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lundi 1 septembre 2025

La Poursuite peut imposer des modalités pour établir le moment et la forme de la communication de la preuve, notamment en matière de pornographie juvénile

Abel c. R., 2023 QCCA 824

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[29]      Une deuxième demande d’accès est déposée le 16 novembre 2018, après l’enquête préliminaire. L’appelant requiert de nouveau que toutes les pièces lui soient communiquées, plus précisément que lui soit remise une copie miroir du matériel informatique afin de pouvoir analyser la preuve et la soumettre à un expert « pour bien connaître les détails relatifs à ces informations et les données techniques associées à ces informations », selon les termes de sa demande. 

[30]      L’intimé et l’intervenant, le Centre canadien de protection de l’enfance, s’y opposent et proposent, encore une fois, un accès à la preuve aux bureaux de la Sûreté du Québec selon certaines modalités, dont le but est la protection des enfants et l’établissement d’un obstacle à la dissémination de la pédopornographie.

[31]      Cette demande est entendue par le juge du procès. Un enquêteur de la division technologique de la Sûreté du Québec témoigne sur les précautions à prendre avant d’autoriser la consultation de fichiers contenant de la pornographie juvénile et la faisabilité d’une expertise dans les conditions proposées par l’intimé. La consultation sur place par un expert de la défense prendrait une demi-journée et une expertise, environ une semaine.

[32]      Le juge conclut que le droit à une défense pleine et entière n’est pas enfreint par les conditions proposées par la poursuite :

[50] Enfin, les modalités proposées par le ministère public entraînent certes des inconvénients ou des irritants pour le requérant, son procureur et l’expert qu’ils retiendront éventuellement. Toutefois, outre des inconvénients d’ordre logistique, le requérant ne démontre pas en quoi son droit à une défense pleine et entière est atteint du fait qu’il doit aller consulter la preuve dans les locaux de la Sûreté du Québec, plutôt que d’en recevoir une copie intégrale.

[33]      Il rejette tout autant l’argument selon lequel les conditions sont indûment strictes, au point où elles empêchent tout expert d’accepter le mandat :

[52] La preuve révèle également que la multitude d’experts contactés par le requérant n’a pas refusé d’accepter le mandat en raison des contraintes imposées par le ministère public. La situation est toute autre : la liste d’experts potentiels ayant refusé d’accepter le mandat fait plutôt état d’entreprises qui, pour la plupart, n’acceptent pas de mandats de particuliers. Des 29 entreprises répertoriées, 2 refusent, car elles sont incapables d’effectuer des analyses suffisamment poussées, 14 car elles ne travaillent que pour des entreprises ou ne travaillent pas pour les particuliers, 9 car elles ne font pas d’analyse ou de dépannage, 1 car elle ne veut pas être exposée à ce type de matériel et 3 car elles n’ont pas les compétences ou la disponibilité requises.

[53] Considérant la nature hautement sensible du matériel, les intérêts en cause et le refus du requérant d’être assujetti à des restrictions permettant de tempérer le risque de dissémination de pornographie juvénile, il est nécessaire de restreindre la possibilité ou le risque que la preuve soit disséminée, copiée ou circulée ou que des tiers non autorisés y aient accès.

[54] Le Tribunal est d’avis que le ministère public a exercé sa discrétion en matière de communication de la preuve de façon raisonnable et que la consultation dans un environnement sécurisé constitue un juste équilibre entre le droit du requérant à la communication de la preuve et à une défense pleine et entière et les droits et intérêts des victimes figurant dans le matériel dont on demande copie.

[34]      Je ne vois pas d’erreur dans cette décision. Bien que l’accusé ait droit à la communication de la preuve et qu’il puisse évidemment faire une demande de communication supplémentaire, la poursuite conserve un pouvoir discrétionnaire de choisir « le moment et la forme de la divulgation » : R. c. Stinchcombe1991 CanLII 45 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 326, p. 339. Le refus de communiquer des renseignements pertinents ne peut toutefois se justifier « que par l'existence d'un droit au secret qui soustrait ces renseignements à la divulgation » : Stinchcombe, p. 327.

[35]      Ce pouvoir discrétionnaire peut toutefois être l’objet d’un contrôle exercé par un tribunal compétent, de sorte que le juge de la Cour supérieure avait compétence pour examiner la conduite de la poursuite, comme il l’a fait.

