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dimanche 13 février 2011

L’obligation qui incombe aux agents de la paix de prélever un échantillon d’haleine dès qu’il est matériellement possible de le faire VS le délai survenu dans l’attente d’une dépanneuse

R. c. Desgagné, 2011 QCCQ 423 (CanLII)

[16] Selon la chronologie des événements au dossier, l’arrestation eut lieu à 3 h 56 après l’échec au test de dépistage. Les policiers ont quitté les lieux en compagnie de l’accusé après l’arrivée de la dépanneuse à 4 h 40. Ce délai de 44 minutes est-il justifié dans les circonstances?

[17] Aucune explication n’a été fournie par les policiers à ce sujet. Il est aussi exact qu’on ne leur a posé aucune question sur ce dernier point.

[18] L’al. 258(1)c) du Code criminel édicte que la preuve des résultats des analyses fait foi de façon concluante de l’alcoolémie de l’accusé au moment où l’infraction aurait été commise si certaines conditions sont remplies dont celle-ci :

ii) chaque échantillon a été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction aurait été commise et, dans le cas du premier échantillon, pas plus de deux heures après ce moment, les autres l’ayant été à des intervalles d’au moins quinze minutes,

[19] L’obligation qui incombe aux agents de la paix de prélever un échantillon d’haleine dès qu’il est matériellement possible de le faire signifie qu’ils doivent agir dans un délai relativement court compte tenu des circonstances : R. c. Letford 2000 CanLII 17024 (ON C.A.), (2000), 150 C.C.C. (3d) 225, (C.A. Ont.).

[20] Dans R. c. Morel, 2010 QCCS 2659 (CanLII), 2010 QCCS 2659, le juge Champagne, au paragr. 26, rappelle que la décision rendue dans R. c. Vanderbruggen, 2006 CanLII 9039 (ON C.A.), 2006 CanLII 9039 (ON C.A.) constitue l’arrêt de principe sur cette question. Sur le sens à donner à l’expression « dès que matériellement possible » contenu à l’al. 258(1) c) ii) du Code criminel, la Cour d’appel, au paragr. 12, s’exprime ainsi :

12. There is no requirement that the test be taken as soon as possible. The touchstone for determining whether the tests were taken as soon as practicable is whether the police acted reasonably.

[21] Plusieurs jugements ont été rendus relativement au délai survenu dans l’attente d’une dépanneuse : voir, entre autres, R. c. Tremblay, 2009 QCCQ 1171 (CanLII), 2009 QCCQ 1171, R. c. Payette, 2008 QCCQ 13571 (CanLII), 2008 QCCQ 13571 et R. c. Cuerrier, 2006 QCCQ 561 (CanLII), 2006 QCCQ 561. L’on peut conclure de ces décisions que ce n’est pas tant la longueur du délai qui importe, mais les raisons invoquées qui le supportent. La poursuite a donc le fardeau de démontrer que les policiers ont agi promptement dans les circonstances.

[22] Or, aucune raison n’a été fournie par les policiers pour justifier le délai causé par l’attente de la dépanneuse. La poursuite me prie d’inférer que ce retard est dû aux mauvaises conditions climatiques. Il se peut que ce soit vrai, mais déduire ainsi participe de la conjecture. Il pourrait exister une foule d’autres raisons pour expliquer un tel retard, mais rien de tel n’a été exposé à l’audience.

[23] En l’absence d’explications valables, il est impossible de conclure que les policiers ont agi promptement. Par conséquent, les échantillons d’haleine n’ont pas été prélevés dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction aurait été commise.

vendredi 11 février 2011

L'emprisonnement ferme est la règle dans le cas de trafic de drogues dures / Les cas où des peines avec sursis pourraient être imposées

R. c. Bernier, 2011 QCCA 228 (CanLII)

[24] L’appelante souligne avec raison que la sévérité des tribunaux à l'égard des infractions relatives aux drogues est constante.

