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dimanche 15 décembre 2013

L'état du droit quant à la requête sur remise en liberté au niveau de l'appel

Beauregard c. R., 2013 QCCA 1956 (CanLII)


[15]        Comme le souligne mon collègue le juge Kasirer dans un jugement récent, Tremblay c. R.2013 QCCA 1880 (CanLII), 2013 QCCA 1880, au par. 8, « le consentement à la requête du ministère public ne dispense pas le juge unique de s’assurer que l’appelant démontre que les conditions au paragraphe 679(3) C.cr. sont remplies. »
i)          le caractère du moyen d’appel
[16]        Dans Guité c. R., 2006 QCCA 905 (CanLII), 2006 QCCA 905, [2006] R.J.Q. 2049, mon collègue le juge Doyon écrit aux par. 6 et 7, qu’un requérant n’a pas à prouver le bien-fondé de ses moyens d’appel. Il lui suffit d’établir que les questions soulevées sont défendables; il n’a pas à démontrer que ses moyens ont de fortes chances de succès. En d’autres mots, l’étape devant le ou la juge unique n’est pas une simple formalité lorsque le ministère public ne s’oppose pas ou même consent.
[17]        En l’espèce, l’avis d’appel tient de l’identification du requérant. À mon avis, la preuve quant à l’identification positive de l’agent d’infiltration ne semble pas souffrir de faiblesses surtout lorsqu’on prend en compte le faisceau d’éléments circonstanciels. Le moyen d’appel semble voué à l’échec plutôt que défendable.
[18]        Cela pourrait régler le sort de la requête. Néanmoins, j’étudierai les deux autres conditions.
ii)        le respect des conditions de remise en liberté
[19]        Le requérant a accordé dans le passé peu d’importance aux conditions qui lui étaient imposées. Je suis néanmoins prêt à considérer qu’il n’y a pas de raison de croire qu’il ne se livrera pas en conformité avec les termes d’une ordonnance.
iii)        la détention et l’intérêt public
[20]        Comme je le souligne dans Takri c. R.2010 QCCA 1064 (CanLII), 2010 QCCA 1064, au par. 11, cette condition « vise à la fois la protection et la sécurité du public, de même que la confiance du public envers l’administration de la justice, eu égard à l’ensemble des circonstances du dossier ». Voir aussi : Des Châtelets c. R.2013 QCCA 871 (CanLII), 2013 QCCA 871 et Tremblay c. R., supra.
[21]        Le critère de l’alinéa 679(3)cC.cr. s’apprécie à partir de la lorgnette du « informed public, fully appreciative of the rules applicable under our system of justice » et « au fait de tous les tenants et aboutissants du dossier ».
[22]        En l’espèce, le requérant a de lourds antécédents : condamnations pour trafic de cocaïne en 1989 et 1990, agression armée (460-01-002443-897), possession de marijuana (200-01-012087-965), trafic de stupéfiants (200-01-011198-953), complot pour possession et trafic de marijuana au profit d’une organisation criminelle (460-73-000097-025), etc. Il est présentement en procès pour possession de stupéfiants (460-01-025450-135). Si l’on ajoute à cela sa désinvolture face aux conditions imposées durant le procès, son attitude générale face au système de justice (pas de rapport présentenciel, pas de preuve médicale sérieuse, antécédents en semblable matière), tout milite contre une remise en liberté afin de préserver la confiance du public envers le système.
[23]        De plus, une personne bien informée ne peut ignorer que s’il se comporte bien, le requérant pourra être remis en liberté avant d’avoir purgé la totalité de sa peine, soit cinq mois.
LA CONCLUSION
[24]        Puisque les conditions énoncées au paragraphe 679(3) C.cr. sont « interactives », pour employer le mot d’un juge de la Cour, l’auteur Tristan Desjardins explique le principe en regard du rapport entre les alinéas 679(3)a) et cC.cr. comme suit : « il appert que l’importance devant être accordée au critère de l’intérêt public est inversement proportionnelle aux probabilités qu’un pourvoi soit accueilli. »

Comment traiter le temps passé sous garde et, le cas échéant, l'opportunité de majorer le crédit

Chalifoux c. R., 2013 QCCA 1914 (CanLII)


[19]        Le principe fondamental dans l'établissement d'une peine est que pour être juste, elle doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant.  L’article 719(3) C.cr. énonce que « pour fixer la peine […], le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction ».  Le temps passé sous garde fait partie du processus de détermination de la peine et sa prise en compte de même que la question du crédit majoré ne peuvent être décidées ainsi de façon isolée. L’opportunité de majorer le temps à retrancher de la peine juste et appropriée doit être analysée alors que le tribunal a en main tous les facteurs pertinents à la détermination de la peine globale :
Comme la période à retrancher ne peut ni ne doit être établie au moyen d’une formule rigide, il est par conséquent préférable de laisser au juge qui détermine la peine le soin de calculer cette période, car c’est encore lui qui est le mieux placé pour apprécier soigneusement tous les facteurs permettant d’arrêter la peine appropriée, y compris l’opportunité d’accorder une réduction pour la période de détention présentencielle.
[je souligne]
[20]        En conséquence, c'est au moment où le juge fixe la peine qu'il décide comment traiter du temps passé sous garde et, le cas échéant, de l'opportunité de majorer le crédit.  Comme le souligne la doctrine, la période de détention préalable à l'imposition de la peine est une composante de la peine globale qui a été déjà purgée.

