Rechercher sur ce blogue

mardi 18 janvier 2011

Les documents protégés prima facie par le secret professionnel des conseillers juridiques

Chambre des notaires du Québec c. Canada (Procureur général), 2010 QCCS 4215 (CanLII)

[126] DÉCLARE que sont protégés prima facie par le secret professionnel des conseillers juridiques les documents suivants :

• les actes notariés, en minute ou en brevet, à moins qu'ils ne fassent l'objet d'une publication, auquel cas seuls les renseignements publiés ne sont pas protégés par le secret professionnel;

• le répertoire des actes en minute ainsi que l'index au répertoire;

• les actes sous seing privé qui ne sont pas publiés, incluant les contrats, conventions, règlements et résolutions;

• les testaments et codicilles que le notaire a préparés ou qu'il détient pour ses clients, incluant les testaments et codicilles qui ont été révoqués ou remplacés;

• les offres d'achat, tant pour les transactions mobilières qu'immobilières;

• les documents reçus par le notaire et certifiant l'identité, la qualité et la capacité d'une partie à un acte;

• les procurations et mandats;

• la correspondance et les instructions transmises au notaire aux fins de la préparation d'un contrat, d'une convention, d'une transaction ou de tout autre écrit ainsi que les documents établissant par qui, quand et comment les instructions d'un client ont été communiquées au notaire relativement à une transaction;

• les contrats de mariage et autres conventions d'union ou de séparation;

• les annexes prévues à l'article 48 de la Loi sur le notariat, L.R.Q. c. N-2;

• le bilan patrimonial, l'inventaire successoral, la déclaration d'hérédité, la convention fiduciaire et tous les autres documents de nature privée préparés par le notaire ou confiés à celui-ci par son client;

• les avis juridiques préparés par le notaire à la demande de son client ou des parties à l'acte;

• les requêtes et autres procédures préparées par le notaire à la demande de son client et qui n'ont pas été produites à la Cour ou autrement rendues publiques;

• tous les documents relatifs à la comptabilité en fidéicommis du notaire dans lesquels sont consignés et comptabilisés les fonds, valeurs et autres biens qu'il reçoit, incluant : le livre de caisse et le grand livre général, les reçus officiels, les livrets ou relevés de l'établissement financier ou du courtier en valeurs mobilières, les chèques (recto-verso) et autres ordres de paiement ainsi que les registres et autres pièces justificatives ou de contrôle;

• le relevé ou l'état des débours ainsi que le mémoire des répartitions ou distributions (feuille d'ajustements) que le notaire est appelé à effectuer à la demande de l'une ou l'autre des parties à un acte, incluant la date, l'identité des personnes auxquelles les sommes ont été remises, le mode de paiement et le reçu;

• les comptes d'honoraires du notaire;

• tous les projets et ébauches des documents précédemment identifiés;

[127] DÉCLARE que ces mêmes documents sont protégés prima facie par le secret professionnel des conseillers juridiques quel que soit le support sur lesquels ils se trouvent, incluant les supports faisant appel aux technologies de l'information tels que clefs USB, disques durs amovibles, disquettes et CD-ROM;

Les règles de preuve visant à déterminer l'admissibilité en preuve de photographies

R. c. Grenier, 2004 CanLII 35317 (QC C.S.)

[19] Il est depuis longtemps établi que toute preuve pertinente est recevable en preuve Toutefois, une telle preuve sera exclue lorsqu'une règle de droit ou de preuve la rend inadmissible. L'honorable juge Spence dans Draper v. Jacklyn disait :

« Il arrive souvent qu'un juge, présidant un procès par jury, soit appelé à décider si un élément de preuve, quoique recevable en soi, peut porter un tel préjudice à l'adversaire que sa valeur probante en est annulée par le préjudice possible et que, par conséquent, il doit en refuser la production. Pour ce qui est des photographies, la situation se présente très fréquemment à l'occasion des procès criminels, surtout en cas d'homicide. Cette question présente toujours des difficultés pour le juge de première instance et elle devient essentiellement une affaire de judicieuse discrétion personnelle »

