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dimanche 15 octobre 2017

L’état du droit et de la jurisprudence quant aux facultés affaiblies

R. c. Girard, 2017 QCCQ 7326 (CanLII)

Lien vers la décision

[179]     La juge Manon Lavoie de la Cour supérieure du Québec résume bien l’état du droit et de la jurisprudence quant aux facultés affaiblies dans l’affaire Maxime Fortin c. R. :
[17]   Il est vrai que le législateur n’a jamais voulu criminaliser toute conduite d’un véhicule suite à une consommation d’alcool.
[18]   De plus, le Code criminel n’a pas créé une présomption de droit qui permet d’inférer du résultat du test, la preuve que les facultés sont affaiblies par l’effet de l’alcool. Il incombe au poursuivant d’établir, dans les faits, la portée de ce résultat en regard de la capacité de conduire. La Cour n’a pas de connaissance judiciaire qu’un résultat donné doit être interprété comme signifiant que la capacité de conduire est affaiblie par l’effet de l’alcool et jusqu’à quel degré elle peut l’être.
[19]   Il est d’ailleurs reconnu par la jurisprudence que le taux d’alcoolémie ne permet pas d’inférer des capacités affaiblies. Une infraction pour facultés affaiblies requiert de la preuve des symptômes pertinents qui permettent d’établir ces facultés affaiblies. D’ailleurs, il fut reproché au juge, à maintes reprises, d’utiliser le taux d’alcoolémie noté au certificat du technicien qualifié pour écarter une preuve contraire soumise par l’intimé.
[20]   Ainsi, la quantité d’alcool consommée n’est pas un élément de l’infraction prévue à l’article 253a) C.cr. Le juge doit simplement déterminer si l’accusé a consommé de l’alcool et s’il a conduit en ayant les capacités affaiblies par l’alcool. L’impact d’une quantité donnée sur la capacité de conduire peut varier d’une personne à l’autre. Il y a aussi d’autres éléments qui, comme la fatigue et le stress, peuvent influencer l’effet de la consommation d’alcool.
[21]   Incidemment, pour démontrer que le conducteur a les facultés affaiblies, la poursuite doit mettre en preuve cet état par le témoignage d’un policier ou de toute autre personne qui établit les caractéristiques de la conduite de l’accusé. Cette étape peut également se déduire de constatations usuelles comme l’odeur de l’alcool, la démarche chancelante ou les yeux vitreux. Une telle démonstration peut aussi être faite au moyen du résultat d’un test d’haleine. Toutefois, si un tel résultat peut corroborer les observations d’un policier quant à la cause de la diminution des capacités de conduire, il ne permet pas à lui seul de déduire la quantité d’alcool consommée ni ses effets, sauf si un expert établit une corrélation entre les résultats et un affaiblissement possible des facultés. Enfin, d’autres tests tels que la capacité de marcher sur une ligne blanche permettent parfois d’inférer que le conducteur avait les facultés affaiblies.
[22]   Toutefois, la jurisprudence établit que pour conclure à des capacités affaiblies, il  ne doit pas exister un écart marqué entre la faculté de conduire de l’appelant et celle d’une personne normale, tel qu’il le fût établi dans l’arrêt R. c. Stellato.

Conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions corporelles

R. c. Martel-Poliquin, 2017 QCCQ 7577 (CanLII)


Lien vers la décision

[120]     La jurisprudence établit que pour prouver le lien de causalité, la poursuite doit démontrer que l’affaiblissement par l’alcool de l’accusé a contribué de façon appréciable à l’accident et entraîné des lésions corporelles à Jacinthe Boucher et Gilles Thibeault.
[121]     Également, la poursuite n’a pas à démontrer que la conduite avec les facultés affaiblies est la seule cause des lésions corporelles. Elle doit seulement y avoir contribué de façon appréciable.
[122]     L’on sait que l’accusé met l’accident sur la faute de la victime Gilles Thibeault, le conducteur du véhicule circulant devant lui, voulant que ce dernier lui ait coupé la route lorsqu’il a pris la décision de changer de voie.
[130]     Ses explications dépassent tout entendement de normalité. Comme le Tribunal l’a mentionné précédemment, la preuve révèle qu’il regardait en direction de l’auto des victimes dans l’objectif de la dépasser. Il s’est donc approché à environ deux véhicules d’elle, en contre-interrogatoire il dira quand même assez près, sans la percuter. Puis, il a mis son clignotant pour la dépasser et a regardé dans son angle mort. Par la suite, ses yeux sont revenus vers l’avant en direction des véhicules.
[131]     Si le Tribunal retenait sa version, cela voudrait dire qu’il a perdu l’auto de son champ de vision avant l’impact. Or, l’on sait qu’il était très près du véhicule et que la visibilité était très bonne. Dans ces circonstances, sa version des faits est improbable.
[136]     Il n’y avait donc aucune raison quelconque de ne pas voir l’auto et la manœuvre de son conducteur. Tous ces considérants amènent le Tribunal à conclure que sa version ne soulève aucun doute raisonnable.
[137]     Par ailleurs, le Tribunal note que la défense s’est abstenue de confronter en contre-interrogatoire les victimes Jacinthe Boucher et Gilles Thibeault et le beau-frère Raynald Bernatchez sur l’allégation selon laquelle M. Thibeault aurait effectué une manœuvre dangereuse et coupé la route à l’accusé. Le Tribunal y voit une certaine forme d’accroc à la règle d’équité procédurale édictée notamment dans Browne c. Dunn. Par conséquent, cela affecte encore plus la valeur probante des allégations de l’accusé.
[138]     L’avocat qui entend mettre en doute la crédibilité et la sincérité d’un témoin opposé doit lui offrir l’opportunité de répondre et s’expliquer durant son contre-interrogatoire sur les aspects importants du témoignage contradictoire à venir par la partie adverse. Cette règle fut citée avec approbation par la Cour suprême du Canada dans plusieurs décisions.
[139]     L’ensemble de la preuve amène le Tribunal à conclure que l’affaiblissement de la capacité de conduire de l’accusé par l’alcool a fait en sorte qu’il a mal évalué la vitesse réelle de son véhicule et les dangers y étant associés.
[142]     Sans compter qu’il n’existait aucun élément externe qui puisse expliquer l’accident, autre que l’affaiblissement de la capacité de conduire et la mauvaise évaluation de sa vitesse.
[145]     Et même si le Tribunal retenait la version de l’accusé quant aux agissements du conducteur Thibeault, voulant qu’il ait effectué une manœuvre dangereuse en lui coupant la route, cette manœuvre que l’accusé n’aurait pas vue, force est de constater que son intoxication aurait également affecté dans ces circonstances sa capacité de réagir adéquatement et prudemment à cette situation.
[146]     Suivant cette version, il faudrait donc conclure à un bref moment d’inattention puisque rien n’obstruait son champ de vision ou tout simplement, qu’il se serait endormi. Pour le Tribunal, l’inattention ou de s’être endormi n’expliquerait pas qu’il savait, selon son témoignage, qu’il roulait à une vitesse supérieure à celle des victimes puisqu’il s’apprêtait à les dépasser et qu’alors, il aurait donc mal évalué sa vitesse avant l’impact étant donné que la preuve révèle qu’il n’a jamais tenté quelque manœuvre d’évitement que ce soit, ne serait-ce qu’appliquer les freins. Là encore, il aurait agi en fonction d’un comportement imprudent.
[147]     De toute façon, il s’agirait d’un moment d’inattention tout à fait inexplicable lorsqu’on circule sur une autoroute et, surtout, lorsqu’on s’apprête à effectuer une manœuvre de dépassement.
[148]     Là encore l’affaiblissement de la capacité de conduire de l’accusé par l’alcool aurait fait en sorte que cela aurait causé un bref moment d’inattention avec les dangers y étant associés.

Revue de la jurisprudence concernant l’accusation de conduite avec les facultés affaiblies

