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jeudi 27 août 2009

État du droit quant à la défense d'erreur concernant l'âge du plaignant

R. c. Jean-Pierre, 2006 QCCQ 4626 (CanLII)

[135] L'état actuel du droit quant à la défense d'erreur concernant l'âge du plaignant selon les termes de l'article 150.1(5) du Code criminel peut se résumer ainsi:

• Pour bénéficier de la défense d'erreur quant à l'âge de la victime, l'accusé doit référer à la preuve déjà faite ou en présenter une pour établir qu'il a pris tous les moyens raisonnables pour s'assurer de l'âge véritable de la victime.

• Le caractère raisonnable des mesures prises s'apprécie selon les circonstances particulières reliées à chaque cas. Parmi les critères d'évaluation retenus par les tribunaux, on retrouve notamment: l'apparence physique et le comportement de la victime, la différence d'âge entre l'accusé et sa victime.

• Dans une décision de R. c. Fratutescu, le juge Rothery a décidé que cette personne accusée selon les dispositions de l'article 212(4) du Code criminel ne pouvait invoquer la défense de diligence raisonnable prévue à l'article 150.1(5) C. cr. compte tenu des circonstances suivantes:

"The complainants are young looking for their age, even a year later at trial. While H. is now 18, E. has recently just turned 16.

A person making an inquiry as to child's age cannot be wilfully blind to the obvious. That the girls said they were age 19 is not sufficient for an accused to rely on. I find that the accused was wilfully blind to their deceit about their own age."[12]

De plus, le juge a refusé de considérer le fait que les victimes fréquentaient les bars sans avoir à prouver leur identité, comme étant un élément tendant à démontrer que l'accusé avait pris toutes les mesures raisonnables pour s'assurer de l'âge des victimes.

Le « danger » est‑il un élément essentiel de l’infraction de garde et contrôle?

Mallery c. R., 2008 NBCA 18 (CanLII)

[52] Si l’on reconnaît que le danger est un élément essentiel de l’infraction consistant à avoir la garde ou le contrôle d’un véhicule, il incombe néanmoins à notre Cour d’appliquer le cadre analytique qui convient aux fins de déterminer si le juge du procès a commis une erreur en acquittant l’appelant. Voici mon interprétation du droit applicable. Dans les instances relatives à la garde ou au contrôle, le juge du procès a pour tâche ultime de décider si le ministère public s’est acquitté de la charge d’établir hors de tout doute raisonnable que l’interaction de l’accusé avec son véhicule a constitué un danger ou, selon les expressions qui sont parfois employées, un [TRADUCTION] « risque de danger » ou un [TRADUCTION] « risque pour la sécurité publique ». Si les faits établissent hors de tout doute raisonnable qu’il existait un risque que l’accusé mette le véhicule en en mouvement, volontairement ou non, ou si les faits appuient par ailleurs une conclusion de danger (le fait d’avoir stationné son véhicule au milieu d’une voie publique, par ex.), la garde ou le contrôle aura été établi. Il va sans dire qu’il s’agit là d’un cadre général. Bien que l’intention de conduire (de mettre le véhicule en mouvement) ne soit pas un élément essentiel de l’infraction, si cette intention est prouvée, elle peut donner lieu à une déclaration de culpabilité.

À cet égard, le ministère public a la possibilité d’invoquer la présomption énoncée à l’al. 258(1)a) du Code criminel. S’il est établi que l’accusé occupait la place du conducteur, c’est à l’accusé qu’il incombe d’établir, par prépondérance de la preuve, que ce n’était pas dans le but de mettre le véhicule en mouvement. L’accusé qui ne réussit pas à réfuter cette présomption sera réputé avoir eu la garde ou le contrôle du véhicule et, sous réserve des autres moyens de défense susceptibles d’être invoqués, une déclaration de culpabilité suivra. De plus, l’omission de réfuter la présomption a pour effet, en droit, de dispenser la Cour de la nécessité de s’interroger sur l’existence d’un danger. Si, toutefois, l’accusé réfute la présomption, le ministère public a néanmoins le droit d’établir qu’il y a « réellement » eu garde ou contrôle en prouvant qu’il existait un risque que le véhicule soit involontairement mis en mouvement ou qu’un danger immédiat pour la sécurité publique soit créé d’une autre façon (voir les affaires Decker et Hannemann).