[23]        Comme l'a fait remarquer ma collègue la juge St-Pierre, le texte de l'article 719(3.1) C.cr. est clair.  Il est inutile de recourir à une preuve extrinsèque pour cerner l'intention du législateur.  Celle-ci se dégage déjà de l'objet et du texte de la Loi.
[24]        Notre Cour, suivant ainsi R. v. Carvery, n’a attribué au législateur que trois intentions, conformes au sens littéral des termes employés :
[52]      Par la Loi, le législateur a voulu modifier la pratique du 2 pour 1, écarter l'automatisme, plafonner le crédit pour détention préalable au prononcé de la peine et assurer la transparence du processus d'imposition de la peine incluant tout crédit accordé pour la détention préalable au prononcé de la peine. 
[25]        De façon générale, les cours d'appel ont refusé de restreindre le sens des termes « si les circonstances le justifient » de l'article 719(3.1)C.cr., puisque le législateur n'a pas formulé de balises particulières à ce sujet.  Qui plus est, les cours d'appel ont précisé que ces circonstances n'ont pas à être exceptionnelles pour justifier une majoration même si la majoration nécessite dorénavant une preuve pour s'écarter du ratio de base de 1 : 1.
[26]        Poursuivant cette interprétation libérale des textes législatifs, notre Cour, à nouveau sous la plume de la juge St-Pierre, a adopté une approche stricte voire formaliste de l'exception contenue au paragraphe 719(3.1) en exigeant que l'on retrouve au dossier de la Cour une mention explicite voulant que le juge « ait ordonné la détention en se fondant principalement, et non accessoirement ou notamment, sur toute condamnation antérieure ».
[28]        Conformément à la jurisprudence des cours d’appel canadiennes et à la doctrine, la Cour d’appel du Québec énonce expressément dans R. c. Henrico que les circonstances pouvant justifier une majoration aux termes de l’article 719(3.1) C.cr. sont les mêmes que celles qui étaient retenues sous l’ancien régime :
[70]      Puisque la Loi n'a pas tout changé en matière de crédit pour la détention préalable au prononcé de la peine, la jurisprudence antérieure à sa mise en vigueur, qui n'entre pas en conflit avec les nouvelles balises qu'elle comporte, demeure pertinente et les principes qu'elle énonce applicables.
[…]
[73]      Depuis de très nombreuses années, les juges ont exercé leur discrétion et examiné diverses situations mettant en cause une détention préalable au prononcé de la peine. Cette expérience acquise, connue du législateur, demeure pertinente au moment d'évaluer "si les circonstances le justifient" alors que le législateur n'a pas cru bon de définir l'expression autrement ou d'en modifier la portée.
[je souligne]
[29]        La prise en compte des conditions de détention (approche qualitative) et l'impact de la détention préalable sur la libération conditionnelle de l'accusé (approche quantitative) ont toujours été les circonstances considérées. Tel que le révèle une analyse de la jurisprudence récente par la Cour d’appel du Manitoba, cela est toujours aussi vrai sous le nouvel article 719(3.1) C.cr. :
[43]      With respect to the jurisprudence on this point, loss of remission is a frequently cited factor, but not the most frequent. A review of the cases to date reveals that post-trial delay is the most frequently cited factor that justified enhanced credit. Where enhanced credit has been given for loss of remission, it is most often considered in conjunction with other qualitative facts, such as harsh remand conditions and their impact on the offender.
[je souligne]
[30]        À l'opposé, les circonstances suivantes ont souvent justifié de refuser la majoration du crédit :
Circumstances that justified less than 2:1 credit included where the offender (1) has little prospect of parole; (2) has repeatedly violated his bail conditions; (3) has committed the offence at issue while on bail or probation; (4) has not endured prison congestion; (5) has deliberately delayed the process in order to secure the benefit of credit for pre-sentence custody; (6) is unlikely to take advantage of rehabilitative programmes; or (7) the “dead time” concern is of minimis value.
[références omises]
[31]        Cet enseignement est toujours valable sous le nouvel article 719(3.1) C.cr. :
[45]      There are also a number of cases, which have identified circumstances where denying enhanced credit was justified. Such circumstances included delay caused by the offender and where an offender had a history of breaching court orders. In addition, where offenders have deliberately protracted their remand detention or otherwise endeavoured to manipulate the system, judges may well discount the credit ratio. […]
[je souligne]
[32]        Ainsi, les facteurs justifiant l’octroi d’une majoration ou son refus ont toujours été et demeurent liés à la période présentencielle, qu’ils se rapportent aux circonstances de la détention – que ce soit sa durée, sa rigueur ou ses effets sur la libération conditionnelle qui s’en suivra –, au déroulement de la liberté provisoire ou encore à la conduite de l’accusé durant cette période.
[33]        Bien que partie intégrante du processus de l'imposition de la peine, la décision relative au temps passé sous garde poursuit un autre objectif.  La décision de retrancher de la peine la période de détention préalable, majorée ou pas, est reliée à des facteurs autres que la gravité du crime et la responsabilité morale du criminel.  La décision sur cette question vise à prendre en compte des facteurs qui pour l'essentiel sont reliés aux circonstances de la détention et à l'impact de cette détention sur la libération conditionnelle de l'accusé.
[34]        Tenir compte uniquement du dossier judiciaire d'un individu pour refuser le crédit majoré constitue, en l'espèce, une erreur.  C'est le seul motif avancé par la juge de première instance pour justifier sa décision.  Ici, la juge fait double emploi d'un même facteur.  D'abord, le casier judiciaire important de l'appelant constitue un facteur aggravant que la juge utilise pour déterminer la peine juste et appropriée.  Par la suite, elle se rapporte à ce seul facteur pour refuser de majorer le crédit pour la détention préalable.  À mon avis, il s'agit d'une erreur de principe.
[35]        Je n'affirme pas pour autant que le casier judiciaire ne peut jamais avoir d'impact à cette étape du processus pénologique.  Voici pourquoi.  L'article 719(3.1) C.cr. commande de procéder en deux étapes.  À la première étape, le juge examine les circonstances qui justifient la majoration du crédit et non, comme pour la peine, un examen de toutes les circonstances aggravantes et atténuantes.  D'ailleurs, d'un point de vue conceptuel, le casier judiciaire d'un individu ne peut constituer, à cette première étape, un motif pour justifier la majoration.
[36]        S'il n'y a pas de circonstances qui peuvent justifier la majoration, le dossier est clos.  Par contre, s'il y en a, une deuxième étape s'impose.  À cette occasion, le juge pourra tenir compte de tous les facteurs susceptibles d’influencer ou de moduler les circonstances identifiées à la première étape.
[37]        À cette seconde étape, il se pourrait que le casier judiciaire d'un individu vienne carrément écarter une circonstance qui aurait justifié une majoration du crédit.  Si les circonstances de vie difficiles en détention préalable sont invoquées à la première étape, un passé carcéral chargé pourrait venir moduler l’appréciation que peut faire le juge de cette circonstance à la seconde étape.  De même, un lourd casier judiciaire peut diminuer l’effet négatif de la détention préalable sur l’admissibilité à la libération conditionnelle, circonstance qui aurait justifié la majoration à la première étape.
[38]        Bref, on peut dire que le casier judiciaire n'est pas pertinent pour répondre à l'article 719(3.1) C.cr. sauf pour nuancer, le cas échéant, les circonstances favorables à la majoration.
[45]        La conduite d'un prévenu pendant la période préalable à l'imposition de la peine est, certes, un facteur pertinent à prendre en compte par le juge à l'occasion de l'exercice de la discrétion judiciaire prévue à l'article 719(3.1) C.cr..
[46]        Or, s'il est exact que les conditions de détention se sont avérées en partie sévères, la conduite de l'appelant, pendant cette période de détention, annihile tout crédit qu’il aurait pu, par ailleurs, espérer obtenir.
[47]        Que fait l'appelant pendant cette période de détention?  Il obtient une quantité suffisante de stupéfiants en vue d'en faire le trafic alors qu'il est en attente de procès pour des infractions similaires.  Pareilles circonstances ne militent pas en faveur d'un crédit majoré.  Bref, tenant compte de l'ensemble des circonstances, il n'y avait pas lieu à une majoration du crédit.