Pour sa part, la Cour supérieure de l'Île du Prince Edouard dans R. v. Beamish, citée par la défense, s'exprimait ainsi,

« Both parties submit the trial judge has a discretion to exclude pictures in some circumstances where they would be prejudicial to the accused; …

…Obviously, where the proposed evidence is of no probative value following the general principle it would be excluded. Where on the other hand evidence is of high probative value, the law is that there is no judicial discretion permitting the exclusion of relevant evidence which is of high probative value. I refer to the judgment of Justice Judson in R.v. Wray, [1970] 4 C.C.C. 1 (S.C.C.) at page 22 jurisprudential analysis. …

In my opinion, there is no justification for recognizing of this discretion in these circumstances. This type of evidence has been admissible for almost 200 years.

….The task of the Judge in the conduct of a trial is to apply the law and to admit all evidence that is logically probative unless it is ruled out by some exclusionary rule. If this course is followed, an accused person has had a fair trial. »

[20] De son côté, la Cour d'appel du Manitoba dans R. c. Muchilkekwanape en 2002 reprenait les six motifs énoncés dans Schaefler qui visaient aussi à déterminer l'admissibilité en preuve de photographies:

« 1) to illustrate the facts on which experts base their opinion and to illustrate the steps by which they arrive at their opinions;

2) to illustrate minutiae of objects described in the testimony of a witness, i.e. to show the nature and the extent of the wounds;

3) to corroborate testimony and provide a picture of the evidence and to assist the jury in determining its accuracy and weight;

4) to link the injuries of the deceased to the murder weapon;

5) to provide assistance as to the issues of intent and as to whether the murder was planned and deliberate;

6) to help the jury determine the truth of the theories put forth by the crown or defense, e.g. as to which accused committed the crime; as to whether the crime was committed in self-defence. » (nos soulignements)

[21] Ma collègue, l'Honorable juge Claire Barrette-Joncas, eut à son tour à se prononcer sur l'admissibilité en preuve de plusieurs photographies d'une victime dans R. c. Zurlo, une affaire mettant en cause la mort d'un bébé de 27 jours. Les accusations portées étaient homicide involontaire, négligence criminelle et refus de pourvoir aux choses nécessaires à la vie. Elle décrit les photographies comme suit :

« …obviously horrible. The Court could see that a female official interpreter, after seeing six of those pictures, could not carry on her duties as fear had overcome her. A new interpreter has to be brought in yesterday. »

[22] En admettant les photographies en preuve, elle dit ceci :

« A photograph…can often more fully, clearly and accurately portray or describe persons, places or things than a witness can by oral evidence…They are not subject to the difficulties inherent in oral evidence of absorbing and relating the mass of details, and then remembering it. »

Puis, citant le professeur Fortin dans son recueil "Preuve" à la page 754, 989, Les Éditions "Themis", 1984, elle dit ceci:

« La photographie d'un lieu, d'une personne ou d'une chose…donne une description de la réalité qui est beaucoup plus immédiate que celle que peuvent en donner les témoins. Les tribunaux reconnaissent le bien-fondé du dicton "une image vaut mille mots" et acceptent en preuve ces illustrations dans la mesure où elles sont à la fois pertinentes et fiables. La photographie…(est) une preuve matérielle permettant au tribunal de faire ses propres constatations tout comme s'il avait sous les yeux l'objet photographié.

….

L'admissibilité d'une photographie dépend de sa pertinence et de sa fiabilité. La pertinence s'apprécie en fonctions des faits en litige. Ainsi, la photographie des lieux du crime ou de la victime…est pertinente dans la mesure où elle apporte une contribution à la preuve. »

[23] Dans leur "Traité général de preuves et de procédures pénales" 10e édition 2003, Les éditions Thémis à la page 218, les auteurs, l'Honorable juge Pierre Béliveau et Me Martin Vauclair, disent ceci au sujet des principes relatifs à l'admissibilité des preuves au par 510 :