[36]      Il va de soi que les éléments de preuve saisis dans les ordinateurs et le téléphone portable de l’appelant sont pertinents tant pour la poursuite que la défense. La poursuite devait donc démontrer qu’il était dans l’intérêt de la justice de restreindre l’accès à la preuve : Stinchcombe, p. 340. Je n’ai aucun doute que c’est le cas ici. S’ils devaient être divulgués et, en principe, être communiqués, il reste qu’ils entrent dans la catégorie des éléments de preuve dont l’accès doit être balisé. Comme l’écrivaient les juges Watt et Paciocco dans York (Regional Municipality) v. McGuigan2018 ONCA 1062, il arrive que certains éléments de preuve ne doivent pas être reproduits ou remis à la défense :

[93] Ordinarily, disclosure is achieved by providing photographs, photocopies or electronic copies of documents or things capable of reproduction: Report of the Attorney General's Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions, the Hon. G. Arthur Martin, Chair (Ontario: Queen's Printer, 1993), at pp. 234-35, 470-72, recommendation 41.12 (the "Martin report"). This is arguably what Sopinka J. envisaged in Stinchcombe when he spoke, at p. 338 S.C.R., of "[p]roduction to the defence". Yet some things, such as pornographic images of children, should not be copied. Other information may be too sensitive to lose control over. In these exceptional cases, where it is in the interests of justice to do so, inspection by the defence may have to do: R. v. Blencowe (1997), 1997 CanLII 12287 (ON SC)35 O.R. (3d) 536, [1997] O.J. No. 3619 (Gen. Div.), at p. 44 O.R. [page100].

[37]      Il peut arriver, au moment où la poursuite prend sa décision, qu’une inspection suffise et que la remise des pièces soit refusée afin de ne pas perdre « le contrôle » de ces éléments de preuve. Parfois, et je dirais même généralement, des éléments de pornographie juvénile ne devront pas être copiés ou autrement remis à la défense dès ce stade ou même plus tard. D’une part, il s’agit de pièces dont la possession est interdite et dont il faut évidemment limiter totalement la dissémination. Un engagement de la part de l’avocat et de l’accusé doit à tout le moins être souscrit, mais même l’engagement le plus sévère signé par un avocat pourra, dans certains cas, être insuffisant, puisque l’accusé pourrait ensuite vouloir lui-même les examiner et qu’une erreur informatique entraînant leur mise en circulation serait toujours possible. D’autre part, la dignité et la vie privée d’enfants victimes de violence sexuelle doivent être adéquatement protégées, ce qui exige parfois de strictes modalités de communication de preuve et même d’accès. La dissémination de pédopornographie, même par inadvertance, alimente cette violence sexuelle puisque l’enfant qui en est victime « vit en sachant que d’autres personnes peuvent accéder aux films ou aux images, qui peuvent à tout moment refaire surface dans sa vie » : R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424, paragr. 48, références omises.

[38]      La poursuite doit naturellement prendre sa décision en considérant le droit à une défense pleine et entière. À ce sujet, je suis d’accord avec le juge Cameron lorsqu’il écrit, dans R. v. O. (W.A.), 2001 SKCA 64 :

[22]   With that, we may turn to the second limb of the issue, concerning the exercise of the Crown's discretion in this instance. Having disclosed the existence and content of the tape, Crown counsel chose not to provide a copy of the tape to defence counsel, offering instead to provide defence counsel an opportunity to inspect and view the tape. Crown counsel did so on the basis of protecting the privacy interests of the complainant, on the one hand, and of enabling the accused to examine the tape, on the other. 

[23]   In our judgment, the Crown cannot be said to have exercised its discretion on an improper basis, though it remains to consider whether the effect was to infringe the appellant's right to make full answer and defence. The complainant was deeply concerned lest her privacy, and that of her children, be further compromised should the tape fall into another's hands. Given the content of the tape and the risk of it falling into the wrong hands, this is readily understandable and was worthy of consideration. And if, as Crown counsel thought—and Dawson J. held—the appellant's right to make full answer and defence was not compromised in the result, there can be no interfering with Crown counsel's exercise of this discretion.