jeudi 12 décembre 2013

Opinion minoritaire du juge Chamberland quant à certains enseignements relatifs à l'infraction de vol d'une chose quelconque

Cormier c. R., 2013 QCCA 2068 (CanLII)


[49]        Dans R. c. Stewart, la Cour suprême se pose la question de savoir s'il y a vol lorsque quelqu'un se procure sans autorisation des renseignements confidentiels en copiant le document où ces renseignements sont consignés ou en en mémorisant le contenu. Le juge Lamer (il n'était pas alors juge en chef) écrit les motifs d'une Cour unanime. Il répond à la question posée par la négative, expliquant que, pour des raisons de politique judiciaire, il valait mieux exclure entièrement les renseignements confidentiels du domaine du vol, ce qui inclut les secrets industriels (qui constituent un genre particulier de renseignements confidentiels).
[50]        En conclusion de son raisonnement sur le vol, le juge Lamer écrit:
      Résumons de façon schématique : « une chose quelconque » n'est pas limitée aux choses tangibles, mais inclut les choses intangibles. Toutefois, pour pouvoir être volé, la « chose quelconque » doit être :
1.   un bien de quelque sorte;
2.   un bien qui puisse être
      a)   pris ‑ donc les choses intangibles sont exclues; ou
      b)   détourné ‑ donc éventuellement une chose intangible;
      c)   pris ou détourné d'une manière qui prive de quelque façon le titulaire de son droit sur un bien.