« 510. En commom law, le principe général en matière de preuve, principe qui, nous le verrons plus loin, souffre de nombreuses exceptions, veut que toute preuve pertinente soit admissible pour démontrer la culpabilité de l'accusé. Est pertinent "tout ce qui, selon la logique et l'expérience humaine, tend le moindrement à établir un fait en litige" (références omises). Dans l'arrêt R. c. J.-L.J., 2000 CSC 51 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 600, la Cour suprême a utilisé l'expression "jusqu'à un certain point" plutôt que "le moindrement" (par.47)). Aucune valeur probante minimale n'est requise; la preuve doit simplement tendre à "accroître ou diminuer la probabilité de l'existence d'un fait en litige". Cette règle de la pertinence s'applique à tous les moyens de preuve, qu'elle soit écrite, testimoniale ou matérielle. Ainsi donc, de façon générale, un fait pertinent sera admis en preuve à moins que l'on ne démontre qu'une règle de droit exige qu'on ne l'écarte (références omises)»

Les règles concernant l'admissibilité d'une contre-preuve

R. c. Bouillon, 1996 CanLII 6438 (QC C.A.)

La première règle fondamentale en la matière est qu'on ne doit pas permettre à la Couronne de scinder sa preuve. L'accusé doit, en effet, pouvoir savoir précisément à la fin de la présentation de cette dernière, ce à quoi il a à répondre. Par contre, la Couronne n'est pas pour autant tenue de prendre les devants et de contrer d'avance tous les moyens de défense possibles (R. c. Filteau-Lagacé, C.A.Q. no 200-10-000031-76, du 7 août 1978).

Les arrêts R. c. Krause, 1986 CanLII 39 (C.S.C.), [1986] 2 R.C.S. 466, et R. c. Aalders, 1993 CanLII 99 (C.S.C.), [1993] 2 R.C.S. 482, ont, par ailleurs, établi les critères permettant d'autoriser la Couronne à présenter une contre-preuve. Deux conditions fondamentales doivent être présentes. D'une part, la défense doit avoir soulevé une question nouvelle et, d'autre part, cette question, sans nécessairement être déterminante, doit porter sur un élément ...«essentiel»... du litige (R. c. Aalders, précité p. 498). C'est le premier niveau de contrôle.

(...)

Par contre, il ne suffit pas que la porte ait été ouverte par la défense, pour qu'automatiquement la Couronne soit autorisée à faire cette contre-preuve. En effet, un second contrôle doit être exercé par le juge de première instance et cette preuve (en l'instance l'existence d'une autre correction administrée à un autre élève plusieurs années auparavant) n'était pas dans les circonstances du procès nécessairement admissible. Pour l'être, il fallait que la Couronne démontre que sa valeur probante était suffisante et l'emportait nettement sur le préjudice susceptible d'être causé à l'accusée (R. c. C.(M.H.), 1991 CanLII 94 (C.S.C.), [1991] 1 R.C.S. 763; R. c. B. (C.R.), [1991] 1 R.C.S. 717). En outre, la Couronne ne peut faire la preuve d'actes spécifiques à moins de se conformer aux exigences de la règle des faits similaires (R. c. McNamara, (1981) 56 C.C.C. 193 (C.A. de l'Ont.).

(...)

L'admissibilité de la contre-preuve n'étant pas automatiquement ouverte par suite du seul fait de la présentation de cette preuve par la défense, je ne peux pas me convaincre que, dans les circonstances de l'espèce, le premier juge ait mal exercé sa discrétion selon les paramètres tracés par la Cour suprême dans les arrêts précités, arrêts qui reprennent d'ailleurs les enseignements des affaires (Cloutier c. La Reine, 1979 CanLII 25 (C.S.C.), [1979] 2 R.C.S. 709, et R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (C.S.C.), [1988] 2 R.C.S. 345).