[25] Dans l’arrêt R. c. Smith, le juge Lamer écrit ceci au sujet de l'importation de stupéfiants :

Ceux qui cèdent à l'appât du gain en important et en vendant des drogues dures sont responsables de la dégénérescence progressive mais inexorable d'un bon nombre de leurs semblables, en raison de l'état de dépendance vis-à-vis de la drogue qui se crée chez ces derniers. Du fait qu'ils constituent la cause directe des épreuves que subissent leurs victimes et leurs familles, on doit faire en sorte que ces importateurs assument eux aussi leur juste part de culpabilité pour toutes les sortes de crimes graves innombrables que commettent les toxicomanes en vue de satisfaire à leur besoin de drogue. Avec égards, j'estime que de telles personnes, à quelques rares exceptions près (comme par exemple la culpabilité des toxicomanes qui s'adonnent à l'importation non seulement pour répondre à leurs propres besoins mais aussi pour les défrayer, n'est pas nécessairement aussi grande que celle des non-utilisateurs insensibles), si elles sont déclarées coupables, devraient être condamnées et purger effectivement de longues périodes d'incarcération.

[26] Dans l'arrêt R. c. Pearson, le juge Lamer décrit le trafic de stupéfiants en ces termes :

[L]e trafic des stupéfiants est une activité systématique, pratiquée d'ordinaire dans un cadre commercial très sophistiqué. Il s'agit souvent [d’]une entreprise et d'un mode de vie. C'est une activité très lucrative, ce qui pousse fortement le contrevenant à poursuivre son activité criminelle même après son arrestation et sa mise en liberté sous caution.

[27] Dans l’arrêt R. c. Bonenfant, le juge Proulx écrit ce qui suit :

Il faut constater que le principe depuis fort longtemps établi que l'emprisonnement est la règle dans le cas de trafic de ce stupéfiant n'a pas découragé ses auteurs et que devant cette plaie sociale, les tribunaux n'ont aucun autre choix que de sévir en laissant un message sans équivoque. C'est sans doute ce que le juge de première instance a compris, en tenant compte de l'exemplarité de la peine et de son caractère de dissuasion.

[28] Ainsi, tout en concédant que les infractions impliquant des drogues dures ne sont pas exclues du régime d’emprisonnement avec sursis, l’appelante affirme que la situation de l’intimé ne présente pas le caractère exceptionnel qui justifiait une telle clémence. (...)

[38] C’est l’arrêt R. c. Prokos qui énonce les principes applicables à l’octroi d’un emprisonnement avec sursis dans un tel contexte. Dans cette affaire, la Cour rappelle que le principe de l'individualisation des peines peut justifier, dans certaines circonstances, de favoriser la réhabilitation du délinquant.

[39] La juge Rousseau-Houle y écrit ceci :

Les infractions relatives au trafic de stupéfiants doivent toujours être clairement et hautement réprouvées. Dans le cas d'importation et de trafic de drogues dures telles l'héroïne et la cocaïne de base (crack), lorsque la toxicomanie n'est pas en cause, l'objectif de dissuasion constitue indéniablement un objectif majeur. Il faut se garder toutefois d'entretenir le mythe, au nom d'un objectif de dissuasion générale et en invoquant la gravité intrinsèque des infractions, que le seul châtiment valable et dissuasif est une peine d'emprisonnement ferme.

L'individualisation de la sentence demeure un principe fondamental de la détermination de la peine. À l'égard d'infractions relatives aux stupéfiants, le système de détermination de la peine ne peut se fonder exclusivement sur la dissuasion sociale et la dénonciation de la gravité des infractions. La détermination de la peine doit être modulée et individualisée. C'est au juge, à qui incombe le devoir de déterminer la peine, de choisir celle qui a le plus de chance de dissuader le délinquant et d'assurer sa réhabilitation sociale tout en protégeant la société.

Si le critère de dissuasion générale constitue une considération de première importance, il n'en reste pas moins que le critère de la réhabilitation, lorsqu'il fait l'objet d'une démonstration particulièrement convaincante, pourra devenir prééminent lors de la détermination de la peine.