      Pour des raisons de politique judiciaire, les tribunaux ne devraient pas, dans les affaires de vol, considérer les renseignements confidentiels comme des biens. De toute façon, même si on les considère comme des biens, ils ne peuvent être pris puisque seuls des objets tangibles peuvent l'être. Ils ne peuvent être détournés, non pas parce qu'ils sont intangibles, mais parce que le propriétaire n'en serait jamais privé, sauf dans des circonstances très exceptionnelles et fantaisistes.
[51]        La première condition prévoit que la « chose quelconque » doit être un bien, c'est-à-dire qu'elle doit pouvoir faire l'objet d'un droit de propriété. En effet, elle ne pourra être volée que si elle appartient, d'une manière ou d'une autre, à la victime. Par ailleurs, il n'est pas suffisant que l'accusé démontre un droit quelconque sur le bien pour se disculper puisqu'une personne « ayant un droit dans la chose prise, vole ce bien si elle l'enlève à une autre personne ayant aussi un droit ou un intérêt spécial dans cette chose ».
[52]        Selon moi, il serait erroné de retenir l'argument de l'appelant voulant qu'il ne puisse être coupable de vol parce qu'il serait propriétaire des données en vertu d'un quelconque droit d'auteur. D'abord, il est clair que dans le contexte d'un procès criminel, la question de savoir si une chose peut faire l'objet d'un droit de propriété doit être tranchée ultimement en fonction du droit criminel et non du droit civil. Il n'est donc ni nécessaire ni utile de recourir à la Loi sur le droit d'auteur pour trancher la question. Il me semble clair ici que le Centre détient un intérêt propriétaire quelconque dans les données informatiques relatives au Fil d'Ariane et le fait que l'appelant y ait contribué – même beaucoup – en sa qualité d'employé, puis de consultant, n'y change rien. Ensuite, même s'il fallait recourir au droit civil pour déterminer le droit de propriété sur les données informatiques, il me semble, à première vue, que l'appelant ne satisfait pas tous les critères de la Loi sur le droit d'auteur pour en être considéré le seul propriétaire. L'article 13(3) de la loi prévoit que, contrairement à la règle générale voulant que l'auteur d'une œuvre en soit le premier titulaire, c'est l'employeur qui est le premier titulaire des droits d'auteur sur l'œuvre exécutée par un employé dans le cadre de son emploi, sauf convention contraire, ce qui n'est pas le cas ici. Il n'est pas clair non plus que le fait que l'appelant était devenu consultant au moment des événements change quoi que ce soit à cette réalité. En effet, si la seule chose qui a changé lorsqu'il est devenu consultant est la façon dont il était payé pour ses services, il est loin d'être certain qu'il satisfasse aux critères de contrôle, de l'intégration du travail à l'entreprise ou encore aux divers tests développés en cette matière par la jurisprudence en droit du travail ou en fiscalité. Finalement, personne ne conteste le fait que leFil d'Ariane – du moins au stade du développement où la démarche en était rendue à l'automne 2005 – était le fruit d'un travail d'équipe, et non le fruit du seul travail de l'appelant.
[53]        La seconde condition pour qu'il y ait un vol, c'est que le bien soit « pris » ou « détourné » dans l'intention d'en priver la victime, ici la Commission scolaire. Les choses intangibles, comme des données informatiques, ne peuvent qu'être « détournées », elles ne peuvent être « prises » puisqu'elles n'ont pas d'existence matérielle. Or, sans prise ou sans détournement qui puisse entraîner une privation pour la victime, il ne peut y avoir de vol.
[54]        Comme le souligne le juge Lamer dans l'arrêt Stewart, en ce qui a trait aux renseignements confidentiels, le propriétaire ne peut en être privé « sauf dans des circonstances très exceptionnelles et fantaisistes ». En l'espèce, la Commission scolaire a toujours conservé ses dossiers informatiques et n'en a jamais été privée. Il ne peut donc pas y avoir eu vol.
[55]        Avec égards pour la juge de première instance, il me semble qu'elle se trompe en appuyant son raisonnement sur l'arrêt R. c. Desroches. Dans cette affaire, au moment de quitter son travail, l'accusé s'était emparé physiquement de plusieurs documents préparés par ses collègues, et dont il n'y avait aucune autre copie dans l'entreprise. La Cour a donc tenu compte de la valeur ajoutée du travail à la matière première, soit les feuilles de papier, pour conclure que l'appelant avait volé plus que du papier, la victime se trouvant ainsi privée d'une chose et de l'utilité qu'elle était en droit d'en tirer. Au contraire, dans Stewart, l'accusé s'était contenté de copier les renseignements confidentiels, plutôt que de s'emparer des documents sur lesquels ces renseignements étaient consignés. Il n'y avait pas de prise ou de détournement et aucune privation possible, et donc pas de vol.
[56]        Cela correspond bien au paradoxe soulevé par les auteurs Gagné et Rainville, bien qu'il fût question, dans cet ouvrage, d'information confidentielle :
Le droit actuel se caractérise par son peu de cohérence. L'individu qui mémorise un document confidentiel échappe à l'emprise du droit criminel. Celui qui s'empare du document et de l'information confidentielle doit répondre au contraire de ses actions au plan pénal. C'est bel et bien l'information confidentielle qui est alors pénalement protégée : le montant du vol ne se limite pas à la valeur du papier dérobé, mais bien à la valeur de l'information elle-même selon l'arrêt Desroches.
[Renvois omis.]
[57]        Le fait que ces données informatiques ont une valeur commerciale pour le Centre, ce que la juge de première instance souligne dans son jugement (au paragraphe 315), ne change rien au raisonnement par rapport à la nécessité pour le ministère public de prouver tous les éléments essentiels du vol. Le Centre a toujours accès aux données informatiques. Il ne pouvait en être privé et il n'y a pas eu de vol commis.
[58]        Le commentaire de la juge de première instance ne justifie pas la condamnation de l'appelant pour vol, mais il rejoint un souhait exprimé par le juge Lamer dans l'affaire Stewart :
Quant à moi, je crois qu'étant donné les progrès technologiques récents, les renseignements confidentiels, et en fait toute information ayant une valeur commerciale, ont besoin d'une certaine protection en vertu de notre droit criminel. Quoi qu'il en soit, j'estime qu'il appartient au législateur plutôt qu'aux tribunaux de déterminer dans quelle mesure cela doit se faire et de quelle manière.
[59]        Le législateur a agi depuis, certains crimes ont été ajoutés pour prendre en compte les progrès technologiques des dernières décennies, mais, en l'espèce, l'accusation de vol a été portée en vertu de l'article 322 C.cr.

La revue des éléments essentiels de l'infraction de fraude par la Cour d'appel

Cormier c. R., 2013 QCCA 2068 (CanLII)


[63]        Le droit de la fraude est complexe. Il suffit pour s'en convaincre de lire le long chapitre que l'auteur Jean-Claude Hébert y consacre dans son ouvrage Droit pénal des affaires. Il s'agit, pour citer la juge McLachlin (elle n'était pas encore juge en chef) dans l'arrêt Théroux, d'« une infraction de portée générale susceptible d'englober une large gamme d'activités commerciales malhonnêtes ». Je n'ai pas l'intention d'en dire trop, juste assez pour expliquer pourquoi j'estime, avec égards pour l'opinion contraire, que c'est à tort que la juge de première instance a conclu à la culpabilité de l'appelant à l'égard de ce chef d'accusation.
[64]        Je dirai tout d'abord quelques mots des éléments essentiels de l'infraction.
[65]        Les arrêts de principe sur le sujet sont bien sûr les arrêts Théroux et Zlatic rendus, de façon concomitante, par la Cour suprême en 1993. Dans le premier de ces deux arrêts, la juge McLachlin explique que l'élément matériel (l'actus reus) de la fraude comporte deux éléments : 1) un acte prohibé, qu'il s'agisse d'une supercherie, d'un mensonge ou d'un autre moyen dolosif, et 2) une privation causée par cet acte prohibé, laquelle peut consister en une perte véritable pour la victime ou la mise en péril de ses intérêts pécuniaires. Il n'est pas nécessaire que la personne qui commet la fraude en tire profit pour qu'elle soit déclarée coupable ni que la victime en subisse une perte pécuniaire réelle.
[66]        L'actus reus de la fraude est donc une privation malhonnête.
[67]        Les mots « autre moyen dolosif » « couvrent les moyens qui ne sont ni des mensonges ni des supercheries; ils comprennent tous les autres moyens qu'on peut proprement qualifier de malhonnêtes », pour reprendre les propos du juge Dickson (il n'était pas alors juge en chef) dans l'arrêt Olan. Dans Zlatic, la juge McLachlin affirme que « La question fondamentale qu'il faut se poser en déterminant l'actus reus de la fraude au sens du troisième volet de l'infraction de fraude est de savoir si le moyen adopté pour commettre la prétendue fraude peut à juste titre être qualifié de malhonnête : Olan, précité. Pour déterminer cela, on applique la norme de la personne raisonnable. ». Il s'agit donc d'évaluer la conduite de l'accusé par rapport à une perception objective de ce qui constitue une conduite malhonnête au sens criminel du terme.
[68]        Quant à l'élément intentionnel (la mens rea) de la fraude, il est composé à la fois de la connaissance subjective par l'accusé que l'acte était prohibé et que cet acte pouvait causer une privation à autrui, sans qu'il ne soit nécessaire que l'accusé saisisse subjectivement la malhonnêteté de son acte. Comme le souligne l'auteur Hébert : « Le concept de mens rea reflète la conviction qu'une personne ne devrait pas être punie à moins de savoir qu'elle commet un acte interdit. ».

Les principes de base devant guider un tribunal saisi d'une requête en retrait de plaidoyer

R. c. Gosselin, 2010 QCCQ 8638 (CanLII)


[115]      Le juge Proulx dans Delisle rappelait les trois principes de base qui doivent guider un tribunal saisi d'une question comme celle-ci :
            « En premier lieu, il n'est pas inutile de rappeler le principe bien connu de la stabilité des jugements qui, tant en droit civil qu'en droit pénal, constitue une fin de non-recevoir, sauf circonstances exceptionnelles, à toute tentative d'une partie non satisfaite d'un jugement de vouloir obtenir une seconde chance en s'en prenant aux décisions ou aux conseils de son avocat en première instance.
En principe, la règle se retrouve dans plusieurs systèmes de droit qui reposent sur les mêmes valeurs fondamentales, « the State could not normally be held responsible for the actions or decisions of an accused's lawyer. It followed from the independence of the legal profession that the conduct of the defence was essentially a matter between the defendant and his representatives» (La Cour Européenne des Droits de l'Homme dans Stanford v. U.K., the Times Law Reports, 8 mars 1994, cité dans Shiels, «Current Topic Blaming the Lawyer», supra, p. 744).
En deuxième lieu, la moindre faute, la moindre maladresse, la plus petite erreur de jugement ou de stratégie ne saurait, en principe, permettre de faire réviser, ex post facto, la décision de l'avocat au bénéfice de la partie qui a échoué.
En troisième lieu, et je rejoins ici les considérations énumérées antérieurement, l'avocat dont la conduite est en cause doit avoir eu l'opportunité de s'expliquer. Une détermination judicieuse de la conduite d'un avocat requiert en effet de la cour d'appel de procéder avec déférence à un examen objectif et juste qui commande d'éviter le piège de l'«hindsight», de reconstituer le mieux possible les événements reliés à la conduite reprochée et enfin d'évaluer celle-ci dans la perspective de celui dont la conduite est en cause»
[116]      La jurisprudence est abondante sur les caractéristiques que doit revêtir un plaidoyer de culpabilité :
«[28]   La Cour suprême, dans l'arrêt R. c. Taillefer, sous la plume du juge LeBel, insiste sur le caractère libre et éclairé du plaidoyer de culpabilité :
[…] Notre Cour n'a cependant pas estimé approprié de définir de façon exhaustive les motifs capables de justifier le retrait d'un plaidoyer de culpabilité. Toutefois, dans l'arrêt R. c. T. (R.) 1992 CanLII 2834 (ON CA), (1992), 10 O.R. (3d) 514, le juge Doherty de la Cour d'appel de l'Ontario a rappelé les conditions de validité d'un plaidoyer de culpabilité dans les termes suivants, en soulignant qu'il doit être libre, non équivoque et fondé sur une information adéquate quant à la nature des accusations portées contre le prévenu et aux conséquences du plaidoyer de culpabilité pour celui-ci à (à la p. 519):
To constitute a valid guilty plea, the plea must be voluntary and unequivocal. The plea must also be informed, that is the accused must be aware of the nature of the allegations made against him, the effect of his plea, and the consequence of his plea. »
[117]      Il est également bien établi que le fardeau de la preuve appartient à l'accusé :
«[54]   La jurisprudence enseigne également que le fardeau de la démonstration qu'un aveu de culpabilité a été illégalement donné et devrait être retiré appartient à l'accusé et il sera plus lourd s'il était, comme en l'espèce, représenté par avocat.7
[55]      Également, l'allusion à une défense possible soulevée par l'accusé peut être un élément pertinent dans le cadre de l'examen de pressions invoquées lorsqu'il s'agit de déterminer si la volonté de plaider coupable était vraiment libre. »
[118]      Il appartient donc au Tribunal, à l'examen de l'ensemble du dossier et des circonstances pertinentes, de déterminer si le plaidoyer de culpabilité était non-équivoque, volontaire et surtout informé.