Lorsqu’il applique ce cadre général, le juge du procès doit tenir compte de l’ensemble des circonstances qui ont précédé l’intervention, habituellement celle des policiers. Surtout, il n’est pas permis au juge du procès d’isoler certains faits et d’estimer que ces faits sont suffisants aux fins d’établir l’existence d’un risque pour la sécurité publique. Une dernière chose. En ce qui concerne les instances où l’accusé « cuvait son alcool », les arguments relatifs au « changement d’avis » et à l’existence d’un « plan bien arrêté » sont parfois invoqués et pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer si la présomption législative a été réfutée (par exemple dans l’affaire Hannemann). Dans d’autres instances, le juge du procès peut examiner ces arguments après avoir tout d’abord statué que l’accusé a réfuté la présomption selon laquelle il avait l’intention de conduire. Dans l’un et l’autre cas, le résultat devrait être le même.

mercredi 26 août 2009

Éléments constitutifs de l'infraction de bris de condition / Moyen de défense

R. c. Guillen, 2009 CanLII 27034 (QC C.M.)

[159] L’article 145 (3) et (5.1) du Code criminel stipule que l’omission de se conformer sans excuse légitime à une telle condition ou ordonnance ou d’une promesse de comparaître, constitue l’infraction de défaut de se conformer à une telle condition ou engagement, le fardeau de la preuve de l’excuse raisonnable reposant sur les épaules du défendeur.

[160] Dans R. c. Custance[R. v. Custance, 2005 MBCA 23 (CanLII)], la Cour d’appel du Manitoba a précisé les éléments essentiels à prouver, soit :

1e l’accusé devait se conformer aux conditions d’une promesse ou d’un engagement ;

2e l’accusé a fait un geste qui est interdit par la promesse ou l’engagement ou a omis de faire un geste qu’il devait faire pour se conformer à la promesse ou à l’engagement ;

3e l’accusé a consciemment et volontairement fait ou omis de faire les actes qui constituent l’élément matériel de l’infraction. L’insouciance étant reconnue comme une intention coupable la mens rea requise pour justifier une condamnation, les auteurs Cournoyer et Ouimet reconnaissant que la négligence ou l’imprudence ne suffisent pas.

[161] De plus, la poursuite doit établir que le défendeur a volontairement violé un engagement contracté, sachant que sa conduite violait cet engagement, la Cour supérieure l’ayant reconnu dans R. c. Monrose, la croyance sincère du défendeur qui soulève un doute raisonnable constituant une défense recevable.

[162] Lorsque la plainte porte sur une violation d’un engagement signé conformément à une ordonnance rendue sous l’article 810 du Code criminel, la Cour d’appel d’Ontario a cependant reconnu qu’il fallait appliquer l’article 811 du Code et non pas les dispositions de l’article 145 (3) du Code, cependant il n’y a pas lieu en l’espèce d’appliquer la règle du stare decisis, ce jugement d’une Cour supérieure d’une autre province n’ayant pas cette autorité et, avec respect et déférence, le présent Tribunal ne se sentant pas lié par ce jugement pour le bris de condition d’engagement sur une promesse de comparaître.

Le moindre dommage ne suffit pas pour constituer un méfait

R. c. Quickfall, 1993 CanLII 3509 (QC C.A.)

Sans être en désaccord avec cette définition du mot «détériorer» selon laquelle la chose «est rendue moins apte à servir à sa destination première», j'ajouterais, m'inspirant de ma lecture des dictionnaires***, que le fait de «détériorer» signifie que du moins temporairement l'usage ou la valeur du bien est diminué («impaired»), que le bien a été mis en mauvais état ou gâté: en ce sens, et avec respect pour l'opinion contraire, je ne crois pas que «le moindre dommage» suffit pour constituer un méfait.

Alors qu'au sous-par. 430(1)a) le méfait est caractérisé par le fait de détruire ou détériorer, le sous-par. 430(1)b) parle d'un méfait qui rend un bien «inefficace, inutile ou inopérant», décrivant ici une détérioration en quelque sorte plus marquée qu'au sous-par. 430(1)a).