[41] Je souligne que le juge LeBel était dissident dans cette affaire non pas à l’égard des principes énoncés par la juge Rousseau-Houle mais plutôt quant à leur application au cas d’espèce. Il écrit ce qui suit :

À nouveau, il faut examiner une décision relative à l'imposition d'une peine de prison avec sursis. À cette étape du développement législatif et jurisprudentiel de cette nouvelle sanction, il ne sert à rien d'épiloguer longuement sur le mérite de la disposition de l'article 742.1 C.cr. ou sur le cadre juridique de son fonctionnement. Malgré les critiques parfois très vives, provenant à l'occasion des tribunaux eux-mêmes (références omises), l'institution existe. Le Parlement fédéral a adopté ces dispositions et les a même modifiées rapidement, pour prévoir que la décision du juge, en cette matière, doit être conforme aux objectifs généraux de la détermination de la peine, tels que les décrit l'article 718.2 C.cr., pour régler un conflit jurisprudentiel sur ses conditions d'incarcération. Elles correspondent à une volonté législative de chercher à diminuer les taux d'incarcération dans la société canadienne.

Qu'elles jugent ou non cette mesure d'emprisonnement avec sursis inappropriée, les cours canadiennes ne doivent pas se refuser à l'appliquer ou à la stériliser par une interprétation indûment restrictive. Lorsqu'aucune peine minimale n'est prévue, lorsque l'emprisonnement imposé est inférieur à deux ans et lorsque le degré de dangerosité du prévenu le permet, elle peut être retenue par le juge de première instance, dans le respect, toutefois, des objectifs généraux du régime de détermination des peines. La décision du juge du procès, alors, ne peut être révisée par une cour d'appel qu'à l'intérieur des paramètres définis par la Cour suprême du Canada dans ce domaine. Le cadre fixé par celle-ci exige que les cours d'appel n'interviennent pas, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur ou insistance excessive sur des facteurs non appropriés. Une peine ne devrait être révisée que si elle apparaît manifestement non indiquée (voir R. c. McDonnell, [1997 CanLII 389 (C.S.C.), [1997] 1 R.C.S. 948], opinion du juge Sopinka, pp. 11-12).

Par ailleurs, les cours d'appel provinciales ne pourraient non plus créer judiciairement des catégories d'infractions pour lesquelles l'utilisation de la peine d'emprisonnement avec sursis serait a priori interdite. Leur création relève du législateur, comme le rappelait la majorité de la Cour suprême dans l'arrêt McDonnell (voir opinion du juge Sopinka, pp. 21-22). Notre Cour s'est d'ailleurs refusée de l'exclure a priori à l'égard de divers types d'infractions, généralement considérées comme graves, comme des cas d'agression sexuelle, bien qu'elle ait écarté son application dans des circonstances concrètes de certaines affaires d'assaut sexuel (par exemple, voir [R. c. L. (J.J.), 1998 CanLII 12722 (QC C.A.), [1998] R.J.Q. 971 (C.A.)]; La Reine c. Maheu, 1997 CanLII 10356 (QC C.A.), [1997] R.J.Q. 410)[18].

[42] L’arrêt Prokos ne ferme pas la porte à l’emprisonnement avec sursis pour les infractions en matière de drogues dures. Il identifie plutôt les facteurs qui doivent être examinés.

[44] Dans l’arrêt Bériault, cette Cour est intervenue et a annulé l’emprisonnement avec sursis imposé par le juge d’instance pour le remplacer par une peine d’emprisonnement en raison des circonstances particulières de cette affaire. Le juge Doyon s’exprime ainsi :

Il va de soi qu'un juge n'est pas obligé de tout dire et qu'il est présumé connaître la loi, mais il fallait à tout le moins considérer les circonstances très particulières que sont les nombreuses récidives pendant les deux périodes de mise en liberté et s'assurer que, malgré cela, le sursis permettait d'atteindre les objectifs que je viens de décrire. Ces récidives et les bris d'engagement devaient aussi être pris en compte au chapitre de la sécurité du public et le jugement ne permet pas de savoir comment cette sécurité pouvait être assurée malgré le risque sérieux de récidive ainsi démontré.

(...)

Quoique l'emprisonnement avec sursis puisse parfois permettre d'atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion, il existe des cas où seul l'emprisonnement le permet. Je suis d'avis que c'est le cas, d'autant que le sursis ne constitue pas davantage une peine qui soit proportionnelle à la gravité des infractions et au degré de responsabilité fort élevé de l'intimé.

