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vendredi 12 novembre 2010

Fraude par les administrateurs d’une compagnie

R. c. Auclair, 2005 CanLII 49593 (QC C.Q.)

[196] Enfin, les administrateurs d’une compagnie commettent une fraude s’ils exposent sciemment cette dernière à un péril financier en utilisant ses actifs pour des mobiles personnels, au détriment des intérêts de la compagnie. Elle est également victime d’une fraude si elle est dépossédée clandestinement de ses avoirs sans que tous les actionnaires y aient souscrit.

La négligence de la victime, qui n’a pas su déceler à temps les manœuvres dolosives dont elle faisait l’objet, ne constitue en aucun cas un moyen disculpatoire en faveur de l’inculpé

R. c. Auclair, 2005 CanLII 49593 (QC C.Q.)

[194] En outre, la négligence de la victime, qui n’a pas su déceler à temps les manœuvres dolosives dont elle faisait l’objet, ne constitue en aucun cas un moyen disculpatoire en faveur de l’inculpé. La négligence de la victime ne contribue pas à rompre le lien de causalité requis. La responsabilité d’un délit incombe à son auteur et non pas à la victime qui a négligé de se prémunir contre une éventuelle infraction.

[195] Toujours selon les auteurs Rainville et Gagné, la fraude nécessite, à l’instar du vol, un élément de malhonnêteté. Or, la négligence ne participe pas à la malhonnêteté. La négligence est une conduite empreinte d’inadvertance. La malhonnêteté, au contraire, présuppose de la part de l’accusé un comportement adopté en toute connaissance de cause. La fraude de nature criminelle renferme un élément de turpitude morale indispensable.

Il n’est pas nécessaire que l’inculpé ait tiré profit de son geste. La fraude n’a pas à se traduire par une perte monétaire pour la victime

R. c. Auclair, 2005 CanLII 49593 (QC C.Q.)

[192] Il n’est pas nécessaire que l’inculpé ait tiré profit de son geste. La fraude n’a pas à se traduire par une perte monétaire pour la victime. La seule existence d’un risque de préjudice pécuniaire, d’une dévalorisation de son patrimoine satisfait au critère de privation. De plus, une privation n’est pas inexistante du seul fait que la victime reçoit de l’accusé une prestation d’une certaine valeur.

[193] Par contre, la privation ressentie par la victime doit lui avoir été imposée. Elle ne doit pas résulter de son accord exprès ou tacite. De fait, le risque de préjudice pécuniaire doit être de ceux que la victime n’a pas voulu courir. Tout individu a le droit d’assujettir son patrimoine à des risques.

Il faut nuancer les notions de comportement déloyal et de comportement malhonnête

R. c. Auclair, 2005 CanLII 49593 (QC C.Q.)

[190] Selon les auteurs Rainville et Gagné, le crime de fraude a pour objet de prescrire une norme d’honnêteté qui se veut minimale et uniforme. Le droit criminel n’a pas pour mission de susciter l’émulation. Il se doit d’être plus modeste et réaliste. Il se contente donc de sévir à l’encontre des comportements qui dénotent une malhonnêteté avérée. Dans la jurisprudence, on constate que les tribunaux refusent de sanctionner les écarts les plus minimes par rapport à la norme idéale d’honnêteté.

[191] Selon la Cour suprême, il faut nuancer les notions de comportement déloyal et de comportement malhonnête. Le premier est une affaire de conscience tandis que le second constitue un acte criminel. Plusieurs comportements qui enfreignent la norme des gens scrupuleux ne sont pas pour autant assujettis aux sanctions du droit criminel.

Le délit de détournement

Boma Manufacturing Ltd. c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, [1996] 3 R.C.S. 727

31. Le délit de détournement comporte une ingérence illégitime dans les objets appartenant à autrui, comme le fait de prendre, utiliser ou détruire ces objets d’une façon incompatible avec le droit de possession de leur propriétaire. Ce délit est de responsabilité stricte et l’on ne peut donc opposer, comme moyen de défense, que l’acte illégitime a été accompli en toute innocence. Le lord juge Diplock a invoqué ce principe dans l’arrêt Marfani & Co. c. Midland Bank, Ltd., [1968] 2 All E.R. 573, aux pp. 577 et 578:

[traduction] . . . que ce soit dans le sens de la connaissance par l’auteur d’un acte que cet acte est susceptible de causer un préjudice, une perte ou un dommage à autrui, ou dans le sens de l’omission de faire preuve de diligence raisonnable pour éviter de causer un préjudice, une perte ou un dommage à autrui, le concept moral de la faute ne joue aucun rôle.

