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samedi 21 octobre 2017

Des policiers, qui ne sont ni invités ni munis d’un mandat, sont-ils justifiés de pénétrer dans le domicile d’un citoyen qui fait du bruit excessif lorsque celui-ci ne les entend pas alors qu’ils cognent à la porte?

Lacasse c. R., 2017 QCCA 808 (CanLII)

Lien vers la décision

[34]        Nul ne remet en question le principe voulant que chacun a droit au respect de sa vie privée dans l’intimité de son foyer qui est tenu pour inviolable. Chacun reconnaît toutefois qu’il existe des circonstances particulières permettant aux agents de la paix, dans l’exercice de leurs pouvoirs, d’en faire fi et de pénétrer de force dans une résidence. Le législateur le permet expressément dans certaines situations alors que la common law le permet dans d’autres. Ces exceptions, quoique nécessaires, doivent être interprétées strictement puisqu’elles constituent une atteinte à un droit protégé. Une entrée sans mandat étant présumée abusive, c’est d’ailleurs au ministère public qu’est imposé le fardeau de démontrer qu’elle était nécessaire et raisonnable.
[35]        Pour déterminer si une telle exception au principe de l’inviolabilité du domicile s’applique ici, il faut utiliser le test en deux étapes établi par l’arrêt R. v. Waterfield et repris depuis dans plusieurs arrêts de la Cour suprême. Celui-ci consiste à rechercher a) si la conduite des policiers entre dans le cadre d’un devoir imposé par une loi ou reconnu par la common law et b) si cette conduite, bien que s’inscrivant dans le cadre d’un tel devoir, a comporté un emploi injustifiable du pouvoir relié à ce devoir.
[36]        C’est au moment où les policiers pénètrent dans la résidence de l’appelant qu’il faut se placer pour répondre aux questions que pose ce test.
[37]        Rappelons qu’au moment où ils se présentent chez l’appelant, tout ce dont ils sont informés est que celui-ci aurait injurié un enfant sur la rue et fait du bruit en faisant jouer de la musique à tue-tête. Les policiers ne pouvant raisonnablement croire qu’il a commis une infraction criminelle ni que la situation présente un danger immédiat pour la sécurité d’autrui, ils ne peuvent alors se fonder sur les articles 495(1)529.1 et 529.3 C.cr. pour justifier leur conduite.
[38]        La cause de leur intervention initiale suggère plutôt qu’ils agissent en vertu des pouvoirs qui leur sont dévolus par le Code de procédure pénale, qui régit les poursuites visant à sanctionner des infractions aux lois telles que des infractions aux règlements municipaux relatifs aux nuisances ou au bruit[10] et en vertu de leurs pouvoirs généraux énoncés à l’article 48 de la Loi sur la police.
[39]        Or, le Code de procédure pénale prévoit expressément qu’en principe les agents de la paix ne peuvent pénétrer dans un endroit qui n’est pas accessible au public. Il tempère toutefois cette interdiction lorsque l’agent de la paix est dans l’une ou l’autre des deux situations suivantes :
1)   Il a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est en train d’y commettre une infraction qui risque de mettre en danger la vie ou la santé des personnes ou la sécurité des personnes ou des biens et que l’arrestation de cette personne est le seul moyen raisonnable pour y mettre fin;
2)   Il a des motifs de croire qu’une personne s’enfuit pour échapper à son arrestation, auquel cas il peut la poursuivre jusque dans l’endroit où elle se réfugie.
[40]        Ici, il m’apparaît manifeste que les policiers n’étaient ni dans l’une ni dans l’autre.
[41]        L’infraction qu’ils soupçonnent l’appelant d’avoir commise, qu’elle soit reliée à l’injure proférée ou au bruit excessif causé, ne leur permet certainement pas de croire que la vie ou la santé de personnes ou la sécurité de personnes ou de biens est en danger. L’enfant n’est plus présent au moment de leur intervention, ce qui élimine tout risque, alors que le bruit occasionné, qui peut entraîner un fort désagrément, ne constitue certainement pas, dans les circonstances, une menace à la santé ou à la sécurité.
[42]        L’appelant ne s’enfuit pas non plus. Quoiqu’il semble le faire trop bruyamment, il est chez lui à danser et à chanter et n’a pas encore même aperçu les policiers.
[43]        Quoique je sois d’avis que cela devrait suffire pour répondre à la question soulevée, l’intimée invoque les pouvoirs généraux conférés par la common law aux policiers pour maintenir la paix, prévenir le crime, protéger la vie des personnes et des biens, repris à l’article 48 de la Loi sur la police, comme source de leur pouvoir de pénétrer dans la résidence de l’appelant. Cette intrusion était nécessaire, selon elle, pour leur permettre d’exercer leur devoir de maintenir la paix et elle n’a pas été faite de façon déraisonnable.
[44]        Bien que je doute fortement qu’un pouvoir général puisse, dans les circonstances, attribuer aux policiers plus de pouvoirs que ceux qui leur sont expressément conférés par le Code de procédure pénale, il n’est pas nécessaire ici de répondre à cette question. Je suis en effet d’avis que le pouvoir de maintenir la paix est, quoi qu’il en soit, à lui seul insuffisant pour justifier une exception au principe de l’inviolabilité du domicile. Accepter qu’un pouvoir aussi général puisse justifier une intrusion dans un domicile, sans autre exigence, ferait en sorte, selon moi, que ce principe rétrécirait comme peau de chagrin.
[45]        En l’absence d’un pouvoir législatif exprès, les tribunaux n’ont reconnu ce pouvoir de pénétrer dans un domicile que dans des situations urgentes, pouvant mettre en péril la vie ou la sécurité d’une ou de plusieurs personnes ou dans lesquelles la preuve d’une infraction sérieuse pouvait disparaître incessamment.
[46]        C’est ainsi qu’appelé à déterminer si la preuve obtenue lors d’une perquisition d’une résidence effectuée sans mandat aux termes de la Loi règlementant certaines drogues et autres substances le juge Brown, aux motifs duquel souscrivent la juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis et Wagner, a récemment écrit :
Les policiers ne sont pas intervenus dans un contexte juridique inconnu : leur intention d’effectuer une saisie « sans poursuite » importait peu en droit compte tenu des principes juridiques bien établis qui régissent le pouvoir des policiers d’entrer sans mandat dans une résidence. Le caractère déraisonnable présumé d’une perquisition sans mandat et l’attente élevée en matière de vie privée d’une personne à l’égard de sa résidence sous‑tendent depuis longtemps notre conception des justes rapports entre les citoyens et l’État. Qui plus est, la Cour exige depuis longtemps (voir les arrêts Grant 1993, Silveira et Feeney), en ce qui concerne l’urgence de la situation entraînant une entrée sans mandat, que le ministère public démontre l’existence d’une situation d’urgence, spécialement lorsque la perquisition est effectuée dans une résidence. Comme le fait observer la Cour dans l’arrêt Silveira, « [i]l n’existe aucun endroit au monde où une personne possède une attente plus grande en matière de vie privée que dans sa “maison d’habitation” » (par. 140). Dans le même ordre d’idées, le juge La Forest (dissident, mais non sur ce point) rappelle la grande valeur que la loi accorde à la protection de la maison d’une personne contre l’intrusion de l’État (par. 41) : il s’agit selon lui d’« un rempart assurant la protection du particulier contre l’État [qui] procure à l’individu une certaine mesure de vie privée et de tranquillité vis‑à‑vis du pouvoir atterrant de l’État ».
[47]        Cette notion d’urgence est, selon moi, toujours nécessaire pour qu’il soit justifié de mettre de côté le caractère sacré du domicile de chacun. Je ne vois pas pourquoi il y aurait lieu de permettre à des policiers de pénétrer dans une résidence, sans mandat et sans y être invités, en l’absence d’une réelle urgence. Un mandat peut être délivré rapidement lorsque nécessaire, et sans même avoir à se déplacer puisqu’il est possible de l’obtenir par téléphone. Ce n’est que lorsque même ce court délai est susceptible d’être trop long et d’entraîner un dommage important qu’il peut y avoir lieu, à mon avis, de faire échec au principe d’inviolabilité du domicile.
[48]        Ici, aucune urgence ne justifiait que les policiers pénètrent chez l’appelant. La preuve révèle qu’ils cognent contre le cadre de la porte pour tenter d’attirer son attention, mais n’attendent qu’une quinzaine de secondes avant que l’un d’eux pénètre dans les lieux. Ils auraient pourtant très bien pu attendre que l’appelant, qui ne semblait pas les entendre, se tourne vers eux et les voie. Rien ne permet d’ailleurs de croire qu’il aurait alors refusé de leur parler et de baisser le son de sa musique.
[49]        Il n’y avait aucune circonstance pressante pouvant justifier leur intrusion et celle‑ci était déraisonnable. Le fait qu’ils aient agi de bonne foi ou simplement dans le but d’établir un contact avec l’appelant n’y change rien. Ils ont porté atteinte aux droits de l’appelant sans justification.

