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jeudi 9 janvier 2025

Comment établir l’infraction de séquestration illégale prévue au par. 279(2) du Code criminel

R. c. Sundman, 2022 CSC 31

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[21]                        Pour établir l’infraction de séquestration illégale prévue au par. 279(2) du Code criminel, la Couronne doit prouver (1) que l’accusé a séquestré une autre personne; et (2) qu’il s’agissait d’une séquestration illégale (R. c. Magoon2018 CSC 14, [2018] 1 R.C.S. 309, par. 64). Séquestrer illégalement une personne consiste fondamentalement à priver cette personne de sa liberté (R. c. Bottineau[2006] O.J. No. 1864 (QL), 2006 CarswellOnt 8510 (WL) (C.S.J.), par. 117, le juge Watt (plus tard juge de la Cour d’appel de l’Ontario), conf. par 2011 ONCA 194, 269 C.C.C. (3d) 227). Il y a séquestration illégale si, pendant un laps de temps assez long, une personne est soumise à la coercition ou forcée d’agir contre sa volonté, de telle sorte qu’elle n’est pas libre de ses mouvements (R. c. Luxton1990 CanLII 83 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 711, p. 723; R. c. Pritchard2008 CSC 59, [2008] 3 R.C.S. 195, par. 24Magoon, par. 64). Il n’est pas nécessaire que la personne soit confinée dans un endroit particulier ou qu’elle subisse une contrainte physique (Magoon, par. 64R. c. Gratton (1985), 18 C.C.C. (3d) 462 (C.A. Ont.), p. 473 et 475, le juge Cory (plus tard juge de notre Cour); R. c. Lemaigre (1987), 1987 CanLII 4896 (SK CA), 56 Sask. R. 300 (C.A.), par. 3; M. Manning et P. Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law (5e éd. 2015), p. 1037). La contrainte peut être exercée par la violence, la peur, l’intimidation ou encore par des moyens psychologiques ou autres (Magoon, par. 64). L’objet de la séquestration n’est pas pertinent (Pritchard, par. 31R. c. Kimberley (2001), 2001 CanLII 24120 (ON CA), 56 O.R. (3d) 18 (C.A.), par. 107R. c. Johnstone2014 ONCA 504, 313 C.C.C. (3d) 34, par. 45R. c. Parris2013 ONCA 515, 300 C.C.C. (3d) 41, par. 47).

[22]                        Par exemple, une personne peut être séquestrée illégalement si les actes violents de l’accusé amènent cette personne à s’enfermer dans une pièce pour éviter d’être agressée (Johnstone, par. 47; K. Roach, Criminal Law (7e éd. 2018), p. 442, note 83), ou si on empêche la personne de s’échapper d’un appartement par la porte avant (R. c. Newman2016 CSC 7, [2016] 1 R.C.S. 27, par. 1; Roach, p. 442, note 81).

mardi 7 janvier 2025

En matière de harcèlement criminel, une insistance sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion, générale et spécifique, s'impose

El Hami c. R., 2015 QCCA 1865 

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[12]        La juge a bien analysé la nature et la gravité des infractions commises. S’agissant d’infractions en matière de harcèlement criminel, une insistance sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion, générale et spécifique, était de mise[11], d’autant plus que, en l’occurrence, les gestes constitutifs des infractions s’échelonnent sur plus de quatre ans et que les faits relatifs au deuxième chef de harcèlement criminel surviennent alors que l’appelant est en attente de procès en regard du premier chef.