Pour revenir au cas à l'étude, j'estime utile d'appliquer ici la distinction faite dans l'arrêt R. c. The Committee for the Commonwealth of Canada, 1991 CanLII 119 (C.S.C.), [1991] 1 R.C.S. 139 quant à l'usage des biens privés et publics. Si dans cet arrêt était davantage pertinente la question de l'accès à la propriété publique et de son étendue par rapport à la propriété privée, par analogie, il y a lieu de distinguer le cas de l'affichage sur des biens publics plutôt que sur des biens privés, de la même façon que je distinguerais le cas cité par le Juge Hugessen de l'herbe foulée du pré de l'herbe foulée dans un parc auquel le public a accès. Dans ce dernier cas, le méfait serait plutôt constitué par l'abus de la personne qui au départ y avait légalement accès alors que dans le premier cas, la culpabilité provient du seul fait de l'intrus qui en passant à pied dans un champ, a légèrement écrasé l'herbe.

Appliquant ces éléments de la définition du mot «détériorer» ci-haut proposée, si je prends le cas d'une personne qui écrit avec une craie un message public sur un trottoir, je doute qu'elle commette un «méfait» ou encore, je vois mal comment le fait d'apposer sur une vitrine d'un édifice public un collant qui peut être enlevé sans difficulté soit inclus dans cette catégorie d'infractions. Ce geste est certes ennuyeux et parfois choquant tout en faisant preuve d'un manque de civisme et contrevenant possiblement à un règlement municipal, mais encore faut-il que «l'usage ou la valeur du bien a été diminué», ou que le bien «est rendu moins apte à servir à sa destination première» pour constituer une «détérioration» au sens du Code criminel. À l'inverse, il n'est pas dit que le fait de peinturer un mur de graffiti avec un solvant ne créerait pas un état de «détérioration», le mur ayant été véritablement «mis en mauvais état» et sa «valeur diminuée».

Autant à l'égard d'un bien public que privé, je ne crois pas que l'objectif du Code pénal soit bien servi en criminalisant à outrance des comportements comme celui de l'appelant qui ne dépassent pas la limite de la tolérance et qui, dans la réalité, ne sont susceptibles que de causer des dommages très minimes: N'y a-t-il pas ici une question de degré?

En l'espèce, l'appelant a posé ses affiches sur des biens publics dont «l'usage n'a été aucunement interrompu» et dont «la valeur n'a pas été non plus diminuée». L'affichage n'a jamais non plus «empêché l'usage du bien»: en conséquence, je ne vois pas en quoi il y a eu «détérioration» des poteaux.

Pour reprendre la question posée dans le jugement accueillant la permission d'appeler, je dirais que le fait d'utiliser des lieux publics aux fins d'affichage, et ce selon le procédé utilisé par l'appelant, ne constituait pas un méfait vu les inconvénients mineurs qui en ont résulté et qui n'ont pas diminué l'usage ou la valeur du bien, ou encore qui n'ont pas gâté ou mis en mauvais état ces lieux publics.

Croyance de l'accusé qu'il n'y aura aucune privation ou croire qu'il ne faisait rien de mal ne constitue pas un moyen de défense

R. c. Théroux, 1993 CanLII 134 (C.S.C.)

L'actus reus de l'infraction de fraude sera établi par la preuve d'un acte prohibé, qu'il s'agisse d'une supercherie, d'un mensonge ou d'un autre moyen dolosif, et par la preuve de la privation causée par l'acte prohibé (qui peut consister en une perte véritable ou dans le fait de mettre en péril les intérêts pécuniaires de la victime). Tout comme ce qui constitue un mensonge ou une supercherie pour les fins de l'actus reus est déterminé en fonction des faits objectifs, l'actus reus de la fraude par un «autre moyen dolosif» est déterminé objectivement, selon ce qu'une personne raisonnable considérerait comme un acte malhonnête.

Étant donné que la mens rea d'une infraction est liée à son actus reus, il est utile d'entamer l'analyse par l'étude de l'actus reus de l'infraction de fraude. Au sujet de l'actus reus de cette infraction, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a énoncé les principes suivants dans l'arrêt Olan:

(i) l'infraction compte deux éléments: l'acte malhonnête et une privation;

(ii) l'acte malhonnête est établi par la preuve d'une supercherie, d'un mensonge ou d'un «autre moyen dolosif»;

(iii) l'élément de privation est établi si l'on prouve qu'en raison de l'acte malhonnête, les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu'il y a risque de préjudice à leur égard.