dimanche 15 octobre 2017

Les délais pré-inculpatoires et le droit à une défense pleine et entière

Corriveau c. R., 2016 QCCS 5799 (CanLII)

Lien vers la décision

[81]            L’arrêt Jordan n’a pas d’impact sur ce volet.
[82]            Alors que Jordan évacue de l’équation la question du préjudice pour les délais post-inculpatoires, il en va autrement dans le cas des délais pré-inculpatoires qui font l’objet d’un volet distinct de la requête en arrêt des procédures où l’accusé a le fardeau de prouver un préjudice réel susceptible d’affecter l’équité du procès.
[83]            Le seul écoulement du temps qui précède l’inculpation ne permet pas de conclure à l’établissement d’un préjudice.
[84]            Il n’y a pas de prescription en matière criminelle.
[85]            Il se trouve que ce volet relatif aux délais pré-inculpatoires et à la violation alléguée de la garantie de l’article 7 de la Charte a déjà fait l’objet d’une requête antérieure de décembre 2015, similaire à la présente quoique moins élaborée, qui a fait par la suite l’objet d’un désistement.

Décision récente de la Cour d'appel du Québec concluant que le paragraphe 255(2.1) C.cr. exige la démonstration que l’accusé a causé l’accident et affirme qu’il n’est pas nécessaire de faire la preuve du lien causal entre l’alcoolémie de l’accusé et l’accident