Les infractions, commises dans les circonstances décrites précédemment, qui impliquent le trafic de plusieurs grammes de cocaïne et qui ont été perpétrées dans le mépris des ordonnances de mise en liberté, rendent injustifiable ici l'emprisonnement avec sursis. La décision de l'intimé de continuer à faire le trafic de la cocaïne, malgré une première arrestation pour possession en vue de faire le trafic de la même substance, est troublante et doit être dénoncée. Sa décision de ne pas respecter les conditions de mise en liberté, notamment en retournant à l'endroit où il avait vendu de la cocaïne pendant de longs mois, est tout aussi inquiétante et démontre, elle aussi, son haut degré de responsabilité pénale. En réalité, rien ne permet de croire que l'intimé respectera davantage les conditions du sursis que ses conditions de mise en liberté. Dans ce contexte, le sursis ne peut être justifié. Enfin, l'on ne peut exclure de l'analyse les condamnations antérieures, même si elles sont survenues il y plusieurs années.

(...)

[46] Finalement, l’appelante nous renvoie aussi à l’arrêt Bernier où cette Cour s’exprime ainsi :

Il est vrai que l'intimé a plaidé coupable aux accusations portées (complot pour trafic de cocaïne et trafic (4 chefs)), qu'il s'est retiré du commerce de la drogue, a retrouvé un emploi occupé dans le passé et manifesté des remords. Mais cela ne peut occulter l'importance, dans les circonstances, des facteurs de dénonciation et de dissuasion en matière de trafic de drogue (Bordage c. R., [2000] J.E. 2000-1933 (C.A.), paragr. 10).

À ce sujet, le juge de première instance écrit :

[17] La jurisprudence est constance et bien établie; la dénonciation et la dissuasion sont les objectifs à privilégier en matière de trafic de drogue, particulièrement de cocaïne. D'une façon générale, la réinsertion sociale est reléguée au second plan, mais évidemment, lorsqu'une démonstration particulièrement convaincante de la réhabilitation est faite, ce critère deviendra prédominant lors de la détermination de la peine.

(...)

[50] Il est vrai, comme le souligne l’appelante, qu’on ne doit pas traiter sur le même pied l’emprisonnement ferme avec l’emprisonnement avec sursis[, car il va de soi qu’une « ordonnance d'emprisonnement avec sursis, même assortie de conditions rigoureuses, est généralement une peine plus clémente qu'un emprisonnement de même durée ».

[51] Toutefois, l’appelante ne me convainc pas que l’emprisonnement avec sursis imposé par la juge d’instance ne respecte pas les principes énoncés précédemment à l’égard des infractions en matière de drogues. Cette peine n’est pas exclue par la jurisprudence. Cette Cour a d’ailleurs récemment rappelé dans l'arrêt R. c. Veilleux que « la présence de circonstances aggravantes ne peut en elle-même constituer un obstacle dirimant à l'emprisonnement avec sursis ».

La notion du « directement » et les exigences de l’al. 258(1)g) du Code criminel

R. c. Desgagné, 2011 QCCQ 423 (CanLII)

[7] La défense invoque la décision de la Cour supérieure du Québec dans R. c. Vandal, 2010 QCCS 2474 (CanLII), 2010 QCCS 2474 (autorisation d’appel accueillie 2010 QCCA 1494 (CanLII), 2010 QCCA 1494), et celle de mon collègue le juge Provost dans R. c. Desrosiers, 2009 QCCQ 10546 (CanLII), 2009 QCCQ 10546 (présentement en appel devant la Cour supérieure).

[8] Dans la décision Vandal, précitée, aux paragr. 81-82, le juge Bureau estime qu’un certificat du technicien qualifié indiquant que les échantillons ont été prélevés à partir du même alcootest approuvé au lieu de mentionner qu’ils ont été reçus directement dans un alcootest approuvé n’est pas suffisant pour respecter les exigences de l’al. 258(1)g) du Code criminel s’il n’y a aucune preuve complémentaire pour compléter les manquements apparents dans les témoignages entendus ou dans les certificats utilisés. Dans le jugement Desrosiers, précité, aux paragr. 28 à 31, le raisonnement du juge Provost accordant une requête en non-lieu est au même effet.