L'arrêt Olan a marqué un élargissement du droit de la fraude à deux égards. Il a d'abord renversé la jurisprudence antérieure qui laissait entendre que la supercherie était un élément essentiel de l'infraction. Il a plutôt énoncé le concept général de la malhonnêteté, qui pourrait se manifester dans la supercherie, le mensonge ou une autre forme de malhonnêteté. Tout comme ce qui constitue un mensonge ou une supercherie pour les fins de l'actus reus est déterminé en fonction des faits objectifs, l'«autre moyen dolosif» de la troisième catégorie est déterminé objectivement, selon ce qu'une personne raisonnable considérerait comme un acte malhonnête. L'arrêt Olan a ensuite précisé que la perte économique n'était pas essentielle à l'infraction; la mise en péril d'un intérêt pécuniaire est suffisante, même si aucune perte véritable n'est subie. En adoptant une interprétation libérale de l'infraction, la Cour a fait de la fraude une infraction de portée générale susceptible d'englober une large gamme d'activités commerciales malhonnêtes.

De même, la mens rea de la fraude est établie par la preuve de la connaissance subjective de l'acte prohibé et par la preuve de la connaissance subjective que l'accomplissement de l'acte prohibé pourrait causer une privation à autrui (laquelle privation peut consister en la connaissance que les intérêts pécuniaires de la victime sont mis en péril). Dans certains cas, la connaissance subjective du risque de privation peut être déduite de l'acte lui‑même, sous réserve de quelque explication qui vient mettre en doute cette déduction. Si la conduite et la connaissance requises par ces définitions sont établies, l'accusé est coupable peu importe qu'il ait effectivement souhaité la privation ou qu'il lui était indifférent qu'elle survienne ou non. La conviction de l'accusé que sa conduite n'est pas mauvaise ou que personne ne sera lésé en fin de compte ne constitue pas un moyen de défense opposable à une accusation de fraude.

Si l'infraction de fraude peut viser une large gamme d'activités commerciales malhonnêtes, la définition proposée de la mens rea ne visera pas une conduite ne justifiant pas la criminalisation. Seuls les actes frauduleux accomplis délibérément qui, à la connaissance de l'accusé, mettent vraiment en péril le bien d'autrui, constituent une fraude. L'exigence d'un acte frauduleux intentionnel exclut la simple déclaration inexacte faite par négligence ou la pratique commerciale déloyale.

Bien que la jurisprudence soit loin d'être uniforme, il vaut mieux considérer que la conviction de l'accusé que sa conduite n'est pas mauvaise ou que personne ne sera lésé en fin de compte ne constitue pas un moyen de défense opposable à une accusation de fraude

En général, un fraudeur veut avant tout se procurer un avantage. Le tort causé à sa victime est secondaire et incident. Il n'est «intentionnel» que parce qu'il fait partie du résultat prévu de la fraude.

Le droit de la fraude doit être suffisamment large pour viser ce résultat secondaire de l'intention du fraudeur, sinon il ne sera guère utile.

Ce point de vue est conforme à la conception de l'infraction de fraude qui a inspiré notre Cour dans l'arrêt Olan. Ce dernier arrêt ouvre la voie à une conception de la fraude assez large pour comprendre toute la gamme d'activités commerciales malhonnêtes. Il définit l'actus reus en conséquence; l'infraction est commise lorsque, par la supercherie, le mensonge ou un autre acte malhonnête, une personne cause une privation (dont un risque de privation) à autrui. L'adoption d'une définition de la mens rea qui exige une conscience subjective de la malhonnêteté et une conviction qu'une privation véritable (par opposition à un risque de privation) résultera est incompatible avec la définition de l'actus reus formulée dans Olan. Un tel critère aurait pour effet d'annuler la portée générale de l'arrêt Olan et de limiter la portée de l'infraction de fraude qui ne serait plus susceptible que d'englober une infime partie des activités commerciales malhonnêtes que l'arrêt Olan considérait comme visées par l'infraction de fraude.

À mon avis, l'interprétation de l'infraction de fraude adoptée dans l'arrêt Olan et examinée attentivement dans les présents motifs ne nous fait pas sortir du domaine approprié de la sanction criminelle. Pour établir l'actus reus de la fraude, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé a eu recours à la supercherie ou au mensonge, ou qu'il a accompli quelque autre acte frauduleux. En ce qui concerne le troisième volet de l'infraction, il faudra démontrer que l'acte reproché en est un qu'une personne raisonnable considérerait comme malhonnête. Il faut ensuite démontrer qu'il y a effectivement eu privation ou risque de privation. Pour établir la mens rea de la fraude, le ministère public doit démontrer que l'accusé a sciemment employé le mensonge, la supercherie ou un autre moyen dolosif alors qu'il savait qu'une privation pouvait en résulter.