[39]      En somme, comme tout pouvoir discrétionnaire, il doit être exercé judiciairement et judicieusement, ce qui signifie que la décision de la poursuite peut être contrôlée par un tribunal compétent et qu’il faut prendre en compte le droit à une défense pleine et entière. Or, l’appelant ne fait pas ici la démonstration d’une atteinte à son droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, comme cela lui incombe : R. c. Dixon1998 CanLII 805 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 244, paragr. 32 et R. v. O. (W.A.)précité, paragr. 25.

[40]      En réalité, l’appelant n’a fait aucun effort pour tenter de trouver une solution. Il a sans cesse demandé, sans équivoque, une copie complète de la preuve, sans s’interroger sur les alternatives et, surtout, sans démontrer en quoi l’examen des éléments de preuve aux bureaux de la Sûreté du Québec le privait de son droit à une défense pleine et entière. Il n’évoque que des hypothèses sans lien avec le dossier, même dans son mémoire. Ainsi, après avoir affirmé que « [l]’examen des fichiers, essentiel à la défense pleine et entière de l’appelant, nécessite d’avoir une copie des fichiers, et non seulement de pouvoir les consulter au poste de police », il écrit :

Ceci permet à la Défense de faire sa propre évaluation de la qualité de la preuve et d’effectuer de possibles enquêtes. Ainsi, en regardant les fichiers, la Défense peut observer, en outre, les participants à cette photo, le lieu où cette photo aurait été prise, les expressions faciales des participants, les marques ou l’absence de marques sur le corps des participants.

[41]      Je ne vois pas en quoi un examen au poste de police ne permet pas d’observer les participants, le lieu, les expressions faciales ou les marques sur leur corps. Qui plus est, je doute fortement qu’il puisse s’agir de faits importants pour la défense. D’ailleurs, aucun effort n’a été fait, pas même à l’enquête préliminaire, pour établir l’importance d’avoir une copie complète de la preuve. Ainsi, la Demande de l’Accusé pour obtenir copie des documents de novembre 2018, qui mentionne que « [l]’Accusé a aussi besoin de connaître les données numériques associées à ces documents, et pas seulement connaître les seules données que la Poursuivante veut bien dévoiler » et que « [l]a Poursuivante prive l’Accusé d’une défense pleine et entière et rend le procès à venir inéquitable » n’explique pas en quoi cela était si nécessaire pour assurer une défense pleine et entière. Il en est de même de l’affirmation selon laquelle « [l]’Accusé ne dispose d’aucun moyen de vérifier la qualité de la preuve que la Poursuivante se propose d’opposer à l’Accusé, tant avant, pendant qu’après le procès ».

[42]      Bien sûr, les modalités retenues par la poursuite n’étaient pas idéales pour la défense, mais l’accusé a droit à un procès équitable, non à un procès parfait.

L’infraction de communications harcelantes

R. c. J.H., 2022 QCCQ 10315

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[11]        Pour obtenir une condamnation concernant l’infraction de communications harcelantes[12], le poursuivant doit démontrer, hors de tout doute raisonnable, les éléments suivants[13] : (1) l’accusé a fait des communications répétées à une personne par un moyen de communication; (2) l’absence d’une excuse légitime; (3) une intention de harceler.

2.1         Des communications répétées

[12]        Les communications peuvent être harassantes même si aucune parole n’est prononcée ou qu’aucun mot n’est écrit dans le message transmis[14]. Le poursuivant n’a pas à démontrer que les communications harcelantes ont créé de la peur ou suscité une crainte chez la personne qui les a reçues[15]. De même, le poursuivant n’a pas à prouver la réception des communications par la victime[16]. Ne constitue pas une défense, en soi, le fait qu’une victime communique ou réponde aux communications provenant d’un accusé[17]. Dans le contexte de cette disposition, le terme « harasser » est synonyme « d’ennuyerdéranger, importuner, agacer »[18].