Exposé sur ce que constitue la pertinence

Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709

La règle générale en matière d’admissibilité de preuve est que celle-ci doit être pertinente. Ce principe est énoncé comme suit dans Halsbury’s Laws of England, 4’ éd., vol. 17, par. 5, à la p. 7:

[TRADUCTION] La première exigence à laquelle doit satisfaire chaque élément de preuve est la pertinence. Ce qui est pertinent (soit, ce qui tend à établir ou à réfuter un point en litige) est question de logique et d’expérience humaine et les faits peuvent être établis par une preuve directe ou indirecte. Mais, bien qu’aucune preuve non pertinente ne doive être présentée, certaines preuves qui sont pertinentes selon les critères normaux de la logique ne peuvent être présentées parce qu’elles sont exclues par les règles de la preuve. Ces preuves sont inadmissi­bles. Une preuve est donc admissible lorsqu’elle est (1) pertinente et (2) non exclue par une règle de droit ou de pratique. Une preuve peut être admissible pour un motif et inadmissible pour d’autres, dans un tel cas, elle sera admise. De même une preuve peut être admissible pour une certaine fin et inadmissible pour une autre.

Pour qu’un fait soit pertinent à un autre, il faut qu’il existe entre les deux un lien ou une connexité qui permette d’inférer l’existence de l’un à raison de l’existence de l’autre. Un fait n’est pas pertinent à un autre s’il n’a pas par rapport à celui-ci un valeur probante véritable (Cross, On Evidence, 4 éd., à la p. 16).

Ainsi, sauf certaines exceptions qui n’ont pas d’application ici, une preuve n’est pas admissible si son seul objet est de prouver que l’accusé est le type d’homme qui est plus susceptible qu’un autre de commettre un crime du genre de celui dont il est accusé; l’on dit que telle preuve n’a pas de valeur probante véritable par rapport au crime spécifique qui est reproché à l’accusé: il n’y a pas entre l’un et l’autre de lien suffisamment logique.

vendredi 14 janvier 2011

Les circonstances où le privilège client-notaire ou client-avocat au Canada survit après le décès du détenteur

R. c. Alix, 2005 CanLII 48242 (QC C.S.)

[16] Le principal point en litige consiste à déterminer si le privilège client-notaire ou client-avocat, au Canada, survit après le décès du détenteur.

[17] La question est de savoir dans quelles circonstances le privilège survit, à quelles conditions, à qui il profite et quelles en sont les exceptions.

[18] Tout d'abord, avant d'invoquer le privilège, il faut se demander si l'accusée était la cliente du notaire. À prime abord, la réponse est simple : non. C'est sa mère qui était la cliente.

[19] Il faut alors se demander si le privilège survit au décès du client.

[20] L'honorable juge Wilson de la Cour suprême dans Geffen c. Succession Goodman écrit que le privilège survit aux héritiers mais qu'il n'est pas sans exception :

« Le secret professionnel est tellement important que les tribunaux ont également précisé que le caractère confidentiel des communications entre l'avocat et son client subsiste après le décès du client et est transmis à ses parents, héritiers ou ayants droit: voir Bullivant v. Attorney-General for Victoria, [1901] A.C. 196, Stewart v. Walker (1903), 6 O.L.R. 495, et Langworthy v. McVicar (1913), 25 O.W.R. 297.

Une exception a toutefois été prévue afin de permettre à l'avocat de témoigner en matière testamentaire, et les commentateurs de même que les tribunaux ont donné diverses explications de cette exception à la règle générale du secret professionnel de l'avocat. Dans Wigmore on Evidence (vol. 8, {SS} 2314), par exemple, l'auteur affirme que, pour ce qui est des questions relatives à la signature ou au contenu d'un testament, le raisonnement qui sous-tend l'exception se rapporte à la volonté du testateur de préserver le secret. À la page 610 du vol. 8, le professeur Wigmore dit:

[TRADUCTION] Mais, dans le cas des testaments, un élément particulier entre en jeu. L'on ne peut guère douter que le client souhaite tacitement que la signature et surtout le contenu demeurent secrets pendant sa vie et qu'ils font donc partie de sa communication confidentielle. Il faut présumer que, durant cette période, l'avocat ne devrait pas être appelé à divulguer même le fait qu'il y a eu signature d'un testament, et encore moins sa teneur. Mais, en revanche, ce caractère confidentiel n'est destiné à être que temporaire. Il est évident qu'une telle restriction peut être apportée au privilège.

[….]