[13]        Contrairement à ce que plaide l’appelant, la juge n’ignore pas sa condition psychologique[12]. Elle reconnaît au contraire que, selon le psychologue, celui-ci souffre d’un trouble délirant érotomaniaque et en tient compte dans l’ordonnance de probation. Elle conclut cependant, à la lumière de cette évaluation psychologique, du rapport présentenciel et du contenu des messages envoyés à la plaignante, que l’appelant était conscient de ses comportements délinquants. On comprend de la facture du jugement, prononcé oralement[13], que la juge perçoit ainsi difficilement ce trouble comme un facteur atténuant pouvant diminuer sa responsabilité morale, d’autant plus que l’appelant n’avait en aucun temps, même après son plaidoyer de culpabilité, démontré une volonté d’entreprendre une thérapie[14]. La pondération accordée par la juge à ce facteur relève de sa discrétion et la Cour ne peut conclure qu’il était déraisonnable de sa part de ne pas considérer la condition psychologique de l’appelant comme un facteur plus important dans la détermination de la peine[15].

[14]        De même, l’absence de violence physique plaidée par l’appelant n’a pas pour effet de diminuer la gravité de l’infraction. La Cour reprend à son compte ce que la Cour d’appel de l’Ontario écrivait à cet égard[16] :

[16] The absence of physical violence is not a mitigating factor on a conviction for harassment. The psychological violence done to the complainant and her friends over a prolonged period by the respondent's conduct is the very evil that Parliament sought to punish by creating the crime of harassment. The fact that the respondent did not commit additional crimes involving physical violence cannot mitigate his sentence on the harassment charge.

[15]        Il est exact que la juge ne réfère pas expressément au plaidoyer de culpabilité de l’appelant lors de sa pondération des divers facteurs atténuants et aggravants. Toutefois, compte tenu que la juge réfère à cet élément au début de son jugement et vu la présomption selon laquelle les juges du procès sont censés connaître le droit qu’ils appliquent quotidiennement, on ne peut conclure que la juge a omis de considérer ce facteur dans la détermination de la peine. Ceci étant, il demeure qu’il s’agirait tout au plus d’une erreur non déterminante dans la mesure où elle est contrebalancée par la présence de facteurs aggravants importants (la gravité objective des infractions, les récidives alors que l’appelant est en attente de procès, la longue période (quatre ans) au cours de laquelle les gestes ont été posés, les effets sur la victime, la présence d’un propos menaçant, le risque de récidive noté à l’évaluation psychologique et au rapport présentenciel)[17].

[16]        Contrairement à ce que soutient l’appelant, la peine imposée ne se situe pas à l’extérieur de la fourchette des peines recensées dans la jurisprudence pour ce type d’infractions dans des circonstances similaires[18]. La jurisprudence démontre une large fourchette de peines qui varie notamment selon la gravité du harcèlement, sa durée et la persistance du comportement malgré les avertissements. La peine est ici individualisée, tenant compte de la spécificité du crime autant que celle du délinquant[19].

dimanche 5 janvier 2025

La règle interdisant les témoignages justificatifs veut que la preuve produite à seule fin de prouver qu'un témoin dit la vérité soit inadmissible

R. c. Burns, 1994 CanLII 127 (CSC)

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La règle interdisant les témoignages justificatifs veut que la preuve produite à seule fin de prouver qu'un témoin dit la vérité soit inadmissible:  R. c. Marquard, précité.  Cette règle tire son origine de la pratique médiévale des témoignages justificatifs; l'accusé dans une affaire criminelle ou le défendeur dans une affaire civile pouvait établir son innocence en produisant un certain nombre de témoins justificateurs qui juraient de la véracité de ce qu'il avait dit sous serment:  voir R. c. Béland, précité, le juge Wilson, aux pp. 419 et 420.  À notre époque, elle se justifie par le fait qu'il appartient au juge des faits de se prononcer sur la crédibilité et que le juge ou les jurés sont tout aussi bien placés qu'un autre témoin pour statuer sur la crédibilité.  On ne satisfait donc pas à l'exigence fondamentale applicable au témoignage d'expert, qui est d'aider le juge ou le jury à clarifier une question technique ou scientifique qui, sans cela, pourrait ne pas être évidente.  La règle, comme le fait observer le juge Iacobucci dans R. c. B. (F.F.)1993 CanLII 167 (CSC)[1993] 1 R.C.S. 697, à la p. 729, s'applique à la preuve qui «tendrait à établir la franchise du témoin plutôt que la véracité de ses déclarations».