R. c. Gaulin, 2017 QCCA 705 (CanLII)

Lien vers la décision

[20]      L’alinéa 253(1)a) concerne l’infraction de conduite avec les capacités affaiblies alors que l’alinéa 253(1)b) traite de la conduite avec une alcoolémie supérieure à la limite permise (80 mg/100 ml de sang).
Première question : Quel est le fardeau relatif à l’infraction prévue au paragraphe 255(3.1) C.cr.?
[21]      L’appelante soutient que pour faire la preuve de l’infraction codifiée au paragraphe 255(3.1) C.cr., il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence d’un lien causal entre l’alcoolémie de l’accusé et l’accident ayant occasionné la mort de la victime. Elle nous invite à conclure, comme le fait la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt R. v. Koma, que la seule preuve d’un lien « temporel » entre ces deux éléments suffit.
[23]      Il est utile de rappeler que l’infraction prévue au paragraphe 255(3) C.cr. et qui concerne la conduite avec capacités affaiblies, que ce soit par l’effet de l’alcool, de la drogue ou de la combinaison des deux, a été introduite au Code criminel en 1985 et que ses balises sont bien établies.
[24]      Le libellé du paragraphe 255(3) C.cr. prescrit que quiconque conduit avec des capacités affaiblies et cause ainsi la mort d’une autre personne est coupable de l’infraction. En anglais, « Causes the death of another person as a result ». La nécessité de démontrer le lien de causalité entre les capacités affaiblies et la mort d’une autre personne apparaît clairement.
[25]      D’ailleurs, la jurisprudence québécoise et canadienne qui applique le paragraphe 255(3) C.cr. est claire. Le ministère public doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l’accusé a conduit un véhicule avec les capacités affaiblies et que l’affaiblissement de ses capacités, par l’alcool ou la drogue, a contribué de façon appréciable à la mort d’une autre personne. Un lien entre les capacités affaiblies et le décès doit donc être démontré.
[26]      L’infraction prévue au paragraphe 255(3.1) C.cr. est d’origine plus récente, n’ayant été introduite au Code criminel qu’en 2008 et cible les cas où, alors qu’il conduit ou garde et contrôle un véhicule avec une alcoolémie supérieure à la limite permise, un conducteur cause un accident occasionnant le décès d’un tiers.
[27]      Il faut reconnaître que le législateur a utilisé un libellé différent pour la nouvelle infraction prévue à 255(3.1) C.cr. que pour celle prévue à 255(3) C.cr., au sujet de laquelle la jurisprudence est bien établie quant à la nécessité de démontrer un lien de causalité entre la conduite avec les capacités affaiblies et la mort.
[28]      Les amendements législatifs de 2008 visaient plusieurs objectifs, dont celui de faciliter la détection et l’enquête des cas de conduite avec capacités affaiblies par l’effet d’une drogue et relever les peines minimales prévues pour la conduite avec capacités affaiblies. Plus particulièrement, les policiers ayant reçu la formation voulue sont autorisés à soumettre une personne à des épreuves et des examens en vue de déterminer si les facultés de celle-ci sont affaiblies par l’effet d’une drogue ou par l’effet combiné de l’alcool et d’une drogue. Par ailleurs, l’un des buts de l’ajout législatif était d’alourdir les peines liées à la conduite avec capacités affaiblies et, en ce qui concerne la conduite avec les capacités affaiblies par l’alcool, de limiter les contestations du résultat du test d’alcoolémie. Dans la même veine, le législateur a introduit deux nouvelles infractions, dont celle qui nous concerne au paragraphe 255(3.1) C.cr. Tout en procédant à l’adoption de cette nouvelle mesure législative, le législateur fédéral a modifié la version anglaise du paragraphe 255(3) C.cr. en y substituant le mot « thereby » par les mots « as a result ».
[29]      L’on comprend des travaux parlementaires qu’en adoptant le paragraphe 255(3.1) C.cr., le législateur a voulu alléger le fardeau de preuve du ministère public qui devait, comme ce fut le cas ici, faire témoigner un expert toxicologue pour établir que la personne qui a plus de 80 mg d’alcool par 100 ml de sang a les capacités affaiblies.
[30]      La jurisprudence canadienne semble divisée sur la façon d’appliquer la nouvelle disposition. Étonnamment, au Québec, très peu a été écrit sur le sujet.
[31]      Pour ce qui est de la doctrine, les professeurs Solomon et Chamberlain se disent d’avis que la nouvelle disposition dispense le ministère public de démontrer le lien de causalité entre l’alcoolémie et l’accident.
[32]      En 2012, dans l’arrêt R. v. Jagoe, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick exprime l’idée que le paragraphe 255(3.1) C.cr. exige la preuve que l’alcoolémie de l’accusé a contribué de façon significative à l’accident occasionnant la mort.
[33]      Dans cette affaire, le juge de première instance avait exigé que le ministère public démontre que l’alcoolémie de l’accusé a contribué à la mort de la victime. En appel, le juge Bell se dit d’avis que si le ministère public n’a pas à établir que la conduite avec une alcoolémie supérieure a causé la mort, elle doit néanmoins établir qu’il s’agit d’un facteur ayant causé l’accident : « The "over 80 driving" must, in order to convict, be a real factor in the cause of the accident. ». Cette affirmation relève toutefois de l’obiter considérant que la Cour conclut à l’absence d’accident au sens de la disposition.
[34]      En l’espèce, le juge a appliqué une variante de cet obiter et exigé la preuve que, malgré son alcoolémie, l’intimée avait également les capacités affaiblies par l’alcool et que cet état a contribué à l’accident. Un expert toxicologue a d’ailleurs témoigné sur la question.
[35]      Or, cette façon de voir ne respecte pas la volonté exprimée par le législateur en rédigeant la disposition. À moins que le législateur fédéral n’ait parlé pour ne rien dire ou n’ait créé une infraction inutile, l’introduction du paragraphe 255(3.1) C.cr. doit vouloir prévoir une infraction différente de celle déjà édictée au paragraphe 255(3) C.cr. Par ailleurs, la rédaction même de la nouvelle disposition contredit cette approche.
[36]      En 2015, dans l’arrêt R. v. Koma, la Cour d’appel de la Saskatchewan se prononce spécifiquement sur la question (mais dans le contexte du paragraphe 255(2.1)C.cr.) et décide que le ministère public n’a pas à démontrer de lien causal entre l’alcoolémie de l’accusé et les blessures de la victime ou encore l’accident. Elle n’a qu’à établir un lien temporel entre les deux éléments :
[27]      On a plain and ordinary reading, and in its grammatical and ordinary sense, the wording of the offence under s. 255(2.1) requires the Crown to prove three things beyond a reasonable doubt so as to justify a conviction:
a)    the accused had a blood alcohol concentration of over .08 while operating a motor vehicle or having care or control of a motor vehicle, which is the offence under s. 253(1)(b) of the Criminal Code;
b)    the accused caused an accident while so operating a motor vehicle or having care or control of a motor vehicle; and
c)    the accident resulted in bodily harm to another individual.
On this straightforward reading, the Crown must establish a temporal link between an accused’s prohibited blood alcohol concentration and the occurrence of an accident that has resulted in bodily harm to another, but it need not establish a causal link between those two elements.
[28]      This is the interpretation given to s. 255(2.1) by the judge in this case and by the Court in R v Carver2013 ABPC 140 (CanLII)558 AR 50 [Carver], where Rosborough P.C.J. observed:
[60]      Subsection 255(2.1) C.C. does not causally link the “underlying offence” of operating a motor vehicle with a proscribed blood/alcohol concentration with the additional element of causing an accident that brings about bodily harm. Rather, it conjoins two separate proof elements: (1) proof of operating a vehicle with a proscribed blood/alcohol concentration; and (2) proof that the accused caused an accident resulting in bodily harm to a person. The prosecution must prove beyond a reasonable doubt that the accused caused an accident resulting in bodily harm but there is no requirement of proof that the accused’s proscribed blood/alcohol concentration in any way brought about or contributed to that accident.
[29]      This observation is well-founded because the plain and ordinary meaning of s. 255(2.1) is not altered by context. Parliament has used different language to describe the causation requirements for other consequence-related offences involving the use of a motor vehicle. As Rosborough P.C.J. noted in Carver, the word thereby or its equivalent is conspicuously absent from s. 255(2.1); whereas, as the judge in this case observed, the offence of dangerous driving causing bodily harm, for example, is committed when an individual drives dangerously and thereby causes bodily harm. The absence of thereby or its equivalent from s. 255(2.1) cannot be an oversight by Parliament.
[…]
[31]      The absence from s. 255(2.1) of a causal connection similar to that found in s. 255(2) reflects the difficulty of requiring the Crown to prove an individual has caused an accident because he or she was over .08, without the Crown leading some form of expert evidence as to the effect of blood alcohol concentrations in excess of .08 on that individual’s ability to operate a motor vehicle that is causally tied to the accident in question. However, this kind of evidentiary difficulty does not arise in cases of impaired driving or dangerous driving where objective indicia of an individual’s impairment or recklessness provide an evidentiary basis for a court to conclude the causes of an accident might include an inability to operate a motor vehicle brought on by impairment, negligence or recklessness. For this reason, the causation element of the offence of impaired driving causing bodily harm (s. 255(2)) is different. There, the Crown has to prove a causal link between an individual’s impaired operation of a motor vehicle and bodily harm to another person.
[32]      Thus, for a conviction to lie under s. 255(2.1) of the Criminal Code, I conclude the Crown must prove beyond a reasonable doubt that an individual, while operating a motor vehicle or in care or control of a motor vehicle, had a blood alcohol concentration exceeding 80 mg of alcohol in 100 mL of blood and the individual caused an accident that resulted in bodily harm to another; but, s. 255(2.1) does not require the Crown to prove the individual’s over .08 blood alcohol concentration caused the accident. The judge made no error when she concluded similarly.
[37]      Ce faisant, la Cour d’appel de la Saskatchewan reprend la décision R. v. Carver rendue par la Cour provinciale de l’Alberta en 2013. Dans cette décision, le juge Rosborough conclut que le paragraphe 255(2.1) C.cr. exige la démonstration que l’accusé a causé l’accident et affirme qu’il n’est pas nécessaire de faire la preuve du lien causal entre l’alcoolémie de l’accusé et l’accident. Ce courant a été suivi au Québec par la juge Anouk Desaulniers de la Cour du Québec dans deux dossiers.
[38]      À mon avis, il s’agit de l’approche qui est la plus appropriée.
[39]      J’estime toutefois qu’il faut plus qu’un lien temporel entre la conduite avec une alcoolémie interdite et l’accident.
[40]      Il doit y avoir une démonstration d’un double lien de causalité. D’abord, que le conducteur a causé l’accident. Ensuite, que l’accident a occasionné les blessures ou la mort d’une personne. L’utilisation du mot « cause » indique que le législateur entendait exclure les cas où l’on ne peut rattacher une conduite fautive du conducteur à l’accident. Le conducteur doit nécessairement être la cause effective de l’accident.
[41]      Cette interprétation respecte le texte de la disposition législative et le choix du législateur lorsqu’il rédige différemment, en 2008, le libellé de la nouvelle infraction.
[42]      Cette interprétation permet aussi de s’assurer du comportement blâmable de l’accusé par rapport à la conséquence prohibée. En effet, il faut éviter qu’une personne puisse être condamnée simplement parce que, tandis qu’elle conduisait avec une alcoolémie supérieure à la limite permise, elle a été impliquée dans un accident qui ne lui est par ailleurs aucunement imputable.
[43]      L’accusé doit, par son comportement ou sa conduite, avoir posé des gestes ou omis de poser des gestes qui ont causé un accident. Sa conduite doit être évaluée par rapport à celle d’un conducteur raisonnable. 
[44]      Un élément fautif doit être attribuable à l’accusé qui doit donc être responsable de façon appréciable de l’accident. Sur ce point, les critères adoptés par la juge Arbour dans R. c. Nette et par la juge Karakatsanis dans R. c. Maybin sont généralement utilisés.
[45]      En bref, l’accusé doit avoir contribué de façon appréciable à l’accident, tenant pour acquis qu’il n’est pas nécessaire que la conduite de celui-ci soit la cause unique de l’accident.
[46]      Les auteurs Manning et Sankoff affirment d’ailleurs que les problèmes qui pourraient découler du standard relativement peu élevé de la « cause ayant contribué de manière appréciable » peuvent être compensés dans le cadre du prononcé de la peine. Ils ajoutent que c’est à ce stade des procédures que devrait être prise en considération toute faiblesse dans la chaîne de causalité :
Weaknesses in the chain of causation are regarded as a matter to be assessed as a factor in the sentencing process. […] It should be recognized that most problems created by a low causal standard can be rectified, for the most part, in the sentencing process, where the accused’s level of moral responsibility can be more sensitively addressed.
[47]      Par ailleurs, à la lecture du jugement de première instance, on constate qu’exiger la démonstration du lien de causalité entre l’alcoolémie et le décès engendre une incongruité.
[48]      En effet, il est depuis longtemps reconnu que l’infraction d’avoir conduit avec une alcoolémie supérieure à 80 mg d’alcool par 100 ml de sang ne requiert pas la preuve que les capacités de l’accusé sont affaiblies par l’alcool. La preuve d’absence de symptômes n’est pas pertinente. Si, en application de l’alinéa 253(1)b) C.cr., la preuve des symptômes n’est pas pertinente, elle ne devrait pas plus l’être en application du paragraphe 255(3.1) C.cr., qui nécessite la preuve que l’infraction incluse a été commise.
[49]      Dans le cadre de son examen du paragraphe 255(3.1) C.cr., le juge n’avait donc pas à déterminer si l’intimée avait les facultés affaiblies.
[50]      Il devait plutôt se demander si :
-     L’intimée a conduit un véhicule automobile avec une alcoolémie supérieure à la limite permise; en fait, si elle a contrevenu à l’alinéa 253(1) b) C.cr.;
-     Elle a causé un accident, en ce qu’elle a contribué de façon appréciable à l’accident, par sa conduite, les gestes qu’elle a posés ou omis de poser, tenant pour acquis qu’il n’est pas nécessaire que sa conduite soit la cause unique de cet accident;
-     L’accident a engendré la mort d’une autre personne.
[51]      Contrairement à l’infraction codifiée au paragraphe 255(3) C.cr. où le législateur exige la preuve du lien causal entre les capacités affaiblies et la mort d’une tierce personne, ici, le lien à faire se situe 1) entre l’accusé et la cause de l’accident, et 2) entre l’accident et le décès d’une personne.