Éléments constitutifs et principes retenus par la jurisprudence concernant une accusation de fraude

R. c. Duchaine, 2007 QCCQ 7779 (CanLII)

[143] Les deux éléments nécessaires de la fraude sont la malhonnêteté et la privation. La privation est établie par la preuve que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi ou risquent de subir un préjudice.

[144] La malhonnêteté implique un dessein caché ayant pour effet de priver ou de risquer de priver d'autres personnes de ce qui leur appartient.

[145] En regard de la malhonnêteté du procédé utilisé, c'est le critère objectif qui prévaut. La perception de l'accusé qui n'estime pas le moyen malhonnête ne sera guère utile pour assurer sa défense, sauf si elle repose sur la conviction honnête et sincère de l'existence de faits qui, s'ils étaient avérés, dépouilleraient l'acte de son caractère malhonnête.

[146] Les mots autre moyen dolosif couvrent les moyens qui ne sont ni un mensonge ni de la supercherie. Ils comprennent tous les autres moyens que l'on peut proprement qualifier de malhonnêtes par lesquels on accède à l'emploi illégitime d'une chose sur laquelle une personne a un droit, de sorte que ce droit se trouve éteint ou compromis. Pour établir la fraude, la poursuite doit prouver qu'il y a eu privation malhonnête.

[147] Accepter des marchandises sans les payer et détourner les sommes perçues de leur revente vers des jeux de hasard constituent un emploi illégitime de ces sommes.

[148] L'infraction de fraude ne requiert pas que l'accusé ait spécifiquement fait des fausses représentations.

[149] Par exemple, lorsque des personnes se concertent pour utiliser les fonds d'une compagnie en recherchant par-là à détourner des fonds pour leur propre avantage, il y a fraude par un autre moyen dolosif.

[150] Autre moyen dolosif inclut l'utilisation des ressources financières d'une compagnie à des fins personnelles, la dissimulation de faits importants, l'exploitation de la faiblesse d'autrui, le détournement non autorisé de fonds et l'usurpation non autorisée de fonds ou de biens.

[151] L'intention de frauder est établie lorsqu'il est prouvé que l'accusé a poussé une personne à agir en amenant cette personne à croire en un état de fait qui est faux.

[152] Les éléments essentiels à prouver pour établir la culpabilité d’un accusé peuvent se résumer comme suit :

a) au niveau de l'actus reus

1) Que l'accusé a recouru à la supercherie ou au mensonge ou à un autre moyen dolosif.

[153] La supercherie est le fait d'amener une personne à croire vraie une chose fausse alors que l'auteur de la supercherie lui-même croit ou sait que la chose est fausse. La fraude est le fait de dépouiller une personne au moyen de la supercherie ou d'amener une personne, par la supercherie, à agir à l'encontre de ses intérêts.

[154] La supercherie est le fait d'induire un état d'esprit par le mensonge, et la fraude est le fait d'induire par la supercherie une ligne de conduite.

[155] Le fait de cacher ou taire les véritables intentions de son auteur constitue de la malhonnêteté.

[156] Le mensonge peut consister en un acte positif ou en une simple omission, c'est-à-dire une situation où, par son silence, un individu cache à l'autre un élément essentiel.

[157] Il est nécessaire que le silence ou l'omission soient de nature à induire une personne raisonnable en erreur.

[158] La supercherie et le mensonge s'établissent lorsque l'accusé a déclaré qu'une situation était d'une certaine nature, alors qu'en réalité elle ne l'était pas.

[159] Dans le cas de recours à un autre moyen dolosif, il importe de se demander, pour déterminer s'il s'agit d'un moyen de cette nature, si une personne raisonnable qualifierait de malhonnête la conduite visée.

2) Que l'acte ou la conduite ainsi reprochés ont causé à la victime une privation.

[160] Il est maintenant bien établi qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait perte véritable. Il suffit que les intérêts pécuniaires de la victime soient mis en péril ou aient risqué de l'être, ne serait-ce que temporairement, du fait des agissements de l'accusé.

B) au niveau de la mens rea

1) Que l'accusé avait connaissance subjective qu'il utilisait la supercherie, le mensonge ou un autre moyen dolosif.