La règle interdisant les témoignages justificatifs vise à empêcher une partie de produire une preuve destinée uniquement à renforcer la crédibilité d'un témoin avant que celle‑ci ne soit attaquée

R. c. B. (F.F.), 1993 CanLII 167 (CSC)

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Quoi qu'il en soit, l'argument de l'appelant n'est pas fondé.  La règle interdisant les témoignages justificatifs vise à empêcher une partie de produire une preuve destinée uniquement à renforcer la crédibilité d'un témoin avant que celle‑ci ne soit attaquée.  Ce type de preuve tendrait à établir la franchise du témoin plutôt que la véracité de ses déclarations.  Tel est le cas notamment de la preuve psychiatrique que le témoin est susceptible de dire la vérité en cour (voir, par ex., R. c. Kyselka (1962), 1962 CanLII 596 (ON CA)133 C.C.C. 103 (C.A. Ont.)), de la preuve de bonne moralité présentée à seule fin de montrer qu'un témoin dira vraisemblablement la vérité (voir, par ex., R. c. Clarke (1981), 1981 ABCA 222 (CanLII)63 C.C.C. (2d) 224 (C.A. Alb.)) et de la preuve obtenue au moyen d'un détecteur de mensonges (voir, par ex., R. c. Béland1987 CanLII 27 (CSC)[1987] 2 R.C.S. 398).  Il n'était pas question, dans les témoignages de L.L. et de T.B., de leur propre franchise ou bonne moralité, ni de celles de la plaignante.  Leurs témoignages corroboraient plutôt une question que P.A.L. avait soulevée dans son témoignage au procès, savoir le régime de domination violente auquel l'appelant recourait pour contrôler les membres de la famille L.  Bien que les témoignages de L.L. et de T.B. aient implicitement renforcé la crédibilité de P.A.L., ce n'est pas uniquement ni même essentiellement dans ce but que cette preuve a été présentée.  Il ne s'agissait donc pas de témoignages justificatifs.

Une accusation pendante n’a pas de véritable valeur probante en ce qui a trait à la crédibilité, sauf lorsque l’on peut en démontrer la pertinence

Hunt c. R., 2022 QCCA 805

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[60]      Comme telle, une accusation pendante n’a pas de véritable valeur probante en ce qui a trait à la crédibilité, sauf lorsque l’on peut en démontrer la pertinence, par exemple, si elle permet de croire que le témoin pourrait avoir intérêt à favoriser une partie : Titus c. R., 1983 CanLII 49 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 259, à la page 263. Par ailleurs, les faits sous-jacents à une accusation pendante peuvent parfois être pertinents à l’évaluation de la crédibilité d’un témoin, s’il ne s’agit  évidemment pas de l’accusé. Ainsi, dans Poitras c. R.2011 QCCA 1677, la Cour cite avec approbation ce passage de R. v. Gonzague1983 CanLII 3541 (ON CA), [1983] O.J. No. 53, (Ont. C.A.) :

[…] Clearly, the fact that a person is charged with an offence cannot degrade his character or impair his credibility, but an ordinary witness unlike an accused may be cross-examined with respect to misconduct on unrelated matters which has not resulted in a conviction: see R. v. Davison, DeRosie and MacArthur (1974), 1974 CanLII 787 (ON CA), 20 C.C.C. (2d) 424 at 443-4, O.R. (2d) 103. Consequently, counsel was entitled to cross-examine the witness, Charbonneau, on the facts underlying the 15 charges of fraud in order to impeach his credibility.

[61]      Les arrêts R. v. John2017 ONCA 622, paragr. 59, et R v. Pascal2020 ONCA 287, paragr. 109-110, vont dans le même sens.