Par contre, le professeur Phipson semble être d'avis que, dans le contexte des testaments, l'exception au privilège du secret professionnel de l'avocat a une justification différente. À son avis, chaque fois que ceux qui l'invoquent et le client ont un intérêt commun dans le sujet des communications, qu'il s'agisse de questions de testament ou d'autres types de questions, le privilège ne s'applique pas. C'est pourquoi il affirme que le privilège ne s'applique pas lorsque les ayants droit d'un testateur, qui partagent un intérêt commun, l'invoquent à propos des communications faites par ce dernier à son avocat: voir Phipson on Evidence (13e éd. 1982), à la p. 300.

[…]

De même, dans l'affaire Re Ott, [1972] 2 O.R. 5 (C. succ.), où il s'agissait de décider si le testateur qui avait déchiré son testament avait voulu révoquer un testament et redonner effet à un testament antérieur, le juge Anderson a décidé que la discussion qui avait eu lieu entre le défunt et son avocat au moment de la destruction du testament était admissible. Il dit, à la p. 11:

[TRADUCTION] . . . puisqu'il est essentiel en l'espèce de découvrir l'intention du testateur au moment où il a détruit le testament, c'est-à-dire s'il révoquait son testament sans condition ou s'il ne faisait que le déchirer afin de redonner effet à un testament antérieur, tout le débat se circonscrit autour de cette question et il me semble que la cour, si elle faisait jouer le privilège du client, après son décès, ne pourrait plus dès lors déterminer l'intention qu'avait le testateur au moment où il a déchiré le testament. Dans l'intérêt de la justice, il est plus important de découvrir l'intention véritable du testateur.

En l'espèce, les intimés soutiennent qu'aucune analogie ne peut être établie entre ces affaires de testament et le cas qui nous occupe. Je ne suis pas d'accord. Par leur argument, ils affirment implicitement que la common law n'a reconnu jusqu'à présent qu'une "exception" à la règle générale du caractère privilégié des communications entre l'avocat et son client, et ce, en matière de signature, de teneur ou de validité des testaments et seulement des testaments. Leur argument rappelle l'époque où la compartimentation était de mise au chapitre des règles de preuve. Or, il n'en est plus ainsi, à mon sens. La tendance à la rationalisation de la façon d'aborder les questions d'admissibilité peut être observée autant au pays qu'à l'étranger (voir, par exemple, au Canada, Ares c. Venner, 1970 CanLII 5 (C.S.C.), [1970] R.C.S. 608 (ouï-dire), et R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 531 (ouï-dire), et au Royaume-Uni, Director of Public Prosecutions v. Boardman, [1975] A.C. 421 (H.L.) (fait similaire)); c'est une tendance qu'il y a lieu d'encourager, selon moi.

À mon avis, les considérations qui justifient l'admissibilité des communications entre l'avocat et son client en matière de testament s'appliquent avec la même force en l'espèce. Le principe général qui justifie la protection de ces communications est respecté. Les intérêts de la cliente maintenant décédée sont servis, en ce sens que l'admission du témoignage a précisément pour but d'établir ses intentions véritables. Et en faisant porter l'examen sur l'identité des héritiers ou ayants droit légitimes de la défunte, l'on respecte le principe qui veut que l'on étende le privilège à ses héritiers ou ayants droit. En résumé, pour reprendre les mots du juge Anderson de la Cour des successions dans l'affaire Re Ott, précitée, il y va de "l'intérêt de la justice" d'admettre ce témoignage. »

[21] L'auteur, Paul-Yvan Marquis, dans son traité de droit civil, dit aux para 292 et 298 que le secret professionnel ne saurait couvrir la fraude, le crime et la malhonnêteté, bref, qu'il ne constitue pas un "asile d'impunité" :

« 292. Il y a encore d'autres cas bien reconnus où la relativité du secret notarial se manifeste. Il n'est pas difficile, en effet, d'imaginer que celui-ci est susceptible d'être parfois en opposition au bien commun. Nous croyons que la primauté doit alors être accordée à ce dernier. Il est bien admis que le secret professionnel ne saurait couvrir la fraude, le crime, et la malhonnêteté. On l'a écrit avec justesse, le secret professionnel n'est pas un "asile d'impunité".