2.2      Une excuse légitime

[13]        Pour contrer l’infraction, un accusé n’a aucun fardeau de persuasion quant à l’existence d’une excuse légitime[19]. En effet, depuis l’abrogation, en 2018, de l’article 794 (2) du Code criminel, un accusé n’a qu’un fardeau de présentation. Une fois ce fardeau rencontré, il appartient au poursuivant de démontrer hors de tout doute raisonnable qu’il ne s’agit pas d’une excuse légitime. À cet égard, tout accusé est en droit de bénéficier du doute raisonnable. Toutefois, aucune excuse légitime n’existe lorsque les communications sont faites dans l’intention d’harasser la personne à qui ont les transmet[20]. De même, des insultes ou des critiques générales peuvent faire perdre le caractère légitime à des communications initialement ou partiellement légitime[21]. Un accusé ne pouvant masquer une conduite illégale sous l’apparence d’une excuse légitime[22]. Dit autrement, un accusé ne peut faire indirectement ce qu’il ne peut faire directement. Également, même s’il croit être dans son droit, un accusé ne peut se faire justice à lui-même en faisant des communications harcelantes pour faire valoir son point[23].

2.3       Une intention spécifique

[14]        Le poursuivant doit démontrer que l’accusé avait l’intention spécifique d’harasser la victime, en faisant les communications répétées[24].

[15]        La mens rea de l’infraction consiste à avoir l’intention de transmettre une communication harassante à une personne[25]. Le poursuivant n’a pas à établir que la victime a été, dans les faits, harassée par le comportement de l’accusé[26].

[16]        Pour déterminer si l’intention spécifique est prouvée, le Tribunal doit tenir compte de l’ensemble de la preuve[27]. Le nombre, la longueur et le contenu des communications peuvent établir l’intention spécifique d’un accusé, notamment lorsque ceux-ci consistent en des injures et des insultes[28]. De même, la continuité et la répétition de communications, malgré des mises en gardes répétées de cesser ce type de comportement peuvent établir l’intention spécifique de harceler de la part d’un accusé[29].

[17]        Ultimement, chaque cas est un cas d’espèce.

Les règles applicables au témoignage d’un adulte rapportant un évènement survenu durant son enfance

R. c. Gingras, 2024 QCCQ 1466

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[46]      Quiconque témoigne devant un tribunal, quel que soit son âge, est une personne dont il faut évaluer la crédibilité et le témoignage selon les critères pertinents compte tenu de son développement mental, de sa compréhension et de sa facilité de communiquer[51].

[47]      En règle générale, lorsqu’un adulte témoigne relativement à des évènements survenus dans son enfance, il faut évaluer sa crédibilité en fonction des critères applicables aux témoins adultes[52]. Toutefois, pour ce qui est de la partie de son témoignage qui porte sur les évènements survenus dans son enfance, s’il y a des incohérences ou des contradictions, surtout en ce qui concerne des questions connexes, on doit prendre en considération l’âge du témoin au moment des faits en question[53]. De même, il est possible qu’une personne ayant subi des abus sexuels répétés à l’enfance présente une mémoire descriptive, selon un « scénario » sur les éléments centraux, en omettant des détails périphériques[54]. Il est entendu que l’appréciation de l’effet de l’écoulement du temps et de la vulnérabilité d’un témoin en raison de son âge et du contexte factuel relève du pouvoir discrétionnaire du juge qui voit et entend le témoin[55].

[48]        Cela dit, dans le cas d’une infraction sexuelle dite historique, l’analyse du Tribunal doit surtout porter sur la fiabilité du témoignage de la victime. Le comportement d’une victime en salle de cour et sa sincérité apparente n’est pas, en soi, suffisante pour condamner un accusé, notamment, lorsqu’il existe des contradictions importantes dans la preuve[56].

Les règles applicables à la dénégation générale d’un accusé

R. c. Gingras, 2024 QCCQ 1466

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[49]        Il est difficile de contredire la dénégation complète d’un accusé puisqu’elle n’emporte aucun fait. Une dénégation non contredite d’un accusé ne soulève pas nécessairement, à elle seule, un doute raisonnable sur sa culpabilité[57]. Une dénégation peut ne soulever aucun doute, notamment si la version de la victime est convaincante, crédible et fiable[58]. Cette évaluation doit être faite à la lumière de l’ensemble de la preuve. Toutefois, cette dénégation ne doit pas être rejetée d’emblée parce qu’elle ne comporte aucun fait. Comme le souligne la Cour d’appel dans l’arrêt Prud’homme : « Que peut faire une personne innocente accusée d’un fait qui n’a pas existé et qui, suivant la victime présumée, aurait eu lieu en l’absence de témoin ? »[59].