2) Qu'il ait sciemment eu recours à l'un ou l'autre de ces agissements.

3) Que l'accusé avait la connaissance subjective que ses agissements ainsi qualifiés pouvaient causer une privation à la victime.

[161] En d'autres mots, il faut la preuve que l'accusé a compris ou réalisé à quelque moment de l’époque visée par les accusations que sa conduite pouvait causer à la victime une certaine privation ou encore afficher une attitude insouciante à cet égard.

[162] Le critère applicable à la mens rea de l'infraction de fraude est subjectif. Il s'agit de savoir si l'accusé était subjectivement conscient des conséquences possibles de l'acte prohibé ou s'il était insouciant quant aux conséquences possibles, et non s'il croyait que les actes ou leurs conséquences étaient moraux.

[163] L’espoir entretenu par l’accusé, voire sa conviction subjective que sa conduite n'est pas mauvaise et que personne ne sera lésé ne constituent pas un moyen de défense admissible.

[164] Dans certains cas, la conscience subjective des conséquences peut être déduite de l'acte lui-même, sous réserve des explications données par l'accusé.

[165] Le simple risque de privation de la victime suffit à établir l'actus reus de la fraude, si l'accusé est au moins subjectivement conscient que sa conduite mettra en péril le bien d'autrui ou compromettra ses attentes économiques.

[166] Pour que la mens rea de l'infraction soit établie, il n'est pas nécessaire que l'accusé saisisse subjectivement la malhonnêteté de ses actes. Il suffit qu’il ait sciemment adopté la conduite qui constitue l'acte malhonnête et compris subjectivement que cette conduite peut entraîner une privation, soit faire perdre ou mettre en péril l'intérêt pécuniaire d'une autre personne dans un certain bien.

[167] Ainsi, à titre d’illustration, le fait que l'accusé ait cru qu'il gagnerait au casino et serait en mesure de payer ses créanciers ne constitue pas un moyen de défense.

[168] En d'autres termes, il convient de se demander, lorsqu'on détermine la mens rea de la fraude, si l'accusé a intentionnellement accompli les actes prohibés (la supercherie, le mensonge ou autre acte malhonnête) tout en connaissant ou en souhaitant, voire en étant insouciant des conséquences, à savoir la privation ou le risque de privation.

[169] L'insouciance présuppose la connaissance de la vraisemblance des conséquences prohibées. Elle est établie s'il est démontré que l'accusé, fort d'une telle connaissance, accomplit des actes qui risquent d'entraîner des conséquences prohibées, tout en ne se souciant pas qu'elles s'ensuivent ou non.

[170] Si la conduite et la connaissance requises par ces définitions sont établies, l'accusé est coupable, peu importe qu'il ait effectivement souhaité la conséquence prohibée ou qu'il lui fût indifférent qu'elle se réalise ou non.

[171] En général, un fraudeur veut avant tout se procurer un avantage. Le tort causé à sa victime est secondaire et incident. Il n'est intentionnel que parce qu'il fait partie du résultat prévu de la fraude

La nature et les fonctions de l'enquête préliminaire

R. c. Gagnon, 2006 QCCQ 3688 (CanLII)

[10] La fonction principale de l'enquête est celle de déterminer si le ministère public a une preuve suffisante pouvant justifier une citation à procès.

[11] L'article 548 du Code criminel le précise en termes clairs.

[12] La juge L'Heureux-Dubé, dans O'connor, procédant à l'analyse de l'évolution du rôle de l'enquête préliminaire, mentionnait qu'au cours des années, l'enquête préliminaire s'est donné un but accessoire, soit celui de découvrir et d'évaluer la preuve du ministère public lors d'un éventuel procès.

[13] Ce but accessoire est devenu à son avis de plus en plus important, au point d'éclipser l'objectif principal de l'enquête, soit celui d'évaluer la suffisance de la preuve.

[14] Toutefois, selon elle, depuis l'arrêt Stinchcombe et l'avènement de l'obligation formelle de divulgation, la situation a changé. Le ministère public a maintenant une obligation formelle de divulgation complète au prévenu de toute la preuve pertinente aux accusations. Par conséquent, l'enquête préliminaire ne devrait plus consister pour les prévenus en un long exercice de divulgation et se transformer à toutes fins utiles en un procès.

