connor, bien que l'exigence minimale de pertinence vraisemblable soit « un fardeau important, cela ne devrait pas être interprété comme un fardeau onéreux incombant à l'accusé » (par. 24). D'une part, cette exigence de pertinence vraisemblable est « importante » parce que la cour doit pouvoir participer de manière significative au filtrage des demandes pour « empêcher que la défense ne se lance dans des demandes de production « qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires » » (O'Connor, par. 24, citant un extrait de R. c. Chaplin,1995 CanLII 126 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 727, par. 32). On ne saurait trop insister sur l'importance d'empêcher les demandes de production inutiles d'épuiser les ressources judiciaires limitées. Pourtant, la prolongation indue des procédures criminelles demeure une préoccupation majeure plus d'une décennie après O'Connor. D'autre part, il ne devrait pas être onéreux de satisfaire à l'exigence minimale de pertinence, et il ne saurait en être ainsi, parce que les personnes accusées ne peuvent être obligées « de démontrer l'usage exact qu'ils pourraient faire de renseignements qu'ils n'ont même pas vus » (O'Connor, par. 25, citant un extrait de R. c. Durette, 1994 CanLII 123 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 469, p. 499) pour pouvoir obtenir les renseignements susceptibles de les aider à présenter une défense pleine et entière.
[soulignement ajouté]
[38] Eut-elle connu l’existence de ces accusations avant la clôture de l’enquête que, selon moi, Mme Poitras aurait pu en toute légitimité contre-interroger M. Pilote à leur sujet. Les propos du juge Martin dans R. c. Gonzague, avec lesquels je suis en parfait accord, résument bien l’état du droit sur cette question :
19 […] Clearly, the fact that a person is charged with an offence cannot degrade his character or impair his credibility, but an ordinary witness unlike an accused may be cross-examined with respect to misconduct on unrelated matters which has not resulted in a conviction: see R. v. Davison, DeRosie and McArthur (1975), 20 C.C.C. (2d) 424 at 443-44. Consequently, counsel was entitled to cross-examine the witness, Charbonneau, on the facts underlying the 15 charges of fraud in order to impeach his credibility.
[soulignement ajouté]
[39] Le cas à l’étude présente certaines analogies avec les cas de figure évoqués par Mme la juge Charron lorsqu’elle traite de la pertinence de l’inconduite d’un policier :
54 Lorsque l'inconduite reprochée à un policier se rapporte au fait à l'origine de l'accusation portée contre l'accusé, la police a manifestement l'obligation de communiquer les renseignements relativement à la mesure disciplinaire prise par suite de cette inconduite. Par exemple, si un policier est accusé d'avoir eu recours à une force excessive lors de l'arrestation de l'accusé — en violation de la loi provinciale applicable — il est évident que ce renseignement doit être communiqué au ministère public. Lorsque l'inconduite d'un policier n'est pas directement liée à l'enquête relative à l'accusé, ce renseignement peut néanmoins se rapporter à la poursuite engagée contre ce dernier, auquel cas il devrait aussi être communiqué. Par exemple, personne ne contesterait la pertinence pour l'accusé de connaître la condamnation pour parjure d'un témoin civil important, ni l'obligation que ce renseignement fasse partie des renseignements que la partie principale doit communiquer. De même, les conclusions d'inconduite prononcées contre un policier qui a participé à la poursuite intentée contre l'accusé devraient être communiquées lorsqu'elles pourraient avoir une incidence sur cette poursuite.