[50]        Dans l’arrêt Foomani, l’honorable juge Guy Cournoyer rappelle que la dénégation d’un accusé est compatible avec la présomption d'innocence et que le fait de la rejeter en raison de son caractère intéressé sape cette présomption[60].

[51]        Le déni d’un accusé ne peut pas être transformé en un motif de ne pas le croire, car cela reviendrait à lui imposer un fardeau de preuve injustifié.

[52]        Cela dit, rien n’empêche le Tribunal de rejeter une dénégation générale ou de qualifier le témoignage d’un accusé d’intéressé, mais ces conclusions doivent être mises en contexte en énonçant les motifs pour lesquelles la version de l'accusé est intéressée ou encore les raisons pour lesquelles, dans l'ensemble, il est jugé non crédible.

samedi 30 août 2025

L’absence d’embellissement ne renforce pas la crédibilité du témoignage d'un témoin

Foomani c. R., 2023 QCCA 232

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[83]      Le juge s’appuie en effet sur l’absence d’embellissement dans l’évaluation du témoignage de Y, ce qui, à son avis, affermit la crédibilité de celle-ci. Voici comment s’exprime le juge au sujet de l’absence d’exagération dans le témoignage de Y :

[149]   Fait à noter et qui renforce aussi sa crédibilité : Y se limite à décrire ce qui lui est arrivé sans jamais vouloir exagérer les agressions dont elle a été victime.

[Le soulignement est ajouté]

[84]      Or, cette conclusion révèle l’emploi d’une considération inappropriée, comme le confirmait récemment la Cour suprême dans l’arrêt Gerrard[64], et ce, à l’instar de décisions antérieures de la Cour d’appel de l’Ontario, décisions que j’examine en premier lieu.

[85]      Dans l’arrêt Kiss[65], le juge Paciocco formule les commentaires suivants au sujet de la question de la pertinence de l’absence d’embellissement ou d’exagération dans l’évaluation de la crédibilité d’un témoignage :

[52]      The trial judge would have erred if he treated the absence of embellishment as adding to the credibility of K.S.’s testimony. It is wrong to reason that because an allegation could have been worse, it is more likely to be trueR. v. G.(G.) (1997), 1997 CanLII 1976 (ON CA), 115 C.C.C. (3d) 1, at p.10 (Ont. C.A.), [1997] O.J. No. 1501; R. v. L.L.2014 ONCA 892, at para. 2R. v. R.A.G.2008 ONCA 829, at para. 20While identified exaggeration or embellishment is evidence of incredibility, the apparent absence of exaggeration or embellishment is not proof of credibility. This is because both truthful and dishonest accounts can appear to be without exaggeration or embellishment.

[53]      On the other hand, in my view, there is nothing wrong with a trial judge noting that things that might have diminished credibility are absent. As long as it is not being used as a makeweight in favour of credibility, it is no more inappropriate to note that a witness has not embellished their evidence than it is to observe that there have been no material inconsistencies in a witness’ evidence, or that the evidence stood up to cross-examination. These are not factors that show credibility. They are, however, explanations for why a witness has not been found to be incredible.

[54]      Trial judges are presumed to know the law. In this case, there is no basis for apprehending that the trial judge inappropriately added weight to K.S.’s credibility. In my view, on a fair reading of the reasons for judgment, the trial judge was simply recording that K.S.’s evidence did not suffer from a problem of exaggeration or embellishment that would have diminished its weight. He did not err on this ground.

[Les soulignements sont ajoutés]

[86]      Dans l’arrêt subséquent Alisaleh[66], la juge en chef adjointe Fairburn renvoie à l’arrêt Kiss et tire ses conclusions dans l’affaire en cause.  Elle écrit :

[17]      In this case, the trial judge was not simply noting that the complainant’s evidence did not suffer from a problem of exaggeration or embellishment that diminished its weight in response to a defence argument that the complainant had embellished her allegations. Rather, the lack of embellishment was specifically noted as an “important” factor used to “enhance” the complainant’s credibility. Therefore, we agree with the Crown’s concession on this error.

[87]      Dans la présente affaire, le juge commet exactement la même erreur lorsqu’il écrit que l’absence d’exagération de Y était un « [f]ait à noter et qui renforce aussi sa crédibilité »[67]. Il n’y a ici aucune ambiguïté. Le motif identifié par le juge reflète clairement son raisonnement[68].