La conduite dangereuse, l'analyse du lien de causalité et la théorie de l'acte intermédiaire

Truchon c. R., 2016 QCCA 1396 (CanLII)

Lien vers la décision

[14]        Il est maintenant acquis que les motifs d'un jugement pour être considérés comme suffisants n'ont qu'à permettre un examen valable en appel de la justesse de la décision. C'est le cas en l'espèce.
[15]        Le juge a pris soin de résumer de façon exhaustive tous les faits pertinents de la cause. Il s'est ensuite inspiré des enseignements pertinents dégagés des arrêts NetteBonin et Quesnel aux fins de trancher la question de la causalité. Finalement, il a conclu qu'il était « évident que la conduite de l'accusé constitu[ait] une cause substantielle de la collision qui nous concerne, et ce, en dépit des éléments contributifs attribuables à Mme Villeneuve [la conductrice du véhicule Honda] ».
[16]        L'appelant plaide la théorie de l'acte intermédiaire (clignotant indiquant que le véhicule Honda allait se ranger à droite pour ensuite effectuer un virage en « U » vers la gauche) pour soutenir qu'il y aurait eu rupture du lien de causalité entre sa conduite dangereuse et les conséquences subies par les victimes.
[17]        Dans l'arrêt Maybin, la Cour suprême mentionne que cette théorie ainsi que celle de la prévisibilité raisonnable de l'acte intermédiaire ne sont que des outils permettant d'analyser la causalité juridique. En définitive, la question pertinente qui se pose en matière de lien de causalité se résume à déterminer si la conduite dangereuse a contribué de façon appréciable à la mort ou aux blessures d’une victime.
[18]        En l'espèce, le juge n'a pas conclu que l'acte intermédiaire invoqué contre la conductrice du véhicule Honda avait supplanté la conduite dangereuse de l'appelant. Après analyse, il a plutôt déterminé que celle-ci avait été une cause appréciable de la collision à la suite de laquelle est survenu le décès de la conductrice du véhicule Honda ainsi que des lésions corporelles à sa passagère.
[19]         L’appelant aurait souhaité que le juge traite précisément de la question du lien de causalité juridique en des termes explicites. Une lecture attentive du jugement fait cependant voir qu’il n’a pas ignoré cette notion alors que le choix des mots pour exprimer son raisonnement sur cette question lui appartenait.
[20]        Par ailleurs, l'hypothèse proposée par l'appelant et admise par l'expert selon laquelle l'accident se serait produit même s’il avait respecté la limite de vitesse est sans pertinence. La Cour dans l'arrêt Bonin a été appelée à traiter du lien de causalité applicable aux paragraphes 249(3) et (4) C.cr. en ces termes :
[31]      Avec égards, à l’instar de la juge de première instance, la Cour est d’avis que la thèse des experts sur des scénarios possibles, si l’appelant avait agi autrement, n’est pas pertinente. Comme le déclare la Cour suprême dans R. c. Nette2001 CSC 78 (CanLII)[2001] 3 R.C.S. 488, par. 49, « [l]e droit criminel ne reconnaît pas la négligence contributive et ne comporte aucun mécanisme de partage de la responsabilité relative au préjudice résultant d'une conduite criminelle, sauf dans le contexte de la détermination de la peine une fois que l'existence d'un lien de causalité suffisant a été établie ».
[32]      Sur le lien requis, la Cour d’appel de l’Ontario énonce dans l’arrêt R. c. Kippax2011 ONCA 766 (CanLII)286 O.A.C. 144, par. 24, que lors d’une accusation sous les par. 249(3) ou 249(4) C.cr., la poursuite se doit de démontrer, hors de tout doute raisonnable, « that an accused’s conduct was a significant contributing cause [cause ayant contribué de façon appréciable] of the death or injuries ».
[33]      En l’espèce, il est indéniable que la conduite de l’appelant a été une cause appréciable des décès de Yann De Courcy et AlexandreDe Courcy-Laplante ainsi que des blessures subies par N… D…, nonobstant la conduite du conducteur de la Hyundai. En effet, l’appelant circulait, en partie, dans la voie inverse au moment de la collision et il n’a effectué aucune manœuvre d’évitement.
[Références omises.]
[21]         L'élément déterminant en cette matière est le risque de dommages ou de préjudices qu'engendre la façon de conduire et non celui auquel aurait pu être exposé le public si l'appelant avait choisi de respecter la loi. Nous reviendrons sur cette question au moment de discuter du moyen d’appel portant sur le verdict déraisonnable.
[22]        En conclusion sur ce premier moyen, le dossier d’appel fait voir que l'enquête a porté sur les bons éléments et que le juge a procédé à un examen sérieux de la façon de conduire de l'appelant, avant de conclure que celle-ci avait contribué de façon appréciable aux conséquences mises en preuve par la poursuite. L’appelant ne démontre pas que le juge s’est mal dirigé en droit sur cette question.

La théorie de l'accident en matière d'infraction de conduite automobile

R. c. Girard, 2017 QCCQ 1275 (CanLII)

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[49]        Dans le présent cas, la défense soumet aussi en quelque sorte une défense d'accident, laquelle soulèverait à tout le moins un doute raisonnable tant en ce qui concerne l'élément matériel des infractions reprochées que l'élément moral de celle-ci.
[50]        Il faut distinguer toutefois entre le caractère volontaire d'un acte et celui de la conséquence ; dans sa plus simple expression, cela peut se traduire par le propos suivant : oui je l'ai frappé, mais je ne voulais pas le tuer ou j'ai tiré un coup de fusil en sa direction, c'était pour faire une blague, mais je n'ai jamais voulu l'atteindre. Dans ces cas, à une accusation d'homicide involontaire ou négligence criminelle, la théorie de l'accident dans le sens de celui reconnu par notre droit quant au caractère volontaire du geste, ne serait très probablement pas applicable.
[51]        L'auteur Hugues Parent définit l'accident comme « un événement soudain et inattendu qui se produit sans participation de la volonté de l'agent ».
[52]        Pour sa part, la Cour d'appel du Québec dans la décision Fils c. La Reine précise que la caractéristique fondamentale de l'accident réside dans l'imprévisibilité d'un événement qui survient inopinément hors du contrôle d'une personne.
[53]        Les propos suivants de l'auteur Parent pour l'appréciation de la défense d'accident nous paraissent pertinents:
Ce n'est donc pas parce que l'accident empêche la constatation de l'intention spécifique de tuer qu'il liquide automatiquement la culpabilité de l'agent. Au contraire, « si cette intention est absente, mais que l'accident cause la mort au moyen d'un acte illégal, le seul verdict possible est alors celui de l'homicide involontaire coupable ». 
[54]        La Cour suprême, par la plume de madame la juge Charron, donne aussi des exemples de ce qui constitue un moyen de défense qui se rapproche de celui de l'accident, mais qui nie l'intention coupable de la conduite dangereuse comme de la négligence criminelle. Ainsi, la maladie ou incapacité physique soudaine d'un conducteur ou encore une conduite dangereuse causée par l'absorption de médicament dont le conducteur n'a pas été averti des effets dangereux et du risque pour la conduite automobile.
[55]        De telles circonstances peuvent constituer un moyen de défense à l'encontre d'une accusation comme celle dont doit répondre l'accusé dans le présent cas. Madame la juge Charron cite le juge McIntyre dans R. v. Tutton :
Si un accusé aux termes de l'art. 202 a une croyance sincère et raisonnablement entretenue en l'existence de certains faits, cela peut être une considération pertinente quant à l'appréciation du caractère raisonnable de sa conduite.  Prenons par exemple un soudeur engagé pour travailler dans un espace restreint, et qui se fit à la parole du propriétaire des lieux qu'aucune matière combustible ou explosive ne se trouve à proximité; lorsque son chalumeau provoque une explosion qui entraîne la mort d'une personne et qu'il est accusé d'homicide involontaire coupable, il devrait pouvoir faire part au jury de sa perception quant à la présence ou l'absence de matières dangereuses là où il travaillait.
[56]        En matière de conduite de véhicule à moteur ou de bateau, cet événement imprévisible, soudain, inattendu et indépendant de toute participation du conducteur peut aussi s'illustrer de façon plus simpliste par un bris mécanique, inattendu, imprévisible, tel le bris de la direction, une crevaison causant une perte de contrôle et un impact fatal ou encore un impact avec un débris dont la présence est totalement imprévisible dans un cours d'eau balisé. Sont aussi des exemples de circonstances niant l'intention coupable, celles d'un malaise soudain du conducteur tel un infarctus ou un décollement de la rétine.
[57]        D'une part, dans la présente affaire se pose la question de savoir s'il est survenu un événement imprévisible, soudain, hors du contrôle et de la participation de l'accusé pour ensuite examiner le cas échéant la question du lien de causalité également soulevé par la défense. En fait, si la preuve soulève un doute raisonnable sur ces questions aussi, l'accusé doit être acquitté. 