[soulignement ajouté]
[40] Il s’ensuit que tout ou partie des renseignements au soutien de l’accusation portée contre M. Pilote aurait vraisemblablement été susceptible d’alimenter le contre-interrogatoire dans le dossier de Mme Poitras. Autrement dit, la demande de divulgation aurait satisfait l’exigence minimale de pertinence vraisemblable décrite dans McNeil, car le ministère public n’aurait pu la qualifier de fantaisiste, perturbatrice, mal fondée et dilatoire. Cela est d'autant plus manifeste que, selon l'enseignement se dégageant de McNeil, une pareille demande de divulgation concernant des documents en possession du ministère public poursuivant n'est pas strictement assujettie à toutes les exigences du régime O'Connor :
59 Je souscris à l'opinion selon laquelle il n'est [TRADUCTION] "ni efficace ni justifié" de trancher la question de l'accès aux dossiers relatifs à l'inconduite d'un policier strictement en fonction du régime de production des dossiers en la possession de tiers établi dans O'Connor. En effet, comme nous l'avons vu, la communication de renseignements pertinents à l'accusé, qu'ils lui soient favorables ou non, fait partie de l'obligation corollaire de la police de participer au processus de communication. Lorsque [page102] les renseignements se rapportent manifestement à la poursuite engagée contre l'accusé, ils devraient faire partie, sans qu'il soit nécessaire d'en faire la demande, des renseignements que la police doit communiquer, à titre de partie principale. Si, par exemple, comme c'est le cas en l'espèce, un policier fait l'objet d'une enquête pour inconduite grave liée à la drogue, il incombe au service de police, pour s'acquitter de son obligation corollaire de communication au ministère public, d'examiner les affaires criminelles auxquelles participe le policier et de prendre les mesures appropriées. Évidemment, les conclusions d'inconduite prononcées contre un policier qui participe à l'enquête ne seront pas toutes pertinentes quant à la poursuite engagée contre l'accusé. En effet, il se peut que le policier ait joué un rôle périphérique dans l'enquête ou que son inconduite n'ait pas de lien apparent avec sa crédibilité ou la fiabilité de son témoignage. […]
[soulignement ajouté]
[42] Avec égards, la postériorité des accusations et de leur découverte ne change en rien l’étendue de l’obligation de divulgation. On sait que l’obligation de divulgation par la partie principale régie sous le régime Stinchcombe subsiste même après le procès :
17 […] Stinchcombe énonce clairement que l'information pertinente devant être communiquée par la partie principale comprend non seulement les renseignements ayant trait aux éléments que le ministère public a l'intention de présenter en preuve contre l'accusé, mais également ceux qui peuvent raisonnablement aider ce dernier à présenter une défense pleine et entière (p. 343-344). L'obligation qui incombe au ministère public subsiste après le procès. […]
[soulignement ajouté]
[43] En l'espèce, il s'agissait pour le juge d'évaluer dans quelle mesure le ministère public poursuivant respectait l'obligation de dévoilement établi par Stinchcombe à l'égard des renseignements obtenus des services policiers ayant œuvré dans le dossier Pilote. À ce sujet, la Cour suprême se réfère avec approbation au rapport du juge Ferguson qui décrivait le rôle du ministère public poursuivant comme en étant un de gardien aux fins de la détermination de ce qui devait être dévoilé à l'accusé en application de Stinchcombe:
58 Le Rapport Ferguson recommandait que, lorsque la police transmet ces renseignements au ministère public, ce dernier agisse comme "gardien", c'est-à-dire qu'il détermine quels renseignements, le cas échéant, devraient être remis à la défense pour satisfaire à l'obligation de communication dictée par Stinchcombe. […]
[44] Je parviens donc à la conclusion que le juge n’aurait pas dû rejeter d’emblée la requête en divulgation présentée par Mme Poitras parce que cette demande satisfaisait au test de la pertinence vraisemblable. Suivant l’enseignement qui se dégage de McNeil, il aurait plutôt dû ordonner la production de ces renseignements pour pouvoir les analyser lui-même et en déterminer la pertinence véritable. L'exercice lui aurait alors permis de voir dans quelle mesure le ministère public avait respecté son obligation de dévoilement à Mme Poitras à l'égard des renseignements concernant le dossier Pilote. Par la suite, il aurait été en mesure de rendre les ordonnances appropriées.
La solidarité ministérielle
Autre assise capitale du parlementarisme, celle de la solidarité ministérielle. Dès lors qu’une décision est arrêtée au Conseil des ministres se manifeste la solidarité ministérielle qui « exige que les ministres soient individuellement solidaires des décisions prises par le Conseil des ministres, même s’ils s’y étaient opposés lors de leur discussion ». Ce principe fondamental masque les divergences du Conseil des ministres et sous-tend la règle du secret des délibérations du Conseil des ministres.
Tiré de : Déclin du parlementarisme: collaboration des pouvoirs ou concentration des pouvoirs
Lien vers le document
http://www.fondationbonenfant.qc.ca/stages/essais/2009Turcotte.pdf
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