Les conditions pour que la réticence et le défaut d'information de l'accusé deviennent des facteurs dolosifs

R. c. Schmouth, 2004 CanLII 27557 (QC C.Q.)

[271] Madame la juge McLachlin reprenait ainsi, sous une autre forme, les propos de M. le juge en chef Dickson formulés quelques années auparavant dans R. c. Olan lorsqu'il écrivait:

Les mots "autres moyens dolosifs" couvrent les moyens qui ne sont ni des mensonges, ni des supercheries; ils comprennent tous les autres moyens qu'on peut proprement qualifier de malhonnêtes.

[272] Une personne raisonnable - qui n'est même pas comptable - n'aurait jamais eu une conduite aussi grossière et laissé dans l'ignorance le bailleur de fonds, la Cour d'appel dans la cause Émond c. R. soutient:

Le mensonge peut consister en un acte positif, mais aussi parfois en une simple réticence, c'est-à-dire en une situation où, par son silence, un individu cache à l'autre un élément capital et essentiel. C'est ce que Madame la juge Beverley McLachlin appelle, dans l'arrêt Théroux c. R. 1993 CanLII 134 (C.S.C.), [1993] 2 R.C.S.5, la "dissimulation de faits importants". Je renvoie sur ce point à l'excellente analyse doctrinale de GAGNÉ et RAINVILLE dans leur ouvrage, Les infractions contre la propriété: le vol, la fraude et certains crimes connexes, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 164 à 167.

Encore faut-il toutefois que ce silence ou cette réticence ait été de nature à induire en erreur une "personne raisonnable".

[273] C'est aussi l'opinion de l'auteur dans The Law of Fraud and Related Offences, Brenda L. Nightingale qui rapporte dans la foulée de la Cour suprême à la suite de l'arrêt Mackrow v. R. que le fait de non divulguer des informations importantes doit être compris comme moyen dolosif au sens de l'article 380.

[274] L'auteure Nightingale précise à quelles conditions la réticence et le défaut d'information de l'accusé deviennent des facteurs dolosifs:

(1) If the accused is under a duty to disclose a fact which is material, the failure to do so can be characterized as "other fraudulent means";

(2) A duty to disclose will arise when:

a) the nature of the relationship between the parties is a relationship of trust, quasi-trust, or confidence;

b) the duty is created through the operation of legislation or regulation;

c) the circumstances are such that the complainant is entitled to infer from the accused's silence that certain matters do not exist; or

d) material qualifications of an absolute statement are known to exist.

(3) A fact will be considered to be a material fact if it is one which can be seen, objectively, to operate as an effective, though not necessarily exclusive inducement to conduct.

Le silence d'un individu ne devient généralement dolosif que si une personne "raisonnable" eût elle-même été induite en erreur

R. c. Schmouth, 2004 CanLII 27557 (QC C.Q.)

[260] Les auteurs Gagné et Rainville précisent:

Le silence d'un individu ne devient généralement dolosif que si une personne "raisonnable" eût elle-même été induite en erreur.

On ne doit pas reprocher à un individu d'avoir dissimulé un renseignement lorsque la victime n'était pas fondée de tirer une conclusion à partir de ce silence. Il y a manifestement danger à prononcer une condamnation en raison de la seule perception erronée qu'a eue la victime du fait du silence de l'accusé.

[…]

[261] Ils précisent:

Autrement dit, il faut que la victime ait été en droit de croire en un état de fait en raison du silence de l'inculpé sur ce sujet. Il s'agit de s'assurer que l'erreur de a victime fut légitime. Le critère est donc cumulatif: la victime doit avoir été induite en erreur du fait du silence de l'accusé – sans quoi la preuve du lien de causalité n'est pas satisfaite – et cette erreur doit être également légitime.

La vérification de la légitimité de l'erreur de la victime s'impose afin de ne pas étendre indûment la répression criminelle. Il faut que l'accusé ait pu prévoir que son silence serait répréhensible. Il y a lieu de s'inspirer des arrêts Skoke-Graham et Lohnes de la Cour suprême. Dans ces deux affaires, la Cour a insisté sur la nécessité de privilégier une interprétation du Code criminel qui permette à l'accusé d'anticiper le caractère répréhensible de son geste. Il n'est pas nécessaire qu'il ait su que son geste constituait un crime; mais il est préférable de donner du Code criminel une interprétation restrictive lorsqu'une personne raisonnable ne se douterait pas elle-même qu'elle adopte un comportement blâmable.

[263] Les auteurs Gagné et Rainville indiquent:

Les sources du devoir imposant à l'accusé de rompre son silence peuvent être multiples. Ce devoir peut trouver son expression dans la législation, le droit privé, un engagement contractuel voire même le code de conduite de la compagnie au sein de laquelle œuvre l'accusé.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction

R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441 Lien vers la décision [ 33 ]             L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieu...