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mardi 5 août 2014

Si on a conclu à l'existence d'un complot qui ne met en cause que deux personnes, on ne saurait s'interroger par la suite sur le caractère probable de leur participation à ce complot

R. c. Giguère, 2002 CanLII 21050 (QC CA)

Lien vers la décision

[45]           En lisant le jugement de première instance, particulièrement la conclusion du premier juge quant à l'existence des complots reproduite au paragraphe [30], on constate qu'il les traite ensemble et leur applique la procédure recommandée par la Cour suprême dans l'arrêt Carter sans jamais se demander si cette procédure est applicable dans le cas du complot du 5 juin.  Vraisemblablement, cette méprise vient du fait qu'il inclut dans ces complots l'agent provocateur Gaétan Gingras.  Pourtant, il est bien connu en droit qu'un agent provocateur qui tend un piège ne peut être partie à un complot : faute d'intention, la conspiration est impossible (Rex c. Kotyszyn, [1949] 8 C.R. 246 (C.A.), juge Bissonnette; R. c. O'Brien1954 CanLII 42 (SCC), [1954] R.C.S. 666, à la p. 668, dans lequel la Cour suprême – juge Taschereau au nom de la majorité – approuve l'arrêt de notre cour dans Kotyszyn; dissident, le juge Fauteux prend soin, toutefois, de faire une distinction d'avec cet arrêt).  Je note, d'ailleurs, que la poursuivante a pris soin de ne pas inclure le nom de Gaétan Gingras dans aucun des chefs de complot.

[46]           En ce qui concerne l'événement du 5 juin 1996, il s'agit donc de déterminer s'il y a complot entre l'appelant et Sarrazin seulement.  Étant donné que la question consiste à déterminer si seulement deux personnes ont comploté, la procédure en trois étapes recommandée par l'arrêtCarter, précité, n'est pas applicable.  En effet, il est d'une logique implacable d'affirmer que si on a conclu à l'existence d'un complot qui ne met en cause que deux personnes, on ne saurait s'interroger par la suite sur le caractère probable de leur participation à ce complot.  Ainsi que l'explique le juge Tyndale dans l'arrêt Comeau c. R.1991 CanLII 3541 (QC CA), [1992] R.J.Q. 339, à la p. 348 (C.A.) :
In my view, the Carter approach does not apply to a conspiracy involving only two people, because in such a case, step one answers all the questions, and steps two and three become irrelevant.  There cannot be a conspiracy on one person; two is the minimum; so if at step one the jury [or the judge] is satisfied beyond reasonable doubt that the alleged conspiracy in fact existed, they must have found that the accused was a member, because he was one of the two members necessary to create the conspiracy.  In other words, if the only possible conspiracy was between the accused and X, the only conspiracy the jury [or the judge] could find involved the accused as a member. 

[47]           Il reste cependant que, dans une situation comme en l'espèce où la culpabilité de l'appelant quant à l'événement du 5 juin doit être démontrée dès la première étape de la procédure de l'arrêt Carter, le juge «must be satisfied beyond a reasonable doubt that the alledged conspiracy, necessarily involving the accused as a member, in fact existed, by means of regularly admitted evidence excluding hearsy » (idem).

[52]           Un acquittement sur ce premier chef n'emporte pas nécessairement la même conclusion pour le deuxième chef visant le trafic : une partie peut être partie au trafic sans avoir comploté.

[53]           En l'espèce, je vois difficilement, toutefois, comment les faits peuvent être plus concluants pour la complicité que pour le complot.  La présence de l'appelant au volant de son véhicule non loin du lieu du trafic soulève certes des soupçons : on peut croire qu'il savait que Sarrazin était un trafiquant.  Mais, à mon avis, cela ne suffit pas à établir sa complicité.

Les règles de preuve particulières au complot

R. c. Bolduc, 1999 CanLII 13316 (QC CA)

Lien vers la décision

Le grief relatif à l'utilisation d'une preuve constituée d'admissions obtenues des coaccusés pendant l'absence de l'appelant se révèle beaucoup plus sérieux.  Le procès portant sur une accusation de complot, les règles de preuve particulières à ce crime s'appliquaient.  La Couronne devait établir, en premier lieu, hors d'un doute raisonnable, l'existence du complot.  Ensuite, le premier juge devait, sur la base de la preuve directement admissible contre le prévenu, décider, suivant les probabilités, s'il était membre du complot.  S'il concluait en ce sens, le juge examinerait alors si la preuve établissait hors d'un doute raisonnable la participation de l'accusé au complot.  Pour ce faire, il avait droit d'utiliser tous les actes manifestes et déclarations des conspirateurs en exécution de l'objet du complot, comme preuve contre le prévenu, sur la question même de la culpabilité (Carter c. R., 1982 CanLII 35 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 938; R. c. Barrow1987 CanLII 11 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 694, p. 740, le juge McIntyre; Comeau c. R., 1991 CanLII 3541 (QC CA), [1992] R.J.Q. 339, p. 348, opinion du juge Tyndale, confirmé par R. c. Comeau1992 CanLII 47 (CSC), [1992] 3 R.C.S. 473).

Le complot de 2 conspirateurs

R. c. Huneault, 1997 CanLII 10009 (QC CA)


Est bien connue la directive consacrée dans l'arrêt R. v. Carter, [1982] R.C.S. 938 et reprise dans l'arrêt R. v. Barrow1987 CanLII 11 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 694, laquelle doit comporter trois éléments:

1.le jury doit être convaincu hors de toute doute raisonnable de l'existence du complot;

2.si convaincu, alors le jury doit examiner la preuve et décider si, d'après la preuve admissible contre lui, il est probable que l'accusé ait participé au complot;

3.si tel est le cas, alors la preuve de ouï-dire peut être recevable.

              Cette directive pose problème si la preuve ne met en cause que deux possibles participants au complot.  C'est ce qu'a souligné, dans une opinion majoritaire, le juge Tyndale, dans l'arrêt Comeau c. R.1991 CanLII 3541 (QC CA), [1992] R.J.Q. 339, en soulignant que dans le cas d'un complot qui ne vise que deux conspirateurs, la preuve de l'existence du complot (élément no 1 de la directive) établit du même coup la participation alléguée des deux conspirateurs, avec la conséquence qu'il n'est pas très logique d'inviter par la suite le jury, en accord avec l'élément no 2, à décider s'il est probable que l'accusé ait participé au complot, ce qui a été déterminé à la première étape.  Dans ces circonstances, il serait donc préférable d'éliminer l'élément no 2 du modèle Carter.

              En l'espèce, l'acte d'accusation reprochait à l'appelant un complot entre deux personnes, soit lui-même et Jean-Guy Tremblay.

              Dans ses directives, le premier juge s'est conformé au modèle de l'arrêt Carter, supra, mais sans apporter la réserve exprimée dans l'arrêt Comeau, supra.

                            Je ne peux souscrire à cette prétention.  Jamais le ministère public n'a soutenu que le complot impliquait plus de deux personnes.  Ni les plaidoiries, ni les directives n'indiquent telle prétention.  La possibilité, hypothétique il faut bien le dire, qu'une tierce personne ait apporté son aide pour l'exécution de la victime et son enfouissement n'a jamais été rattachée au chef reprochant le complot.  J'estime que la poursuite est mal venue d'invoquer pareille hypothèse en appel pour justifier les propos du juge du procès. À ce stade, cette proposition factuelle n'est que pure conjecture.

              Cela dit, retenant que l'accusation reprochait un complot entre deux personnes et que dans les circonstances il eût été approprié d'éliminer en quelque sorte la deuxième partie du modèle Carter dans les directives, je suis néanmoins d'avis que l'erreur n'est pas fatale et qu'un jury bien instruit en serait nécessairement arrivé à la même conclusion.  Contrairement à l'arrêt Comeau, supra, où l'existence du complot était en litige, en l'espèce la preuve à charge relative au meurtre et à l'existence du complot entre l'appelant et Tremblay pour assassiner Guido Sommer, bien que circonstancielle, était constituée d'une foule d'éléments qui, pris ensemble, ne suscitait aucune autre hypothèse raisonnable que celle qu'a retenue le jury. 

Le complot impliquant uniquement 2 conspirateurs

R. c. Comeau, 1991 CanLII 3541 (QC CA)


 The law with respect to admissibility as evidence, against a person accused of conspiracy, of the acts and declarations of alleged co-conspirators was expounded with authority by the Supreme Court of Canada in Carter (4). In Barrow (5), at page 740, McIntyre, J., who wrote for the Court in Carter, approved the following summary by the Nova Scotia Supreme Court, Appeal Division (6) of the rule as expressed in Carter:

 1. The trier of fact must first be satisfied beyond reasonable doubt that the alleged conspiracy in fact existed.

  2. If the alleged conspiracy is found to exist then the trier of fact must review all the evidence that is directly admissible against the accused and decide on a balance of probabilities whether or not he is a member of the conspiracy.

 (4) R. v. Carter, 1982 CanLII 35 (SCC), (1982) 1 SCR 938.

 (5) R. v. Barrow, 1987 CanLII 11 (SCC), (1987) 2 SCR 694.

 (6) 14 CCC (3rd) 470.

  3.  If the trier of fact concludes on a balance of probabilities that the accused is a member of the conspiracy then he or they must go on and decide whether the Crown has established such membership beyond reasonable doubt. In this last step only, the trier of fact can apply the hearsay exception and consider evidence of acts and declarations of co-conspirators  done in futherance of the object of the conspiracy as evidence against the accused on the issue of his guilt.

  In my vieu, the Carter approach does not apply to a conspiracy involving only two people, because in such a case, step one answers all the questions, and steps two and three become irrelevant. There cannot be a conspiracy of one person; two is the minimum; so if at step one the jury is satisfied beyond reasonable doubt that the alleged conspiracy in fact existed, they must have found that the accused was a member, because he was one of the two members necessary to create the conspiracy. In other words, if the only possible conspiracy was between the accused and X, the only conspiracy the jury could find involved the accused as a member. In a conspiracy of three or more people the jury, at step one, can indeed find a conspiracy without finding the accused a member, but they cannot do that in a conspiracy of only two of which the accused is one.

 P.V. McWilliams, in Canadian Criminal Evidence, Canada Law Book Limited, 2nd ed., 1984 at p. 606 says:

  Even though it is proved that there was a conspiracy it must still be proved that each accused was a member.  When it is alleged that there were only two parties to the conpiracy obviously the proof of the conspiracy itself requires proof that both were members thereof.  For a similar statement see the passage in Glanville Willlams, 218 quoting Cussen, J., in r. v. Orton et al. (1922) V.L.R. 469 at p. 474.

 I am aware that there are some comments by McIntyre, J. in Barrow at pages 742 to 743 that might at first seem to be against my opinion on this point of the two-man conspiracy. However, with great respect, it seems to me that they were obiter and not ad rem, because in Barrow the conspiracy alleged was between three named persons and others unknown. Moreover, McIntyre J. deals directly with the fallacy that, where the alleged conspiracy is between only two people, one cannot be found guilty and the other not guilty. The exact point of the applicability of the three-stage approach to a conspiracy limited to two people was not squarely raised, debated, or decided.

  If I am right, it follows that the trial judge's instructions were, with respect, wrong. In case of a conspiracy limited to two (in our case Ferro and Comeau), the jury must be satisfied beyond a reasonable doubt that  the  alleged  conspiracy, necessarily involving the accused as a member, in fact existed, by means of regularly admitted evidence excluding hearsay; any reference to the probable or prima facie (7) membership of the accused in the proven conspiracy and any reference to acts and declarations of his co-conspirator (singular) as evidence of his membership, are superfluous, confusing, and wrong.

  However, the Crovn's case against Appellant relies little or not at all on hearsay or the acts and declarations of Ferro in the furtherance of the common purpose; the few such acts and declarations as are in evidence (vis-à-vis the broker, Dion, the banks) did not implicate Comeau. Virtually the only evidence of the conspiracy was the testimony of Ferro, not hearsay; many overt acts to which Ferro testified were corroborated by Appellant, but his explanation of them differed. The only real issue before the jury was that of credibility, and since they found Appellant guilty of conspiracy, it is apparent that they believed Ferro and not Appellant. In our case, the judge's instructions with regard to the co-called hearsay exception for co-conspirators may have been less than perfect, but her explanation of all other aspects of conspiracy (definition, review of evidence, etc.) were irreproachable.

 (7) I do not disagree with the judge's use of the term prima facie instead of probable; the word probable is not sacred. The point is that the burden is not that of beyond reasonable doubt. In this particular context, I think prima facie is close enough. It is the expression used by Mr. Justice Martin of the Ontario Court of Appeal in R. v. Barrow and Wertman, (1976) 31 C.C.C. (2d) 525 at 545, so I am in good company.

  In R. v. Hobart et al, 1982 CanLII 1975 (ON CA), (1982) 65 CCC (2d) 518 (Ont. C.A.), Martin, J.A. said at pages 532 - 533:

 I am also of the view that except in cases where the case against the accused depends substantially on the incriminating effect of the acts and declarations of alleged co-conspirators it is unnecessary for the trial Judge to structure his charge by inviting the jury to approach the case in two stages. Rose v. The King, supra, affords an illustration of the kind of case where such an approach might be appropriate. In the ordinary case, However, where the case against the accused does not depend substantially on the incriminating nature of the acts and declarations of alleged co-conspirators it is sufficient if the Judge at some appropriate place in the charge instructs the jury that before using the acts they must first find from the evidence directly admissible against an accused that he was involved in the conspiracy and refers the jury to the principal evidence upon which they might make that finding, as suggested in R. v. Baron and Wertman, supra.

 However, even if the instruction by the trial Judge in this case as to the standard of proof required of an accused's participation in furtherance of the conspiracy could be used against him, constituted misdirection (which I find unnecessary to decide) I am satisfied that on the facts of this case it did not result in a miscarriage of justice.  The trial Judge's instruction made it crystal clear that unless the jury were satisfied on all the evidence beyond a reasonable doubt of the guilt of an accused, they were required to acquit him.

 I respectfully adopt those remarks and would apply the same reasoning in this case, and this whether Carter applies or not.

Le rôle spécifique dans le complot n'a pas à être déterminé, car la jurisprudence ne requiert pas une telle preuve. De surcroît, l'accord peut être tacite et la preuve de l'entente peut être circonstancielle

Morin c. R., 2009 QCCA 1131 (CanLII)

Lien vers la décision

[61]           S'il est vrai que le rôle spécifique de l'appelant dans ce complot n'était pas déterminé, la jurisprudence ne requiert pas une telle preuve :R. c. O'Brien1954 CanLII 42 (SCC), [1954] R.C.S. 666. De surcroît, l'accord peut être tacite et la preuve de l'entente peut être circonstancielle :Regina c. Moore reflex, (1985), 15 C.C.C. (3d) 541, 552 (C.A. Ont.). En l'espèce, tenant compte de la culture de l'organisation et de la pratique voulant qu'il y ait riposte lors d'un meurtre commis dans le cadre de la guerre des motards, l'adhésion de l'appelant au complot pouvait être déduite par le jury. Sa participation active à la recherche d'une victime après avoir assisté à une conversation non équivoque rend plausible sa participation à ce complot.


*** voir Fortin c. R., 2009 QCCA 1133 (CanLII) & Whissel c. R., 2009 QCCA 1132 (CanLII) au même effet ***

Exposé du droit exhaustif relativement au complot

R. c. Borris, 2013 QCCQ 1825 (CanLII)


[30]      Le complot peut être défini comme une entente entre plusieurs personnes d'agir ensemble dans la poursuite d'un but commun. Dans le cas d'une accusation de complot, il s'agit donc de déterminer si "les actes des accusés visaient une fin criminelle qu'ils poursuivaient ensemble":

46 Le mot "conspirer" vient de deux mots latins "con" et "spirare" qui signifient "souffler ensemble". Conspirer c'est s'entendre. L'essence du complot criminel est la preuve de l'entente. Dans une accusation de complot, l'entente en soi est la substance de l'infraction […]. L'actus reus est le fait de l'entente […]. L'entente à laquelle parviennent les conspirateurs peut envisager plusieurs actes ou infractions. Le nombre de participants n'est pas limité. De nouvelles personnes peuvent se joindre au projet en cours alors que d'autres peuvent l'abandonner. Aussi longtemps qu'il existe un plan général ininterrompu, des changements peuvent intervenir quant aux méthodes, aux conspirateurs ou aux victimes, sans que le complot prenne fin. L'enquête importante ne porte pas sur les actes accomplis conformément à l'entente, mais plutôt sur la question de savoir s'il existe vraiment une entente commune dont les actes découlent et à laquelle participent tous les présumés responsables. Dans R. v. Meyrick and Ribuffi, (1929), 21 Cr. App. R. 94 (C.C.A.), à la p. 102, il s'agissait de savoir si [TRADUCTION] "les actes des accusés visaient une fin criminelle qu'ils poursuivaient ensemble", et dans 11 Halsbury (4e éd.), à la p. 44, on lit:

[TRADUCTION] Il ne suffit pas que deux ou plusieurs personnes poursuivent le même objet illégal, en même temps ou au même endroit; il faut démontrer qu'il y a eu accord des volontés, un consensus visant une fin illégale.

La preuve doit établir, hors de tout doute raisonnable, que les conspirateurs présumés ont agi de concert pour atteindre un but commun.

(Mes soulignements)

[31]      Dans l'arrêt États-Unis d'Amérique c. Dynar, la majorité de la Cour suprême formule les éléments requis pour qu'il y ait complot: (1) une intention de s'entendre; (2) la conclusion d'une entente et (3) un projet commun:

86 Dans l'arrêt R. c. O'Brien1954 CanLII 42 (SCC), [1954] R.C.S. 666, aux pp. 668 et 669, notre Cour a fait sienne la définition du complot énoncée dans l'arrêt anglais Mulcahy c. The Queen (1868), L.R. 3 H.L. 306, à la p. 317:

[Traduction] Un complot ne réside pas seulement dans l'intention de deux ou plusieurs personnes, mais dans l'entente conclue entre deux ou plusieurs personnes en vue de commettre un acte illégal, ou d'accomplir un acte légal par des moyens illégaux. Tant qu'un tel projet reste au stade de l'intention, il ne peut faire l'objet de poursuites. Lorsque deux personnes conviennent de le mettre à exécution, le projet lui-même devient un acte distinct, et l'acte de chaque partie [...] devient punissable s'il vise un but criminel.

L'intention de conclure une entente, la conclusion d'une entente et l'existence d'un projet commun sont essentiels. Dans l'arrêt O'Brien, précité, le juge Taschereau a ajouté, à la p. 668:

[Traduction] Il n'est pas nécessaire qu'un acte manifeste soit accompli pour mettre le complot à exécution et commettre le crime, mais j'ai la certitude qu'il doit exister une intention de mettre le projet commun à exécution. Un projet commun implique nécessairement une intention. Ce sont des synonymes. L'intention ne peut consister qu'en la volonté de réaliser l'objet de l'entente.

(Soulignements ajoutés)

[32]      Afin de déclarer un accusé coupable de complot, il ne suffit donc pas pour la poursuite de prouver qu'il y a eu une entente, mais il faut de plus qu'il y ait une preuve que l'accusé a consenti à participer à l'achèvement du but illégal:

40 Prévu par l'article 465 C.cr., le crime de complot en est un d'intention dont l'essence est la preuve de l'entente […]. Les éléments matériel et moral de l'infraction se chevauchent, l'actus reus étant le fait de s'entendre alors que la mens rea est l'intention réelle de s'entendre pour mettre à exécution le projet criminel.

41 […] [P]our prouver l'intention d'adhérer à un complot existant, il ne suffit pas de prouver que l'accusé avait connaissance d'un plan illégal. Il faut démontrer qu'il l'a fait sien et a consenti à participer à son achèvement [...] :

Adhérer à un complot existant, c'est beaucoup plus qu'en avoir connaissance, en discuter, avoir un intérêt dans sa réalisation ou même y donner son approbation; un complot ne constitue pas seulement une entente, il doit se manifester par "consent ... and the agreement to co-operate in the attaining of the evil end" […]. Notre Cour, dans Regina v. Lessard reflex, (1982), 10 C.C.C. (3d) 61, sous la plume du juge Bisson, approuvait cette définition selon laquelle l'entente "... must be to participate together in the co-operative pursuit of a common object" (p. 87). […]

42 En lisant cet extrait, on constate que le crime de complot ne peut se commettre par simple insouciance quant à l'objet de l'entente […].

(Références omises et soulignements ajoutés)

[33]      Tout d'abord, il convient de souligner que la participation de l'accusé à l'un des "segments" du complot ne le rend pas nécessairement partie au complot, puisqu'il est possible que celui-ci ignorait (ou ne souhaitait pas) réaliser l'objet principal du complot. Il peut toutefois être possible d'inférer une telle volonté:

8.320 Participation in a subsidiary object of a conspiracy does not make a person a party to the conspiracy to achieve the principal object specified in the indictment. Thus, participation in the transportation of narcotics once in Canada does not in itself render the transporter a party to a charge of conspiracy to import narcotics […]. However, involvement in events following the importation may lead to an inference that the person was a party to conspiracy to import, as where a person attends a meeting to discuss the police seizure of the drugs.

(Soulignements ajoutés)

[34]      Toutefois, cela ne signifie pas que la Couronne doive démontrer que l'accusé connaissait tous les "segments" du complot. Il est suffisant qu'il soit mis en preuve que l'accusé connaissait la nature du plan et que ce dernier avait sciemment décidé d'y participer:

8.1280 The Crown is not required to prove that an accused had knowledge of all details or phases of a conspiracy. Rather, it is sufficient to show participation in the conspiracy with knowledge of the essential nature of the plan. […]

8.1360 It is also important to note that it is not necessarily true that a person who performs only one of several overt acts of a conspiracy is a party to the conspiracy: the primary question is whether he or she has agreed that effect be given to the objects or purposes of the conspiracy (so that the overt act gives partial effect to those objects or purposes), or wheter the person's agreement is limited to part only of those objects or purposes.[…]

8.1380 […] For the same reasons, the fact that an accused has knowledge of a conspiracy to import and an interest in its successful completion does not necessarily make the accused a party to that conspiracy; he or she may only be a party to a conspiracy to traffic the drug after it arrives […].

(Soulignements ajoutés)

[35]      Le juge du procès doit donc décider s’il existe une preuve suffisante des éléments constitutifs du crime, à savoir :

a)   Une entente entre une ou plusieurs personnes afin d’accomplir un objet illégal (l’existence du complot);
b)   La connaissance par la personne accusée de la nature générale du complot;
c)   L’intention de cette personne d’adhérer au complot pour en réaliser l’objet.

[36]      L’infraction de complot est une infraction distincte du crime substantif que deux ou plusieurs personnes ont tenté de commettre ou commis. « Conspirer », c’est s’entendre pour commettre un crime et l’entente est l’élément déterminant. Il faut de plus que le ministère public établisse l’intention de la personne accusée de conclure une entente, d’y participer et de réaliser l’objet de cette entente.

[37]      Un agent provocateur ou un agent d’infiltration qui tend un piège ne peut être partie à un complot; faute d’intention, la conspiration est impossible.

[38]      De plus, la commission d’un crime par plusieurs personnes n'entraîne pas nécessairement une conclusion de l’existence d’une entente. L’enquête importante ne porte pas sur les actes accomplis conformément à l’entente, mais plutôt sur la question de savoir s’il existe vraiment une entente.

[39]      En matière de complot, la preuve d'actes manifestes est une exception à la règle du ouï-dire, puisqu'elle peut constituer une preuve incriminante, contre tous les membres du complot, et ce, même s'ils sont absents au moment du déroulement de ces actes. Dans l’arrêt R. c.Carter, la Cour suprême du Canada a élaboré une procédure en trois étapes encadrant la preuve d'actes manifestes, qui se résume comme suit:

En définitive, toutefois, pour que l'exception à la règle du ouï-dire puisse s'appliquer, la preuve relative à la question préliminaire de la participation de l'accusé au complot doit être présente. Dans son exposé au jury sur cette question, le juge du procès doit lui dire de décider si l'ensemble de la preuve le convainc hors de tout doute raisonnable de l'existence du complot reproché dans l'acte d'accusation. Si le jury n'en est pas convaincu, il doit alors acquitter l'accusé qui est inculpé d'avoir participé au complot. Si, toutefois, le jury conclut qu'il y a eu complot, comme on le prétend, il doit alors examiner la preuve et décider si, d'après la preuve directement recevable contre l'accusé, il est probable qu'il ait participé au complot. Si c'est là sa conclusion, le jury peut alors appliquer l'exception à la règle du ouï-direet considérer comme recevable contre l'accusé, relativement à la question de sa culpabilité, la preuve des actes posés et des déclarations faites par les coconspirateurs en vue de réaliser les objets du complot. Cette preuve, ajoutée aux autres éléments de preuve, peut suffire pour convaincre le jury hors de tout doute raisonnable que l'accusé a participé au complot et qu'il est donc coupable.

[Soulignements ajoutés]

[40]      L’arrêt R. c. Carter propose la démarche analytique suivante pour déterminer la culpabilité d’une personne accusée à un complot :

a)   Premièrement, existe-t-il une preuve hors de tout doute raisonnable de l’existence d’un complot?
b)   Deuxièmement, si oui, existe-t-il une preuve directement recevable (c'est-à-dire exception faite des actes ou des déclarations des coconspirateurs) contre la personne accusée qui rend probable la participation de la personne accusée au complot?
c)   Troisièmement, si oui, l’ensemble de la preuve établit-elle hors de tout doute raisonnable la culpabilité de la personne accusée à l’infraction qui lui est reprochée?

[41]      Lorsqu’il existe une preuve directement admissible de l’existence d’un complot et du caractère probable que la personne accusée est l’un des conspirateurs, la preuve par ouï-dire devient admissible. Cela ne veut pas dire que, dans le but d’établir l’existence d’un complot ou le fait qu’un crime a été commis par deux ou plusieurs personnes, le ministère public ne peut pas faire la preuve d’un acte posé ou d’une parole prononcée par un tiers hors la présence de la personne accusée, si cet acte ou cette parole ne constitue pas du ouï-dire. Par ailleurs, les paroles prononcées par une personne impliquant directement ou nommément une autre personne accusée constituent du ouï-dire.

[42]      À la première étape de l’analyse de type Carter, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable, l’existence du complot tel qu’énoncé au chef d’accusation. À cette étape, il ne s’agit pas de déterminer qui fait partie du complot, mais si l’ensemble de la preuve permet de conclure hors de tout doute raisonnable à l’existence du complot mentionné dans l’acte d’accusation. Toute preuve pertinente est admissible pour démontrer l’existence du complot, incluant les actes manifestes et les déclarations des conspirateurs.

[43]      L’existence de l’entente peut être inférée de la preuve.

[44]      À cette étape, il n’est pas nécessaire de connaître l’identité de tous les conspirateurs.

[45]      De même, il n’est pas nécessaire que tous les membres du complot connaissent l’identité et le rôle joué par tous les autres membres du complot. Il suffit que les membres aient la connaissance de la nature générale du complot.

[46]      Les actes et les déclarations de conspirateurs dans la poursuite du but commun, survenus avant que l’accusé ne joigne le complot, sont admissibles pour établir l’existence, la nature ou l’origine du complot, mais non sa participation.

[47]      De la même manière, dans le cadre de la deuxième étape de l’arrêt Carter, le contenu d’une communication interceptée est admissible contre le déclarant alors que la connaissance de son contenu peut être imputée au récepteur.

[48]      À la seconde étape de l’analyse de type Carter, le ministère public doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, la participation de la personne accusée. La participation probable de la personne accusée est déterminée en regardant uniquement la preuve directement recevable contre l’accusé lui-même. Cette preuve doit cependant être examinée en considérant le contexte. À cet égard, la Cour d’appel de l’Île-du-Prince-Édouard a écrit :

13. […] It is also important to bear in mind that the words and actions of the accused ought to be interpreted and considered in the context of the surrounding circumstances in which they occur. Although an accused can only become a member of a conspiracy by his own acts or declarations, that does not mean that what he says or does is to be viewed in isolation or without reference to the milieu in which they occur or that they cannot be interpreted against the picture provided by the acts of the alleged co-conspirators. In order to give meaning or to gain a proper appreciation of an accused’s own acts and declarations, it is permissible for the trier of fact to consider them in the context of the interaction with and among others.

[49]      Ainsi, les paroles et les gestes d’une personne accusée doivent être analysés en fonction des paroles et des gestes des autres personnes avec lesquelles elle interagissait. Les paroles et les gestes des autres servent à comprendre le sens de ceux de la personne accusée. De plus, les paroles des autres peuvent constituer une exception au ouï-dire dans la mesure où elles ont été prononcées en présence de la personne accusée et que celle-ci par son attitude et ses répliques adopte le contenu de ce que disent ces personnes. À ce titre, elles seraient admissibles contre la personne accusée à la deuxième étape de l’arrêt Carter.

[50]      À la deuxième étape de l’analyse Carter, le contenu d’un document est admissible contre son auteur. Par ailleurs, la connaissance du contenu du document est admissible contre la personne l’ayant en sa possession.

[51]      Enfin, à la troisième étape de l’analyse Carter, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable la participation de la personne accusée au complot. À cette étape, l’exception à la règle du ouï-dire s’applique et les actes posés et les déclarations faites par les coconspirateurs en vue de réaliser les objets du complot sont recevables contre la personne accusée. Il s’agit de l’exception communément connue sous le nom « l’exception au ouï-dire, les actes manifestes ».

[52]      Pour déclarer un accusé coupable de complot, le Tribunal doit donc être convaincu hors de tout doute raisonnable que le complot a eu lieu et que l'accusé y a participé. L'exception au ouï-dire peut être invoquée seulement lorsqu'une preuve directement recevable contre l'accusé établit la probabilité de sa participation au complot.

[53]      Un geste ou une déclaration fait par un conspirateur non accusé, appelé ou non comme témoin au procès, est admissible à la troisième étape de l’analyse Carter uniquement s’il est probable que ce dernier ait participé au complot tel qu’exigé par la deuxième étape de l’analyse Carter.

[54]      À la troisième étape, un document, s’il a été confectionné en vue de réaliser un ou des objets du complot, est recevable contre tous les conspirateurs. À la troisième étape, la communication interceptée est admissible contre les conspirateurs n’ayant pas participé à la communication en tant que telle, pourvu que celle-ci ait été faite en vue de réaliser l’un des objets du complot.

[55]      La confession que fait un coconspirateur, après son arrestation ne vaut qu’à son endroit. De même, l’exception du ouï-dire ne vaut pas pour la déclaration qui ne fait pas avancer la conspiration et qui est purement narrative d’un événement survenu durant l’existence du complot.

[56]      Si une personne adhère à un complot existant, elle devra avoir la connaissance de la nature du complot et l’intention de réaliser l’objet illégal. Cependant, il n’est pas nécessaire qu’elle connaisse toutes les modalités d’exécution du projet.

[57]      La poursuite doit prouver l’existence d’un accord entre les parties au complot. Les discussions préalables dans le but d’arriver à une entente criminelle sont donc insuffisantes pour constituer l’infraction, mais elles pourront contribuer à prouver l’entente intervenue subséquemment. De la même manière, la preuve qu’une personne connaît l’existence d’un complot et qu’elle accomplit certains actes ayant pour effet de le faire progresser est insatisfaisante pour entraîner une déclaration de culpabilité : on doit faire la preuve d’une entente.

L'accusé doit faire sien le complot et consentir à son achèvement

R. c. Cléroux, 2012 QCCQ 9890 (CanLII)

Lien vers la décision

[161]     Comme l'écrivait le juge Dickson dans R. c. Cotroni :
Conspirer c'est s'entendre. L'essence du complot criminel est la preuve de l'entente. Dans une accusation de complot, l'entente en soi est la substance de l'infraction: […]

[162]     Dans l'arrêt R. c. Campeau, le juge Proulx définissait ainsi le complot :
« Un complot se définit comme (1) une entente entre au moins deux personnes (2) qui ont l'intention de participer ensemble (3) à la poursuite d'une fin illégale».

[163]     Cette définition a été réitérée à maintes reprises par notre Cour d'appel. Dans l'arrêt Valcourt, la Cour d'appel rappelle que l'entente est l'élément déterminant. Il faut que la poursuite établisse l'intention de l'accusé de conclure une entente, d'y participer et de réaliser l'objet de cette entente. Pour paraphraser la Cour Suprême dans R. c. Déry, seule l'entente peut faire éclore le complot. Cette entente peut être expresse ou tacite. Il n'est pas requis qu'elle soit accompagnée d'actes commis dans le but de la réaliser. C'est la conclusion d'une décision commune pour la perpétration du crime qui engendrera la responsabilité criminelle d'un accusé. La Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. McNamara rappelle que  la simple connaissance ou discussion d’un projet criminel ou encore l’acquiescement passif à un plan illégal, ne suffit pas pour qu’une entente commune naisse. Comme le font remarquer à juste titre les auteurs Annie-Claude Bergeron et Pierre Lapointe dans Collection de droit 2012-2013, [l]es discussions préalables dans le but d'arriver à une entente criminelle sont donc insuffisantes pour constituer l'infraction, mais pourront contribuer à prouver l'entente intervenue subséquemment. De la même manière, la preuve qu'une personne connaît l'existence d'un complot et qu'elle accomplit certains actes ayant pour effet de le faire progresser est insatisfaisante pour entraîner une déclaration de culpabilité : on doit faire la preuve d'une entente. 

[164]     L'accusé doit faire sien le projet et consentir à son achèvement.

[165]     En appliquant les principes émis par la Cour Suprême dans R. c. Briscoe, notre Cour d'appel a récemment déterminé que la connaissance de l'objet d'un complot peut être fondée sur l'ignorance volontaire. L'ignorance volontaire d'un fait peut remplacer la connaissance réelle de ce fait chaque fois que la connaissance est un élément de la mens rea

[166]     Une nuance à ces principes doit être apportée lorsqu'un agent provocateur est impliqué dans les discussions ou dans l'entente. Dans R. c. Giguère, la Cour d'appel du Québec  rappelle le principe «bien connu en droit qu'un agent provocateur qui tend un piège ne peut être partie à un complot : faute d'intention, la conspiration est impossible (Rex c. Kotyszyn, [1949] 8 C.R. 246 (C.A.), juge Bissonnette; R. c. O'Brien, 1954 CanLII 42 (SCC), [1954] R.C.S. 666, à la p. 668, dans lequel la Cour suprême – juge Taschereau au nom de la majorité – approuve l'arrêt de notre cour dans Kotyszyn; dissident, le juge Fauteux prend soin, toutefois, de faire une distinction d'avec cet arrêt).  Je note, d'ailleurs, que la poursuivante a pris soin de ne pas inclure le nom de Gaétan Gingras dans aucun des chefs de complot.».  En l'espèce, la poursuite n'a pas inclus le nom de l'agent dans les chefs de complot.

[167]     Pour établir la participation d'un accusé au complot, il peut être utile, sinon nécessaire, d'avoir recours à la procédure recommandée par la Cour suprême dans R. c. Carter à titre d'exception à la règle du ouï-dire. Notre Cour d'appel dans R. c. Couture résume ainsi ces étapes :
[109]  L'étape initiale de la méthode d'analyse raisonnée énoncée dans l'arrêt Carter est celle où le juge des faits doit décider si l'ensemble de la preuve le convainc hors de tout doute raisonnable de l'existence du complot allégué dans l'acte d'accusation. Si tel est le cas, la deuxième étape consiste à se demander s'il est probable, en tenant compte de la preuve directement admissible contre l'accusé, que ce dernier a participé au complot. Si la réponse est positive, le juge des faits peut, à la troisième étape, appliquer l'exception à la règle d'exclusion du ouï-dire et tenir compte, dans la détermination de la culpabilité de l'accusé, des actes posés et des paroles prononcées par les coconspirateurs dans la poursuite du but commun.

[168]     Il est à noter que les parties n'ont pas abordé cet aspect en plaidoirie ou lors du procès. Ainsi, le Tribunal n'élaborera pas davantage sur le sujet.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

L’accusé qui soulève un doute raisonnable sur le consentement de la victime à l’emploi de la force sera acquitté d'une infraction de voies de fait et cette détermination du consentement s’effectue selon un critère subjectif

Bérubé-Gagnon c. R., 2020 QCCA 1389 Lien vers la décision [ 22 ]        L’absence de consentement de la victime est un élément essentiel de ...