[9] Dans R. c. Mulroney, 2009 ONCA 766 (CanLII), 2009 ONCA 766, la Cour d’appel de l’Ontario reconnaît la possibilité d’établir, par une preuve circonstancielle, que l’échantillon a été reçu directement de l’accusé dans un contenant approuvé ou dans un alcootest approuvé : R. c. Vandal, précité, paragr. 71.

jeudi 10 février 2011

Le conducteur peut être présumé être en possession des objets à l'intérieur de son véhicule

R. c. Spagnolo, 2010 QCCQ 8556 (CanLII)

[44] Alors, les explications fournies par l'accusé sont plausibles et vraisemblables; il est certain que les conclusions qui découlent de la découverte d'un objet dans un véhicule automobile font en sorte que le possesseur ou le conducteur peut être présumé être en possession des objets à l'intérieur de ce véhicule; mais la possession est une question de fait qui dépend des circonstances de chaque affaire et de l'ensemble de la preuve.

mercredi 9 février 2011

Un juge ne peut pas reporter la détermination de la peine uniquement dans le but de mettre à l'épreuve un délinquant

R. c. Dubé-Pelletier, 2007 QCCQ 7653 (CanLII)

[10] L'article 720 du Code criminel stipule que : «Dans les meilleurs délais possibles suivant la déclaration de culpabilité, le tribunal procède à la détermination de la peine à infliger au délinquant. »

[11] Sur ce sujet, notre Cour d'appel a rendu des décisions, dont l'arrêt R. c. Cardin, par lequel elle s'accorde avec d'autres cours canadiennes voulant qu'un juge ne puisse pas reporter la détermination de la peine uniquement dans le but de mettre à l'épreuve un délinquant. Un juge peut prendre un délai raisonnable pour délibérer et colliger l'information pertinente à sa décision. Pendant ce délai, il peut élargir le délinquant pour lui permettre d'entreprendre une thérapie, mais cela ne doit pas être fait avec l'objectif de tester le délinquant.

[12] Le juge Gendreau, pour la Cour, a expliqué que le législateur n'avait pas octroyé au juge le rôle d'un "officier de probation pré- et post-sentenciel". Il appartient au législateur de le faire:

Mais, au-delà de ces considérations pratiques, il est avant tout le principe du droit de la société et de l'accusé de voir l'affaire entendue et jugée dans un délai raisonnable. A moins que le législateur ne consente à modifier le rôle du juge aux fins d'en faire un officier de probation pré- et post-sentenciel, cette méthode est, à mon avis, dans le cadre de la loi actuelle, irrégulière. Cette affirmation ne vise évidemment pas à restreindre l'application du critère de réhabilitation que le juge doit considérer, ni surtout à écarter l'attitude d'humanité et de compréhension qu'on attend de lui; mais il me semble que la fonction judiciaire requiert du juge, après un délai raisonnable de réflexion sur l'ensemble de la preuve faite, de se former une opinion sur la sentence à la lumière de son expérience et de ses connaissances, en appliquant tous les critères dégagés par la loi et la jurisprudence.

Exposé des principes applicables sur le crime d'assistance au suicide

R. c. Dufour, 2010 QCCA 2413 (CanLII)

[32] Cela dit, les précédents portant sur l'article 241 C.cr. sont peu nombreux. J'en note deux qui me paraissent dignes de mention. Ils convergent vers la conclusion que le crime d'assistance au suicide en est un d'intention spécifique.

[33] Dans R c. Loomes, la Cour d'appel de l'Ontario avait à décider de l'appel interjeté contre un verdict de culpabilité prononcé par un jury à l'égard de deux chefs d'accusation, l'un d'assistance au suicide, comme en l'espèce, et le second d'usage dangereux d'une arme à feu.

[34] En ce qui concerne le premier chef, l'accusé opposait une défense d'ivresse. L'arrêt fait voir que la Cour paraît considérer que pareille défense est ouverte :

4 The principal defence which arose on the evidence was the issue of drunkenness. The defence was that the accused, by reason of his heavy drinking, did not believe that his wife intended to commit suicide, that she was bluffing, and that he did not intend to assist her in committing suicide.