Les règles de droit applicables à la conduite dangereuse

R. c. Girard, 2017 QCCQ 1275 (CanLII)

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[36]        Comme pour toutes les infractions criminelles celles reprochées à l'accusé comportent un élément matériel, actus reus, et un élément moral, la mens rea.
[37]        La preuve doit démontrer et convaincre le Tribunal hors de tout doute raisonnable qu'objectivement (critère objectif modifié), l'accusé a conduit son bateau d'une manière dangereuse pour le public eu égard aux circonstances y compris la nature et l'état des eaux (ou mer) et l'usage qui au moment considéré en est ou pourrait raisonnable en être fait.
[38]        À ce stade de l'analyse, la conséquence de l'acte quoique pertinente n'a pas d'incidence sur la détermination de la dangerosité de la conduite de l'accusé.
[39]        En ce qui concerne l'élément moral, le Tribunal doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que la conduite objectivement dangereuse de l'accusé résulte d'un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation.
[40]        Dans l'arrêt Roy, la Cour suprême du Canada suggère la méthode d'analyse suivante en deux questions:
La première est de savoir si, compte tenu de tous les éléments de preuve pertinents, une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible. Le cas échéant, la deuxième question est de savoir si l’omission de l’accusé de prévoir le risque et de prendre les mesures pour l’éviter si possible constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé.
[41]        Puisqu'il s'agit de l'élément moral, souvent subjectif pour de nombreuses infractions criminelles, ici pour cette infraction comme pour la négligence criminelle, l'élément moral repose sur un critère objectif modifié, c'est-à-dire celui de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances. Ce faisant, les qualités caractéristiques personnelles de l'accusé tels l'âge, l'expérience, l'instruction et les habiletés ne sont pas pertinentes.
[42]        Cependant, l'état d'esprit de l'accusé, surtout si ce dernier donne une explication, doit être considéré pour déterminer si une personne raisonnable dans les mêmes circonstances aurait dû être consciente du risque et du danger inhérent : « La norme par rapport à laquelle le comportement doit être apprécié reste toujours la même  il s'agit du comportement auquel on s'attend de la part d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances », affirme madame la juge Charron dans l'arrêt Beatty.
[43]        En d'autres mots, est-ce que la preuve démontre que la façon de conduire de l'accusé était objectivement dangereuse pour le public dans les circonstances, et ce faisant, est-ce que cette conduite créait des risques pour la sécurité du public. Comme l'affirme madame la juge Charron dans l'arrêt Roy«  L’élément pertinent, c’est le risque de dommage ou de préjudice qu’engendre la façon de conduire, non les conséquences d’un accident ultérieur ».Le public ici inclut les passagers.
[44]        La Cour suprême n'a cessé de rappeler dans ses décisions phares qu'il est important de distinguer la simple imprudence, la négligence civile de la négligence criminelle ou la conduite dangereuse au sens du Code criminel qui sont des infractions graves de sorte que l'intention ne peut se déduire seulement de la dangerosité de la conduite, il faut que celle-ci révèle un écart marqué par rapport à celle de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances.
[45]        Mais cet élément moral de l'infraction peut être tiré des inférences que permettent les circonstances prouvées.
[46]        Rappelons que dans le présent cas l'accusé donne une version des événements qui consiste somme toute à dire qu'il ne peut s'expliquer ce qui s'est passé lors de l'accident, qu'il n'a pas prévu, s'appuyant en cela sur le témoignage des experts de la défense qui expliquent la réaction du bateau sur le plan physique, voire scientifique.
[47]        Les décisions de la Cour suprême dans les affaires Beatty et Roy illustrent le cas où, malgré les conséquences tragiques d'une conduite d'ailleurs soudainement très dangereuse, tel un véhicule qui traverse un terre-plein d'autoroute et va frapper un véhicule dans la voie opposée, la preuve ne démontre pas l'intention coupable requise. Ainsi dans Beatty, la Cour suprême affirme :
Il n’y a en l’espèce aucune preuve démontrant la moindre intention délibérée de créer un danger pour les autres usagers de la route… En fait, la preuve limitée qui a été présentée à propos de l’état mental véritable du conducteur tendait plutôt à démontrer que la conduite dangereuse était attribuable à une inattention momentanée.
[48]        Il en est de même dans l'arrêt Roy où un conducteur s'arrête à l'approche d'une traverse d'autoroute et repart pour traverser alors qu'un véhicule semi-remorque circule perpendiculairement et frappe le véhicule de l'accusé causant la mort du passager de ce dernier. L'accusé ayant perdu connaissance n'a pu donner d'explication. Ici encore la Cour suprême constate que l'accident a été causé par une conduite certes dangereuse, mais manifestée lors d'une seule erreur momentanée de jugement aux conséquences tragiques, ce qui ne permet pas de conclure en l'existence de la preuve de l'intention coupable de l'accusé c'est-à-dire la conscience du risque et le choix de le prendre ou de l'éviter.

Les facultés affaiblies (et le lien de causalité)