Le droit à un avocat compétent est lié aux droits de l'accusé à une défense pleine et entière et à un procès juste et équitable

R. c. Delisle, 1999 CanLII 13578 (QC CA)


Comme je l'ai souligné plus haut, le droit à un avocat compétent est lié aux droits de l'accusé à une défense pleine et entière et à un procès juste et équitable.  Il ne suffit donc pas d'établir simplement l'incompétence de l'avocat.  Il faut en plus démontrer que celle-ci a dans la réalité brimé l'accusé dans ses droits.  L'aspect causal de l'incompétence constitue donc l'élément fondamental de l'analyse.


En appel, puisque le rôle de la Cour consiste à s'assurer que l'appelant a subi un procès juste et équitable, toute allégation d'incompétence de l'avocat, même amplement démontrée, ne justifie une intervention que dans la mesure où l'appelant établit un lien entre cette incompétence et un déni de justice (art. 686(1)b)iii) C.cr.).  En d'autres termes, en raison de la conduite blâmable de l'avocat, l'accusé doit avoir été privé de son droit à une défense pleine et entière ou à un procès juste et équitable.  Cette proposition a été constamment évoquée par cette Cour et ne fait pas l'objet de controverse en jurisprudence canadienne.

Par voie de conséquence, il est logique pour la cour d'analyser d'abord le préjudice ou l'effet de la conduite de l'avocat sur l'équité du procès.  Si la Cour arrive à la conclusion que ce préjudice est inexistant, toute discussion subséquente est superflue et inutile.   Pourquoi alors discuter des motifs pour lesquels l'avocat de la défense n'a pas contre-interrogé la plaignante au sujet de ses antécédents judiciaires si, à la lumière de l'ensemble de la preuve et des plaidoiries, il s'avère qu'aucun préjudice n'a pu résulter de cette omission: R. v. Sauvé 1997 CanLII 12544 (BC CA), (1997), 121 C.C.C. (3d) 225 (C.A. C.-B.)?


L'arrêt R. v. Joanisse, supra, rendu par la Cour d'appel d'Ontario, constitue un exemple de l'inconvénient (cela dit avec tous les égards pour l'opinion contraire), de blâmer la conduite de l'avocat pour ensuite conclure que même si celui-ci avait agi autrement, le même verdict de culpabilité aurait été rendu.  Dans cette affaire, l'appelant, qui avait décidé, à la dernière minute, de ne pas témoigner à son procès pour le meurtre de sa conjointe, reprochait à son avocat de ne pas avoir pris tous les moyens raisonnables pour le convaincre néanmoins de témoigner.  En se fondant sur une nouvelle preuve constituée d'affidavits produits de part et d'autre, le juge Doherty a reproché à l'avocat de ne pas avoir pris tous les moyens pour s'assurer que son client comprenait bien les conséquences de sa décision, mais a néanmoins conclu que l'appelant n'avait pas démontré que dans les circonstances le verdict eût pu être différent.  Contrairement à leur collègue, les juges Robins et Austin, sous la plume du juge Austin, ont exprimé leur approbation de la conduite de l'avocat, avec le résultat que le pourvoi fut rejeté unanimement.


Comme l'ont souligné les juges majoritaires, une cour d'appel qui doit trancher une allégation d'incompétence sur la base d'une preuve constituée d'affidavits de personnes qui présentent des versions contradictoires, n'est sûrement pas des mieux placées («is ill-equipped») pour évaluer cette question avec justesse.  J'ajouterais que l'avocat n'étant pas partie au litige, il n'obtient pas le droit d'être confronté par le tribunal aux aspects qui font problème.  Il ne lui est pas donné, non plus, l'occasion de réfuter ou d'expliquer, soit viva voce ou par d'autres témoins, ce qui pourrait militer en sa faveur.