R. c. Martel-Poliquin, 2017 QCCQ 7577 (CanLII)

Lien vers la décision

[65]        Pour disposer de l’accusation de conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions corporelles, il importe d’abord d’analyser si l’accusé conduisait son véhicule avec les facultés affaiblies.
[66]        L’article 253 (1) a) du Code criminel prohibe la conduite d’un véhicule lorsque la capacité d’une personne est affaiblie par l’effet de l’alcool.
[67]        L’auteur Harrison résume l’état du droit et définit l’infraction « comme étant la diminution du jugement d’une personne des diverses circonstances qu’elle peut rencontrer durant son trajet ».
[68]        La jurisprudence énonce que la poursuite n’a pas « à établir un affaiblissement marqué des capacités […], mais simplement un degré d’intoxication variant d’un minimum à grand ».
[69]        Dans l’arrêt R. c. Aubé, l’état de boisson d’un conducteur se prouve généralement par une preuve circonstancielle « comprenant un certain nombre de manifestations physiques distinctes touchant l’apparence de l’individu, sa façon de parler et de marcher, soit des manifestations anormales qui, à défaut d’explications ou de justification, permettent l’inférence certaine d’un affaiblissement de la capacité de conduire par l’alcool ou une drogue ».
[70]        Un peu plus récemment, la Cour d’appel, dans Lyna c. R., utilise l’expression « faisceau de preuve » qui démontre un degré d’intoxication suffisamment élevé pour conclure aux facultés affaiblies.
[110]     Dans les faits, le comportement routier de l’accusé était tout à fait inhabituel et démontre une conduite automobile nettement aberrante en tenant compte du contexte de lieu, de temps et de température révélé par la preuve.
[111]     Ainsi, même si l’arrêt Faucher de la Cour d’appel reconnait qu’une conduite erratique ne fait pas partie du fardeau de la poursuite dans un cas de facultés affaiblies, la démonstration d’une telle conduite peut être prise en compte lorsque celle-ci existe suivant la preuve présentée. Il en est de même lorsqu’il s’agit d’une conduite inhabituelle comme dans le présent cas.
[112]     Or, quant à l’accident proprement dit, l’explication qu’il fournit n’est pas plausible, encore moins probante.
[115]     D’ailleurs, la Cour d’appel dans l’affaire Blais fait état de ce qui suit concernant le parler pâteux :
Le parler pâteux est également une indication de la consommation de l'alcool et l'appelante n'a présenté aucune preuve pour expliquer que ce parler pâteux pouvait résulter du choc de l'accident.
L'appelante ayant perdu le contrôle de la voiture a eu un accident qui a complètement démoli la voiture en plus de causer des blessures à sa sœur, elle avait un parler pâteux et elle dégageait une forte odeur de boisson alcoolique plus de deux heures après avoir quitté l'aéroport. Ces faits ont été retenus par le premier juge et notre intervention n'est pas justifiée.
[116]     Conséquemment, le Tribunal est d’avis que les explications de l’accusé face aux symptômes physiques constatés par les témoins ne sont pas suffisantes pour soulever un doute dans son esprit.
[117]     Il importe de souligner que la Cour d’appel, dans l’arrêt Leblanc, édicte que le juge, dans sa démarche analytique, ne doit pas morceler la preuve pour analyser chaque symptôme isolément. Il doit plutôt considérer l’effet cumulatif de tous les éléments mis en preuve.

Le juge de première instance commet une erreur de droit s'il considère une expertise fournie dans un autre dossier

R. c. Boisvert, 2011 QCCA 886 (CanLII)

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[11]        Le ministère public ne peut en appeler sur des questions de fait, ni même en présence d'un verdict qui est déraisonnable (R. c. Biniaris[2000] 1 R.C.S. 3812000 CSC 15 (CanLII)). Il lui faut démontrer une erreur de droit, laquelle doit être déterminante sur le verdict. Cela dispose des moyens relatifs au poids de l'expertise et à l'évaluation de la preuve.
[13]        Une autre erreur de droit commise par la juge de première instance réside dans la prise en considération d'une expertise fournie dans un autre dossier, R. c. Lafleur2005 CanLII 30739 (QC CQ)[2005] R.J.Q. 2726 (C.Q.), pour conclure au par. 139 de son jugement qu’en fonction du taux d’alcoolémie mesuré de l’accusé, ce dernier n'aurait alors qu'été dans un état euphorique plutôt que sédatif (qui expliquerait le sommeil momentané). Cette expertise, en plus de ne pas être en preuve, ne peut servir à démontrer l’état personnel de l’accusé au moment de l'infraction (R. c. Boucher[2005] 3 R.C.S. 4992005 CSC 72 (CanLII)). Cette référence renforce cependant l'impression que la juge croyait qu'une cause possible de l'accident pouvait être un sommeil momentané non relié à la consommation d'alcool.

L'explication valide et la rupture du lien de causalité

Méthot c. R., 2005 QCCA 1211 (CanLII)

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[19]           Au chapitre du lien de causalité entre l'affaiblissement des facultés et les lésions corporelles causées à Mme Turenne, le premier juge ne retient pas l'explication de l'appelant comme quoi il cherchait son téléphone cellulaire et que l'accident et les lésions corporelles n'avaient pas été causés par l'affaiblissement de ses facultés. Le premier juge conclut plutôt que le fait de chercher son téléphone cellulaire est une erreur de jugement attribuable à la consommation d'alcool. Il déclare l'appelant coupable du premier chef d'accusation.
[23]           Deuxièmement, l'appelant soutient que le seul fait d'avoir les facultés affaiblies ne permet pas de conclure à un lien de causalité entre celles-ci et les lésions corporelles. Il estime qu'il a fourni une explication valide pour justifier son manque d'attention et la déviation de son véhicule au moment de l'accident, soit qu'il était à la recherche de son téléphone cellulaire.
[24]           La Cour est d'avis que cette explication n'est pas incompatible avec la détermination du premier juge que l'appelant, en cherchant son téléphone cellulaire, a commis une erreur de jugement résultant de la consommation d'alcool et de l'affaiblissement de ses facultés.