Lorsque qu'une déclaration antérieure compatible a pour effet d’éliminer une raison potentielle de mentir, le juge du procès a le droit de prendre en considération l’élimination de cette raison lorsqu’il apprécie la crédibilité du témoin

R. c. Stirling, 2008 CSC 10

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[11]                          On trouve dans la jurisprudence et la doctrine canadiennes toute une gamme d’expressions pour décrire l’effet, sur la crédibilité d’un témoin, de déclarations antérieures compatibles réfutant une allégation de motif illégitime.  La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse et celle de l’Alberta parlent du « bolstering » (renforcement) de la crédibilité du témoin (R. c. Schofield (1996), 1996 NSCA 55 (CanLII), 148 N.S.R. (2d) 175,  par. 23R. c. R. (J.) (2000), 84 Alta. L.R. (3d) 92, 2000 ABCA 196, par. 8), un terme aussi utilisé dans l’ouvrage de référence de Sopinka, Lederman et Bryant, à la p. 314.  La Cour d’appel de l’Ontario a récemment utilisé le mot « strengthening » pour affirmer que ces déclarations peuvent rehausser la crédibilité (R. c. Zebedee (2006), 2006 CanLII 22099 (ON CA), 211 C.C.C. (3d) 199, par. 117), tandis que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a parlé de leur capacité de « rehabilitate » (rétablir ) la crédibilité (R. c. Aksidan (2006) 209 C.C.C. (3d) 423, 2006 BCCA 258, par. 21).  Notre Cour est arrivée à la conclusion que ces déclarations sont recevables « à l’appui de » la crédibilité d’un témoin (Evans, p. 643).  Quoi qu’il en soit, toutes ces sources illustrent clairement que l’admission de déclarations antérieures compatibles qui éliminent un motif de fabrication a nécessairement un effet — positif — sur la crédibilité.  Il serait certes manifestement erroné de conclure que l’élimination de ce motif mène à la conclusion que le témoin dit la vérité, mais ce facteur peut être pris en considération dans l’appréciation générale de la crédibilité.

Rien n'interdit à un accusé de prendre « les devants » et de dévoiler son passé lors de son interrogatoire en chef

R. c. Roux, 2002 CanLII 41218 (QC CA)

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[18]           L'appelante fait deux reproches au juge du procès. Il aurait erronément permis à l'avocat de l'accusée d'interroger sa cliente sur ses antécédents judiciaires et, en second lieu, il aurait illégalement restreint le contre-interrogatoire du substitut.

[19]           Le premier grief est manifestement non fondé. Rien n'interdit à l'accusée de prendre « les devants » et de dévoiler son passé[1].

[20]           Le second grief mérite plus d'explications. Le juge a permis de contre-interroger l'accusée sur son dossier criminel mais a exclu de la preuve admissible une condamnation antérieure pour agression armée. Il a estimé qu'en raison des accusations portées ici, l'interrogatoire sur une agression armée était susceptible de causer un préjudice important à l'équité du procès; aussi, exerçant son pouvoir discrétionnaire, il a exclu l'examen de la condamnation d'une accusation de violence.

[21]           La règle, en cette matière, fut définie par la Cour suprême dans R. c. Corbett[2]. La plus récente application de cet arrêt revient à la Cour d'appel de l'Ontario où le juge Dougherty dans R. c. Poitras[3] écrivait :

A trial judge should exclude evidence of an accused's prior convictions only where the probative value of that evidence in assessing the accused's credibility is outweighed by the prejudicial effect of the evidence such that the admission of the evidence would undermine the fairness of the trial: R. v. Corbett (1988), 1988 CanLII 80 (CSC), 41 C.C.C. (3d) 385 at 400 (S.C.C.). The balancing process described in R. v. Corbett, supra, is first and foremost a function for the trial judge. Appellate courts must show deference to determinations by trial judges as to whether all, some or none of an accused's criminal record will be admitted if the accused testifies.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...