[88]      Finalement, dans l’arrêt Gerrard, la Cour suprême approuve le principe selon lequel l’absence d’embellissement ne fortifie pas la crédibilité d’une plaignante. Je signale que le juge d’instance n’avait pas le bénéfice de cet arrêt rendu plus de deux ans après sa décision.

[89]      Voici comment s’exprime le juge Moldaver :

L’absence d’amplification peut elle aussi être pertinente dans l’appréciation de la crédibilité d’un plaignant et elle se soulève souvent par suite de suggestions portant que le plaignant a des raisons de mentir. Cependant, contrairement à l’absence de preuve d’une raison de mentir ou à l’existence de preuve réfutant une raison particulière de mentir, l’absence d’amplification n’est pas un indice qu’un témoin est davantage susceptible de dire la vérité, car tant une déposition véridique qu’une déposition malhonnête peut ne contenir aucune exagération ou amplificationL’absence d’amplification ne peut pas être invoquée pour renforcer la crédibilité du plaignant — elle a tout simplement pour effet de ne pas nuire à la crédibilité. Elle peut toutefois constituer un facteur à prendre en considération dans l’examen de la question de savoir si un témoin avait ou non une raison de mentir.

[Le soulignement est ajouté]

[90]      Quel est l’impact ou l’influence de l’erreur commise par le juge? Est-elle déterminante?

[91]      Dans l’arrêt Alisaleh, la juge en chef adjointe Fairburn jauge la conséquence d’une erreur de cette nature dans une affaire où, comme en l’espèce, l’évaluation de la crédibilité d’une plaignante s’avère un point central du dossier :

[19]      The core issue at trial was the credibility of the complainant. While we acknowledge that the trial judge gave another reason for finding the complainant credible, the lack of embellishment was cited as one of two important reasons that enhanced the complainant’s credibility. We also note that the trial judge had some concerns about the complainant’s evidence, and we cannot say for certain that a conviction would have been inevitable had the judge not considered the lack of embellishment to be a positive factor going to the credibility of the complainant. As this court affirmed in Perkins, at para. 26, “as tracing the effect of the error on the verdict is necessarily a somewhat speculative exercise, any doubt as to the impact of the error must be resolved against the Crown”.

[92]      Finalement, comme le remarque le juge Vauclair dans l’arrêt Lessard : « il est parfois possible d’isoler une erreur et de conclure qu’elle n’a pas d’incidence sur le raisonnement »[69]. Néanmoins, il ajoute que « [c]e sera toutefois rarement le cas en matière d’analyse de la crédibilité », surtout en « présence de plusieurs erreurs touchant tous les aspects du raisonnement du juge jusqu’à sa conclusion »[70].

[93]      Même si le juge d’instance formule d’autres raisons qui fondent le fait qu’il croit les plaignantes et rejette le témoignage de l’appelant, j’estime que la prise en compte de l’absence d’embellissement comme vecteur de crédibilité exige la tenue d’un nouveau procès. Cette conclusion s’avère d’autant plus justifiée à la lumière des autres erreurs comme nous le verrons plus loin.

Les nombreux facteurs pertinents à l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des témoins qui sont dégagés de la jurisprudence et de la doctrine

Foomani c. R., 2023 QCCA 232



[73]      Plusieurs facteurs pertinents à l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des témoins peuvent être dégagés de la jurisprudence[57] et de la doctrine[58] : 1) l'intégrité générale et l'intelligence du témoin; 2) sa capacité d'observation; 3) sa capacité de communiquer; 4) la fidélité de la mémoire; 5) l'exactitude de sa déposition; 6) sa volonté de dire la vérité de bonne foi; 7) sa sincérité, sa franchise, ses préjugés; 8) l’intérêt du témoin; 9) le caractère évasif ou les réticences de son témoignage; 10) le comportement du témoin avec la prudence requise; 11) la compatibilité du témoignage avec l'ensemble de la preuve, y compris la preuve confirmative; 12) l'existence de contradictions avec les autres témoignages et les éléments de preuve; 13) la plausibilité du témoignage; 14) la cohérence intrinsèque du témoignage.

[74]      Bien évidemment, ces facteurs ne sont pas exhaustifs. 