La seule preuve que les capacités de conduire du conducteur sont affaiblies ne suffit habituellement pas à établir le lien de causalité

R. c. Boisvert, 2011 QCCA 886 (CanLII)

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[17]        J'ajoute qu'en droit une démonstration que les facultés sont le moindrement affaiblies suffit pour prouver l'offense de conduite avec facultés affaiblies (R. v. Stellato, 1993 CanLII 3375 (ON CA)[1993] O.J. No. 18 (C.A.) conf. R. v. Stellato, 1994 CanLII 94 (CSC)[1994] 2 R.C.S. 478) et qu'une fois la conduite avec facultés affaiblies prouvée, le fardeau du ministère public se limite à « établir que l'état de l'accusé a contribué au moindre degré au décès » (R. c. Laprise, 1996 CanLII 6000 (QC CA)J.E. 97-65 (C.A.), par. 15). Le ministère public n'a pas à démontrer que la conduite avec facultés affaiblies est la seule cause du décès. Dans l'arrêt Laprise, il est dit :
16     Toutefois, comme le mentionne le juge de première instance, la seule preuve que les capacités de conduire du conducteur sont affaiblies ne suffit habituellement pas à établir le lien de causalité [...]

17     Par conséquent, le ministère public doit prouver, par exemple, une conduite inhabituelle de la part de l'accusé ou, par le témoignage d'un expert, que son état d'intoxication a pu contribuer, de façon plus que mineure, à la mort de la victime. L'absence d'explication, de la part de l'accusé, peut également inférer que son état d'ébriété a contribué, hors de tout doute raisonnable, à la mort de la victime.

Lors d’une accusation de conduite avec capacités affaiblies causant la mort (ou des lésions corporelles), la poursuite doit démontrer, hors de tout doute raisonnable, que l’affaiblissement par l’alcool ou la drogue a contribué de façon appréciable au décès (ou aux lésions corporelles)

Bonin c. R., 2014 QCCA 1047 (CanLII)

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[35]        Selon les principes énoncés par la Cour d’appel de la Saskatchewan dans R. c. E.(A.L.), 2009 SKCA 65 (CanLII)256 C.C.C. (3d) 476, par. 44 à 47, lors d’une accusation de conduite avec capacités affaiblies causant la mort (ou des lésions corporelles), la poursuite doit démontrer, hors de tout doute raisonnable, que l’affaiblissement par l’alcool ou la drogue a contribué de façon appréciable au décès (ou aux lésions corporelles). Dit autrement, l’affaiblissement par l’alcool de la capacité de conduire doit avoir contribué de façon appréciable à l’accident ayant entraîné la mort ou les blessures des victimes.
[36]        L’expert Dion a expliqué les effets de l’alcool sur l’organisme, notamment quant aux difficultés éprouvées par la personne intoxiquée à prendre des décisions éclairées, à exécuter des tâches simultanées et à évaluer la vitesse et la profondeur des objets. Il a également affirmé, et cet élément apparaît crucial à l’analyse du lien causal, qu’une personne intoxiquée a tendance à fixer un objet (tel un odomètre), omettant alors de prendre conscience de ce qui se déroule autour de lui. Or, lors de son témoignage, l’appelant a admis avoir fixé, une fois la manœuvre débutée, la 8e avenue, ne portant alors pas attention aux véhicules qui pouvaient se diriger vers lui. De plus, la basse vitesse de l’appelant au moment de la collision ainsi que son empiètement sur la voie inverse pourrait s’expliquer par l’état d’intoxication de l’appelant. 
[37]        Par ailleurs, il ressort du témoignage de l’appelant qu’il n’était pas en mesure de réaliser qu’il roulait sur la bande riveraine de la route et non entièrement sur l’accotement et qu’il fixait en direction de la 8e avenue et non plus la route 132.
[38]        En somme, les facultés affaiblies de l’appelant l’ont empêché de réaliser qu’il circulait dans la voie de la circulation inverse et de porter attention à ce qui s’y passait. Or, ces actes ont été des causes appréciables de la collision frontale et des décès ainsi que des blessures en résultant.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les déclarations d'un accusé à son complice ne sont pas du ouï-dire

R v Ballantyne, 2015 SKCA 107 Lien vers la décision [ 58 ]             At trial, Crown counsel attempted to tender evidence of a statement m...