298. Plusieurs conséquences semblent découler de cette norme que le secret professionnel est personnel à celui qui se confie. Une première assez manifeste à l'effet que le secret ne saurait être opposé au bénéficiaire. Une deuxième voulant que ce dernier, expressément ou tacitement, ait, comme nous l'avons indiqué ci-dessus, le droit de délier partiellement ou totalement le notaire de son obligation au silence. Cette renonciation unilatérale est facilement conciliable avec l'opinion que le secret professionnel ne prend pas sa source dans un contrat de dépôt. En outre, il semble bien que le devoir de conseil ne devrait pas être nécessairement alors absent. Souvent, en effet, le notaire sera plus en mesure que son client d'apprécier avec justesse l'opportunité, l'amplitude et les conséquences d'une pareille divulgation. » (nos soulignements)

[22] L'approche américaine semble être au même effet. En effet, la Cour suprême des Etats-Unis dans Swidler & Berlin v. United States, à la page 6 :

« Such testamentary exception cases consistently presume the privilege survives. […] The view testamentary [8405] disclosure of communications as an exception to the privilege: "The general rule with respect to confidential communications… is that such communications are privileged during the testator's lifetime and, also, after the testator's death unless sought to be disclosed in litigation between the testator's heirs." Osborn, 561 F.2d at 1340. The rationale for such disclosure is that it furthers the client's intent.

[…]

Where the exoneration of an innocent criminal defendant or a compelling law enforcement interest is at stake, the harm of precluding critical evidence that is unavailable by any other means outweighs the potential disincentive to forthright communication. In my view, the cost of silence warrants a narrow exception to the rule that the attorney-client privilege survives the death of the client. Moreover, although I disagree with the Court of Appeals' notion that the context of an initial client interview affects the applicability of the work product doctrine, I do not believe that the doctrine applies where the material concerns a client who is no longer a potential party of adversarial litigation. » (Nos soulignements)

[23] Dans R. c. Jack, une affaire où la poursuite voulut mettre en preuve des conversations entre la victime et son avocat juste avant sa disparition, l'accusé était le mari de la victime décédée, la Cour d'appel du Manitoba dit ceci du privilège client‑avocat à la page 90 :

« …Relying on the emphasized passage above, the accused concedes that the privilege exists in favour of the client (Christine Jack), but asserts that it can be invoked by anyone whose interests might be adversely impacted by the disclosure. Further support is found by the accused in R. v. Solosky reflex, (1979), 50 C.C.C. (2d) 495, 105 D.L.R. (3d) 745, [1980] 1 S.C.R. 821, where Dickson J. (as he then was) referred to the privilege existing "out of regard to the interests of justice".

In my opinion, the accused's position is not tenable. In this case the person in whose favour the privilege exists is alleged to have been killed by the very person who claims to benefit from the privilege. It is clearly in the best interests of Christine Jack, and in the "interests of justice", that the privilege be waived as it was in this case by her lawyer.

The basic rule is that the claim to privilege can only be made by the person whose privilege it is: see Wigmore on Evidence (McNaughton rev. 1961), vol. 8, p. 111, 2196:

It follows that the claim of privilege can be made solely by the person whose privilege it is. The privilege (as the common phrasing runs) is purely personal to himself. Whether he chooses to permit disclosure without objection, or whether he prefers to exercise the exemption which the law concedes to him, is a matter resting entirely between himself and the state (or the court as its representative). The party against whom the testimony is brought has no right to claim or to urge the exemption on his own behalf.

In McCormick on Evidence, 2nd ed. (1972), it is noted at p. 192 that, "the privilege is not designed to protect the fact-finding process but is intended to protect some 'outside' interest", namely, a party to legal proceedings. The privilege does not arise as a result of some undefined duty to the court. Bell v. Smith, supra, simply stands for the proposition that a court will not knowingly allow a solicitor to act in breach of a duty to a client when the information will clearly be used against the interests of the client. The underlying basis of the rule as to solicitor-client privilege is public policy favouring candour between lawyers and their clients. It is a privilege which the client alone has the power to invoke except in extraordinary circumstances such as here when the client is not available. It cannot be invoked by a party whose interest in the proceedings is manifestly contrary to that of the client.