5 This defence, in our opinion, was never clearly put to the jury by the learned trial judge. In his charge to the jury, the trial judge appears to have instructed the jury that the principal issue which they were called upon to decide and which would determine the guilt or innocence of the accused was whether the wife of the accused intended in fact to commit suicide.

6 With respect, he erred in so doing. The defence in this case was not dependent upon the determination of whether the wife intended to commit suicide but rather whether the accused believed that she intended to commit suicide.

7 In dealing with the issue of drunkenness as it related to the charge of aiding the wife of the accused to commit suicide, the trial judge instructed the jury as follows:

" The definition of drunkenness is that you have no capacity at all, and I tell you that is the law in drunkenness; that you cannot form the capacity, the intent, form the intent; you don't have that capacity due to alcohol, so much alcohol that you cannot form the intent." (emphasis added)

8 We are of the opinion that this instruction to the jury was a misdirection. At no place in his address to the jury did the learned trial judge clearly instruct the jury as to the intent which was requisite to constitute the offence, nor did he relate the evidence of drinking to that intent. We are also of the opinion that he erred in failing to instruct the jury as to the burden of proof on the issue of drunkenness, having regard to the evidence of drinking which was before them.

[35] Or, depuis l'arrêt R. c. Beard en 1920, il est acquis qu'une défense de cette nature n'est recevable que dans le cas d'infractions d'intention spécifique. Le juge McIntire le rappelle d'ailleurs clairement dans R. c. Bernard :

63 The present law relating to the drunkenness defence has developed in this Court from the application of principles set out in Director of Public Prosecutions v. Beard, [1920] A.C. 479 (H.L.), discussed and adapted in other United Kingdom cases, including Attorney General for Northern Ireland v. Gallagher, [1961] 3 All E.R. 299 (H.L.), Bratty v. Attorney General for Northern Ireland, [1961] 3 All E.R. 523 (H.L.), and Director of Public Prosecutions v. Majewski, supra. In this Court, the matter has been dealt with in R. v. George, supra, and other cases, but particularly in Leary v. The Queen, supra, where Pigeon J., speaking for the majority of the Court, said, at p. 57, that rape is a crime of general intention as distinguished from specific intention, a crime therefore "in which the defence of drunkenness can have no application". This may be said to have confirmed the law as it stands in Canada on this question and the appellant's principal attack in this Court is upon that decision. It is not necessary for the purposes of this judgment to review in detail the authorities in this Court on the question. It will be sufficient to summarize their effect in the following terms. Drunkenness in a general sense is not a true defence to a criminal act. Where, however, in a case which involves a crime of specific intent, the accused is so affected by intoxication that he lacks the capacity to form the specific intent required to commit the crime charged it may apply. The defence, however, has no application in offences of general intent.

[36] Le second arrêt est celui prononcé par la Cour suprême dans Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général).

[37] Expliquant les distinctions à faire entre les soins palliatifs, d'une part, et l'aide au suicide, d'autre part, le juge Sopinka, au nom de la majorité, s'exprime ainsi :

172 The fact that doctors may deliver palliative care to terminally ill patients without fear of sanction, it is argued, attenuates to an even greater degree any legitimate distinction which can be drawn between assisted suicide and what are currently acceptable forms of medical treatment. The administration of drugs designed for pain control in dosages which the physician knows will hasten death constitutes active contribution to death by any standard. However, the distinction drawn here is one based upon intention — in the case of palliative care the intention is to ease pain, which has the effect of hastening death, while in the case of assisted suicide, the intention is undeniably to cause death. The Law Reform Commission, although it recommended the continued criminal prohibition of both euthanasia and assisted suicide, stated, at p. 70 of the Working Paper, that a doctor should never refuse palliative care to a terminally ill person only because it may hasten death. In my view, distinctions based upon intent are important, and in fact form the basis of our criminal law. While factually the distinction may, at times, be difficult to draw, legally it is clear. The fact that in some cases, the third party will, under the guise of palliative care, commit euthanasia or assist in suicide and go unsanctioned due to the difficulty of proof cannot be said to render the existence of the prohibition fundamentally unjust.

[38] La teneur de ces propos me paraît inconciliable avec la proposition du ministère public selon laquelle le crime d'assistance au suicide en serait un d'intention générale.

[39] Je conclus donc à la nécessité pour la poursuite d'établir l'intention coupable pour prétendre à un verdict de culpabilité dans le cas d'une accusation portée en vertu de l'article 241 C.cr.

[40] La défense offerte visait précisément à combattre cet élément d'intention coupable en faisant valoir que Stéphan Dufour n'avait jamais voulu aider Chantal à se suicider. D'une part, en raison de son handicap intellectuel, il n'avait pu se soustraire à la pression morale qui lui commandait de poser un geste susceptible de servir à la réalisation du suicide. D'autre part, parce qu'il aimait profondément son oncle, il souhaitait que le dessein de mettre fin à ses jours ne se réalise jamais et il pressait Chantal de ne pas en faire usage.

[41] Dans R. c. Leblanc, notre cour a reconnu la pertinence en défense d'une preuve de désordre mental dans le cas d'accusation de crimes nécessitant l'existence d'une intention spécifique :

Depuis plus de vingt ans, une jurisprudence constante a consacré le principe que la preuve d'une maladie mentale qui ne satisfait pas aux critères du paragraphe 2 de l'article 16 C.Cr. peut néanmoins justifier un verdict réduit d'homicide involontaire coupable à une accusation de meurtre. Ce sont les arrêts : (références omises)

[…]

Essentiellement, l'on peut retenir de ces arrêts qu'en matière de meurtre, la preuve d'une anomalie mentale qui ne correspond pas à la définition légale de l'article 16 peut cependant permettre de conclure que l'intention spécifique de tuer est néanmoins affectée, ce qui permettrait de réduire l'accusation à celle d'homicide involontaire coupable.

D'ailleurs, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt MacDonald, rendu en 1977, a reconnu la pertinence d'une preuve médicale non pas pour établir la défense d'aliénation mentale mais uniquement pour nier l'intention spécifique.

[…]

De l'ensemble des arrêts que j'ai cités, se dégage donc la conclusion que la condition mentale du sujet ne se soulève pas uniquement dans le cas d'une défense d'aliénation mentale. La question de la capacité de former l'intention criminelle (pertinente à la défense de l'aliénation mentale) se distingue de la question de l'existence même de l'intention criminelle qui demeure toujours en litige.

[42] Elle a réaffirmé cette position dans Laflamme c. R.:

Il s'agissait d'une défense fondée sur l'inexistence de l'intention criminelle. Dans l'état actuel de la jurisprudence, il paraît admis que dans le cas des infractions comportant une intention spécifique, la preuve qu'une personne est affectée d'un désordre mental qui n'a pas le caractère de gravité pouvant donner ouverture à une défense d'aliénation mentale peut néanmoins permettre une atténuation de la responsabilité pénale dans la mesure où cette maladie empêche la formation de l'intention spécifique requise.

[43] En marge de la portée de ces arrêts, je précise que le crime d'assistance au suicide, à la différence du meurtre, ne comporte pas d'infraction incluse ne requérant qu'une intention générale. Ainsi, dans le cas d'une accusation portée en vertu de l'article 241 C.cr., une absence de mens rea emporte donc un verdict d'acquittement et non une simple atténuation de responsabilité pénale.

mardi 8 février 2011

Ce que constitue un délai déraisonnable dans l'imposition de la peine

R. c. R.D., 2008 QCCA 1641 (CanLII)

[23] Une année et 12 jours se sont donc écoulés depuis le verdict de culpabilité. Ce délai, qui est loin d'être raisonnable[7], n'est aucunement attribuable au ministère public.

[7] Il y a lieu de rappeler que l'article 720 du Code criminel prévoit que : « Dans les meilleurs délais possibles suivant la déclaration de culpabilité, le tribunal procède à la détermination de la peine à infliger au délinquant. »

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les déclarations d'un accusé à son complice ne sont pas du ouï-dire

R v Ballantyne, 2015 SKCA 107 Lien vers la décision [ 58 ]             At trial, Crown counsel attempted to tender evidence of a statement m...