Dans ce contexte, il me paraît donc plus prudent pour une cour d'appel qui n'est pas en mesure de rejeter d'entrée de jeu une allégation d'incompétence manifestement mal fondée, de ne pas s'engager d'abord à un examen de la question de compétence, lorsque par ailleurs elle est convaincue que de toute façon aucun préjudice n'en a résulté.  En effet, la seule véritable question demeure celle de savoir si l'appelant a subi un préjudice irréparable.


(...)


C'est sans hésitation que je me range à cette école de pensée puisque notre Cour, dès 1982, dans Marinello c. La Reine, C.A. Montréal no 500-10-000181-808, 25 novembre 1982 (les juges Lajoie, Bélanger et Jacques), et en 1984, dans Toussaint c. R., 40 C.R. (3d) 230, a adopté cette même approche.  Dans l'arrêt Toussaint, le juge Vallerand approuvait la proposition énoncée dans l'arrêtMarinello (erronément cité comme Minichello dans l'arrêt Toussaint) à savoir que:

Le rôle de la Cour d'appel est principalement de veiller à ce que tout accusé soit jugé selon la loi et que son procès soit mené de façon juste et équitable.

Si l'on démontre à la Cour, ou si la Cour elle-même constate que la conduite tant du procureur de la Couronne que celle du procureur de l'accusé a causé à ce dernier un tort important ou constitue une erreur judiciaire grave, la Cour se doit d'intervenir.
(mes soulignements)

Je désire enfin souligner que dans l'arrêt Brigham, supra, aucun des membres de la formation n'a jugé opportun de préciser la norme applicable, tellement était flagrante l'incompétence reprochée à l'avocat.


Concluant donc sur ce troisième point, je crois que l'on peut affirmer que si les deux méthodes d'analyse se rejoignent ultimement en exigeant la démonstration d'un tort irréparable ou d'un préjudice qui a rendu le procès inéquitable, ils se distinguent par leur approche dans l'examen du degré d'incompétence et de la norme applicable.  En cherchant à nuancer le degré de compétence en fonction d'une norme, sans garder à l'esprit la portée pratique de cette évaluation, on se bute aux difficultés que j'ai exposées ci-haut.  C'est pourquoi, avec égards, je préfère la technique adoptée par la jurisprudence du Commonwealth de même que par notre Cour dans les arrêts Marinello etToussaint, supra.

Quelle que soit la démarche choisie, il y a toutefois lieu de préciser maintenant certains principes qui doivent guider les tribunaux dans la détermination de ces deux questions fondamentales.

En premier lieu, il n'est pas inutile de rappeler le principe bien connu de la stabilité des jugements qui, tant en droit civil qu'en droit pénal, constitue une fin de non-recevoir, sauf circonstances exceptionnelles, à toute tentative d'une partie non satisfaite d'un jugement de vouloir obtenir une seconde chance en s'en prenant aux décisions ou aux conseils de son avocat en première instance.


En principe, la règle se retrouve dans plusieurs systèmes de droit qui reposent sur les mêmes valeurs fondamentales, «the State could not normally be held responsible for the actions or decisions of an accused's lawyer.  It followed from the independence of the legal profession that the conduct of the defence was essentially a matter between the defendant and his representatives» (La Cour Européenne des Droits de l'Homme dans Stanford v. U.K., the Times Law Reports, 8 mars 1994, cité dans Shiels, «Current Topic Blaming the Lawyer», supra, p. 744).

En deuxième lieu, la moindre faute, la moindre maladresse, la plus petite erreur de jugement ou de stratégie ne saurait, en principe, permettre de faire réviser, ex post facto, la décision de l'avocat au bénéfice de la partie qui a échoué.


En troisième lieu, et je rejoins ici les considérations énumérées antérieurement, l'avocat dont la conduite est en cause doit avoir eu l'opportunité de s'expliquer.  Une détermination judicieuse de la conduite d'un avocat requiert en effet de la cour d'appel de procéder avec déférence à un examen objectif et juste qui commande d'éviter le piège de l'«hindsight», de reconstituer le mieux possible les événements reliés à la conduite reprochée et enfin d'évaluer celle-ci dans la perspective de celui dont la conduite est en cause.

mercredi 11 décembre 2013

La défense d'erreur de fait

R. c. Bulmer, 1987 CanLII 56 (CSC)


9.               La défense d'erreur de fait existe depuis longtemps en droit et Blackstone l'a mentionnée comme un principe établi dans ses Commentaries on the Laws of England, dans la dernière partie du dix‑huitième siècle. À la page 25 du vol. 4 des Commentaries (Beacon Press, Boston, 1962), le paragraphe suivant se trouve sous la note marginale "Ignorance ou erreur":

                  [TRADUCTION]  Cinquièmement; l'ignorance ou l'erreur est un autre défaut de la volonté; lorsqu'un homme qui a l'intention d'accomplir un acte légal accompli un acte illégal. Car dans ce cas‑là l'acte et la volonté agissent de manière distincte, il n'existe pas de conjonction entre les deux, ce qui est nécessaire pour constituer un acte criminel. Toutefois, cela doit être une ignorance ou une erreur de fait et non une erreur sur un point de droit. Si un homme qui a l'intention de tuer un voleur ou un cambrioleur dans sa propre maison, "dans des circonstances qui justifieraient cet acte" tue par erreur un membre de sa propre famille, il ne s'agit pas d'un acte criminel; toutefois si un homme croit qu'il a le droit de tuer une personne excommuniée ou hors‑la‑loi, où qu'il la rencontre, et le fait, il s'agit d'un meurtre prémédité. Toutefois, une erreur sur un point de droit, que toute personne censée non seulement peut mais doit connaître et est présumée connaître, ne constitue pas une défense dans une affaire criminelle. De même Ignorantia juris, quod quisque tenetur scire, neminem excusat, constitue la maxime de notre propre droit, comme elle était celle du droit romain.