The Supreme court of Canada in admitting communications between a deceased person and her solicitor in Geffen v. Goodman Estate 1991 CanLII 69 (S.C.C.), (1991), 81 D.L.R. (4th) 211 at p. 235, [1991] 5 W.W.R. 389, 80 Alta. L.R. (2d) 293, said per Wilson J.:

[…]

With respect to other heads of privilege, the courts have recently shown a tendency to allow evidence to be introduced in "the interests of justice" where the benefit to the administration of justice clearly outweights in importance any public interest that might be protected by upholding the claim for privilege: see, for example, Bergwitz v. Fast 1980 CanLII 392 (BC C.A.), (1980), 108 D.L.R. (3d) 732, 18 B.C.L.R. 368, 1 A.C.W.S. (2d) 180 (B.C.C.A.); Hamulka v. Golfman reflex, (1985), 20 D.L.R. (4th) 540, [1985] 5 W.W.R. 597, 35 Man. R. (2d) 189 (C.A.), and Merrill Lynch v. Granove, reflex, [1985] 5 W.W.R. 589, 35 Man. R. (2d) 194, 33 A.C.W.S. (2d) 18 (C.A.) this is exactly what was done, albeit in the interests of the accused, in Dunbar and Logan, supra, relied on by the trial judge.

I have no difficulty in concluding in the circumstances of this case that if the evidence of the lawyer strayed into communications of a confidential nature, it was in the interests of both the client, Christine Jack, and the administration of justice that the communications in question be admitted in evidence. »

[24] De plus, l'article 37 du Code de déontologie des notaires mentionne que le notaire ne doit pas, à moins que la nature du cas ne l'exige, révéler qu'une personne a fait appel à ses services.

[25] Le Tribunal considère que la nature du cas est précisément de celle qui exige la levée du privilège. En effet, le privilège ne saurait être invoqué par une personne dont on a des motifs raisonnables et probables de croire qu'elle a attenté aux jours du testateur. D'ailleurs, l'article 620 du C.c.Q. édicte qu'est indigne de succéder celui qui est déclaré coupable d'avoir attenté à la vie du défunt.

[26] Il en va donc de l'intérêt public. La société ne saurait accepter qu'une personne, dans une telle situation, puisse se retrancher derrière le privilège notarial.

[27] L'exception testamentaire prend tout son sens dans la présente affaire. L'intention du testateur est au cœur du présent litige.

[28] De plus, le notaire n'a pas contrevenu au privilège en dévoilant l'existence d'un projet de testament à l'enquêteur, puisque la nature même de cette information constituait une exception.

Chaque élément de preuve n'a pas à être nécessairement prouvé hors de tout doute raisonnable dans le cadre d'une preuve circonstancielle

Gagnon c. R., 2011 QCCS 19 (CanLII)

[49] Comme le soulignait le juge Doyon dans la cause de Corneau c. R., relativement à la nature de la preuve circonstancielle :

« [71] Bien sûr, chaque élément de preuve n'a pas à être nécessairement prouvé hors de tout doute raisonnable. Il va de soi également que chacun de ces éléments de preuve ne peut démontrer, isolément, la culpabilité de l'appelant. C'est uniquement la preuve, considérée dans son ensemble, qui doit satisfaire à ce critère. »

[50] Dans R. c. Neveu, la Cour rappelait que le juge peut conclure que la poursuite s'est déchargée de son fardeau lorsque la preuve circonstancielle constitue la seule inférence ou déduction logique qui peut-être tiré des faits prouvés : R. c. Cooper.

[51] Lorsque la preuve circonstancielle offre une autre hypothèse logique ou raisonnable que celle de la culpabilité, le juge doit conclure que la poursuite n'a pas rempli son fardeau (R. c. Khan). Tel n'est pas le cas dans la présente affaire.

jeudi 13 janvier 2011

Ce que constitue un centre communautaire au sens de l'article 161 C.cr

R. c. Lévesque, 2010 QCCQ 9121 (CanLII)

[28] L'accusé est un employé de la Station plein air St-Pacôme où se déroulent, durant l'hiver, des sports de glisse et, durant l'été, une activité d'hébertisme. Cet endroit peut-il être considéré comme un centre communautaire tel que l'énonce l'article 161 C.cr. ?