[75]      Par ailleurs, il peut être utile de distinguer entre la crédibilité du témoignage et sa fiabilité[59]. Dans l’arrêt G.F., la Cour suprême note que « [l]a jurisprudence insiste souvent sur la distinction entre fiabilité et crédibilité, assimilant la fiabilité à la capacité d’un témoin d’observer, de se souvenir et de raconter les événements avec précision, et faisant référence à la crédibilité comme étant la sincérité ou l’honnêteté d’un témoin »[60].

[76]      La Cour suprême insiste toutefois pour préciser que les cours d’appel « devraient non pas prendre en considération le fait que le juge du procès a expressément utilisé les mots "crédibilité" et "fiabilité", mais plutôt se demander s’il s’est penché sur les facteurs pertinents qui se rapportent à la vraisemblance de la preuve dans le contexte factuel de l’affaire, notamment les préoccupations concernant la véracité et l’exactitude. La [conclusion] du juge du procès d’accepter ou de croire le témoignage incriminant d’une plaignante comprend une appréciation implicite de la véracité ou la sincérité et de l’exactitude ou la fiabilité »[61].

[77]      Plusieurs facteurs pertinents à l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des témoins peuvent être dégagés de la jurisprudence[55] et de la doctrine[56] : 1) l'intégrité générale et l'intelligence du témoin; 2) sa capacité d'observation; 3) sa capacité de communiquer; 4) la fidélité de la mémoire; 5) l'exactitude de sa déposition; 6) sa volonté de dire la vérité de bonne foi; 7) sa sincérité, sa franchise, ses préjugés; 8) l’intérêt du témoin; 9) le caractère évasif ou les réticences de son témoignage; 10) le comportement du témoin avec la prudence requise; 11) la compatibilité du témoignage avec l'ensemble de la preuve, y compris la preuve confirmative; 12) l'existence de contradictions avec les autres témoignages et les éléments de preuve; 13) la plausibilité du témoignage; 14) la cohérence intrinsèque du témoignage.

La culpabilité d’un accusé ne peut être déterminée en se fondant d’une manière indue sur l’impression que laisse l’apparente sincérité d’un témoin

Foomani c. R., 2023 QCCA 232

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[118]   La prudence doit toujours entourer l’analyse du comportement d’un témoin[86]. La culpabilité d’un accusé ne peut être déterminée en se fondant d’une manière indue sur l’impression que laisse l’apparente sincérité d’un témoin[87]. Comme le précise le juge Doyon dans l’arrêt L.L., « c’est plutôt comme point de départ à un examen plus approfondi en cours d’interrogatoire que le comportement du témoin devrait être pris en compte par le juge »[88]. La crédibilité d’un témoin ne peut se réduire à celui ou celle qui fait la meilleure impression[89].

[119]   À cela s’ajoute le commentaire du juge selon lequel les témoignages des plaignantes sonnent vrais. Or, comme l’explique la juge van Rensburg de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Primmer[90], l’accent de vérité d’un témoignage ne constitue pas un gage de crédibilité ou de fiabilité en raison de la portée limitée d’une telle conclusion :

[56]      The term “ring of truth” is not itself objectionable; the problem is that it adds nothing to the analysis. Saying that a witness’s evidence has the “ring of truth” is never sufficient to justify an assessment of credibility. It is simply a conclusion that the testimony sounds truthful. The important question is why this is so – which involves an examination of the various factors specific to the case that bear on the witness’s credibility and reliability.

[120]   Dans la présente affaire, comme je l’ai expliqué précédemment, il appartenait au juge de démêler des éléments de preuve embrouillés et contradictoires, notamment quant à l’opportunité de commettre l’infraction, une situation où non seulement les motifs revêtent une importance particulière[91], mais qui exige que le raisonnement ne soit pas vicié par des considérations inappropriées ou erronées.

[121]   Certes, l’accent de vérité d’un témoignage puise sa source dans « l’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins »[92], mais la perception qui découle d’un témoignage ne peut suffire[93].

[122]   Ce facteur ne justifierait sans doute pas à lui seul la tenue d’un nouveau procès, mais l’appelant ne fait pas fausse route en soulignant que le juge s’appuie trop fortement sur la seule observation du comportement des plaignantes.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...