[15] Les pouvoirs d'un juge présidant une enquête préliminaire se limitent à ceux qui sont conférés expressément ou implicitement par la loi.

[16] Plus récemment, dans Hynes la Cour suprême était appelée à déterminer si le juge à l'enquête préliminaire était un tribunal compétent pour écarter des éléments de preuve en vertu de l'article 24(2) de la Charte.

[17] Dans une décision partagée à cinq contre quatre, la Cour suprême décide que le juge présidant l'enquête préliminaire n'est pas un tribunal compétent sur cette question.

[18] Traitant de l'objectif de l'enquête préliminaire, la cour précise qu'il s'agit :

« D'une procédure préalable au procès, visant à filtrer les dossiers faibles ne justifiant pas la tenue d'un procès. Son objectif dominant est d'empêcher l'accusé de subir un procès public inutile. » (par. 30)

[19] La fonction de divulgation et d'évaluation de la preuve doit tout au plus demeurer un aspect accessoire lors de cet examen de la suffisance de la preuve. En principe, cette fonction accessoire de divulgation et d'évaluation de la preuve du ministère public peut s'exercer par le prévenu à travers les contre-interrogatoires complets de tous les témoins présentés par le ministère public sur tous les sujets pertinents.

[20] Cette fonction accessoire subsiste-t-elle toujours lorsqu'on se retrouve au stade de l'examen volontaire? En d'autres termes, les prévenus peuvent-ils, dans le cadre de l'examen volontaire, poursuivre ce qu'ils n'ont pas déjà réussi à investiguer, découvrir et soupeser lors de la présentation de la preuve du ministère public?

[21] L'article 541(5) précise que le juge de paix entend chaque témoin appelé par le prévenu qui dépose sur toute matière pertinente à l'enquête.

[22] Quelle est la signification des mots « toute matière pertinente à l'enquête »?

[23] Cela signifie-t-il que le juge à l'enquête doit entendre les témoins sur tout sujet pertinent aux accusations, abordé ou non par le ministère public lors de la présentation de sa preuve? Ou plutôt que le prévenu ne peut faire entendre que les témoins susceptibles d'influer, modifier ou changer la décision du juge à l'enquête concernant la citation à procès?

[24] Par le libellé de cet article, le législateur a expressément limité l'interrogatoire des témoins présentés par le prévenu aux matières pertinentes à l'enquête.

[25] À cet égard, la jurisprudence a interprété à quelques reprises la notion de « matière pertinente à l'enquête » en y incluant tous les faits pertinents de la cause.

[26] En 1995, la juge Arbour, alors à la Cour d'appel d'Ontario, précisait, quant à l'admissibilité d'un élément mis en preuve par le prévenu lors de l'enquête préliminaire que le test de la pertinence ne devait pas être défini qu'en fonction de la suffisance de la preuve pour justifier une citation à procès.

[27] La pertinence des témoignages ne serait donc pas limitée par la preuve qui est nécessaire pour le renvoi à procès selon l'article 548 du Code criminel.

[28] La jurisprudence et la doctrine ont établi que le juge de paix doit entendre les témoins que le prévenu désire appeler, et ce, même si la preuve du ministère public est suffisante pour citer le prévenu à son procès.

[29] Par ailleurs, contrairement au contre-interrogatoire mené par le prévenu en vertu de l'article 540 à l'égard des témoins présentés par la poursuite, l'interrogatoire des témoins à décharge ne peut avoir pour but la découverte d'une violation de la Charte ou un autre objectif ancillaire de l'enquête préliminaire.

[30] Récemment, dans Guimond, notre Cour d'appel mentionnait :

« Certes, le premier juge a raison de déclarer que, en plus de l'objectif principal de l'enquête préliminaire qui est de déterminer s'il y a suffisamment de preuve pour envoyer l'accusé à procès, celle-ci sert également à explorer la preuve de la poursuite et à préparer la défense de l'accusé.

Toutefois, l'enquête préliminaire n'est pas le seul moyen pour ce faire. Ainsi, cette fonction ancillaire de l'enquête préliminaire n'est pas essentielle à la sauvegarde de l'équité et des autres garanties procédurales dont bénéficie l'accusé. Dans la mesure où il y a eu divulgation complète de la preuve par le ministère public, la production de témoins à l'enquête préliminaire ne constitue pas en soi un droit de l'accusé pouvant découler des principes de justice fondamentale. »

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...