R. c. Jetté, 2017 QCCQ 10226 (CanLII)

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[22]        Monsieur Mathieu, l’expert en toxicologie judiciaire, rappelle que :
« L’alcool est un dépresseur du système nerveux central. Il entraîne une diminution graduelle de l’ensemble des fonctions intellectuelles, sensorielles et motrices et cela à mesure que l’alcoolémie augmente.
Les fonctions intellectuelles sont les premières à être affectées par l’alcool. Ceci a pour effet d’entraîner une diminution progressive des inhibitions, de l’attention, du jugement, de la volonté, de la compréhension et du contrôle de soi. La pensée s’obscurcit. Ainsi, sous l’effet de l’alcool, le conducteur est moins présent à son environnement et voit, par le fait même, diminuer ses aptitudes à conduire de façon sécuritaire un véhicule moteur, ce qui fait augmenter les risques de fausses manœuvres.
Au niveau sensoriel, la vision est certainement celle qui joue le rôle le plus important au niveau de la conduite automobile. À mesure que l’alcoolémie augmente, il y a une diminution progressive de l’acuité visuelle dynamique, de la profondeur de champ et du champ de vison latéral balayé par le conducteur (effet tunnel).
Les fonctions motrices sont aussi affectées par l’alcoolémie. La présence d’alcool au niveau du cerveau altère la transmission de l’influx nerveux aux muscles, causant ainsi un retard de la réponse musculaire. Cet aspect physiologique se reflète par l’observation de signes comme : une démarche chancelante, un langage escamoté et indistinct, une perte de dextérité manuelle et une perte de précision dans les gestes et mouvements. Ces manifestations vont s’accentuer pour devenir plus évidentes à des concentrations supérieures à 100 mg/100 ml.
Un autre effet de la présence d’alcool au niveau du cerveau est l’augmentation du temps de réaction. Le conducteur intoxiqué mettra plus de temps à réagir aux stimulis et par le fait même prendra plus de temps à percevoir les événements, à les interpréter et à réagir.
Il est à noter qu’en consommant de l’alcool sur une base régulière, les gens en viennent à développer une tolérance face à cette drogue, ceci se manifestant particulièrement au niveau des fonctions motrices. Ceci fait en sorte que la personne devenue tolérante présentera moins de signes au niveau moteur, voire même aucun, qu’une personne n’ayant point développé cette adaptation physiologique. Cependant à une alcoolémie supérieure à 100 mg/100 ml de sang, le phénomène de tolérance ne peut généralement pas contrer les effets de l’alcool sur la qualité de la conduite automobile.
La conduite automobile est une tâche complexe qui fait en sorte que l’on doit exécuter plusieurs tâches en même temps et pour qu’elle soit sécuritaire, il faut que le conducteur soit capable de bien percevoir les événements, traiter rapidement l’information obtenue, prendre une décision appropriée entre plusieurs alternatives et appliquer rapidement la décision prise. Toutes ces choses deviennent plus difficiles à exécuter sous l’effet de l’alcool, car l’alcool diminue la netteté de la perception, la vitesse du traitement de l’information, l’aptitude à prendre une décision appropriée entre plusieurs alternatives et à appliquer cette décision dans les plus brefs délais. […]
De façon globale, l’alcool diminue l’habileté à partager l’attention, à suivre les cibles avec les yeux, à recueillir et traiter l’information, à prendre les bonnes décisions quant aux manœuvres à effectuer, à y répondre rapidement et, finalement, à maintenir des vitesses sécuritaires. Même à un taux modéré d’intoxication, un individu n’est pas capable de réagir à une situation d’urgence avec son efficacité normale. » 
[24]        La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stellato rappelait que les facultés affaiblies même à un moindre degré suffisaient pour entraîner une culpabilité et la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Blais disait que d’autres éléments comme la fatigue et le stress pouvaient influencer l’effet de la consommation d’alcool et contribuer à l’affaiblissement des facultés.
[25]        Si madame Geneviève Aubin, après avoir vu l’état de confusion de l’accusé et senti « une haleine assez forte d’alcool », a eu « un drôle de réflexe de le faire partir pour ne pas qu’il perde ses permis », c’est que même aux yeux d’une profane l’accusé donnait des signes de facultés affaiblies.
[26]        Si madame Johanne Rochon, alors l’épouse de l’accusé, trouvait qu’il était en état d’ébriété, c’est qu’aux yeux de cette femme qui le connaissait bien et depuis longtemps, il avait les facultés de conduire affaiblies par l’alcool.
[27]        Le sergent Pascal Rochon arrête l’accusé pour conduite avec les facultés affaiblies parce qu’il l’a vu se lever lentement, marcher vers lui très lentement, avoir les yeux rouges, injectés de sang, dégager une très forte odeur d’alcool et avoir un langage pâteux.
[28]        La façon dont l’accident s’est produit indique également que les facultés de conduire de l’accusé étaient affaiblies.
[30]        « L’état mécanique du véhicule de l’accusé n’est pas contributif à la collision » et « les facteurs environnementaux (condition météo, visibilité et infrastructure) n’ont pas contribué à la collision » conclut l’expert en reconstitution, monsieur Éric Sylvestre.
[31]        C’est, selon le reconstitutionniste, « le facteur humain qui est contributif à la collision ». « Ça prend », rajoute-t-il, « de la vitesse et une manœuvre du conducteur pour se retrouver dans cette situation-là. »
[35]        La vitesse est donc prouvée et le geste brusque de l’accusé, en l’absence de quelque autre explication, ne peut s’expliquer que par le fait qu’il s’est rendu compte trop tard qu’il ne suivait plus sa voie, ce qui l’a amené à donner un coup de volant brusque pour revenir s’y placer, entraînant le dérapage.
[36]        Ce manque de respect de la limite de vitesse, d’attention et de réaction appropriée continue à convaincre que les facultés de conduire de l’accusé étaient affaiblies.
[37]        En considérant tous ces éléments de preuve, le Tribunal est convaincu hors de tout doute raisonnable que les facultés de conduire de l’accusé étaient affaiblies par l’effet de l’alcool lors de l’accident.
Le lien de causalité
[38]        Le fardeau du ministère public, une fois que la preuve démontre que les facultés de l’accusé étaient même le moindrement affaiblies, est de démontrer que cet état a contribué même au moindre degré au décès, et non qu’il est la seule cause du décès, disait la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Boisvert.
[39]        Ce doit néanmoins être de façon appréciable que les facultés affaiblies ont contribué au décès a plus tard tenu à préciser la Cour d’appel du Québec.
[40]        Ici, la conduite de l’accusé avec les facultés affaiblies est la seule cause du décès de madame Cousineau, comme le démontre la juxtaposition du rapport d’autopsie et le rapport d’expertise « enquête et collision », de sorte que l’infraction reprochée au premier chef est prouvée hors de tout doute raisonnable.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les déclarations d'un accusé à son complice ne sont pas du ouï-dire

R v Ballantyne, 2015 SKCA 107 Lien vers la décision [ 58 ]             At trial, Crown counsel attempted to tender evidence of a statement m...