[29] Lors des délibérations entourant la promulgation de l'article 161 C.Cr., les membres du sénat ont questionné l'utilisation du terme « centre communautaire », et ils ont souligné les difficultés d'interprétation pouvant survenir.

[30] Le 23 juin 1993, le législateur fédéral a procédé à l'abrogation de l'article 811, et il l'a remplacé par l'article 810.1 dans le but de protéger la sécurité de personnes âgées de moins de 16 ans de tout abus à caractère sexuel. Pour atteindre cet objectif, il a permis à quiconque craignant que ne soit commise une telle infraction de déposer une dénonciation afin qu'il soit imposé à la personne visée un engagement de ne pas fréquenter certains endroits, soit les mêmes lieux que ceux prévus à l'actuel article 161 C.cr.

[31] Le 19 janvier 2000, la Cour d'appel de l'Ontario a déclaré que l'expression «centre communautaire » énoncé à cet article 810.1 C.cr. avait une portée excessive, et il a déclaré ce terme inopérant. Le 3 mai 2001, la Cour suprême du Canada a refusé d'entendre l'appel. Huit ans plus tard, le Parlement fédéral a finalement modifié l'alinéa 3 de l'article 810.1, et il a retiré ce terme.

[32] Puisque les articles 161 et 810.1 visent les mêmes objectifs, l'expression «centre communautaire » devrait donc être analysée de la même façon que l'a fait la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Budreo qui traite de l'article 810.1 C.cr.

[34] Le terme « centre communautaire » n'est pas défini au Code criminel. Tel que le précise la Cour suprême du Canada dans R. c. Clark, 2005 CSC 2 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 6, par. 43:

« (…) il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. »

[35] Selon le Petit Robert, le mot « centre » est défini comme un lieu où diverses activités sont groupées, et le mot « communautaire » comme se rapportant à la communauté. Ce dernier nom désignant un groupe social dont les membres vivent ensemble, ou ont des biens, des intérêts communs.

[36] Le Petit Larousse définit, de son côté, le mot « centre » comme le lieu où sont regroupées, pour une fin commune, des personnes, des activités alors que le mot «communauté» est défini soit comme un groupe de personnes vivant ensemble et poursuivant des buts communs ou comme un groupe social ayant des caractères, des intérêts communs.

[37] Ces définitions de mots prises isolément ne permettent pas de bien saisir le sens qu'il faut donner au terme « centre communautaire. » Toutefois, le Multidictionnaire de la langue française précise que le nom « centre » entre dans la composition de plusieurs dénominations et que son emploi doit être limité aux entreprises, aux organismes qui font véritablement un regroupement, une centralisation de services, d'activités.

[38] Finalement, les nuages se dissipent sur le sens "ordinaire et grammatical" du terme « centre communautaire » lorsque l'on se réfère au Grand dictionnaire terminologique de l'Office de la langue française qui en donne la définition suivante :

« Lieu servant de point de ralliement à une collectivité ou à une communauté dans le but d'exercer des activités récréatives, culturelles, sociales ou humanitaires. Note : Le centre communautaire se distingue du centre de loisirs du fait qu'il s'y déroule des activités d'ordre social et qu'il sert de lieu de rencontre à une collectivité ou à une communauté. »

[39] À la lumière de ces définitions, il ressort que la Station de plein air St-Pacôme n'est pas un centre communautaire puisqu'il ne s'y déroule que des activités sportives. Aucune preuve n'a été soumise démontrant qu'il s'y pratique des activités d'une autre nature. Il s'agit donc d'un centre de loisirs.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les délais préinculpatoires peuvent être considérés en vertu de la Charte

R. c. Ketchate, 2019 QCCA 557 Lien vers la décision [ 16 ]          Plus récemment, dans l’affaire  Hunt , il a été réitéré que les délais p...