La défense a été décrite de diverse façon et peut être commodément énoncée dans les termes suivants. Si un accusé croit sincèrement à l'existence d'un ensemble de circonstances qui, s'il existait au moment de la perpétration d'un acte par ailleurs criminel, aurait justifié son acte et lui aurait ôté son caractère criminel, il a le droit d'être acquitté. Le droit sur cette question, pour ce qui est du Canada, a été énoncé de manière précise dans l'arrêt Pappajohn c. La Reine1980 CanLII 13 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 120. Le juge Dickson (maintenant juge en chef), dont les motifs sur ce point ont reçu l'accord de la majorité de la Cour, a conclu que la défense existait au Canada, qu'il fallait examiner la question de savoir si l'accusé avait la mens rea nécessaire pour la perpétration du crime visé et qu'il n'était pas nécessaire que la croyance erronée sur laquelle la défense est fondée soit raisonnable si elle est sincère. Le juge Wilson a exploré le sujet plus à fond dans ses motifs de jugement dans l'affaire R. c. Robertson,1987 CanLII 61 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 918 (rendue concurremment), et je suis d'accord avec ses observations. Notre tâche est donc d'examiner si, dans les circonstances de l'espèce, la défense aurait dû être présentée au jury et, lorsqu'elle l'a été, est‑ce que cela a été fait correctement?

13.              Lorsque la défense d'erreur de fait, ou d'ailleurs tout autre moyen de défense, est soulevée, deux étapes distinctes doivent être franchies. La première étape exige que le juge du procès décide si le moyen de défense devrait être soumis au jury. C'est à l'égard de cette question, comme je l'ai déjà dit, que le critère de l'"apparence de vraisemblance" s'applique. Il n'a rien à voir avec le jury et ne constitue pas un facteur qu'il doit examiner. Si l'on décide de soumettre le moyen de défense au jury, la seconde étape exige que le juge du procès explique le droit au jury, passe en revue les éléments de preuve pertinents et laisse au jury le soin de trancher la question de la culpabilité ou de l'innocence. Le jury doit examiner tous les éléments de preuve et, avant de pouvoir rendre un verdict de culpabilité, il doit être convaincu hors de tout doute raisonnable dans le cas d'une accusation de viol qu'il n'y a eu aucun consentement. Lorsqu'il conclut qu'il y avait consentement ou croyance sincère au consentement ou s'il a un doute sur l'un ou l'autre point, il doit rendre un verdict d'acquittement. On devrait également lui dire qu'il n'est pas nécessaire que la croyance, si elle est sincère, soit fondée sur des motifs raisonnables. Avant d'aller plus loin, il convient de souligner que, depuis l'arrêt Pappajohn, le Code criminel a été modifié par l'adjonction du par. 244(4) qui prévoit:

                  (4) Lorsque l'accusé allègue qu'il croyait que le plaignant a consenti aux actes sur lesquels l'accusation est fondée, le juge doit, s'il est convaincu qu'il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demander à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l'ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l'accusé, la présence ou l'absence de motifs raisonnables pour celle‑ci.

Cet article, à mon avis, ne modifie pas le droit appliqué dans l'arrêt Pappajohn. Il n'exige pas que la croyance erronée soit raisonnable ou jugée raisonnable. Il établit simplement de manière précise que, dans l'examen de la question de la sincérité de la croyance, la présence ou l'absence de motifs raisonnables à l'appui de cette croyance sont des facteurs pertinents que le jury doit prendre en considération. Je suis d'avis que cette position avait été annoncée dans l'arrêt Pappajohn par le juge Dickson aux pp. 155 et 156, lorsqu'il a dit:


                  Ni le système du jury ni l'intégrité de la justice criminelle ne sont bien servis par la perpétration de fictions. Le débat actuel dans les tribunaux et les journaux spécialisés sur la question de savoir si l'erreur doit être fondée, est important sur le plan conceptuel pour l'évolution harmonieuse du droit criminel, mais, à mon avis, c'est sans importance pratique, parce qu'il est peu probable que le jury croie l'accusé qui déclare être dans l'erreur à moins que celle‑ci ne soit, aux yeux du jury, fondée sur des motifs raisonnables. Le jury devra examiner le caractère raisonnable de tous les motifs qui appuient le moyen de défense d'erreur ou que l'on affirme tel. Bien que des "motifs raisonnables" ne constituent pas une condition préalable au moyen de défense de croyance sincère au consentement, ils déterminent le poids qui doit lui être accordé. Le caractère raisonnable ou non de la croyance de l'accusé n'est qu'un élément qui appuie ou non l'opinion que la croyance existait en réalité et que, par conséquent, l'intention était absente.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...